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28 avril 2025
Opinions
Par Mamadou BODIAN
DÉCAPER LES VESTIGES DU SYSTÈME DE GOUVERNANCE
Les critiques envers les figures de l'ancien régime sont légitimes, mais elles restent secondaires face à l’enjeu plus large : l’établissement d’un cadre institutionnel robuste, garant d’une gouvernance transparente et efficace
L'initiative du Premier ministre Ousmane Sonko, le 26 septembre dernier (six mois après l’arrivée au pouvoir du nouveau régime), de lever le voile sur la gestion de l’ancien régime à la suite d’un audit dépasse de loin le cadre d'un simple exercice de style. Elle met en lumière, avec une intensité implacable, les failles profondes d’un système, où la rupture tant promise risque de se diluer si les graves révélations ne sont pas suivies d’une véritable obligation de rendre des comptes, en conformité avec l'exigence de transparence des citoyens.
L’analyse économique tirée des audits met en lumière des irrégularités financières graves qu’il conviendra de clarifier : le déficit budgétaire, annoncé à 5,5 %, culmine en réalité au-delà des 10 % entre 2019 et 2023. Cette vérité, présentée par le ministre de l’Économie Abdourahmane Sarr et renchéri en wolof par Mohamed Al Aminou Lô pour atteindre l’opinion publique, révèle aussi une dette publique recalculée. En 2023, celle-ci (hors secteur parapublic), était de 15 664 milliards (83,7 % du PIB) contre 13 772 milliards annoncés, soit une différence de 1 892 milliards, loin des estimations initiales. À cela s’ajoute un mystère financier : 605 milliards de francs CFA destinés pour l’année 2024 sont utilisés en fin 2023 (donc introuvables dans les comptes de l’État), tandis que 300 milliards ont été dépensés sans justification claire. Mais l’inquiétude atteint son comble avec la découverte de 2 500 milliards de francs CFA estampillés «secret-défense», échappant ainsi à tout contrôle parlementaire ou public.
Cet exercice, indispensable à l’établissement des responsabilités, met également en lumière une autre évidence : la promesse d’une rupture systémique avec le passé ne doit vaciller sous aucun prétexte, sous peine de mettre en péril le changement promis. Comment concilier alors cet impératif de rupture avec la présence, parmi les auteurs du réquisitoire contre la mauvaise gouvernance de l’ancien régime, d’individus perçus comme des héritiers du système dénoncé ? Il s’agit notamment d’Abdourahmane Sarr, de Cheikh Diba et de Mohamed Al Aminou Lô, qui occupaient tous des postes stratégiques au sein des systèmes financiers (national et international) à l’époque des manipulations et abus budgétaires allégués. Sont-ils vraiment responsables ?
Je ne suis pas qualifié pour répondre à cette question. Mais mon avis est que les enjeux dépassent la mise en cause des acteurs et s’enracine dans une problématique plus large d’un shift paradigmatique en matière de gouvernance, dans un contexte où l’exigence de transparence a nécessité un dévoilement inédit des finances publiques, avec toutes ses implications pour l’avenir du Sénégal et la chance unique de réformer en profondeur la gestion de l’État. Ce n’est pas dans les attaques ad hominem que se trouve la clé, mais bien dans la capacité à saisir cette occasion pour construire une gouvernance nouvelle, fondée sur la justice, la responsabilité et la reddition des comptes.
I- L’antisystème n’est pas un écran de «blanchiment» des anciens du système
Sans les partager, je suis attentif aux critiques qui martèlent que la rupture annoncée compose pourtant avec des hommes profondément ancrés dans l’ancien système, eux-mêmes artisans des politiques qu’ils dénoncent aujourd’hui. On ne peut nier, sous peine de déni, que l’actuel Ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération, Abdourahmane Sarr, est un ancien cadre du FMI pendant plus de vingt ans et a été un acteur majeur des ajustements économiques dans plusieurs pays et un promoteur des normes de transparence statistique via la Norme Spéciale de Diffusion des Données (NSDD). On peut même concéder qu’il a contribué à faire des institutions économiques des États africains des vitrines de conformité aux standards internationaux, parfois au détriment des réalités locales.
Dans la même lignée, on ne peut éluder le fait que Cheikh Diba, actuel Ministre des Finances, a, lui aussi, été au cœur de la gestion budgétaire sénégalaise pendant plus de seize ans. Il a participé à l’élaboration des politiques du Plan Sénégal Émergent (PSE) et aux directives de l’UEMOA. Certains pourraient arguer que sa responsabilité dans la gestion financière critiquée sous l’ancien régime est incontestable. On peut même pointer du doigt le Ministre, Secrétaire général du Gouvernement à Mohamed Al Aminou Lô, cet ancien Directeur national de la BCEAO et défenseur du franc CFA, que certains présentent comme l’incarnation de la continuité d’un système monétaire critiqué pour sa contribution à la dépendance économique de la région. Sa nomination par le nouveau régime survient dans un contexte de débat sur la souveraineté monétaire, et son attachement au CFA contraste avec les aspirations à l’indépendance économique brandies par le nouveau régime.
Cependant, il me semble trop réducteur d’étiqueter ces personnalités comme de simples pantins de la continuité. Je ne suis pas un apôtre du purisme politique et je ne suis pas convaincu que toute expérience passée dans les rouages du système disqualifie d'emblée pour participer à la rupture. Loin d'être un obstacle, l’expérience de gens qui connaissent bien le système peut devenir le moteur d'une véritable transformation, si elle est mise au service d'une gouvernance transparente et responsable, tournée vers l'avenir. Évidemment, aussi qualifiés soient-ils, ces individus ne sont que des instruments au service d’un projet de transformation plus vaste. Le véritable enjeu réside dans la capacité des institutions étatiques à s'arracher aux pratiques opaques du passé et à établir un cadre de gouvernance clair, contraignant et fondé sur la transparence. Ainsi, si le référentiel politique des nouvelles autorités, attendu le 7 octobre, se révèle solide et bien articulé, ces «sachants» des rouages du système financier pourraient devenir un atout crucial pour corriger les erreurs du passé, instaurer une nouvelle dynamique de transparence budgétaire, restaurer la crédibilité des finances publiques et amorcer une transition vers la souveraineté monétaire, tout en assurant la stabilité économique. En attendant, il faut relever le défi de la communication publique pour restaurer la crédibilité publique du Sénégal.
II- Il faut plus de communication publique et moins de communication politique
La conférence de presse du 26 septembre a soulevé une question essentielle : la manière dont les autorités communiquent sur les affaires publiques et les répercussions potentielles de cette communication, tant sur l'opinion nationale que sur nos partenaires internationaux. Cet exercice revêt une importance capitale, car la responsabilité en matière de communication réside dans la capacité à éclairer sans manipuler, à informer sans déformer. La communication publique, dans cette optique, doit se distinguer de la communication politique, souvent teintée d’intérêts stratégiques et susceptibles d’occulter certaines nuances essentielles.
Alors que le Sénégal cherche à maintenir des relations privilégiées avec les investisseurs et bailleurs de fonds, qui perçoivent dans ce pays stable et démocratique une opportunité économique, il est difficile d'ignorer les écueils de la gestion passée sans risquer d'être rattrapé par ce passif. Cependant, toute déclaration imprudente — en particulier concernant la falsification possible des statistiques économiques — pourrait sérieusement compromettre la crédibilité du Sénégal sur les marchés financiers internationaux. Le défi pour le nouveau gouvernement réside dans sa capacité à incarner la transparence et la responsabilité dans un contexte délicat. La confiance des investisseurs repose sur des données fiables, et une gestion approximative pourrait entraîner une hausse des coûts d'emprunt, une diminution des investissements étrangers et une dégradation des notations souveraines. Il est donc essentiel que l'État maintienne une approche rigoureuse, fondée sur des informations solides et des audits indépendants, afin de restaurer la confiance des acteurs économiques et de garantir la stabilité du pays.
Ce qui se joue aujourd’hui va bien au-delà du simple dévoilement des erreurs passées. C’est une occasion unique de mettre en œuvre des réformes structurelles profondes. La transparence, certes indispensable, doit être accompagnée d’une refonte des mécanismes de gestion publique pour assurer une utilisation plus efficiente et équitable des ressources nationales. Cela inclut la réduction des dépenses superflues, le renforcement du contrôle budgétaire et la relocation stratégique des fonds vers les secteurs clés du développement. Le rôle du parlement est central dans ce processus : non seulement il doit adopter ces réformes, mais il doit également exercer un contrôle rigoureux sur l’action gouvernementale. Un parlement renforcé, doté de véritables pouvoirs de surveillance, est le garant de la transparence et de la redevabilité des décisions de l’exécutif. Sa vigilance en matière de gestion des finances publiques et d’évaluation des politiques budgétaires est cruciale pour prévenir les dérives et garantir une gestion saine des ressources. C’est cette collaboration étroite entre l’exécutif et le législatif qui préservera la confiance des partenaires économiques. Le Sénégal se trouve à un carrefour décisif : soit il saisit cette occasion pour réformer en profondeur et assainir ses pratiques, soit il risque de sombrer dans une crise de confiance aux répercussions économiques et sociales considérables.
En définitive, le «grand dévoilement» des comptes publics représente une étape déterminante dans la refondation de l’État sénégalais. Loin de se réduire à un simple exercice de dénonciation des erreurs du passé, il ouvre la voie à une restructuration profonde des pratiques de gestion publique. Les critiques à l’égard des personnalités ayant joué un rôle dans l’ancien système sont légitimes, mais elles restent secondaires face à l’enjeu plus large : l’établissement d’un cadre institutionnel robuste, garant d’une gouvernance transparente et efficace. Le Sénégal se trouve aujourd'hui devant une opportunité historique de transformer son modèle de gestion économique et politique. Cependant, cette transformation exige de naviguer avec rigueur et prudence, tout en évitant les pièges d’une communication imprudente, pour saisir pleinement l’occasion de réformer en profondeur.
