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26 avril 2025
Opinions
PAR CHEIKH TIDIANE MBAYE
APPEL À LA JUSTICE ET À LA LUCIDITÉ
Luttons pour nos valeurs avec droiture, sans reproduire ce que nous dénonçons. La cohérence et l'équité sont les seules voies vers un changement véritable et durable. On ne corrige pas le mal par le mal
Notre engagement pour un Sénégal meilleur ne doit jamais nous faire perdre de vue un principe fondamental : justice pour tous : le Sénégal est plus grand que ses divisions.
La haine envers un groupe, quel qu'il soit, ne doit jamais nous pousser à l'injustice.
L'histoire nous enseigne que les combats nobles perdent leur sens lorsqu'ils sombrent dans l'exclusion et l'arbitraire.
Luttons pour nos valeurs avec droiture, sans reproduire ce que nous dénonçons. La cohérence et l'équité sont les seules voies vers un changement véritable et durable.
On ne corrige pas le mal par le mal.
Le peuple sénégalais mérite mieux.
Le Sénégal a assez souffert et continue de souffrir. Il est temps de dépasser les querelles inutiles et de s'attaquer aux véritables urgences des citoyens.
Gouverner, c'est répondre aux attentes du peuple, pas entretenir des divisions.
Certes, vous bénéficiez aujourd'hui d'un soutien massif, mais rien n'est acquis. Un jour viendra où vous devrez rendre des comptes.
L'histoire nous enseigne que le pouvoir est éphémère et que le peuple finit toujours par juger ses dirigeants.
Ne l'oubliez pas : toute mauvaise gestion finit par se payer.
Le peuple sénégalais est grand, uni par une histoire et des valeurs profondes.
La justice doit être la même pour tous, sans favoritisme ni exclusion.
Ceux qui cherchent à diviser ou à affaiblir notre nation ne réussiront qu'à se nuire à eux-mêmes.
Le Sénégal a traversé des épreuves et en est toujours sorti plus fort.
Que chacun prenne garde : semer la discorde, c'est préparer sa propre chute. L'histoire jugera.
PAR MOUSTAPHA SÈNE
HÉROÏNES OUBLIÉES DES GUÉRÉO ET MBALLING
"Sur les plages ensoleillées du Dialaw, lieux de vie ouverts sur l’immensité océane et balayés par les alizés, les femmes de Guéréo et de Ngaparou se font un honneur de rendre chaque jour, le littoral encore plus propre. Effluves qu’exhalent les flots..."
Sur les plages ensoleillées du Dialaw, lieux de vie ouverts sur l’immensité océane et balayés par les alizés, les femmes de Guéréo et de Ngaparou se font un honneur de rendre chaque jour, le littoral encore plus propre.
Effluves qu’exhalent les flots, souffles d’une mosaïque de vies venues des profondeurs des abysses… Ici, tout est exquis. Et l’embrun marin ajoute sa magie à l’indicible sentiment que crée le décor où l’air pur de la mer vous remplit les poumons. Le regard se perd dans le large où l’Aire marine protégée (Amp) de Ngaparou est érigée. La brise chassant le paresseux harmattan des terres de l’hinterland qui vous berce les narines… Guéréo est un village traditionnel non loin de la station balnéaire de Saly Portudal plus en aval et de la localité de Popenguine qui abrite la réserve éponyme qui s’étend au sud sur une distance de 1. 700 m le long du rivage.
Avec la juxtaposition de ses paysages pluriels de forêt dégradée, de massif et de mer, le site qui se trouve à quelques encablures de la falaise du Cap de Naze (situé à 74 mètres, au-dessus du niveau de la mer) est remarquablement bien entretenu. À la différence du décor des plages encombrées de détritus et rejets en tout genre des berges des grandes agglomérations urbaines de Dakar, Mbour ou Rufisque ou des quais de débarquement géants de Kayar ou Joal, ici à Guéréo, comme à Ndayanne ou à Mballing, la propreté de la plage s’étend à perte de vue. L’ambiance, en ces lieux, a quelque chose d’irrémédiablement plus pur qui, mêlée à la candeur écarlate de l’astre du jour, fait regretter (pour celui qui l’avait connue il y a moins de cinquante ans), la baie de Hann.
Celle-là même qui, du paradis qu’elle était à cette époque-là est devenue, malheureusement, au cours des dernières décennies, cette immense poubelle à ciel ouvert, dépotoir indigne de tous rejets urbains des habitations, industries et autres activités attenantes. Dans l’ambiance empreinte de cette fraîcheur toute naturelle, de Guéréo à Mballing, tout concourt et confine à cette atmosphère de paradis vécu que rend encore plus prégnante la poésie attachée aux noms propres de lieux. Partout sur ces sites tout au long de cette frange littorale de près de 45 kilomètres correspondant au Comité local de pêche (Clpa) de Sindia sur l’axe sur Popenguine-Pointe Sarène-Ndayane et où se nichent les villages du Dialaw (Ngaparou,Somone, Saly, Guéréo, Ndayane ) et du pays sereer à l’orée du royaume senghorien de l’enfance (Mbodiène, Roff, Nianing, Warang sereer, Warang socé ), les acteurs qui interviennent dans la transformation, des femmes dans leur écrasante majorité, se sont engagés aux termes de la Convention locale à ne pas transformer les juvéniles de poissons.
Mais aussi, pour des raisons visant à améliorer la qualité du produit et d’assurer la saine durabilité à l’activité de transformation des produits halieutiques qui y est très importante, de ne jamais plus effectuer le fumage du poisson et le séchage par terre… Lieu de naissance de l’enfant prodige devenu ce poète de l’universel pour avoir chanté les charmes de ces lieux, Joal est aujourd’hui le premier centre dans ce domaine au Sénégal. Ces héroïnes oubliées des plages ont, plus que tout, à cœur de préserver les richesses dont dépend le bon fonctionnement des processus écologiques à l’œuvre dans ces zones humides qui sont parmi les biotopes les plus menacés par les activités humaines, principalement par le drainage, la mise en valeur des terres, la pollution et la surexploitation des espèces.
Mais ces zones humides ne sont pas que cela. Car, elles abritent aussi des sites sacrés qui font l’objet de représentations symboliques et structurent l’imaginaire des communautés dont les femmes sont les chantres et les gardiennes. Ainsi que l’illustre ce propos du Pr Amad Faye, enseignant-chercheur à Ifan-Université cheik Anta Diop de Dakar pour qui, dans les terroirs maritimes en pays seereer, des rites similaires au Ndeupp des Lébous de la presqu’île du Cap Vert sont célébrés principalement par les femmes. Dans des rituels singuliers où ces femmes, « face de l’océan » célèbrent « la passion de Mama Guedj, le génie des eaux, en vue de calmer l’onde mystérieuse, surtout durant ces moments extraordinaires où elle est animée de volonté de mort ».
par l'éditorialiste de seneplus, pierre sané
TRUMP ET LE DÉCLIN DE L’OCCIDENT
EXCLUSIF SENEPLUS - Nous sommes aujourd’hui face à un tournant historique dans la géopolitique mondiale marqué par le repli des États-Unis et la sortie de l’histoire de l’Europe. Devons nous nous en réjouir ? Est-ce que ça nous concerne ?
