«ON AURAIT PU UTILISER NOS ARMES…»
Trouvé dans son bureau par « L’as », le commissaire Lèye, qui a coordonné l’opération, retrace le film où des images montrent des éléments de police détaler comme des lapins

Le calme est revenu après de violents affrontements ayant opposé, avant-hier à Mbour, les forces de sécurité et des pêcheurs hostiles à l’érection d’un nouveau quai de pêche dans ladite ville. Trouvé dans son bureau par « L’as », le commissaire Lèye, qui a coordonné l’opération, retrace le film où des images montrent des éléments de police détaler comme des lapins. L’officier de police dédramatise et parle surtout du professionnalisme de ses éléments obligés de battre en retraite pour éviter une effusion de sang alors qu’ils étaient en droit d’user de leurs armes.
L’as : Monsieur le Commissaire, des affrontements sanglants ont opposé vos hommes aux pêcheurs. Comment en est-on arrivé à cela ?
Mandjibou Leye : Un dispositif sécuritaire est articulé en fonction ou à la dimension de l’évènement. C’est vendredi qu’il fallait intervenir, parce que l’entrepreneur, qui devait s’installer au quai de pêche, voulait le faire depuis ce jour en amenant ses engins pour démarrer le travail. Une frange dissidente des pêcheurs s’y est opposée ; nous avons fait l’intervention sur le terrain mais les informations et les renseignements que j’avais ne permettaient pas séance tenante d’agir en faveur de l’entrepreneur. Donc, nous avons reporté sine die cette intervention en convoquant les différents acteurs, y compris l’aile dissidente, dans mon bureau. J’ai discuté avec eux de 15h à 17h pour essayer de leur expliquer que c’est un projet de l’Etat du Sénégal en rapport avec le partenaire japonais. Et que mieux, c’est un projet qui devait être implanté dans une aire géographique qui relève du domaine public maritime qui est un patrimoine étatique. Mais c’était peine perdue, parce qu’ils le savaient. Auparavant, j’avais déjà introduit une demande du Groupement mobile d’intervention (Gmi) et j’ai obtenu un renfort conséquent puisque je m’attendais à une situation de ce genre. Maintenant, c’est après coup qu’ils ont invité tous les pêcheurs à ne pas aller en mer. Et c’est ça qui a démultiplié le nombre de manifestants qu’on a vus sur le terrain.
Vous avez été mis en minorité, on a vu des policer détaler
Nous avons été sereins et Dieu nous est venu en aide. Si c’était un autre corps, il pourrait y avoir beaucoup de morts dans le rang des manifestants. Car si une hyène pourchasse un lion, c’est parce que le lion veut lui éviter quelque chose. Donc, il faut saluer le travail extraordinaire de la police, parce que si des manifestants pourchassent des hommes armés, c’est parce que ces derniers ne les considèrent pas comme des adversaires encore moins des ennemis. Les manifestants ne sont rien d’autre que des concitoyens qui sont égarés pour un moment, donc il fallait les dissuader et les faire revenir à la raison et c’est ce que nous avons fait.
Cela n’entame-t-il pas l’image de la police ?
Il reste que l’Etat reste ce qu’il est et personne ne doit tenter de le fragiliser. Mes instructions ont été appliquées de main de maître sur le terrain. Et d’ailleurs c’est la raison pour laquelle vous n’avez pas entendu de bavure policière. Vous étiez certainement sur le terrain. La réalité du terrain avec des manifestants armés de barres de fer, de coupe-coupe et de gourdins, et la plupart d’ailleurs, c’est des drogués, l’aurait justifiée. Mais puisque nous voulions éviter des bavures, nous avons préféré battre en retraite quand la situation l’exigeait. Donc, c’est tout faux de penser que la police a échoué dans cette intervention, bien au contraire, la police a réussi par la meilleure des manières cette opération.