Par Babacar FALL
ENJEUX DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE
Les troubles que le Sénégal a connus entre 2019 et 2024 ont suscité de nombreuses inquiétudes quant au modèle démocratique qui a fait la réputation du pays en Afrique.
Les troubles que le Sénégal a connus entre 2019 et 2024 ont suscité de nombreuses inquiétudes quant au modèle démocratique qui a fait la réputation du pays en Afrique. La discussion qui suit retrace son parcours en tant que démocratie, garantissant l’exercice des libertés des citoyens d’exprimer leurs opinions sans restriction et de choisir ceux à qui l’on confie la gouvernance du pays. Elle évoque les traditions démocratiques du Sénégal qui remontent à l’époque coloniale et l’exercice du pouvoir sous la présidence de Macky Sall, marqué dans une large mesure par des tendances autoritaires et des résistances citoyennes.
Le Sénégal, un pays de longue tradition démocratique
Le Sénégal compte en 2023 18 000 000 habitants environ dont les moins de 35 ans représentent 75 % de la population 1. Il est connu pour sa longue tradition démocratique avec l’organisation régulière des élections. En effet, la scène politique est restée dominée par la démocratie d’essence coloniale et élitiste à l’œuvre sur la scène politique depuis 1914 avec l’élection du député Blaise Diagne remplacé par Galandou Diouf en 1938. Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor occupent l’arène politique. Dans ce contexte, en 1960, le Sénégal accède à l’ indépendance formelle préparée par l’Union française en 1946, la Loi-cadre en 1956 et la Communauté Franco-Africaine en 1958. Le régime est de type parlementaire avec Léopold Sédar Senghor comme Président et Mamadou Dia assure le poste de Vice-Président. Avec la crise de décembre 1962 marquée par l’emprisonnement de Mamadou Dia, un régime présidentialiste est instauré. Formellement, le système politique repose sur le pluralisme mais les libertés publiques sont bâillonnées, les partis d’opposition pareillement réprimés. Avec la crise de mai 1968/1969, le paysage politique sénégalais connait de graves secousses qui ouvrent une nouvelle ère politique, sociale et culturelle.
Une ouverture démocratique timide est amorcée au milieu des années 1970, avec la reconnaissance du Parti Démocratique Sénégalais fondé par l’avocat et universitaire Maître Abdoulaye Wade. Mais le président Senghor décide de n’autoriser que quatre courants de partis politiques, poussant ainsi les autres mouvements politiques d’opposition à la clandestinité.
Les troubles sociaux et politiques, combinés à la crise économique qui a conduit à l’adoption d’un programme d’ajustement, ont précipité le départ du président Senghor. En 1981, Léopold Sédar Senghor cède le pouvoir à Abdou Diouf sans l’organisation d’élections en application de l’article 35 de la constitution. Le nouveau président de la République élargit, sous la pression des forces démocratiques et progressistes, la liberté de formation des partis politiques mais la loi électorale favorise les fraudes avec les votes multiples et la non-identification des électeurs dans les bureaux de vote 2. Les élections présidentielles de 1983 et de 1988 ont été marquées par de fortes contestations suivies de l’arrestation des leaders politiques de l’opposition 3. C’est en 1992 qu’un accord est intervenu à la suite du dialogue entre les acteurs politiques sous la facilitation de l’équipe du juge Kéba Mbaye. Une loi électorale consensuelle est adoptée. Elle garantit la refonte du fichier électoral, l’identification des électeurs dans les bureaux de vote, l’obligation du passage dans l’isoloir, la présence des observateurs durant les élections et la publication des résultats à travers les radios publiques et privées. Le consensus s’établit sur le décalage énorme des politiques publiques et la demande sociale. La vie devient chère et la gouvernance s’écarte de la valorisation des immenses potentialités nationales.
Deux alternances politiques : les acquis démocratiques sont réversibles
Les réformes politiques aggravées par la crise économique ouverte avec l’ajustement structurel vont favoriser en mars 2000 l’alternance à la tête de l’État consacrant l’arrivée de Maître Abdoulaye Wade à la place de Abdou Diouf. Ayant été le fer de lance de la démocratisation avant d’arriver au pouvoir, le Président Wade prend néanmoins de nombreuses décisions à l’inverse des acquis démocratiques au point que les citoyens l’assimilent à un autocrate qui personnalise la gestion de l’État en visant à installer son fils comme futur vice-président. Son ancien premier ministre, Macky Sall se martyrise face à la confiscation de tous les pouvoirs.
Comme dans un sursaut massif, plusieurs acteurs politiques, syndicaux, patronaux, et de la société civile engagent la tenue des Assises nationales (1er juin 2008 - 24 mai 2009) pour refonder les institutions, élaborer une charte de gouvernance démocratique et une série de mesures correctives des politiques sectorielles 4. Les Assises nationales ont joué un important rôle dans l’émergence et la consolidation du mouvement de contestation qui a mis un terme au régime d’Abdoulaye Wade.
Le prélude de la défaite de Maître Abdoulaye est annoncée avec les élections locales du 22 mars 2009 qui ont été marquées par la victoire de l’opposition regroupée au sein de Benno Siggil Sénégal (Unis pour un Sénégal Debout) dans les grandes villes ( Dakar, Pikine, Guediawaye, Kaolack, Fatick, Diourbel, Louga et Saint-Louis). Le Parti Démocratique Sénégalais est resté solide dans les communautés rurales 5..
Avec la forte mobilisation des acteurs politiques, des changements sont apportés au niveau des institutions. La limitation du nombre des mandats à deux était déjà consacrée dans la nouvelle constitution de 2001. Mais Maître Abdoulaye Wade 6 va tenter sans succès d’obtenir un troisième mandat qui lui sera refusé par les électeurs en mars 2012.
Le nouveau Président élu se nomme Monsieur Macky Sall. C’est le premier Président né après les indépendances. Il est porteur d’espoir chez les jeunes générations dont la plupart d’entre eux, selon le journaliste Khalil Gueye, sont « membres de la GEN Z, c’est à dire la Génération Z, une génération incomprise par les hommes politiques et qui passe pour la génération la plus complexe aujourd’hui dans tous les pays du monde. Elle a entre 11 ans et 25 ans et elle tapisse le système éducatif du primaire à l’université. Dans la vie de tous les jours elle est présente dans les foules des stades et des arènes de lutte, dans la masse des sans-emploi et partage les idées et sentiments du groupe dur de notre société qui ne croit plus en rien de ce que toute autorité puisse lui promettre » 7.
Ce sont ces jeunes qui ont été déçus par Macky Sall car son programme économique est centré sur la construction des infrastructures et la défense des intérêts des sociétés internationales. L’impact sur les populations et surtout les jeunes est peu significatif. Les statistiques sont éloquentes. De 3 273 000 d’habitants en 1960, la population a été multipliée par 6 en 64 ans pour atteindre en 2023 : 18 032 473 habitants dont la moitié de la population est âgée de moins de 19 ans 8. Mais entre 2012 et 2024, la situation des jeunes ne s’est pas améliorée. Le taux de chômage reste élevé avec une légère tendance à la baisse : un taux de 22,5 % en 2015 passé a 18,6 % en 2023. Le sous-emploi est plus accentué avec 90 % d’emplois précaires. Au plan national, « en 2013, 28 % des actifs occupés par moins de 40 heures par semaine seraient disponibles pour travailler davantage. Ce taux est de 21 % pour les hommes, de 40 % pour les femmes, il est de 32 % en milieu rural, de 24 % à Dakar et de 26 % dans les autres centres urbains » 9. L’insertion des jeunes dans le marché du travail s’est rétrécie. La situation de chômage ou de sousemploi est vécue par les jeunes comme « une mort sociale » 10. De ce fait, l’émigration clandestine apparait pour beaucoup de jeunes comme une alternative pour échapper à la crise de l’emploi et a l’instabilité professionnelle, un raccourci possible vers une ascension économique réelle et surtout fulgurante. C’est pourquoi Khalil Gueye a raison de dire que la génération Z ne craint ni la mer ni le désert pour quitter le pays et aller ailleurs forger un meilleur avenir11.
Macky Sall à l’épreuve de la démocratie et de l’État de droit : entre l’autoritarisme et les mobilisations contre les dérives présidentialistes
C’est dans ce contexte de crise que le jeu institutionnel est marqué par les dérives du régime présidentialiste autoritaire affirmant sa détermination à « réduire l’opposition à sa plus simple expression », ne tolérant aucune position critique. Dès son avènement au pouvoir, Macky Sall au lieu de penser aux prochaines générations pour leur assurer un mieux-être, s’est inscrit dans l’optique de gagner la prochaine élection prévue en 2019. Sous le prétexte de la reddition des comptes, deux opposants sont arrêtés, jugés et mis en pris.
Il s’agit de Karim Meissa Wade, le fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade, arrêté en avril 2013 et gracié en 2018 après 38 mois de séjour carcéral mais privé de ses droits civiques et donc exclu des élections présidentielles de 2019. Le même scenario est appliqué à Ababacar Khalifa Sall, maire de la capitale Dakar, arrêté en 2017 et condamné à cinq ans de prison et gracié un an après mais privé de ses droits civiques.