J’avais publié il y a un mois sur SenePlus un article intitulé le “Grand déclin de l’occident". Je ne pensais pas être aussi rapidement confirmé par les événements.
J’y écrivais que le président Donald Trump allait accélérer ce déclin du fait de son agenda “America first”qui se traduirait forcément en “America only.” Au profit bien entendu des oligarques du pays.
Les developments en Ukraine constituent, dans le cadre du démantèlement par Trump de l’État impérial, une stratégie de retrait du monde tel qu’il est.
Effectivement comment naviguer dans un monde où la population occidentale ne constitue plus que 7% de la population mondiale, où la Chine est devenue la première économie mondiale, où la Russie est la première puissance nucléaire et où l’Afrique est sur la voie de devenir la première puissance démographique (avec 41 % de la population mondiale dans 75 ans pour la seule Afrique sub-saharienne). Tout en continuant à satisfaire un niveau de gloutonnerie des Américains les plus riches jamais égalé dans l’histoire. L’Europe devient alors, pour Trump, une variable d’ajustement.
Nous sommes donc aujourd’hui face à un tournant historique dans la géopolitique mondiale marqué par le repli des États-Unis et par la sortie de l’histoire de l’Europe. Devons nous nous en réjouir ? Est-ce que ça nous concerne ?
Car maintenant les Européens clament haut et fort la nécessité d’un réarmement européen et d’une guerre contre la Russie. Qui ne les menace nullement. A moins qu’il ne s’agisse de se préparer à mener des guerres par procuration dans les États souverainistes d’Afrique …pour y déloger la…Russie ! (la vidéo ci-jointe est plus que parlante). Et dans la foulée enrichir les actionnaires de l’industrie de l’armement américano-européenne en intensifiant les guerres sociales.
Les Européens se prétendant toujours le centre du monde, se targuaient au début du conflit qu’ils allaient détruire l’économie russe. Ces mêmes Européens qui s’accaparaient et continuent de s’accaparer illégalement des avoirs russes et promettaient à l’armée russe une défaite historique. Mais voilà l’OTAN fait face à une déconfiture inédite et le président Donald Trump n’a fait que prendre la mesure de la réalité. Et il le dit brutalement : il faut négocier la paix.
Les jérémiades mensonges et rodomontades n’y feront rien. L’Europe finira par s’incliner toute honte bue. Dans la sphère occidentale elle est devenue une périphérie. Le monde aussi a pris acte :
L’Europe n’est plus un acteur mondial. Son hypocrisie face au genocide des Palestiniens, son deux poids deux mesures devenu la marque de fabrique de sa politique internationale ont fini de lui ôter désormais tout crédit.
Et comme en plus elle n’a jamais voulu faire son devoir de mémoire sur la colonisation et l’esclavage ni se décoloniser d’elle-même, elle se retrouve aujourd’hui méprisée par le Sud global qui prend ses distances et poursuit son émancipation. Elle se retrouve seule face au lâchage américain et tétanisée par les soi-disants appétits de l’ogre russe.
Le monde change à toute allure marquée par cette sortie de l’histoire de l’Europe. L’Europe avait fait son entrée brutale dans l’histoire mondiale au 15e siècle dans le seul objectif de s’enrichir à tout prix : invasions, expropriations brutales, esclavage industriel, politiques d’extermination, génocides, colonisation, holocaustes, annihilation nucléaire, apartheid, racisme structurel, pratiques néocoloniales… ils ont tout inventé et tout appliqué sans hésitation ni d’états d’âmes face aux résistances locales.
Oui on sait. Eux veulent imposer une omerta sur ce passé honteux. Le déni est bien sûr pathétique. Mais nous n’oublierons jamais et le rappellerons toujours.
Car le fait colonial a toujours des effets dans notre quotidien social économique et politique. Et demain quand le rapport de force s’inversera les réparations s’imposeront. Il n’y a aucun doute là-dessus. Et bien sûr nous n’irons jamais combattre en Ukraine pour eux. On a déjà payé. Finito.
Au-delà, quel agenda pour l’Afrique ?
⁃ D’abord, prendre la mesure de tous les risques et menaces, mais aussi des opportunités de cette phase cruciale de l’évolution de l’histoire du monde et en cerner les implications pour l’Afrique. Les chercheurs doivent engager des dialogues avec leurs gouvernants et sociétés civiles.
⁃ Ensuite, prendre conscience que nous Africains ne sommes pas démunis et que nous pouvons peser sur la marche du monde à condition de s’allier dans des partenariats stratégiques avec le sud global pour défendre nos intérêts et préserver notre souveraineté.
⁃ Concernant l’unité africaine, le défi n’est pas de réussir immédiatement à parler d’une seule voix pour se faire entendre mais de s’assurer que les 54 États africains pèsent dans la même direction et pour cela entreprendre toutes les formes de coordination et de coopération intra-africaines, notamment dans les domaines sécuritaire et industriel. Donc le combat doit se mener dans chaque pays.
⁃ Et bien sûr l’irrépressible nécessité de décoloniser les esprits s’impose plus que jamais.
⁃ Et puis surtout faire en sorte que cette direction assure in fine une amélioration sensible du niveau de vie de toutes les populations africaines. Seule légitimité pour les États africains afin de se débarrasser de la colonialité et du capitalisme globalisé.
L’Afrique a une opportunité. Ne la ratons pas.
*Guerre à la Russie au Sahel
NB : Pour ceux qui s’intéressent aux recherches et écrits sur la chute de l’occident voici une petite bibliographie :
- Formes de guerre, stratégies et déclin de l'Occident par Olivier Entraygues
- Le déclin de l'Occident capitaliste et le monde moderne des Asuras: par Ravikumar Kurup
- Le déclin de l'occident par Hanif Kureichi
- La Défaite de l'Occident par Emmanuel Todd
- La mort de l'Occident par Frédéric Vostelle
- Ite Missa Est : Déclin de l'Occident par Gabriel T. Guillaume
par Ndèye Aram Dimé
DES TERRITOIRES MATÉRIELS AUX TERRITOIRES EN SOI, RACONTER LA MIGRATION AFRICAINE ET SES ERRANCES
ECLUSIF SENEPLUS - Soleils invincibles est un livre sur des femmes et des hommes qui se redressent pour tendre vers leur propre humanité. Un premier roman réussi sur la conscience dont nous ne savons pas nous départir
La quatrième de couverture donne le ton et nous comprenons que Soleils Invincibles (C. A. Bamba Ndiaye, Présence Africaine) traite de l’émigration/immigration/remigration. Le lecteur peut être tenté de le déposer mais aucune accusation, précipitée ou a priori légitime, ne saurait résister à un livre qui se défend seul et bien. Limiter ce premier roman à l’éternelle question migratoire reviendrait à en réduire la riche densité symbolique.