Nous étions dans une situation de guet-apens. Une meute de manifestants, peut-être 2 à 3 mille, s’est ruée vers nous avec des briques et la violence était telle qu’il fallait user de subterfuges pour dégager rapidement surtout que l’un de nos pickups s’était embourbé. Vous connaissez bien le côté sablonneux de Téfess et Dieu a fait que par extraordinaire, le chauffeur que je félicite au passage, a pu sortir le véhicule en crabotant et en dégageant en trombe. Nous étions dans une situation où on aurait pu, et la législation nous donnait ce droit, utiliser nos armes pour sécuriser nos hommes et les biens de l’Etat, mais nous ne l’avons pas fait. Nous avons préféré dégager en trombe pour nous extirper de ce lot-là afin de revenir en force pour pouvoir contenir les manifestants. Donc quand on dit que la manifestation a été un échec du côté de la police, c’est tout faux. Et nous n’avons pas minimisé le dispositif sécuritaire, nous l’avons au contraire articulé, arrimée sur les renseignements que nous avions eu l’avant-veille et sur la détermination des autres par rapport à cette affaire. Ce qui a par contre envenimé la situation, c’est cette campagne d’intoxication qui a été rondement menée par les dissidents qui ont fait croire à ces jeunes-là que l’Etat du Sénégal avait un projet d’implanter sur le site une usine de fabrique de farine de poisson. C’est tout faux, c’est un quai, un projet de 6 milliards dont 3 milliards à Joal et 3 milliards à Mbour.
Comment se fait-il qu’avec 150 hommes, la foule ait pu vous repousser ?
C’est très normal. Il fallait dégager les barricades installées par les manifestants sur cette zone très peuplée. C’est un lieu sensible et il fallait maintenir cette position et contenir les manifestants dans leur quartier. Il fallait les contenir dans leur lieu naturel pour qu’il n’y ait pas de débordement et c’est ce que nous avons réussi. Ils se sont attaqués à la mutuelle de Téfess. Mais ce n’est pas un bien d’Etat, c’est leur mutuelle à eux et ils l’ont incendiée. Toutefois, nous avons réussi à extirper le responsable de la mutuelle, le personnel, l’argent et toute la documentation importante.
A un certain moment, la police a été dépassée par les évènements. Vos hommes ont même lancé des grenades lacrymogènes devant la porte du district sanitaire et arrêté deux vigiles du centre…
J’ai oublié de vous parler du centre de santé de Téfess qui loge toujours à la rue Sana Dafé. C’est une rue sensible et nous n’avons jamais lancé de grenades dans le centre de santé. A la devanture peut-être, mais pas dans le centre. Et ce sont des dégâts collatéraux que ces manifestations peuvent causer, si je prends en compte les cimetières et la pharmacie, à plus forte raison les malades. Donc c’est de la désinformation de dire que la police a lancé une grenade lacrymogène dans le centre de santé. Et pour les vigiles qui ont été arrêtés, c’est vous qui m’informez. Les personnes arrêtées sont des gens qui font partie intégrante de cette manifestation. Maintenant s’il y a des vigiles qui ont été appréhendés, c’est parce qu’ils n’étaient pas à leur poste. Et d’ailleurs, parmi ceux qui ont été arrêtés, il y a des personnes qui ont été relâchées. Il y en a qui ont été arrêtés parce qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment.
Au total combien de personnes ont été interpellées ?
Il y a eu 15 et 11 ont été déférés au parquet
Y a-t-il des blessés dans les rangs de la police
Oui il y en a eu, mais cela fait partie du métier. Même moi j’ai été blessé au tibia. C’est normal car nous sommes habitués à ces genres de situation
Les renseignements avaient-ils alerté suffisamment sur le danger ?
Oui, le dernier bulletin que j’ai reçu a parlé déjà d’une bonne frange des populations qui n’était pas d’accord pour l’implantation de ce quai de pêche. Mais il y avait déjà une campagne d’intoxication qui faisait état de la mise sur place d’une usine de fabrication de farine de poisson. C’est normal que quand la population entend cela, elle devienne hostile parce que l’odeur que dégagent ces types d’usine et les conséquences environnementales et sanitaires engendrées font que ceux qui ont entretenu la rumeur-là savent exactement ce qu’ils ont fait.
Avez-vous déjà connu une telle situation ? Quel est le moral des troupes ?
Cela fait partie de notre vécu quotidien. Nous avons vécu pire car c’est le travail du policier. C’est normal. Parfois, on rencontre des situations difficiles, parfois etDieu merci, car cela nous renforce pour notre expérience et sur notre expertise. Le moral est au beau fixe. La preuve, on a travaillé durant la nuit et aujourd’hui, le même dispositif a été remis. Au moment où je vous parle, le commissariat a été mis en zone d’exclusion le temps de déferrer ces 11 personnes. Au niveau du tribunal aussi, il y a deux camions des éléments du GMI pour sécuriser les magistrats et ceux qui y travaillent avec tout le matériel.Nous sommes disposés à agir à la hauteur de la détermination des personnes qu’on aura en face de nous.