En réalité, si le Président Macky Sall se compare souvent à un champion de lutte voulant préserver le titre de roi des arènes, il n’est point disposé à respecter les règles connues d’avance de la lutte. Avant le jeu , il élimine les sérieux adversaires par des complots extra sportifs, choisit l’arbitre de ses propres combats pour être proclamé champion. C’est ainsi que l’élection présidentielle de février 2019 a été un triomphe pour Macky Sall en l’absence de deux grands calibres de la scène politique sénégalaise. Mais comme dit l’adage « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Dépourvu de légitimité, le nouveau Président est si triste de ne pas être encensé pour ses exploits dans l’arène politique 12 . Au classement, on retrouve Idrissa Seck et Ousmane Sonko, respectivement deuxième et troisième derrière Macky Sall. Au lendemain des élections, la tension reste perceptible et nourrit l’inquiétude de nombre d’observateurs et admirateurs du modèle de démocratie qui reste attaché au Sénégal.
L’écrivain franco-guinéen, Prix Renaudot 2008, Tierno Monénembo s’interroge sur ce pays symbole de la démocratie en Afrique. « Qu’est-il arrivé au Sénégal ? » demande-t-il. Dans sa chronique intitulée : « Sénégal : le syndrome Sonko » et publiée le 3 mars 2019, il écrit : « Mais où est donc passée cette société fluide et raffinée que nous a léguée le lettré Senghor….La tolérance, la palabre, le wakhtane, l’espace de négociation ; cette vertu cardinale de la société sénégalaise est en train de se rétrécir sous le double coup des mesquineries et des ambitions partisanes » 13.
Mais la leçon de vie renvoyant aux belles vertus du dialogue pour surmonter les difficultés du pays contenue dans la chronique de Tierno Monénembo a été détournée de sa signification et mise au service des manœuvres politiques de consolidation d’un pouvoir ébranlé. Ainsi, à la faveur des effets de la Covid19 et au nom des intérêts supérieurs du pays déclaré « en danger », Idrissa Seck rejoint la majorité présidentielle et est récompensé le 1er novembre 2020 du poste de Président du Conseil économique, social et environnemental et bénéficie de deux postes ministériels pour son parti politique «Le Rewmi ». Avec le ralliement d’Idrissa Seck au pouvoir, Macky Sall pense alors qu’il peut dérouler son projet de briguer un troisième mandat d’autant que selon lui, la constitution adoptée en 2016 lui permet de le faire. Mais pour réussir son projet, il faut neutraliser tous les adversaires susceptibles d’être des obstacles. Ousmane Sonko , député et maire de la ville de Ziguinchor, la plus importante ville de la Casamance, au sud du pays, est identifié comme l’adversaire à abattre. Les dossiers judiciaires sont montés. C’est d’abord l’affaire Adji Sarr, une jeune masseuse qui accuse le 6 février 2021 Ousmane Sonko, candidat déclaré à l’élection présidentielle du 24 février 2024 de « viols répétitifs ». et « menaces de mort ». Le 3 mars 2021, le député et maire de Ziguinchor est officiellement mis en cause puis convoqué par le doyen des juges du tribunal de Dakar. Pour répondre au juge, il est accompagné de ses partisans. Sur le parcours, il est arrêté pour « trouble à l’ordre public », puis libéré sous contrôle judiciaire, après plusieurs jours d’émeutes et de nombreuses scènes de pillages ciblant les entreprises françaises (Total, Supermarchés Auchan, Carrefour, etc.) dans tout le pays. Quatorze morts sont enregistrés. Pour Ousmane Sonko, « cette accusation est une manipulation politique en vue de le mettre hors course de tout mandat électif. Car s’il était condamné, l’opposant serait inéligible » 14. Jugé par contumace, l’opposant Sonko est acquitté le 1er juin 2023 des faits de viol dont il était accusé, mais il est reconnu coupable « de corruption de la jeunesse » et condamné à deux ans de prison et 600 000 FCFA d’amende. À l’énoncé du verdict, des violences ont éclaté dans plusieurs villes du pays. Près de soixante morts ont été dénombrés. Plus de 1 500 personnes ont été arrêtées et mises en prison pour des motifs variables notamment « offense au Chef de l’État », « outrage à magistrat », « diffusion de fausses nouvelles », etc. Felwine Sarr a raison de relever que « l’appareil judiciaire a abusé d’une rhétorique autour de la sûreté de l’État, du respect des institutions, du maintien de l’ordre public, pour organiser la répression systématique des opposants, leur intimidation et leur emprisonnement ; ainsi que la mise sous silence des voix dissidentes et des esprits épris de justice » 15.
Ensuite, une deuxième affaire de diffamation sera portée contre l’opposant Sonko qui est aussi condamné à six mois avec sursis hypothéquant ses chances légales d’être accepté comme candidat aux élections du 25 février 2024.
La mélancolie du Président Macky, facteur d’inertie
Après plus d’un an de suspense, de tensions et de pressions politiques et religieuses diverses, Macky Sall annonce le 3 juillet 2023 , qu’il ne se représenterait pas à l’élection présidentielle de février 2024. Mais le 28 juillet 2023, Ousmane Sonko est arrêté à Dakar. « Le procureur affirme qu’il fait l’objet d’une enquête pour « divers chefs de délits et crimes ». Le parquet estime que « depuis un certain temps », des « actes, déclarations, écrits, images et manœuvres » de la part de l’opposant étaient « constitutifs de faits pénalement répréhensibles » 16.
Le politologue Pierre Sané qualifie Macky Sall du titre de « Président mélancolique et mal-aimé ». En effet, Président Sall est désespéré de voir son projet avorté : instaurer au Sénégal une présidence à vie comme c’est le cas dans nombre de pays d’Afrique centrale pour assurer un contrôle sur les ressources escomptées de l’exploitation prochaine du pétrole et du gaz. Pierre Sané fait remarquer ironiquement que le rêve de Macky Sall « est parti en fumée : Sénégal émirat pétrolier ? Infrastructures en chantier ? Réforme du système financier international ? Et non, ce ne sera pas sous son magistère. La déception est profonde. Cette mélancolie nourrit la rancœur inépuisable qu’il cultive à l’encontre d’Ousmane Sonko dont la popularité inébranlable malgré les complots, séquestrations et emprisonnements enrage un président mal aimé. Ce qui en retour alimente sa mélancolie. Il aura tout essayé depuis trois ans ! » 17
Le Président Macky, adepte du dilatoire pour regretter le troisième mandat
Le dénouement semblait se préciser le 20 janvier 2024 avec la publication par le Conseil constitutionnel de la liste des 20 candidats sélectionnés dont deux femmes 18 à partir d’un système de parrainage sur 70 postulants. Ousmane Sonko s’est fait remplacer par Bassirou Diomaye Faye, Secrétaire général de son Parti (PASTEF), Parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, dissous le 31 juillet 2023 par le ministre de l’Intérieur. Mais c’est sans compter avec les soubresauts du Président mélancolique qui le 3 février 2024, à la veille de la campagne électorale, abroge le décret de convocation des électeurs sous le prétexte de la mise en place d’une commission parlementaire enquêtant sur deux juges du Conseil constitutionnel dont l’intégrité dans le processus électoral est contestée par le Parti Démocratique Sénégalais dont le candidat Karim Meissa Wade a été recalé pour cause de parjure sur sa double nationalité sénégalaise et française. Dans la foulée, l’Assemblée nationale adopte un projet de loi renvoyant les élections présidentielles au 15 décembre 2024 avec l’octroi d’un supplément de mandat au président Macky Sall. Saisi par un groupe de candidats, le Conseil constitutionnel déclare l’inconstitutionnalité de la loi votée et ordonne la tenue des élections dans « les meilleurs délais ». Mais Macky Sall continue à jouer au dilatoire et annonce la convocation d’un « dialogue national » pour fixer les conditions pour l’organisation de l’élection présidentielle. Boycotté par 17 candidats, ce « dialogue national », tenu du 26 au 28 février 2024, a adopté des conclusions offrant la possibilité de réouvrir la liste des candidats et proposant la date du 2 juin 2024 pour l’élection présidentielles et maintenant Macky Sall à la présidence jusqu’à l’installation du nouveau président élu. Encore une fois, le Conseil constitutionnel rejette ces conclusions, fixe la date des élections au 31 mars 2024 et précise que le mandat du président de la République s’achève le 2 avril 2024 et ne saurait être prolongé pour quelque raison que ce soit 19.
L’écrivain Guinéen Tierno Monénembo apprécie le rôle d’arbitre du Conseil constitutionnel comme une parade dans le mécanisme du jeu démocratique. Il écrit : « L’acte posé par le Conseil constitutionnel après la tentative de recul des élections présidentielles par Macky Sall fut un haut moment de démocratie et pour les Africains frustrés de tout, surtout de liberté, un véritable état de grâce. Une belle surprise, un événement habituellement réservé aux démocraties les mieux rodées, celles des pays scandinaves notamment » 20.
Face à ce double désaveu par le Conseil constitutionnel, Macky Sall se décide à fixer la date de l’élection au 24 mars 2024 donnant aux candidats deux semaines de campagne électorale au lieu des trois comme prévu par le code électoral. Dans le souci, dit-il, d’apaiser l’espace politique à son départ à la tête de l’État, il fait voter le 4 mars 2024 une loi d’amnistie générale pour faire libérer les 1 500 détenus politiques qui croupissent en prison 21. Cette mesure d’élargissement permet à Ousmane Sonko et au candidat Bassirou Diomaye Faye de sortir de la prison et de prendre la tête de la campagne de la coalition anti-système – anti-Macky Sall.
À la veille des élections du 24 mars 2024, l’issue du verdict des urnes était incertaine. Le scrutin s’est déroulé dans le calme et la sérénité. Les électeurs ont usé de leur bulletin de vote pour opter dès le premier pour le changement incarnées par la coalition « Président DIOMAYE 2024 » mise sur pied par Ousmane Sonko et ses alliés avec un score de 54,28 % contre 35,79 % pour Amadou Ba, le candidat de la majorité sortante.