Les espaces
(1) Entre Toumouranka et un Guétoula fantasmé, un déplacement à travers les limbes
De Toumouranka à Guétoula puis, dans le sens inverse, de Guétoula à Toumouranka à la nouvelle tentative de rejoindre Guétoula, le mouvement est perpétuel. L’auteur réussit à transcrire, dans ce déplacement et même dans la rancœur de Denis-Béni, le passage du voyage initial et privilégié de Dramane à sa migration contrainte. Nous convoquerons ici la distinction qu’en fait le sociologue Iain Chambers pour qui « voyager implique un mouvement entre des positions fixes, un lieu de départ, un lieu d’arrivée, la connaissance d’un itinéraire préétabli {…}. La migration, à l’inverse, implique un mouvement au cours duquel ni les points de départ ni ceux de chute sont immuables ou certains »[1].
La traversée est spatialement contenue dans un entre-deux, sorte de limbes où Dramane et ses compagnons d’infortune sont déjà partis, ne s’ancrent donc plus à aucun lieu mais ne sont pas encore pour autant des « migrants » parfaitement constitués.
Ce voyage dans un même continent comparable au territoire en soi, donne au texte des contours allégoriques d’errances intérieures. Les Candidats ont bien une destination, qu’ils savent vaguement comment/quand rejoindre, mais tournent presque tout le long du livre au sein d’un même espace. Le paradis au bout de ces limbes n’est qu’une vague projection. Il est même certain que ces limbes séparent deux enfers ; celui que les candidats cherchent à fuir et celui qui les attend.
(2) Entre les personnages
Les départs sont évidemment une fuite physique de la misère, de l’humiliation de ne pas posséder et donc du « ne pas être ». Mais ils sont également une tentative des Candidats à renouer avec quelque chose en eux – leur dignité ou un devenir-Humain. A ce titre, la question que Ngougui - Et si j’étais un homme ? - formulée à lui-même dans la lettre morte IV, pourrait résumer ce qui me semble l’esprit du livre.
Cette tentative désespérée se retrouve dans les destins qui s’effleurent par moments, se nouent à d’autres sans véritablement se départir de leur singularité ni de la part d’histoire personnelle qui les a jetés sur ce chemin. Aussi l’auteur aère-t-il bien entre eux, car si l’aventure est partagée elle se fait néanmoins seul.e. Dans ces limbes, les personnalités ne sont pas encore totalement fondues dans la terminologie bâtarde de « migrants ». Elles ont encore un prénom, une voix, une existence qui leur font « candidater » à l’humanité.
Le lecteur est, lui également, invité au mouvement dans le texte, facilité par le parti pris du mode indicatif. Il parvient à suivre pas à pas les narrateurs et aura même le luxe, à certains moments, de découvrir en même temps qu’eux leurs propres pensées.
Une galerie de miroirs
La singularité des personnages s’allie à un étrange jeu de miroirs. Un grand miroir brisé dont chaque personnage ramasse un fragment qu’il tend ensuite au lecteur. A côté d’eux, ce dernier peut y paraître parfois entier, balafré ou défiguré par la brisure.
Dans ce jeu, malgré la singularité évoquée, certaines réflexions apparaissent facilement interchangeables. De même, certains personnages - rares - émergent, traversent le récit, pour rapidement mourir dans la mémoire du lecteur qui ne se souviendra pas les avoir rencontrés (Joséphine Konda, Christophe Déchert qui semble s’inviter par simple souci du contradictoire, le rire vite dépassé de Lahsen qui ne laisse pas le temps de s’attacher). Ces bris sont alors trop minuscules pour que le lecteur s’y voie.
Suspensions
Bamba Ndiaye choisit chaque mot, le soupèse, n'hésite pas à suspendre la respiration du lecteur au milieu de phrases, le force au virage. Tout cela fait du texte une arène où chaque phrase lancée est un coup de poing.
Au reste, malgré la violence de certaines situations, le texte offre quelques scènes d’apaisement sublimes de poésie verbalisée ou muette à l’instar du dialogue avec Thérèse où toute la délicatesse du mur qui tombe tient au glissement du terme « mère » à celui plus tendre de « maman » (P.78-79). En inégale consolation d’un Lahsen qui fausse vite compagnie, le lecteur pourra se rabattre sur un Hamid aveugle dont le cœur voit mieux que ceux de tous les autres et sur la lucidité innocente du petit Kwame.
Enfin, le livre nous abandonne avec deux questions, entre autres secrets : où Dramane se sent-il le plus entièrement humain ? Que fuit-il au juste ? Tout bien considéré, le lecteur peut avoir le sentiment de ne pas l’avoir vu souffrir assez pour considérer son retour à Toumouranka, au-delà du seul retour, comme un échec. Dramane a connu les avanies de Guétoula, où sa qualité d’étant lui est niée. Pourtant, il tient à tout prix à retourner à Cissane, alors même que rien ni personne ne l’y attend. Pas même les mirages de ses compagnons. Est-ce parce que, impuissance pour impuissance, humiliation pour humiliation, tant que la croix et la honte que nous trainons sont « insues » des autres, l’illusion d’être un humain est sauve ?
Soleils invincibles est un livre sur des femmes et des hommes qui se redressent pour tendre vers leur propre humanité. Le style est clair, le verbe cadencé, la langue haute sans fioriture. Chaque personnage déroule son récit personnel qui, sans écraser ou désagréger, éclaire l’histoire commune plus grande. C’est un premier roman réussi sur la conscience - la bonne et la mauvaise - dont nous ne savons pas nous départir et qui, partout, nous poursuit car après tout, c’est le seul lieu que nous habitons avec certitude.
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans ce vaste théâtre, on en oublierait presque que le Goorgoorlu en est quasiment à la moitié de son mois de ramadan et que tata Mimi est toujours mécontente d’avoir perdu le perchoir au profit de Manne Diop
Cela fait un an, un an qu’à Ndoumbélane, on danse au rythme de la reddition des comptes qui fait sourire les uns d’impatience et provoque chez les autres, l’effervescence. Depuis l’élection présidentielle qui a porté Koromak mocy Ngundu à l'avenue Roume, au niveau institutionnel, on rivalise de gravité dans les annonces renversantes pour décrire les ruines. Cet héritage pour le moins accablant du régime remercié du Watchacha. Si du côté de Serifi Ngundu, la parole est toujours mesurée, respectueuse du principe élémentaire de la séparation des pouvoirs, pour Koromak, le premier Ministre trop important pour les locaux de la Primature et trop empêché pour être Président de Ndoumbélane, la ligne éditoriale est… Comment dire, relâchée. Mais qui pourrait vraiment lui en tenir rigueur, lui qui était déjà habitué aux déclarations fracassantes ? Ce ne sera certainement pas la majorité, les 54%.
