GOXUMBAC, ENTRE HISTOIRE, TRADITIONS ET DÉFIS MODERNES
De son appellation aux multiples interprétations à son rôle dans l’histoire migratoire du Sénégal, ce quartier de pêcheurs niché sur la Langue de Barbarie à Saint-Louis, Goxumbac incarne un riche patrimoine oral et social.

Quartier de pêcheurs, situé sur la Langue de Barbarie à Saint-Louis, Goxumbac est à la fois symbole d’histoire et de l’émigration irrégulière. Interpellés sur l’origine de l’appellation de la localité, les avis divergent. Chacun y va avec la version du récit qu’il a hérité de ses ancêtres.
« Le nom de Goxumbac vient de la déformation de l’expression wolof « Goxu macc » (zone de parades militaires). Parce qu’à l’époque, les militaires français et de l’Afrique occidentale française (Aof), qui logeaient à côté du camp Abbé Boilat, venaient faire leurs parades ici. Donc, les populations l’ont surnommé « Goxu macc », narre Ndèye Fall, dite Aïssatou, une des filles du 2e chef de quartier de Goxumbac, Oubaydad Fall.
Cependant, pour la signification du terme « mbac », les interprétations divergent de celle de Ndèye Fall. Selon certaines oralités, elle renvoie à l’expression wolof « bathie » qui veut dire « laver » et faisant allusion aux lavandières sur les berges du fleuve.bPour les autres gardiens de la tradition au sein de ce village, « mbac » signifie « Baag », c’est-à-dire de grands récipients que les maures utilisaient pour sécher les peaux de moutons après la Tabaski. On retrouve encore ces derniers, tout au long de la plage, sise juste à côté de l’Institut islamique de Goxumbac. Rencontrée dans sa demeure, Ndèye Fall, une maure de teint noir, drapée dans une « meulfeu » bleue, reste gardienne de sa tradition. Dans la demeure, tout rappelle la Mauritanie : un salon oriental, de grandes théières, des oreillers qui rappellent la couleur du salon campent le décor.
Maman, comme l’appelle affectueusement tout le monde dans la maison, explique que ses grands-parents étaient parmi les premiers habitants de Goxumbac. À l’époque, c’était presque une forêt et les gens quittaient Guet Ndar pour venir cultiver leurs champs le matin et rentrer le soir. « Nous, les maures, sommes les fondateurs de ce village. Avant, les habitants apercevaient de loin la mer, mais aujourd’hui, à cause de l’avancée de la mer, les maisons sont au bord de l’eau », explique-t-elle avec fierté.
Un lieu de relogement pour les habitants de Guet-Ndar
La fille d’Oubaydad indique qu’auparavant Goxumbac était un quartier très salubre. « L’un des quartiers les plus propres de Saint-Louis », répète-t-elle. Le sable était blanc et fin. C’était un refuge pour beaucoup de religieux qui s’isolaient ici pour des moments de retraite spirituelle. C’était très calme. « Pendant l’hivernage, on ne voyait même pas de moustiques. C’est avec les lotissements vers les années 1974, qu’ils ont délocalisé les habitants de Guet-Ndar pour les reloger ici. Et cela s’est passé sous la gouvernance de Thierno Birahim Ndao et du maire de Saint-Louis, André Guillabert », rapporte Ndèye Fall.
Si Thierno Birahim Ndao a tenu à délocaliser les habitants de Guet-Ndar à Goxumbac, c’est parce que, rapporte Ibrahima Fall, trouvé sur la plage en train de défaire ses filets en compagnie des autres vieux du quartier, il y avait à l’époque une maladie infectieuse. « C’était dans le souci d’éviter la contamination et la recrudescence de certaines maladies cutanées qu’il l’a fait et depuis lors, on a remarqué que la situation sanitaire des populations s’est améliorée », fait-il savoir.
La particularité de Goxumbac, c’est aussi ses « penc » (grand-places) implantés tout au long de la plage. « En tant que pêcheurs, toute notre vie, c’est dans la mer. C’est pourquoi, une fois à la retraite, nous installons ces « penc » pour nous réunir et surveiller nos enfants qui vont en mer. Nos maisons ne sont que des dortoirs », explique le vieux Fall.Par contre, Goxumbac comme tous les villages pêcheurs de la Langue de Barbarie a son lot de contraintes et de paradoxes. Cette presqu’île, ceinturée par le fleuve et la mer, est une contrée de pêcheurs aujourd’hui surpeuplée.
Elle est dépourvue de certaines infrastructures socio-économiques telles un marché, une zone de stockage de produits halieutiques. « Nous n’avons pas un endroit où nous pouvons aller acheter ou vendre nos produits halieutiques. C’est pourquoi, nous sommes obligés de bazarder nos produits une fois à quai pour éviter qu’ils ne pourrissent entre nos mains. On n’a pas de grossistes à Goxumbac. Nous allons toujours au marché, au centre-ville pour avoir tout ce dont on a besoin. Or, on a suffisamment d’espaces vides dans la zone », se désole Oumar Wade, habitant de Goxumbac.
Au-delà, notre interlocuteur renseigne que leurs soucis ont augmenté avec la découverte du pétrole et du gaz au large des côtes sénégalo-mauritaniennes. Car, ils n’arrivent plus à accéder à certaines zones. En fait, cette localité fait face au champ gazier Grand Tortue Ahmeyim (Gta). De là, on aperçoit les engins et une flamme qui laisse échapper une ligne de fumée noire à des kilomètres dans le ciel.