Quelques leçons majeures de cette crise sociale et politique
La troisième alternance consacrée par les résultats des élections du 24 mars 2024 illustre la vitalité de la démocratie au Sénégal. Mais elle révèle que le modèle de démocratie souffre encore des faiblesses liées à sa jeunesse et aux dérives générées par le système présidentialiste. Entre 2019 et 2023, le pays a connu une grande instabilité politique due aux interprétations controversées de la constitution sur la légitimité d’une nouvelle candidature du président Macky Sall qui a déjà accompli deux mandats (2012-2019 et 2019-2024).
Cette crise marquée par des graves troubles a eu des conséquences importantes sur l’économie du pays au moment où l’exploitation d’importantes ressources de pétrole et de gaz est annoncée pour 2025. Cependant la dynamique de résistance incarnée par les citoyens et principalement par les jeunes ainsi que le jeu de régulation assuré par le Conseil constitutionnel ont permis d’éviter que le pays s’enfonce dans le chaos. Le bulletin de vote a indiqué la direction du changement en départageant les partis politiques en compétition.
De plus, il se dégage des épreuves de force entre les régimes d’Abdoulaye Wade et Macky Sall et les populations mobilisées que la défense de la constitution qui n’est plus simplement l’affaire des juristes, mais bien des citoyens et citoyennes engagés contre tout régime voulant piétiner le droit auquel il est censé être soumis pour garantir le commun vouloir de vie commune. Les jeunes ont été au front de ce combat pour la consolidation de la démocratie.
Enfin, un puissant vent souffle de partout au Sénégal et les messages sont concordants autour de la souveraineté, la réforme des institutions, l’employabilité des jeunes, l’ancrage culturel, la qualité du capital humain, la justice sociale, la transparence budgétaire et toutes sortes de formes de redevabilité. Pour une fois, un nouveau pouvoir n’aura qu’un seul choix : celui de procéder à la réforme du présidentialisme, de mettre en œuvre la gouvernance vertueuse et répondre aux aspirations des jeunes et des femmes. Mais déjà les mouvements de femmes expriment leur indignation du fait de la faible présence des femmes dans le nouveau gouvernement (13,33 %), alors que le Sénégal a adopté depuis 2010 une loi sur la parité. C’est là un signe révélateur des conquêtes à réaliser pour approfondir un modèle démocratique très apprécié en Afrique.
LE POUVOIR DE SONKO DÉROULE LE PROJET DE LA TERREUR
Comparés aux injures proférées par Sonko lui-même ces dernières années, qu'ont pu dire des hommes comme Suzanne Camara, Imam Ndao, Bah Diakhaté ou le commissaire Cheikhna Keita, pour mériter d'être mis sous mandat de dépôt ?
Le propos du pouvoir en place depuis le 24 mars 2024 n'est plus de changer la vie des Sénégalais, comme ils l'avaient promis, mais face à leur impuissance, d'éviter que les voix de la raison ne se fassent entendre en les musclant.
Le Premier ministre avait jugé inutile de profiter d'un état de grâce, voilà qu'il nous impose aujourd'hui, du fait de son incapacité à trouver des solutions, la terreur et le rapport de force.
Depuis qu'ils sont au pouvoir, les hommes de Sonko et alliés, ne supportent aucune voix discordante, et dirigent ce pays avec des thuriféraires obéissants et serviles, qui agissent en petits soldats avec le petit doigt sur la couture du pantalon.
Comparés à ces injures proférées par Sonko lui-même lors des dernières années à l'encontre des dirigeants d'alors, qu'ont pu dire des hommes comme Suzanne Camara, Imam Ndao, Bah Diakhaté ou le commissaire Cheikhna Keita, pour mériter d'être mis sous mandat de dépôt ?
Qu'a fait Lat Diop de plus que son co-auteur supposé de corruption Mohamed Dieng, libre, comme l'air ?
Aujourd'hui, ce sont Djegui Diop, Cheikh Yérim Seck, Bougane Guèye Dany qui sont aux portes de la prison pour avoir commis le crime de « lèse-Sonko », de ne pas être convaincus par ses étemelles promesses de changements.
Comme ils n'arrivent plus à convaincre, ces messieurs ont décidé d'user de l'argument des faibles : la terreur.
C'est le plus évident des aveux de faiblesse. Vos jours sont comptés
messieurs.
Abdou Mbow est porte-parole adjoint de l'APR.
par Oumou Wane
CONFERENCE DE PRESSE DE SONKO : ÉTAT D’URGENCE ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Comment nos anciens dirigeants pourront-ils se cacher derrière ce triste héritage s’il est avéré ? il appartient à la nouvelle génération de briser le cercle vicieux de la débâcle financière
Alors que le pays fêtait en avril dernier la retentissante victoire de la « révolution » Bassirou Diomaye Faye et du « phénomène » Ousmane Sonko, dans un gigantesque espoir de changement pour la jeunesse, nous étions loin de nous douter que le navire Sénégal prenait l’eau de toutes parts et que l’ancien régime, quittait le vaisseau avec un bilan économique aussi calamiteux et à la dérive.
C’est ce qui ressort en tout cas des propos d’Ousmane Sonko, le jeudi 26 septembre, lors d’une conférence de presse à Dakar, avec une question sous-jacente : Comment redresser la barre au plus vite ?
L’État de grâce aura été de courte durée pour le nouveau régime. Après près de six mois au pouvoir, la nouvelle autorité sénégalaise, par la voix du Premier ministre Ousmane Sonko, a fait un état des lieux implacable de la gouvernance de Macky Sall.
Et le bilan est plus que désastreux ! Selon lui, "le régime du président Macky Sall a menti au peuple et aux partenaires financiers" et le premier ministre, Ousmane Sonko, dénonce une « corruption généralisée » sous l’ancien pouvoir. « Nous étions loin de nous imaginer que les choses étaient aussi catastrophiques », a lancé le premier ministre, lors de cette conférence de presse.
Le nouveau chef du gouvernement, en place depuis avril 2024, accuse d’anciens ministres et l’ex-président, Macky Sall, d’avoir manipulé les chiffres des finances publiques. Il annonce l’ouverture d’enquêtes.
En réalité, il s’agirait d’un véritable gâchis social et économique et d’une honte politique pour des dirigeants dont l’heure du bilan a sonné.
L’argent magique, des dépenses folles, les contrats de dupes… en effet, un écart abyssal semble séparer les promesses et les réalisations de Macky Sall !
Avec le punch qui le caractérise, Ousmane Sonko a donc été sans pitié avec l’ancien président.
Mais probablement que Macky Sall aura l’occasion de s’en expliquer, puisqu’il est annoncé comme tête de liste de la coalition Takku-Wallu en vue des élections législatives anticipées du 17 novembre 2024. Ousmane Sonko, étant lui aussi tête de liste de son parti, le combat s’annonce rude !
Mais revenons un peu sur les dérapages budgétaires, déficits hors de contrôle, endettement des plus inquiétants… Comment nos anciens dirigeants pourront-ils se cacher derrière ce triste héritage s’il est avéré ?
En guise d’explications franches pour éclairer la lanterne des Sénégalais face aux accusations du Premier ministre, nous voici pour le moment revenus au vieux réflexe délétère qui consiste à tenter d’impliquer le nouveau ministre des Finances, Monsieur Cheikh Diba, dont un communiqué de la Cellule de communication du ministère des Finances et du Budget souligne pourtant qu’il a toujours agi avec "professionnalisme et rigueur" dans le respect des règles en vigueur. Selon le document, l’actuel ministre des Finances et du budget n’est ni de près ni de loin mêlé à ce scandale. Et c’est cela la vérité !
Face à cette machine à creuser les inégalités et à cette corruption qui priverait le pays d'une partie de ses ressources, il appartient à la nouvelle génération au pouvoir de briser le cercle vicieux de la débâcle financière avec un plan de relance économique pertinent, complet et structuré qui laisse sa chance à tous.
C’est à elle désormais de proposer pour les vingt prochaines années un nouveau cap pour la société sénégalaise, une ambition partagée, inspirée d’une véritable intelligence stratégique et économique ainsi qu’une volonté de reprise de la souveraineté du Sénégal sur les secteurs économiques et les ressources naturelles, technologiques et humaines.
Oumou Wane est présidente d’Africa7
Par Hamidou ANNE
LE SEUL PROJET DE PASTEF EST L’ABAISSEMENT DU SÉNÉGAL
Soutenir urbi et orbi que les comptes du pays sont maquillés pose plusieurs problèmes de forme et de fond. Soit la personne qui a parlé ne comprend rien à l’économie - ce qui est probable -, soit elle verse dans la manipulation grossière...
Soutenir urbi et orbi que les comptes du Sénégal sont maquillés pose plusieurs problèmes de forme et de fond. Soit la personne qui a parlé ne comprend rien à l’économie -ce qui est probable-, soit elle verse dans la manipulation grossière, ce qui est tout aussi soutenable. De plus, tenir de tels propos pour un responsable public c’est inaugurer un nouveau chapitre dans l’entreprise d’abaissement national, qui est la marque déposée du parti Pastef. Le Sénégal dispose de fonctionnaires sérieux et compétents ; parmi eux d’éminents spécialistes des finances publiques, qui ont travaillé d’arrache-pied pour redresser notre économie dont les taux de croissance n’ont cessé de tendre à la hausse depuis l’entrée en vigueur du Pse.