Koromak mocy Ngundu versus Watchacha et alliés
À ces 54%, on a promis une traque sans merci des présumés pilleurs de la République. Le rythme des interpellations opérées par le Parquet financier est jugé peu frénétique par les habitants des réseaux sociaux, même si le rapport de la Cour des comptes, qui n’a pas dit moins que ce que Koromak a révélé, fait couler encre et salive. Le constat est sans appel : Ndoumbélane est plus endetté qu’il ne l’avait admis, à 99% du PIB pour être exact. Une guerre de l’opinion est entamée depuis la publication du rapport et se poursuit toujours entre les camps Ngundu mocy Koromak et Watchacha.
Le Watchacha, de l’Afrique du sud où il parlait justement de dette, a rejeté les conclusions du rapport de la Cour des comptes et évoqué un “procédé politique”. Il s’est même permis un petit conseil à l’endroit du duo “travaillez au lieu de critiquer ce qui a été fait pendant ces 12 dernières années". Chez Koromak mocy Ngundu, des lieutenants se font remarquer. Et particulièrement sur les réseaux sociaux : Amadou Ba, non ce n’est pas le député absentéiste trop riche pour être honnête, c’est l’autre député expert en tout de Pastef et Waly Diouf Bodian, le DG du port autonome de Dakar dont l'autonomie de la langue ne s'accommode pas vraiment des rudiments de la tenue et de la retenue langagière. Pour eux, la ligne éditoriale ne change que de peu, en plus de continuer à vendre un Ndoumbélane en ruine, il faut bien insister sur le réputé coupable, le Watchacha, que Njekk Sarré et non moins porte-parole du Gouvernement, traite de “chef de Gang” et exhorte même à revenir “s’il pense qu’il n’a rien fait".
Sora Goro réenfile le kimono !
Bien évidemment, il est hors de question de laisser faire pour Sora Goro, l’ancien chef du MITTA et non moins goro du Watchacha. Depuis qu’il n’a plus le temps de menacer de porter plainte contre les journalistes aux langues trop pendues, Sora s’est trouvé un nouveau hobby littéraire : pourfendre sur sa page Facebook, "Sas demi dieu", comprenez Koromak. Du kérosène perdu entre les déplacements de Koromak dans l’avion de Ngundu au mandat de dépôt qui a eu raison de Farba le Chambellan, Sora ne manque pas de taper sur sa cible préférée, qu’il accuse de tout ce dont on peut accuser un individu qui a semé “contre-vérités et manipulation” à un point où il a obtenu l’onction d’un électorat sénégalais “berné”. Sora n’est pas content et il ne s’en cache pas. Il n’est tellement pas content qu’il s’offusque de tout ou presque. Plus sérieusement, il a essuyé une interdiction d’embarquer à l’AIBD sur “instructions de l’autorité supérieure”, ratant ainsi son “pèlerinage à Djeddah” alors qu’à sa connaissance, il ne fait l’objet “ d’aucune procédure ni d’aucune enquête”. Il faudra peut-être souffler l’info à Koromak qui confiait à Walf, lors de la campagne électorale pour les législatives, que dans un Etat de droit, on ne peut pas restreindre le droit d’aller et de venir d’un citoyen sans qu’il ne fasse l’objet d’une procédure ou d’une enquête.
Des enjeux de justice sélective ?
Dans ce vaste théâtre, on en oublierait presque que le Goorgoorlu en est quasiment à la moitié de son mois de ramadan et que tata Mimi est toujours mécontente d’avoir perdu le perchoir au profit de Manne Diop. Farba le chambellan et TF, comprenez Tahirou Foncier, expérimentent leurs premières nuits derrière les barreaux et Thiemo Alassane Sall a déposé une proposition de loi trop abrogeante pour ne pas couter de l’argent à Ndoumbélane. En parlant d’abrogation, la législature Pastef veut une abrogation partielle de la loi d’amnistie pour faire la lumière, dit-elle, sur les “crimes de sang” qui ont eu lieu entre 2021 et 2024. C’est tellement bien formulé qu’on pourrait même perdre de vue le fait qu’il n’y a pas eu que des crimes de sang, au pays de Père Léo le poète. Peut-être est-il congru d’avoir une mémoire partielle ou parcellaire pour absoudre d’autres crimes ? On aura peut-être la réponse à cette question prochainement dans la République de Ndoumbélane où personne n’est jamais coupable de rien, pas même ceux qui ont affirmé avoir financé la fabrique de la joyeuseté qu’est le cocktail molotov.
Par Rama YADE
ÊTRE UNE FEMME AFRICAINE EN 2025
Alors qu’on célèbre le Mois des Femmes, il faut avouer qu’à l’échelle des relations internationales, la femme africaine reste une singulière figure. En Afrique, le féminisme n’a jamais été en terre étrangère.
Alors qu’on célèbre le Mois des Femmes, il faut avouer qu’à l’échelle des relations internationales, la femme africaine reste une singulière figure. D’un côté, elle est perçue comme le symbole démographique d’une Afrique qui se reproduit à une vitesse qu’il convient absolument de contenir. De l’autre, elle est celle qui soude les communautés et, hors de la maison, se révèle la championne du monde de l’entrepreneuriat. Entre les deux, elle est cette victime directe des conflits africains. A l’instar d’un Jean Racine, elle pourrait pourtant dire n’avoir ni mérité cet excès d’honneur ni cette indignité. Car la femme africaine porte en elle à la fois un imaginaire universel qui fait d’elle une femme comme une autre et une singularité qui la rend à la fois spéciale et exemplaire.
La femme africaine, ce héros
Universelle, la vie de la femme africaine, comme de nombreuses femmes dans le monde, tourne autour de la famille, du couple, du travail et de la santé. Au regard des données internationales néanmoins, chaque dimension de son existence semble être une épreuve. C’est elle la cible statistique privilégiée des organisations multilatérales.
D’abord, le mariage
Alors que seulement 2% de la population mondiale vivent dans des foyers polygames selon une étude de 2019 du Pew Research Center, c’est en Afrique subsaharienne que la polygamie est le plus pratiquée (11% de la population), avec toutes les rivalités et souffrances que peuvent charrier les familles composées de plusieurs coépouses, amenant la Commission onusienne des droits de l’Homme à considérer la polygamie comme une discrimination à l’encontre des femmes
Ensuite, la grossesse.
Toujours selon les analyses internationales à l’image du rapport d’avril 2024 de l’Agence des Nations unies pour la santé sexuelle et reproductive, les femmes africaines sont 130 fois plus susceptibles de mourir de complications liées à la grossesse que les femmes d’Europe et d’Amérique du Nord. Quand elles survivent à l’accouchement, c’est leur enfant qui entre dans la zone de risque : pour l’Organisation mondiale de la santé, le taux de mortalité infantile indique 72 décès pour 1000 naissances vivantes en Afrique, le taux le plus élevé du monde.
Puis, il y a le travail
Quand elles travaillent, c’est, selon un rapport 2018 d’Onu-Femmes, majoritairement (89%) dans l’emploi informel. Ces données éprouvantes ont conduit, à un moment donné, à louer la résilience des Africaines tant il est difficile d’imaginer de telles épreuves pour les femmes mieux loties d’autres régions, toujours selon les mêmes statistiques. Pourtant, cette réalité perdure quand il s’agit des femmes africaines. Pour l’écrasante majorité d’entre elles, ni cours de yoga, ni interrogations sur leur charge mentale, ni psychiatre. La célébration de la résilience des femmes africaines a été assez commode pour les laisser face à leur épuisant quotidien en vertu de cette vieille croyance ancrée dans les imaginaires selon laquelle les femmes noires sont plus résistantes à la souffrance. Dans le milieu médical, ces préjugés sont à l’origine de déclenchements précoces de l’accouchement et davantage par voie césarienne. Parmi les Américaines, les femmes noires décèdent trois fois plus en couches que les femmes blanches. Leur niveau de vie n’est d’aucun secours. Même avec de bons revenus, un rapport de 2023 de l’Unfpa révèle que les décès maternels parmi les diplômées universitaires afro-américaines demeurent 1, 6 fois plus élevés que parmi les femmes blanches sans diplôme.
Enfin, face à la mort
Malgré tout cela, au soir de leur vie, les femmes africaines vivent plus longtemps que les hommes. Toutefois, de toutes les femmes dans le monde, elles affichent l’espérance de vie la plus faible (65 contre 81 ans en Europe) selon des données de 2023. Dans les zones de conflits comme l’Est de la Republique du Congo ou le Soudan, elles sont des cibles privilégiées du viol utilisé comme arme de guerre. Elles sont aussi les actrices les plus efficaces lorsqu’il s’agit de reconstruire les communautés brisées par la guerre, au point d’inspirer la Résolution historique 1325 de l’Onu sur la participation des femmes aux processus de paix.
Aspirer à la normalité
La femme africaine ne devrait pourtant pas à être ce héros à chaque instant de sa vie. La guerrière a droit au repos et surtout, loin des oripeaux de la résilience ou des préjugés, d’être une femme comme une autre, forte à certains moments, vulnérable à d’autres. Elle aussi devrait avoir accès au mixeur, à la machine à laver, à la voiture, à des enfants scolarisés, à des modes de garde pour ses bébés, à des cours de pilates, à une formation professionnelle. Et, sans doute, comprendra-t-on alors que la femme africaine n’existe pas. Il y a des femmes africaines, aussi diverses que leurs envies et les cultures qui coexistent sur le continent. En particulier, les jeunes générations, aux destins plus divers, ne sauraient être réduites à une figure uniforme et essentialisée. Etre une femme africaine en 2025, c’est aspirer à la normalité.
Du féminisme africain
Comment être normale sur un continent d’héroïnes ? Les statistiques internationales précitées ne rendent pas justice au féminisme africain et à ses accomplissements.
Selon l’Index des femmes de pouvoir de 2024 établi par le Council on Foreign Relations, si les pays occidentaux dominent la moitié du classement féminin des femmes chefs d’Etat et de gouvernement dans le monde, c’est dans le Sud de l’hémisphère que se trouvent la plupart des parlementaires femmes, le Rwanda se trouvant en tête du palmarès avec 61% de femmes au sein de son Parlement. Parmi les dirigeantes d’organisations multilatérales, on trouve la Nigériane Ngozi Okonjo Iweala (Organisation mondiale du commerce), la Rwandaise Louise Mushikiwabo (la Francophonie) ou encore l’Ougandaise Winnie Byanyima (Onusida). Sur le front des inégalités sur le marché du travail, la Namibie (8e) fait mieux que l’Espagne (10e), la Belgique (12e) ou encore la Grande-Bretagne (14e) et l’Afrique du Sud (18e), mieux que la Suisse (20e), la France (22e) et les Etats-Unis (43e), selon le Global Gender Gap Index 2024.
Ces éléments encourageants ne sont pas une surprise quand on sait le rôle exceptionnel des femmes dans la marche africaine vers le progrès. Comme je le rappelle dans mon récent livre Les Leçons de l’Amérique. Nation et Puissance (L’Harmattan, 2024), l’ordination des femmes n’était-elle pas autorisée dans l’Egypte ancienne alors que le reste du monde en débat encore ? En Nubie, les Candaces, qui maniaient l’épée et se faisaient inhumer dans les pyramides, n’ont elles pas, en 700 ans, construit plus de pyramides que les pharaons en trois millénaires de civilisation, comme le rappelle l’historien Joseph Ki-Zerbo dans son Histoire de l’Afrique noire, d’hier à demain (Hatier, 1972) ? Ces mêmes Nubiennes n’avaient-elles pas le droit de choisir leur mari et même le moment de se marier ? Les Amazones du royaume du Dahomey ne constituaient-elles pas un corps essentiel des armées de Béhanzin, dès le XVIIe siècle ? Les sociétés matrilinéaires n’ont-elles pas essaimé partout, chez les Akans, les Zandés, les Baïnouks, les Bochimans, etc. ? Les vaillantes de Nder n’ont-elles pas incarné bravement la résistance à l’esclavage maure au XIXe siècle ? De Aline Sitoé Diatta à la reine nigérienne Sarraounia Mangou, en passant par Kimpa Vita du Kongo, on ne compte plus les héroïnes -étrangement oubliées- qui ont accompagné le continent sur le chemin des indépendances et de la liberté. En Afrique, le féminisme n’a jamais été en terre étrangère.
Rama YADE
Directrice Afrique Atlantic Council
Par Baba DIOP
SUR LA TÊTE DE L’IMAM
Dans sa jeunesse, Ton’s fut un redoutable ailier gauche. Il avait la vélocité d’une autruche. Ses dribbles étaient un festin pour l’œil surtout, quand il faisait un « yaali » au gardien de but.
Dans sa jeunesse, Ton’s fut un redoutable ailier gauche. Il avait la vélocité d’une autruche. Ses dribbles étaient un festin pour l’œil surtout, quand il faisait un « yaali » au gardien de but.
Ton’s fut un grand sportif même si, dans les annales, on n’a jamais croisé son nom sur les registres des professionnels ayant défendu le drapeau tricolore frappé de l’étoile verte. Les raisons de l’absence de Tons sur les annales sont à chercher dans son carnet de santé, mais secret médical oblige, on a jamais réellement rien su. Cependant, la passion du foot ne l’a jamais quitté. Ton’s raterait la prière du vendredi pour le foot. C’est à un « khobé » comme Ton’s à qui, on devrait confier l’équipe nationale, soutiennent ses amis.
Hier, en partant à la mosquée, un ballon lui est tombé sur les pieds et Tons de faire du « teul balle », un amorti de la poitrine et vlan ! D’un puissant coup de pied, le ballon atterrit sur la tête de l’imam, qui sortait de chez lui. Il vacilla et hurla « kouma mbeuk » avant de s’écrouler par terre.
par Thierno Alassane Sall
L’INTERPRÉTATION DE LA FARCE
Nous en appelons à la conscience collective. Pastef veut maintenir cette loi d’amnistie qui souille notre histoire. Nous ne devons pas laisser cette forfaiture prospérer. Nous avons affaire à des farceurs
Nous avons, enfin, pris connaissance de la proposition de loi interprétative de Pastef. Disons-le tout de suite : nous avons affaire à des farceurs.