Si sa croissance a été erratique entre 2000 et 2011 (3,3% en moyenne), le Sénégal a été déclaré pays à la plus régulière moyenne de croissance économique pour la décennie 2011-2021. Il s’y ajoute une gestion remarquable du Covid-19, qui a permis l’atténuation des chocs et la relance plus rapide grâce aux mécanismes mis en œuvre et surtout à la résilience de l’agriculture et de l’industrie. Outre une économie placée sur les rails de l’émergence, le Sénégal dispose d’une administration sérieuse que M. Sonko et son cheptel politique ne cessent de vilipender et d’accuser de complots divers depuis une décennie. Les propos de M. Sonko, pour tout Sénégalais avec un peu de jugeote, n’ont aucune crédibilité tant l’homme est en indélicatesse naturelle avec la vérité. Mais que le chef de l’administration dise de celle-ci qu’elle est une machine de faussaires est le summum de l’irresponsabilité. En plus, les déclarations sont fausses pour la simple raison que le Sénégal n’évolue pas en vase clos. Nous sommes au sein de l’Uemoa et en étroite collaboration avec le Fmi et d’organisations multilatérales. Le budget est connu, les dépenses et les recettes retracées, les lois de finances rectificatives publiquement votées. Mieux, la Cour des comptes a déjà validé les lois de règlement des rapports de gestion 2020, 2021 et 2022. Le Sénégal ne saurait cacher ses données au Fmi, à la Banque mondiale, à la Banque centrale, etc.
Pire, le régime se dédit et publie des chiffres différents en une semaine. En effet, ils viennent de publier une Stratégie nationale de développement basée sur un déficit de 4,9%. Les mêmes viennent nous annoncer une semaine plus tard que le déficit est à hauteur de 10,4%.
Lors de deux missions récentes, le Fmi a donné ses chiffres et ses notes de perspective sur notre économie, qui n’ont du reste pas été démentis par le gouvernement. L’urgence par conséquent pour ce régime est de trouver des pistes de solution aux problèmes graves que soulève le Fonds, à l’issue de la dernière revue. Après avoir exprimé sa satisfaction sur le bilan du régime précédent, le Fonds revient trois mois plus tard peindre un tableau sombre de l’actuel régime. Le déficit en un trimestre est passé de 3,9 % à 7,5 % du Pib. La croissance, elle, a baissé, passant de 7,1 à 6,0 %. Le Fmi donne même les raisons de ce climat morose, relatives aux mesures incohérentes et tapageuses sur les Btp, les mines et l’industrie.
Ce gouvernement affirme vouloir miser sur le secteur privé, avec un volume de financement projeté à 12 000 milliards de F Cfa mais s’acharne à étouffer les entreprises par une politique fiscale confiscatoire et irréfléchie, et des tracasseries politiciennes puériles. Qu’ils nous disent quelle est la cohérence de compter sur le secteur privé tout en mettant nos capitaines d’industrie en prison et en versant dans l’acharnement fiscal. Miser sur le secteur privé tout en tenant un discours qui ferait reculer n’importe quel investisseur relève d’une curieuse manière de faire. Car dans les faits, suite aux propos hallucinants du 26 septembre, les marchés s’affolent et le crédit du Sénégal s’est à nouveau aminci selon un article de Bloomberg largement relayé. L’incompétence de Ousmane Sonko nuira à terme au prestige de l’Etat et à la sécurité nationale
Les perspectives sont sombres pour notre économie avec un volume de mobilisation des ressources en baisse contrairement aux années précédentes, des taux d’intérêt qui explosent et un déficit creusé après seulement six mois de gestion. La confiance s’est effritée et l’incertitude gagne les milieux d’affaires du fait de l’imprévisibilité du Premier ministre le plus incompétent de l’histoire de notre pays. Tout ceci nous oblige à interpeller M. Sonko, entre deux déplacements au Grand Théâtre, au sujet du coût de la vie, des drames de l’émigration irrégulière, des inondations, du chômage et de l’isolement progressif du Sénégal sur la scène internationale.
Un autre aspect du problème réside même dans la méthode cavalière ponctuée d’affabulations, de manipulations et d’absence de tenue pour des gens qui sont censés diriger un Etat. Car aux termes de l’article 1.7 de la loi 2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques, «dans les trois mois suivant chaque nouveau mandat présidentiel, la situation globale des finances publiques, et en particulier la situation du budget de l’Etat et de son endettement, fait l’objet d’un rapport préparé par le gouvernement. Ce rapport, audité par la Cour des comptes, est publié dans les trois mois suivants».
Or la Cour des comptes n’a toujours pas publié le rapport portant situation globale des finances publiques. Donc d’où viennent les chiffres distribués à des journalistes qui les relaient sans veiller à l’exigence basique de vérification qui est au cœur de leur métier ? Je n’accorde pour ma part aucun crédit aux chiffres, propos, promesses et engagements d’un individu habitué aux falsifications et aux déclarations outrancières.
Après les gendarmes, les policiers, les magistrats, les militaires traités de mercenaires à la solde de la France, les fonctionnaires du ministère des Finances prennent leur part de dénigrement. L’entreprise est constante : désacraliser les institutions, se soustraire aux vrais débats et à la confrontation d’idées comme la Dpg le prévoyait. Il préfère s’adresser à une masse informe excitée et à une presse peu rigoureuse voire complice. M. Sonko est tout sauf constant dans son parcours peu enviable. Je lisais la semaine dernière dans Le Quotidien, un texte d’un de nos compatriotes. Ses paroles terribles de justesse m’ont glacé le sang. Parlant à M. Sonko, il lui dit : «Vous avez fait haïr et détester tout ce qui est grand, bon et beau dans ce pays.»
Je repensais à cette phrase en écrivant cette chronique, et je ne peux me résoudre à accepter que mon pays aille vers l’abîme avec la complicité d’universitaires, de cadres, de militants, qui jadis rivalisaient d’ardeur dans la signature de tribunes pour soi-disant défendre l’Etat de Droit. Le Sénégal s’abaisse sous leurs yeux et ils font mine de regarder ailleurs. Cette année, nous commémorons la 22ème année du traumatisme national qu’a été le chavirement du Joola et la disparition d’environ 2000 personnes. Ce 26 septembre avait une saveur particulièrement désagréable, car le parti Pastef, dans son entreprise de destruction de tout ce qui peut fédérer la communauté nationale, a encore sévi. Le Sénégal a envoyé une délégation dirigée par un ministre pour le Débarquement de Provence, à 6000 km de nos côtes. Ce même gouvernement décide de rompre avec la tradition de la commémoration nationale du 26 septembre. Son chef a décidé de polluer le moment de la sacralité et du recueillement de toute la Nation en organisant un show politicien. Ce personnage rustique s’acharne à répéter son exercice favori : dire du mal de ses compatriotes et ridiculiser notre pays devant les yeux du monde.
Il a seulement le bon goût de ne pas convier Baba Wone pour chanter ses louanges, en guise d’oraison funèbre. Mais c’est désormais une affaire de temps.
Par Massamba Ndiaye
OÙ VA LE SÉNÉGAL ?
Devant un parterre de journalistes, le premier ministre, monsieur Ousmane Sonko a dressé un portrait cauchemardesque de la situation économique du pays. Il n’a pas failli à sa réputation de franc-tireur.
Devant un parterre de journalistes, le premier ministre, monsieur Ousmane Sonko a dressé un portrait cauchemardesque de la situation économique du pays. Il n’a pas failli à sa réputation de franc-tireur. Un exercice de communication politique critique et périlleux qu’il a bien voulu assumer au grand jour afin de montrer au peuple les pratiques de mauvaise gouvernance de l’ex chef de clan Macky Sall et sa bande de thuriféraires zélés, au moment même où des interrogations légitimes fusent de partout pour savoir voire connaître sa capacité à régler les problèmes existentiels lancinants de nos concitoyens en l’absence de la déclaration de politique générale.
Ce tableau hideux des affres de mauvaise gestion de nos ressources publiques et de pratiques mafieuses soulève de nombreuses questions sur la capacité de nos hauts fonctionnaires à être à équidistance des chapelles politiques et à œuvrer pour l’intérêt général. Les accusations du premier ministre Ousmane Sonko distillées par ci et là sont d’ une extrême gravité et doivent être élucidées sans aucune faiblesse coupable afin de situer la responsabilité des uns et des autres sur cet inédit “carnage financier.”
Les accusations du premier ministre Ousmane Sonko ne doivent pas être considérées comme de simples joutes verbales visant à discréditer voire à jeter l’opprobre sur des adversaires politiques surtout à l’approche des élections législatives anticipées du 17 novembre 2024. Ou même un moyen de détourner l’attention de nos concitoyens sur leurs difficultés actuelles voire de l’impuissance de nos autorités gouvernementales à apporter des solutions ou mieux à décliner une feuille de route, une orientation efficiente et objective sur des fléaux comme l’immigration clandestine avec son lot de pertes en vies humaines et les inondations.
En effet, ces accusations de falsification de documents financiers de nos comptes publics vont au-delà des personnes incriminées nommément Macky Sall, Amadou Ba, Abdoulaye Daouda Diallo, Mamadou Moustapha Ba, qui d’ailleurs observent un silence des momies sur ce scandale gravissime. Et surtout, le candidat malheureux des élections présidentielles du 24 Mars 2024, monsieur Amadou Ba, qui part aujourd’hui encore à la conquête de l’électorat sénégalais pour les prochaines élections législatives du 17 novembre 2024. Il doit des explications à nos concitoyens, ne serait-ce que pour défendre sa probité morale et son honneur. Est-ce suffisant ? Non, mais c’est le début de la manifestation de la vérité en attendant que la justice se saisisse de cette affaire et fasse son travail en toute responsabilité.
Elles visent sans les nommer les fonctionnaires du ministère de l'Economie , des Finances et du budget qui ont facilité voire permis ce maquillage des chiffres en vue d’induire en erreur les partenaires financiers de l’ État du Sénégal : la Banque mondiale, le Front monétaire international ( le FMI ), et in fine de permettre par exemple un carnage financier de 650 milliards de francs CFA , introuvables à ce jour.et aucune trace sur les documents comptables de l’Etat du Sénégal.