D’abord, il ressort de leur proposition de loi que la loi d’amnistie de 2024 reste entièrement en vigueur. Autrement dit, si le texte de Pastef passe, les faits susceptibles d’être qualifiés de délits ou de crimes commis dans la période visée et ayant des motivations politiques ne pourront pas être connus par nos juridictions. Plus concrètement, et à titre d’exemple, si les personnes qui ont commis l’incendie criminel du « Bus de Yarakh » arrivent à prouver qu’elles étaient animées d’intentions politiques (bloquer le pays pour obtenir la libération de leurs camarades) et qu’elles appartenaient à un parti politique, rien ne devrait les empêcher de bénéficier de cette interprétation.
Ensuite, l’interprétation proposée vient paradoxalement obscurcir la loi d’amnistie, qui est suffisamment claire. Interpretatio cessat in claris : l’interprétation cesse lorsque les choses sont claires. Selon l’article 1er de la proposition de loi interprétative de Pastef, seuls « les faits […] ayant une motivation exclusivement politique » seront amnistiés. Plusieurs questions se posent : comment déterminer la motivation politique ? Les juridictions seront-elles amenées à sonder les âmes des prévenus et accusés ? Comment parvenir à identifier les personnes qui ont infiltré les manifestations pour commettre des crimes ? Comment refuser à ces dernières l’excuse de la motivation politique ? Autant d’éléments qui montrent que cette interprétation rendrait curieusement obscure la loi d’amnistie.
Enfin, la proposition de loi interprétative de Pastef exclut les infractions liées aux manifestations, mais commises sans motivation politique. La volonté de Pastef est claire ici : protéger ses militants et livrer les autres. Les membres des forces de l’ordre, qui veillent au maintien de l’ordre public, pourront-ils justifier leurs éventuelles infractions par une motivation exclusivement politique ? Le militant politique qui commet un crime pourra bénéficier de l’amnistie en disant simplement qu’il participait à une manifestation politique. En revanche, le gendarme qui commet un délit sera jugé, car il ne pourra en aucun cas invoquer une motivation politique pour justifier son infraction. En termes simples, le militant présumé criminel est protégé, mais le gendarme qui participe à une opération de maintien de l’ordre public sera livré à la justice. Voilà le régime Pastef : un gouvernement du Pastef, par les réseaux sociaux et pour le Pastef. Une République divisée et à terre !
Nous en appelons à la conscience collective. Il n’échappe à personne maintenant que Pastef veut maintenir cette loi d’amnistie qui souille notre histoire. Nous ne devons pas laisser cette forfaiture prospérer, et il ne s’agit nullement d’un combat partisan.
PAR AMADOU ALY MBAYE
COMPTES ET MÉCOMPTES DE L’ADMINISTRATION DU PRIX DU PAIN
Alors que l’économie nationale a été fortement libéralisée avec les programmes d’ajustement structurel, un certain nombre de filières, considérées comme « stratégiques », ou « sensibles », continuent de faire l’objet d’une massive intervention de l’État
Alors que l’économie nationale a été fortement libéralisée avec les programmes d’ajustement structurel, un certain nombre de filières, considérées comme « stratégiques », ou « sensibles », continuent de faire l’objet d’une massive intervention de l’État. C’est notamment le cas du pain, de l’huile raffinée et du sucre.
Plus que pour les autres produits, l’administration du prix du pain comporte beaucoup de limites, essentiellement liées à l’origine importée de la matière première de base (le blé), sur laquelle l’État n’a aucune prise. Une politique claire de substitution des céréales locales au blé permettrait de renforcer les chaines de valeur agroalimentaires nationales tout en préservant le pouvoir d’achat et la qualité des emplois.
Un héritage colonial qui coûte cher à l’économie
Le blé fait partie des céréales les plus commercialisées au monde, avec environ le sixième de la production mondiale faisant l’objet de commerce international. Les variétés les plus prisées sont celles produites dans les zones tempérées. Les principales régions exportatrices sont : l’Amérique du Nord (USA, Canada), l’UE, l’Australie, l’Asie centrale et l’Europe de l’Est (Kazakhstan, Russie et Ukraine) (US Department of Agriculture). Contrairement au blé, la farine de blé est beaucoup moins commercialisée, avec seulement 10% de la production mondiale qui est commercialisée. Ceci s’explique essentiellement par le fait que le blé se transporte relativement facilement tandis que la farine fait souvent l’objet de pratiques protectionnistes de la part des États.
Sans être producteur de blé, le Sénégal a gardé de la colonisation française une longue tradition de la baguette de pain, avec une consommation journalière estimée à plus de 3 millions de baguettes par jour. Contrairement au sucre, le secteur de la farine n’est pas un monopole, mais plutôt un oligopole, avec un nombre réduit d’entreprises, à la tête desquelles les GMD (Grands Moulins de Dakar), qui a une part de marché estimée à un peu moins de 50%. Les meuniers transforment le blé qu’ils importent eux-mêmes en farine et en aliments de bétail (ce segment de produit étant plus rentable que la farine).
En revanche, la production de pain est très concurrentielle, avec un nombre de boulangeries dépassant le millier, sur l’étendue du territoire national. Les boulangers distribuent le pain à travers un réseau très peu fiable de transport informel. Étant donné le caractère très fragmenté de l’industrie, couplé à une très forte administration des prix, les marges sur le pain sont très faibles, voire souvent négatives. La farine constitue une part non négligeable du coût de la baguette. Les variations du prix de la farine impactent donc négativement les marges des boulangers. Les coûts d’autres facteurs de production, comme le gasoil, l’électricité et le transport, affectent aussi ces marges ; tout comme le fait que les boulangers reprennent les miches de pain invendues à un prix modique, représentant souvent moins du tiers du prix de vente.
Aucune logique économique ne pourrait justifier la protection du pain. Le blé n’est pas forcément plus nutritif que les céréales locales, dont il constitue un produit de substitution. Ensuite, il pèse négativement sur la balance commerciale, et a peu d’effet d’entrainement sur le reste de l’économie. Au Sénégal, la consommation de blé par habitant (50 kg par personne) fait plus du double de celle du Nigeria (21 kg), de la Côte d’Ivoire (23 kg), et 67% de plus que celle du Cameroun (30 kg). En outre, elle est en constante augmentation parce que tirée à la fois par une démographie galopante et une urbanisation dynamique. C’est ainsi qu’entre 2013 et 2023, les importations de blé ont augmenté de 5.2% par an, soit presque le double du taux de croissance de la population (FAOSTAT).
Une régulation qui pénalise les plus faibles
Comme pour les autres denrées de première nécessité, la logique de l’intervention de l’État sur la filière blé-farine-pain est dictée par l’impératif d’éviter les hausses vertigineuses de prix pouvant conduire à des turbulences socio-politiques, et accessoirement, de protéger les unités industrielles existantes. La poursuite de ces deux objectifs, pour le moins contradictoires, conduit à des politiques qui érodent les marges des entreprises sans aucune garantie de baisse durable des prix. Dans le cycle de plafonnement de prix et changement de régime tarifaire et douanier, la situation post-covid19 se distingue significativement de celle d’avant.