En vérité, s’il s’avère que nos autorités gouvernementales ont menti sur la réalité des agrégats économiques et financiers, la chaîne de responsabilité doit être étendue à toutes les directions qui ont travaillé sur la confection des budgets de 2019 - 2023 et de leur validation par la Cour des comptes. Il semble improbable que toutes ces personnes ou entités n’ont rien vu d’anormal voire de délictueux pendant toute cette période et il a fallu que le nouveau régime du président Diomaye Faye accède au pouvoir pour découvrir toute cette supercherie. Toutefois, si ces fonctionnaires étaient au courant et se sont tus pour ne pas déranger les autorités gouvernementales, il s’agit de haute trahison et d’une violation manifeste de leur serment. La loi pénale devrait leur être appliquée dans toute sa rigueur, car ils auront entaché pour toujours l’ Etat du Sénégal et son administration.
Les chiffres donnés lors de la conférence de presse du premier ministre étaient introuvables et il a fallu la diligence des agents de l'IGF sous l’ère Diomaye-Sonko pour que tous ces cafards poussiéreux sortent des tiroirs.
La question qui me taraude l’esprit est la suivante : où étaient tous ces fonctionnaires pendant ce “ carnage financier “ ? Pourquoi maintenant et pas avant ? Et pourquoi le premier ministre Ousmane Sonko n’a pas attendu le rapport définitif de la Cour des comptes pour se prononcer sur l’état des lieux de la situation économique et financière du pays et d’avoir ainsi une visibilité réelle sur les vrais chiffres certifiés par ces hauts magistrats ? Est-ce que les chiffres de l’IGF suffisent pour accréditer l’idée d’une quelconque falsification des comptes publics de l’Etat du Sénégal ? Ou soupçonne-t-il les fonctionnaires de la Cour des comptes d’être de connivence avec le régime de l’ex chef de clan Macky Sall ? Nous ne saurons le certifier et nous donnerons notre langue au chat.
Mais, nous estimons que les déclarations du premier ministre Ousmane Sonko auraient plus de portée et d’impact si elles étaient tenues au sein de l'Assemblée nationale devant la représentation nationale et ce dans le cadre d’un débat contradictoire. Elle aurait l’avantage de permettre à l’actuel ministre des Finances et du Budget Cheikh Diba, l’absent le plus présent sur la scène politique, de clarifier la situation parce qu’il a travaillé avec l’ancien régime en sa qualité de directeur de la programmation budgétaire.
La décision du premier ministre Ousmane Sonko de ne pas faire sa déclaration de politique générale ( DPG ) est fort regrettable et ne participe pas à un effort de bonne gouvernance et ce surtout dans le cadre d’un État de droit. Elle a brouillé les pistes et a laissé émerger une idée assez amère d’une probable fuite du premier ministre Ousmane Sonko à faire face aux députés de Benno Bokk Yakkaar. La tenue de la DPG n’est pas et ne saurait être laissée à l’appréciation du chef du gouvernement, fût-il monsieur Ousmane président de Pastef-Les Patriotes. C’est une obligation constitutionnelle que le premier ministre Ousmane Sonko n’a pas voulu satisfaire et surtout avec l’assentiment d’un président de la République, monsieur Bassirou Diomaye Faye qui n’a pas estimé nécessaire dans ce cadre de figure, dans cette logique de surenchère politique d’honorer sa signature en vue de sauver voire à épargner à son premier ministre de possibles saillies incendiaires outrageantes des députés de l’ancienne mouvance présidentielle et ce devant toute la nation sénégalaise.
Ces accusations de falsification des comptes publics est une tâche qui va ternir à jamais l’administration des Finances. En écoutant en filigrane les propos du premier ministre Ousmane Sonko, tout laisse penser que nous avons affaire à une administration corrompue avec la complicité de nos partenaires financiers en vue de mieux spolier le Sénégal. Et, il appartient à la justice de mener des investigations fiables et objectives en vue de situer la responsabilité des uns et des autres et de nettoyer les écuries d’Augias et de remettre le pays sur les rails de la gouvernance vertueuse.
Ces accusations de falsification, de corruption et de détournement de deniers publics doivent être laissées à l’appréciation de nos seules autorités judiciaires. Le régime du président Bassirou Diomaye Faye ne doit reproduire en aucune manière les tares et les immixtions de l’ancien régime dans le traitement des dossiers judiciaires. Tel est le sens d’une bonne compréhension du slogan Jub Jubbal Jubanti, si cher à nos nouveaux dirigeants si on veut réellement changer de manière substantielle nos pratiques de gestion des affaires de la Cité en dehors de toutes tractations politiciennes
PAR PAPA DOUDOU SOW
LA NÉCESSITÉ D’UNE MAJORITÉ PARLEMENTAIRE EN FAVEUR DU NOUVEAU RÉGIME
Actuellement, aucune critique objective et justifiée relative aux politiques publiques ne peut être formulée, à l’encontre du nouveau régime. Tout ce que l’on note, c’est qu’ils ont pris des initiatives courageuses malgré leur marge de manœuvre limitée.
Ce régime vient d’arriver, avec des ambitions de redressement, de rationalisation et de prise en charge des besoins les plus urgents pour le peuple. Par conséquent, ceux qui l’incarnent ont nécessairement besoin de mettre en place une bonne stratégie, pour faire un excellent travail. A cet effet, ils doivent analyser et diagnostiquer. Ces deux verbes ne se conjuguent jamais avec la précipitation. Surtout, pour un régime qui souhaite bien travailler. Les Sénégalais, n’ont pas demandé simplement de travailler mais de bien travailler, pas de poser simplement des actes, mais de poser de bons actes. Il faut dès lors, déconstruire, adapter, orienter et parfaire pour entamer les grands changements, des changements solides et durables.
Le peuple sénégalais a en besoin. C’est pour cette raison que les nouveaux gouvernants sont en train de faire des analyses et diagnostics profonds, qui déboucheront sur des voies claires et larges pour que «Sunugal» puisse être conduit sûrement et arriver à bon port. C’est dans cette périphérie contextuelle que le débat au tour du projet, qui n’est rien d’autre qu’un programme structuré, est agité. Il nous semble pertinent de rappeler, donc, qu’en réalité, la signification et le contenu d’un programme politique renvoient à un souhait basé sur une méthode, un chemin à suivre. En l’espèce, il s’agit du «projet Pastef». Ce projet a été bâti de façon abstraite par des personnes qui étaient dans l’opposition. Ces dernières, arrivées au pouvoir récemment, sont obligées de passer par ces deux verbes précités (analyser et diagnostiquer) pour pouvoir entamer le programme.
Il s’y ajoute que le Projet, va, désormais, sortir de l’abstrait pour être appliqué à tous les niveaux et dans tous les secteurs. C’est la «matérialisation» ou la «concrétisation». Cette matérialisation de ce projet au niveau de l’Etat, demande une étude sérieuse, une analyse profonde et un diagnostic sans complaisance pour bien dérouler. Ainsi, il faut du temps, ne serait ce qu’une année pour ce préalable nécessaire; si bien sûr, nous voulons du durable. Tout de même, Comme la marche des secteurs ne s’arrête pas, il faut parallèlement, prendre des mesures urgentes et conjoncturelles. C’est ce qui explique, la prise de certaines mesures face à des situations d’une certaine immédiateté. C’est ce qu’on pourrait appeler les «référés» en droit. Des mesures rapides doivent être prises lorsqu’il y’a urgence. Par ailleurs, ce régime aura besoin de moyens humains, économiques et institutionnels pour un travail durable pour solutionner certaines problématiques endémiques.
Parmi ces moyens institutionnels, l’Assemblée nationale y occupe une place très importante. Autrement dit, le projet ne pourra pleinement et réellement être mis en œuvre, que, lorsqu’il sera possible de faire passer les grandes réformes, lorsqu’il sera possible de déposer et de faire voter des lois guidées par le projet. A cet égard, il y a certaines ruptures qu’ils avaient annoncées, qui ne peuvent être mises en œuvre qu’avec une majorité à l’Assemblée nationale. Ce qui sert de prétexte pour parler de l’extrême nécessité pour ce régime, d’avoir une majorité à l’Assemblée nationale. C’est leur donner les moyens de travailler, de réaliser leurs promesses. Ce n’est pas un argument politicien et aérien que de dire, que le régime a besoin d’une majorité parlementaire. Mais, cet argument n’est valable que pour un régime qui vient d’arriver. Un nouveau régime a besoin indubitablement d’une majorité parlementaire pour mettre en œuvre ce pourquoi, le peuple l’a élu.
C’est après, un ou deux mandats, que cet argument d’une nécessaire majorité ne sera plus reçu automatiquement, car, en ce moment, c’est le bilan, le chemin emprunté et la voie tracée qui plaideront en faveur d’une majorité parlementaire ou d’une cohabitation. Il est, à cet effet, très prématuré de parler de cohabitation pour le nouveau régime. Une cohabitation utile et objective pour un pays, n’intervient jamais en début de mandat d’un nouveau régime. L’histoire a montré, que toutes les cohabitations utiles et objectives, interviennent à la fin d’un mandat présidentiel pour contrecarrer une politique qui a déjà montré ses limites. Voir, par exemple, la cinquième République française en 1986 avec François Mitterrand et Jacques Chirac. Personne, ne peut objectivement et véridiquement, critiquer les orientations politiques du nouveau régime qui n’a pas encore déroulé ses politiques publiques, qui n’a pas encore une majorité à l’Assemblée nationale, qui n’a fait que cinq mois pour un mandat de cinq ans. Quel argument pour convaincre les Sénégalais, que ce nouveau régime ne mérite pas une majorité parlementaire?
C’est la raison pour laquelle, ils auront conséquemment et pour l’intérêt général plus de 65 % lors des législatives à venir. En effet, des millions de sénégalais, qui n’avaient pas voté pour le candidat de Pastef à la présidentielle, voteront en leur faveur pour l’intérêt général. C’est pour permettre à ceux qui sont élus de pouvoir travailler et matérialiser leurs orientations, c’est le Sénégal qui y gagne. Il est contradictoire, d’élire nouvellement une équipe et ne pas les permettre de mettre en œuvre leurs politiques. Il leur faut une majorité mais cette fois, elle ne sera pas écrasante ou mécanique. Cette majorité sera protectrice. Voilà la nouvelle mission de la majorité avec le nouveau régime, une «majorité protectrice et constructive». Une majorité qui protège l’intérêt général, qui protège les intérêts des sénégalais et du Sénégal. Une majorité constructive, capable de construire, d’élaborer et de créer.
Actuellement, aucune critique objective et justifiée relative aux politiques publiques ne peut être formulée, à l’encontre du nouveau régime. Tout ce que l’on note, c’est qu’ils ont pris des initiatives courageuses malgré leur marge de manœuvre limitée.
Au demeurant, techniquement, il est possible d’espérer au regard de ce qui a été possible de faire en quelques mois. Les Sénégalais ont élus de nouveaux hommes politiques, qui avaient clairement présenté leur orientation. Par conséquent, il est nécessaire pour l’intérêt du Sénégal, de les soutenir dans cet élan de construction. Cela ne signifie pas une absence d’opposition, chose impossible, mais une opposition qui place l’intérêt du Sénégal au dessus des oppositions personnelles et contre des personnes. Les Sénégalais, ont choisi de confier les destinées du pays à une vision, une philosophie. Le fait que leader de Pastef Ousmane Sonko ait choisi Bassirou Diomaye Diakhar Faye, devenu son excellence, le président de la République, atteste suffisamment que cette philosophie transcende les personnes.
Ce qui est une rapide transition pour parler des deux susnommés. Un duo inédit et historique. La surprise serait de les voir se séparer dans la gestion du pays, car, ils ont des liens jamais entretenus jusque là, par un Président et un Premier ministre. Point n’est besoin de revenir sur ce que les Sénégalais savent déjà concernant leur relation. Il est plus pertinent, me semble-t-il, de relever la nature inédite de leur relation à la tête du pays, qui rend insécable leur lien politique. En effet, ils n’entretiennent pas des relations situationnelles ou conjoncturelles. Ils entretiennent des relations profondément structurelles. Rien, dans leur rapport, ne favorise une disconvenance, une incompatibilité ou une contradiction substantielle.
Constat bien clair, pour qui prend la peine de regarder.
Vive le Sénégal.
Par Mamadou Ndiaye
LE NORD SOUS L’EAU !
Les eaux envahissent le Nord du Sénégal. Pluies diluviennes et fortes crues du fleuve éponyme se combinent pour encercler de vastes étendues de terres totalement immergées.
Les eaux envahissent le Nord du Sénégal. Pluies diluviennes et fortes crues du fleuve éponyme se combinent pour encercler de vastes étendues de terres totalement immergées.
En divers endroits, le flot monte, s’écoule et déborde son lit naturel avec une succession ininterrompue de mouvements d’ondulation dont la puissance d’injection inquiète en raison des gros risques d’effondrement de maisons. Dans ces zones, il n’y a plus de mobilité.
Déjà impraticables en saison normale, les routes ont totalement disparu sous les eaux. Des digues ont cédé dans la région de Matam. Les rares ponts et bretelles ainsi que les barrages de protection chancellent dangereusement.
Plus bas que terres, certains villages vont inexorablement être engloutis, obligeant les occupants au scénario du pire : quitter pour une destination inconnue. Surprises par ces phénomènes conjugués, les populations ne parviennent pas à se déplacer. Elles en appellent à l’aide urgente. La course contre la montre est engagée : organiser assez vite les secours et surveiller les débits du fleuve et les cours secondaires.
Il faudra un trésor d’ingéniosité pour rompre l’isolement des habitants. Même les réflexes primaires de solidarité ne fonctionnent. Le sauve-qui-peut s’érige en ligne de conduite comme un instinct grégaire de survie dans ce chaos généralisé.
Toute l’aire du Walo est sous les eaux. Les états de choc sont perceptibles, de même que l’exaspération et la sidération. Car ici la vie dépend de plusieurs autres facteurs qui interagissent avec le diéry, vivier d’approvisionnement par excellence. Santé, nourriture et les besoins courants sont impactés. Les échanges et les transactions sont à l’arrêt voire suspendus faute de suivi de consommation.
Géographiquement parlant, les perturbations ainsi occasionnées touchent le nord et l’est du Sénégal, principalement la Falémé. Et même au-delà, puisque la partie sud de la Mauritanie ploie sous la charge des eaux. De part et d’autre les populations vivent le même sort guère enviable.
Très peu de villages ou de communes sont dotés de pirogues ou de vedettes à moteur. Or ces moyens de mobilité rapide devraient exister dans cet environnement pour naviguer en toutes circonstances, assurer différents services et surtout dépanner ceux et celles en quasi dépendance : évacuations sanitaires, accomplissement de devoirs citoyens ou sociaux, ouverture des classes, visites et inspection des officiels, mesures appropriées à prendre pour écourter les souffrances.
Ces intempéries surviennent inhabituellement, croient savoir nos compatriotes vivant dans ces espaces. Ils n’ont pas tort. En vérité, ils n’intègrent pas les changements de saison, donc de climat. D’où l’absence de prévision et d’anticipation ou d’adaptation à cette nouvelle donne écologique.
Les autorités non plus ne se montrent pas disposées à aller au-devant des besoins et des désirs. Ce déficit de prévenance s’applique à tous les régimes qui se sont succédé. Sans doute l’éloignement du « théâtre des malheurs » atténue la pression qui devrait s’exercer sur elles.
Or l’équité, plus vantée que vécue, fait obligation morale au pouvoir politique de diligenter des opérations d’envergure. Hélas, celui-ci ne perçoit pas l’ampleur du sinistre et de la catastrophe qui s’annonce ! Les discordances de voix dans le Nord n’arrangent pas non plus la situation de nos compatriotes piégés par ces eaux abondantes et destructrices.
Les hommes politiques issus de cette région (qui englobe Matam, Podor et Bakel) restent éparpillés et dévorés par de petites et sordides ambitions sans consistance réelle. Aucun leader n’émerge à cette échelle. Le poids de la région et ses potentialités économiques ne se traduisent pas par une considération accrue.
A quoi s’ajoutent des égoïsmes absurdes devant des naufrages collectifs. D’ailleurs il s’établit une corrélation de circonstances entre cette tragédie en cours et les élections législatives de novembre prochain. Les politiques iront-ils à la pêche aux voix dans ces contrées et ces conditions ? Comment pourront-ils accéder aux électeurs ? Quel discours leur tiendraient-ils ? Sauront-ils convaincre sans donner des gages ?
L’échéance approche. Mais le débat s’oriente vers des sujets moins prioritaires qui ne reflètent pas, loin s’en faut, les attentes et les préoccupations des populations. Elles semblent se résigner, confiant leur sort à qui peut les soulager.
L’autre fait marquant a trait à une réalité sociologique : les bras valides n’existent pas. Sur place il n’y a que les personnes âgées, les enfants et les femmes. Lesquelles affichent une déconcertante vaillance et s’efforcent de conjuguer les efforts pour endiguer la montée des eaux. L’impossible recule devant le courage de ces dames qui, téléphones collés à l’oreille, multiplient les appels, coordonnent les actions et entretiennent l’espoir en développant sans relâche des initiatives hardies.
Dans l’épreuve des figures émergent, quand d’autres pâlissent. Dans cette partie du pays, le Fouta en l’occurrence, se joue le destin d’hommes et de femmes très peu avantagés en termes d’infrastructures. Avec les élites, qui ne le sont que de nom, rien n’a été acquis dans la durée. Elles ont utilisé les populations comme du bétail électoral.
Pendant longtemps, le silence et le mensonge ont prévalu. Mais la succession des crises a révélé au grand jour l’hypocrisie d’une grandiloquence qui s’est révélée ridicule. Où sont les anciens ministres, les anciens directeurs centraux, les anciens et actuels conseillers spéciaux, les Crésus des sables mouvants ? Ils rasent les murs et détournent le regard sans remords.
Mais les mauvaises pensées hantent leurs esprits. Pour accéder à des strapontins, tous les stratagèmes ont servi à cette fin. Au final, l’incurie des dirigeants a plongé le Fouta dans l’arriération. Les contraintes traditionnelles subsistent mais l’individualisme progresse. Des menaces pèsent sur la cohésion sociale dans ce Fouta prétendument homogène.
Quelle discipline s’imposera dans cette région en proie à des mutations en profondeur ? A coup sûr, avec ce cataclysme, les négligences extrêmes laissent deviner l’abandon et l’indifférence. Pendant longtemps la mystification a tenu lieu de romance fictionnelle avec un enchaînement (sans fin) de réécritures de l’histoire.
Dès lors, sommes-nous arrivés au point culminant ? Comment mettre fin aux pompeuses prétentions et recréer un ordre social ? L’embarras actuel vient du fait qu’aucune voix n’a de résonnance profonde. Existe-t-il un seul leader dont le charisme enjambe ses limites provinciales ?
Les clivages dissimulés et les silences troublants vicient l’atmosphère d’autant que les gens du diéry ne relayent pas le drame en cours dans le Daandé Mayo semblable à une extinction des feux.
Une telle dichotomie fragilise le Nord et voit s’éloigner la perspective d’une approche globale, transcendant les sottes arrogances au demeurant insupportables. La bêtise tue.
Pour preuve, l’intérêt général ne transparaît dans un aucun propos. Du bout des lèvres, certaines conversations ne servent qu’à se faire bonne conscience, l’œil distrait. La solidarité agissante tarde à se manifester envers ceux qui en on réellement besoin : les insulaires malgré eux !