Avant la Covid, le blé a été pendant longtemps assujetti à un tarif douanier de 5%, en sus d’un certain nombre de petits prélèvements, et exempté de la TVA. Ce qui fait que les droits de porte qui lui sont applicables sont négligeables. En revanche, la farine a été assujettie au tarif douanier maximal, au titre du TEC (Tarif Extérieur Commun), en plus d’une TVA de 18%. De plus, une Taxe Conjoncturelle à l’Importation de 10% est appliquée lorsque le prix à la tonne est inférieur à un prix de référence fixé à 201 400 FCFA. Avec ce niveau de protection sur la farine, contrastant avec celle applicable sur le blé, l’incitation à transformer le blé est élevée, rendant marginales les importations de farine.
Jusqu’au début des années 2010, le prix de la farine ne faisait pas l’objet d’une réglementation officielle, même s’il avait toujours été déterminé sur la base de consultations entre l’État et les meuniers. Cependant, pour la baguette, l’État fixe d’autorité et le prix plafond et le poids (par exemple 210 grammes). Certainement pour répondre à la critique selon laquelle on ne pouvait pas fixer le prix de la baguette tout en laissant celui de la farine fluctuer, l’État a commencé à administrer le prix de la farine à partir de 2012. Mais fixer le prix de la farine, sans avoir un quelconque contrôle sur celui du blé (qui compte pour 80% dans la production de la farine), est un exercice pour le moins délicat. Il s’en est suivi des variations incohérentes du prix homologué de la farine qui passe de 20 000 FCFA le sac de 50 kg à 18 890 FCFA avant de revenir à 20 000 FCFA, après une forte protestation des meuniers.
Avec la Covid et la crise ukrainienne, l’homologation du prix est rendue plus compliquée par les perturbations observées sur le marché international du blé. En 2021, suite à une hausse subite du prix de la tonne de 42%, l’Etat a été obligé de suspendre les droits de douane et la TVA, pour pouvoir maintenir le prix homologué à 16600 FCFA le sac, avant d’être obligé de le relever à 19200 FCFA, en décembre de la même année. Lors de la récente augmentation des prix, l’État a réduit le prix du sac de 19 200 à 15 200, en juin 2024.
La filière du pain, comme celle du sucre, enregistre beaucoup de rivalité entre des acteurs qui mettent l’État sous pression pour, chacun, tirer la couverture de son côté. Mais les logiques de groupe sont très différentes de ce qu’on observe dans le cas du sucre. Étant donné que le blé n’est pas produit localement, il n’y a pas de conflit sur la libéralisation ou la restriction des importations. Les deux catégories d’acteurs les plus en vue sont les meuniers (plus forts et mieux organisés) et les boulangers (plus nombreux, plus dispersés et moins bien organisés). C’est justement sur ces derniers, les plus faibles, que l’État fait porter le fardeau de la régulation. Le niveau de la protection sur la farine est beaucoup moins important que pour le sucre. Le ratio prix de détail (selon ANSD) sur le prix international (selon indice Mundi) est de 30%, sur la période 2000-2010 pour la farine, contre un pic de 379% pour le sucre, dans la même période. Avec un prix mondial qui fluctue d’une année à l’autre et un prix domestique plafonné, il est arrivé que ce ratio soit inférieur à 10%, selon les années.
La baguette de pain fait face à un niveau d’administration de prix plus contraignant que la farine. Le ratio prix de vente sur prix de revient, est presque égal à 1, indiquant une marge presque nulle pour la plupart des années, voire négative parfois. Alors que, pour certaines années, le taux de protection effective (qui mesure les incitations nettes du régime d’importation sur la rentabilité des entreprises) avoisine les 90% pour les meuniers, il est négatif (-81%) pour les boulangers.
Promouvoir les céréales locales à la place du blé importé
A mon avis, l’État doit développer et rendre publics un plan, et un échéancier, de retrait de l’industrie du pain, dans sa forme actuelle. À la place, il doit encourager la recherche sur des produits de substitution au pain dans sa forme actuelle, basés sur nos céréales locales. Ce qui aura l’avantage de construire une filière plus forte, moins dépendante des importations et mieux articulée à nos chaines de valeur agricoles. Du fait de la dynamique démographique en cours et de l’urbanisation rapide que connait le pays, l’industrie du pain devrait continuer à garder des perspectives de croissance et de génération d’emplois assez favorables, dans les années à venir. Ce serait dommage qu’une intervention si peu opportune continue d’obérer les différentes composantes de la valeur ajoutée du secteur (salaires, profits, impôts), en plus de maintenir la majorité des emplois à la lisière de l’informel.
Une équation de taille est celle relative au changement des habitudes de consommation, au regard du niveau de dépendance actuelle des populations pour la baguette. L’économie expérimentale et comportementale est la branche de l’économie qui étudie les moyens politiques de changement des comportements et habitudes bien ancrés dans les sociétés, à travers le design et l’application de « traitements » (des systèmes d’incitations) bien conçus. Ce type d’expérience qui a connu des succès documentés dans plusieurs pays, s’appuie sur des protocoles de plus en plus maîtrisés. Ils pourront permettre de favoriser une transition plus lisse vers cette nouvelle forme d’organisation de la filière.
PAR Adama Dieng
UN PAS HISTORIQUE VERS L’UNITÉ DU MONDE MUSULMAN
EXCLUSIF SENEPLUS - Pour la première fois, des érudits sunnites et chiites de premier plan se sont engagés dans un dialogue substantiel, transformant en actes l'appel lancé en 2022 par le Grand Imam d'Al-Azhar
Dans un monde où les divisions ont trop souvent entravé le progrès, le besoin d’unité entre les musulmans n’a jamais été aussi urgent. L’islam, dès sa création, a mis l’accent sur la fraternité, la coopération et la solidarité entre les croyants. Pourtant, l’histoire a été témoin de moments où les différences ont été exploitées, conduisant à la fragmentation et à la discorde entre musulmans. Plutôt que de disperser leur énergie dans des conflits, les musulmans doivent reconnaître l’immense force qui naît de l’unité. En acceptant la diversité au sein de la Oumma et en nous focalisant sur les défis communs, qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux, nous pouvons garantir que nos efforts collectifs contribuent à la prospérité et à la dignité de tous.
Fin février 2025, à Bahreïn, nous avons assisté à un moment déterminant dans l’histoire des relations intra-islamiques. L’appel lancé le 3 novembre 2022 lors de la Conférence de dialogue intra-islamique à Manama, au Bahreïn par Son Éminence le professeur Ahmed Al-Tayeb, grand imam d’Al-Azhar et président du Conseil des sages musulmans, en faveur d’un dialogue entre les principaux érudits des écoles de pensée islamique, principalement sunnites, et les érudits chiites, s’est finalement traduit par des actes. La conférence, organisée sous le thème « Une seule oumma… un seul destin commun », a vu des personnalités religieuses de premier plan issues de diverses traditions islamiques s’engager dans des discussions approfondies et significatives, aboutissant à une recommandation concrète : la création d’un groupe d’experts pour poursuivre cette réflexion essentielle et assurer son application pratique.