Comme la fonte des glaces, le Sénégal se morcelle.
Par Kaccoor Bi - Le Temoin
SONKOPHOBIE
Ça peut être livré sous la forme d’une fable. Il était une fois un très beau pays où l’activité la plus lucrative est constituée par la politique, moyen d’enrichir rapidement ceux qui y réussissaient, transformant en un clin d’oeil des gueux en nantis
Ça peut être livré sous la forme d’une fable. Il était une fois un très beau pays où l’activité la plus lucrative est constituée par la politique. Laquelle avait le don d’enrichir rapidement ceux qui y réussissaient, transformant en un clin d’oeil des gueux en nantis.
Dans cet univers « glauque », il s’est trouvé un aspirant qui n’a cessé de dénoncer des distorsions dans le fonctionnement de l’Etat. Et notamment au sommet de celui-ci. Un lanceur d’alerte avant l’heure.
Face à ses multiples accusations, il ne s’est jamais trouvé aucun segment de l’Etat pour rétablir la vérité. De guerre lasse et n’en pouvant plus de ses sorties, on le radia rageusement des cadres de l’Administration et on en fit un chômeur. Les gosses diront : « Dieu ne dort pas ». Le lanceur d’alerte chômeur fut élu député avant de se présenter à une présidentielle à l’issue de laquelle il est sorti 3e devant des mastodontes de la vie politique locale. Bien entendu, plus il continuait de dénoncer, plus il était insulté parles gens du pouvoir en place.
Des insultes et des persécutions qui avaient fini par lui valoir la sympathie de la population, singulièrement de la jeunesse qui fit de lui bientôt son porte-étendard pour combattre la mal gouvernance de la camarilla qui dirigeait le pays. Laquelle, désespérant de voir que plus elle s’acharnait sur le lanceur d’alerte qu’elle avait transformé en chômeur, plus la popularité de ce dernier grandissait inventa alors contre lui une sordide histoire de mœurs en pensant qu’elle lui porterait le coup de grâce. Etonnamment, ce complot ne fit qu’augmenter sa cote de popularité.
Néanmoins, grâce à des juges à leurs ordres, ils réussirent à le rendre inéligible pour la présidentielle de ce pays-là. En prison et sa candidature à la présidentielle incertaine, il eut l’intelligence d’investir un responsable de son parti pour briguer la magistrature suprême. Et grâce à Dieu qui n’aime pas l’injustice, le peuple élit dès le premier tour le candidat désigné par le lanceur d’alerte. Un candidat libéré en même temps que son mentor en pleine campagne électorale et qui pourtant, à l’arrivée, battit tous les autres y compris celui du Pouvoir !
Notre lanceur d’alerte, altruiste, se contenta du poste de chef du Gouvernement se mettant humblement sous les ordres de celui qu’il avait grandement contribué à faire élire président de la République. Mais voilà que ceux à qui il avait fait perdre le pouvoir continuent de le poursuivre de leur vindicte.
Plutôt que de s’attaquer à celui qui dirige le pays, c’est vers lui que leurs flèches les plus mortelles sont décochées. Parmi ses détracteurs, deux néo-opposants qui ne cachent guère leur « Sonkophobie ». S’il n’y avait qu’eux… Malheureusement certains parmi ses anciens alliés, sans en donner l’air, n’ont jamais voulu accepter son leadership. Parmi eux, des jaloux, des aigris et haineux.
Dans un pays qui a traversé des moments particulièrement périlleux de son histoire politique avec quelque 80 morts dont deux soldats, des libertés piétinées, la démocratie en berne…après donc ce sinistre épisode, voir des gens qui ont combattu tous ces errements et continuaient à le faire il y a de cela six mois à peine, danser à présent le tango avec les bourreaux d’hier…
Cette image hideuse et disgracieuse de coalitions qui se forment pour briser la promesse d’une rupture ne peut que dégouter de la politique. En tout cas, telle qu’elle se pratique sous nos cieux, on ne peut qu’avoir révulsion et répugnance pour elle. Un reniement et un retournement de vestes et de robes qui prouvent, hélas, que ces gens se foutent royalement de la bonne marche du pays et du bien-être de ses habitants !
Par Fadel DIA
JE CHERCHE UN HOMME
Amadou Mahtar Mbow a résisté à la griserie politique. Quel autre fils du Sénégal a vécu une vie aussi riche et exaltante ? Quel homme parmi ses concitoyens peut se vanter d’avoir vécu aussi longtemps sans jamais renié ses principes ?
«Je cherche un homme ! », c’est, nous dit-on, le cri que Diogène de Sinope lançait à la ronde en parcourant les rues d’Athènes avec une lanterne allumée à la main en plein jour. Si, comme le prétendent ses exégètes, le plus célèbre représentant de l’école cynique voulait dire par ces mots qu’il ne cherchait pas seulement un être de chair et de sang mais un homme digne de ce nom et qui peut faire la fierté de ses semblables, un homme bon et sage, alors Amadou Mahtar Mbow aurait pu être son homme.
Car ce ne sont pas seulement des jours et des années, en quantité et bien plus qu’il n’en a donnés à d’autres femmes et hommes de sa génération, que Dieu a donnés à celui qui vient de nous quitter à 103 ans, il lui a aussi tracé un destin hors du commun.
Quel autre fils du Sénégal a vécu une vie aussi longue, aussi riche et exaltante et au parcours si imprévisible que la sienne, depuis celle du petit coursier de la Délégation de Dakar dont on croyait l’avenir compromis et qui étonnait son monde par son goût de la lecture et sa soif d’apprendre, jusqu’à l’élève pilote de l’air, sans doute le premier de notre histoire, jusqu’au combattant de l’armée française puis à l’éducateur visionnaire qui avait ouvert les portes de l’école sur le monde extérieur et enfin jusqu’à la consécration qui fit de lui le premier africain, et le premier noir, jamais nommé à la tête d’une institution du système de Nations-Unies ?
Quel homme parmi ses concitoyens peut se vanter d’avoir vécu aussi longtemps sans jamais avoir renié ses principes, ceux que lui avaient inculqués ses parents, ceux qui avaient été à la base de sa formation d’éducateur, ceux qui fondent le beau métier qu’il avait choisi, ceux qui étaient contenus dans les serments qu’il avait prêtés en s’engageant en politique ou en exerçant de hautes responsabilités au service de la République ou de chef de l’exécutif d’une institution à vocation universelle ?
Quel autre dirigeant d’une organisation du système des Nations Unies a pris le risque de mettre en péril, non pas seulement sa carrière, mais son destin politique, en soulevant un lièvre que beaucoup avant lui avaient préféré laisser dormir dans les fourrés. En proclamant que la culture ne se réduisait pas seulement au divertissement et que sa promotion et son partage exigeaient un rééquilibrage de l’information et des savoirs, il avait brisé un tabou. Par la même occasion, il avait rappelé au monde que l’institution qu’il dirigeait avait une fonction essentiellement éthique, que l’une de ses missions était de maintenir la paix, ce qui ne pouvait se faire qu’en réduisant le fossé aux multiples visages qui sépare les forts et les riches des plus faibles et des moins nantis. L’Unesco avait alors tremblé, mais on n’est pas fils du Ndiambour pour rien, son directeur a révélé des qualités de gestionnaire qu’on ne lui soupçonnait pas, et malgré les sanctions financières de son principal bailleur, elle ne s’est pas désossée, elle n’a sacrifié aucun de ses fonctionnaires et ne s’est pas fourvoyée sur des chemins tortueux.
Combien d’autres hommes qui, après avoir acquis « usage et raison » sur la scène internationale, côtoyé les grands du monde, résisté aux pressions des Jupiters, des lobbies et des gourous, n’ont pas cédé à la tentation de monnayer leur soutien aux dirigeants de leur pays ou ont refusé de se servir du prestige de leur ancienne fonction comme un tremplin pour aller à la conquête du pouvoir ? Amadou Mahtar Mbow a résisté à la griserie politique mais il s’est aussi gardé de succomber à la tentation de l’exil doré. Plus lui plaisait « le séjour qu’avaient bâti ses aïeux » que la verte Normandie, les quais de la Seine, les châteaux de Versailles ou les charmes de Marrakech, où il était pourtant le bienvenu, et il a préféré revenir « vivre entre ses parents le reste de son âge. »
Il n’était pas homme à ruminer le passé, mais il eût sans doute été comblé si la grande œuvre qui avait réuni autour de lui, pour la première fois dans notre histoire, des femmes et des hommes de bonne volonté, issus de toutes les forces vives de la nation, si cette charte consensuelle, au lieu d’être jetée aux oubliettes, avait servi à faire du Sénégal un pays prêt à affronter les défis du « monde en devenir », ce qui était précisément le titre d’un de ses derniers ouvrages.
On notera, enfin, qu’avec sa disparition c’est toute une page de notre histoire politique qui se tourne. Mbow était le dernier pilier vivant d’un triumvirat dont les autres colonnes s’appelaient Assane Seck et Abdoulaye Ly et, par un heureux hasard, tous étaient des chercheurs éducateurs formés au dialogue, au partage et à la rigueur et tous préféraient élever les mots plutôt que la voix. Ils sont morts à un âge canonique, entourés de respect et d’affection, sans avoir jamais insulté personne et, plus difficile encore, sans avoir jamais été insultés. Ils ont laissé un héritage incommensurable mais le patrimoine matériel le plus précieux qu’ils ont préservé et surtout transmis aux générations futures, est constitué de papiers, il est fait d’archives et de livres.
Peut-être qu’un jour un chercheur, plus curieux ou moins conformiste que d’autres, nous démêlera les fils de ce mystère : dans quel puits de lumières les trois pères fondateurs du PRA ont-ils glané ce viatique qui leur a permis de vivre aussi longtemps et de finir si bien leurs vies ?