Cette initiative, rendue possible grâce au patronage du roi, Sa Majesté Hamad Bin Issa Al Khalifa, témoigne du rôle de Bahreïn en tant que pont de réconciliation. Historiquement, Bahreïn a été une terre de coexistence entre les communautés sunnites et chiites, malgré les défis. Sous la direction du roi, Sa Majesté Hamad bin Isa Al Khalifa, des efforts ont été faits pour favoriser davantage l’inclusion et reconnaître la riche diversité des traditions islamiques de la nation. Ce dialogue représente un pas en avant pour assurer une gestion constructive de la diversité dans le monde musulman.
La vision du Grand Imam : courage, sagesse et unité
Au cœur de ce dialogue se trouve le Grand Imam d’Al-Azhar, le professeur Ahmed Al-Tayeb, dont la sagesse et le courage d’avoir initié une telle rencontre ne peuvent être exagérés. Il défend depuis longtemps l’idée que les divisions entre musulmans sunnites et chiites et d’autres traditions islamiques sont artificielles, et qu’elles sont plus le résultat de manœuvres historiques et politiques que de divergences théologiques. En effet, comme il l’a souligné dans son discours, rien ne différencie fondamentalement un sunnite d’un chiite aux yeux de l’islam.
Son appel à l’unité n’est pas un appel à effacer les différences mais plutôt à adopter les principes communs qui lient tous les musulmans. Il nous a rappelé que la première constitution proclamée par le Prophète Mahomet (PSL) à Médine réaffirmait le principe de non-discrimination. Ce précédent historique devrait servir de modèle aux sociétés musulmanes contemporaines aux prises avec des tensions sectaires qui ont, dans de nombreux cas, dégénéré en conflits armés.
Au cours de la dernière décennie, les tensions entre sunnites et chiites ont été exploitées pour alimenter la violence dans différentes parties du monde. Ces divisions ont permis à des forces extérieures de manipuler et d’affaiblir la Oumma musulmane, en dressant les frères les uns contre les autres tout en ignorant le principe fondamental d’unité que défend l’Islam. Le dialogue à Bahreïn est un effort courageux pour dépasser ces divisions et œuvrer vers une thérapie collective et au progrès.
De la rhétorique à l’action
Ce qui distingue ce dialogue des discussions passées sur le rapprochement sunnite-chiite, c’est son engagement à agir. La recommandation de créer un groupe d’experts marque un progrès qui va des discussions théoriques aux mesures pratiques visant à assurer une paix et une compréhension durables. Ce groupe d’experts sera chargé d’élaborer des cadres formels pour institutionnaliser le dialogue intra-islamique, favoriser la tolérance religieuse et empêcher que les conflits sectaires ne soient instrumentalisés à des fins politiques.
Outre les chefs religieux, le rôle de la jeunesse musulmane dans la construction de l’avenir de l’unité ne peut être négligé. Les jeunes de tout le monde musulman doivent être impliqués dans ces discussions et initiatives. Ce sont eux qui porteront les principes de fraternité, de tolérance et de collaboration. Les programmes scolaires devraient inclure des exemples historiques de coexistences réussies entre différentes traditions islamiques, en mettant l’accent sur les valeurs communes plutôt que sur les points de discorde.
Il est impératif que cette dynamique se poursuive. Les gouvernements, les chefs religieux et les organisations de la société civile doivent investir dans des initiatives de consolidation de la paix qui favorisent le respect et la compréhension mutuels. En outre, les établissements d’enseignement islamique devraient intégrer des enseignements qui mettent l’accent sur l’héritage commun de toutes les écoles de pensée musulmane plutôt que sur leurs différences.
Un appel à une gestion constructive de la diversité
La diversité au sein de l’islam doit être considérée comme une force plutôt qu’une source de division. Le Coran et la Sunna soulignent l’importance de l’unité, de la coopération et du respect mutuel. Comme l’a judicieusement souligné le Grand Imam, la priorité doit être de protéger notre religion, nos terres et notre peuple, quelle que soit l’identité d’une entité sectaire.
En outre, l’unité intra-musulmane doit s’étendre au-delà des relations entre sunnites et chiites pour englober l’ensemble des communautés musulmanes du monde. Qu’ils soient africains, asiatiques, moyen-orientaux ou occidentaux, tous ont des expériences et des contributions uniques à offrir. Une Oumma unie ne doit pas se limiter aux seules discussions théologiques, mais doit s’étendre à la coopération en matière de développement économique, de progrès scientifique et d’initiatives humanitaires qui élèvent tous les musulmans et l’humanité dans son ensemble.
Le dialogue à Bahreïn est un faisceau d’espoir pour que les musulmans puissent dépasser des divisions vieilles de plusieurs siècles et œuvrer ensemble pour le bien commun. L’histoire, la langue, la foi et l’héritage culturel commun aux musulmans devraient servir de fondement à une Oumma plus forte et plus unie.
Peut-on conclure qu’une nouvelle ère s’annonce pour l’Oumma musulmane ?
Le dialogue intra-islamique de Bahreïn marque le début de ce qui pourrait être un nouveau chapitre de l’histoire de l’Islam. La création d’un groupe d’experts est une étape prometteuse vers l’institutionnalisation des efforts de réconciliation. Cependant, son succès dépend de l’engagement durable des dirigeants de tout le monde musulman. Nous devons tous nous approprier cette vision – gouvernements, institutions religieuses, intellectuels et citoyens ordinaires.
Pour que cette initiative réussisse, elle doit être suivie de politiques concrètes et d’initiatives locales dans les pays à majorité musulmane. Les mosquées, les universités et les organisations communautaires doivent s’engager activement à favoriser le dialogue et à veiller à ce que le message d’unité atteigne toutes les strates de la société. Le dialogue ne doit pas rester un événement confiné aux conférences mais doit devenir un processus continu qui façonne la conscience des générations futures.
Il est temps de laisser derrière nous les divisions du passé et d’embrasser un avenir où tous les musulmans se rassembleront en une seule Oumma, guidée par les principes de justice, d’égalité et de fraternité. Les enseignements du Prophète Mahomet nous exhortent à favoriser l’amour et l’harmonie entre nous. Dans cet esprit, le dialogue à Bahreïn ne doit pas être un événement isolé mais le fondement d’un mouvement durable vers l’unité.
Ce n’est qu’en nous unissant que nous pourrons relever les défis qui menacent nos communautés et que nous pourrons garantir que les générations futures héritent d’un monde défini non pas par le sectarisme mais par la solidarité et le respect mutuel.
Adama Dieng est un diplomate sénégalais, ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU et fervent défenseur de la paix, de la justice et de la réconciliation.