«IL N’Y A JAMAIS EU DE DIVISION ENTRE MUSULMANS CHIITES ET SUNNITES AU SENEGAL»
Son Eminence Cheikh Abdel Monem El-Zein, Chef suprême de la très puissante communauté chiite libanaise au Sénégal, a choisi « Le Témoin » quotidien pour sa première sortie médiatique à travers une interview inédite et exclusive.

Agé de 78 ans, Son Eminence Cheikh Abdel Monem El-Zein est le Khalife général des Ahlul-Bayt (Chiites) au Sénégal et Chef supérieur de la communauté libanaise. Sénégalais d’origine libanaise né à Yater (Liban), Cheikh Abdel Monem El-Zein est un savant religieux doublé d’un grand universitaire. Après son baccalauréat en série littéraire, il a fait ses études académiques et religieuses à l’Université AL Azhar (Liban) avant d’obtenir des diplômes en Hautes études religieuses à l’Université de Najaf en Irak. Il est également titulaire de plusieurs décorations au Sénégal : Chevalier de l’Ordre National du Lion, Officier de l’Ordre National du Lion et Commandeur de l’Ordre National du Lion. Discret et effacé de nature, Son Eminence Cheikh Abdel Monem El-Zein, Chef suprême de la très puissante communauté chiite libanaise au Sénégal, a choisi « Le Témoin » quotidien pour sa première sortie médiatique à travers une interview inédite et exclusive.
Le Témoin : Eminence, quand et comment se sont installés les premiers Libanais au Sénégal ?
Cheikh Abdel Monem El-Zein : D’abord, pour commencer, permettez-moi encore de formuler des prières pour les personnes décédées dans les tragiques accidents de Kaffrine et de Louga. Je profite de cette douloureuse circonstance pour présenter mes condoléances à leurs familles et à l’ensemble du peuple sénégalais. Et surtout au président de la République Macky Sall.
Pour revenir à votre question, il est bon de préciser que le Liban est un pays d’émigration par excellence. En effet, la diaspora libanaise est composée de différentes vagues voire de générations éparpillées à travers le monde depuis le début c’est-à dire plus de 300 ans. Les Libanais ont commencé à partir en Amérique du Sud et en Argentine avant l’Europe et le reste du monde. En France, les premiers émigrés libanais se sont installés à Marseille pour un temps ou pour toujours. Et comme Marseille abritait le port colonial de l’Afrique occidentale française (Aof), certains Libanais ont profité du trafic maritime pour tenter de rallier les Etats Unis d’Amérique (Usa). C’est ainsi que des premiers Libanais de Marseille ont contacté des réseaux de passeurs marins pour la traversée vers les Etats Unis d’Amérique afin d’y émigrer. Embarqués à bord des navires de fret, les quelques dizaines de Libanais désirant se rendre aux Usa ont été malheureusement débarqués au port de Dakar par des marins marseillais véreux qui leur ont fait croire qu’ils étaient arrivés à bon port c’est-à-dire aux Usa. A leur grande surprise, les passagers libanais, croyant être en terre américaine, ont constaté qu’il n’y avait aucun de leurs parents « américains » à l’accueil au port. Après coup, ils se sont rendus à l’évidence d’avoir échoué au port Dakar, et non au port de New-York. D’autres avaient été débarqués au port de Conakry. C’est à travers ces voyages de l’arnaque que les premiers émigrés libanais se sont installés à Dakar et à Conakry en provenance de Marseille par le biais des marins français. C’était en 1880.
A défaut de rallier les Usa, certains parmi ces Libanais étaient obligés de rester à Dakar la mort dans l’âme, les autres sont allés à Kaolack et Saint-Louis. Dans ces trois grandes villes du Sénégal, ils ont ouvert des comptoirs commerciaux très prospères aux cotés des Français grâce au négoce de l’arachide. Puis, ils ont commencé à s’activer dans la quincaillerie, la vente de médicaments pharmaceutiques, de matelas etc. Le Sénégal a été toujours un pays de Téranga car les migrants libanais ont été tellement bien accueillis qu’ils ne voulaient finalement plus partir aux Usa ! Même leurs associés ou employés sénégalais aidaient les migrants libanais à épargner davantage, eux qui étaient forcés à quitter leur pays d’origine à cause de la crise. Dès qu’ils ont commencé à faire fortune, d’autres Libano-syriens en attente à Marseille dans des conditions précaires les ont rejoints. Par vagues ou par générations jusqu’à préférer le Sénégal comme leur terre natale. Un pays de paix, de stabilité politique et économique qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde. En effet, les premiers migrants libano-syriens qui ont débarqué vraisemblablement au port de Dakar, comme principale porte d’entrée de la colonie française, ont connu des succès économiques qui ont permis la venue de nouveaux migrants libanais jusqu’à nos jours.
De quelle génération de migrants libanais fait partie Son Eminence Cheikh Abdel Monem El-Zein ?
Je suis de la 5e génération de Sénégalais d’origine libanaise. C’est en 1969 que je suis arrivé au Sénégal. Je suis Sénégalais à part entière issu des dernières générations de Libanais dont les arrières parents, parents, enfants et petits-fils sont nés et ont grandi au Sénégal. Ensuite morts et enterrés au Sénégal que nous aimons et adorons plus que le Liban.
On constate qu’on ne parle jamais d’immigrés libanais sans y associer les Syriens. D’où l’appellation «libano-syriens» ou « syro-libanais »… Pourquoi ?
Une question pertinente ! Mais permettez-moi de préciser qu’on parle plutôt de « libano-syriens » et non « syro-libanais » car les syriens faisaient partie du peuple libanais. Comme les Gambiens qui faisaient partie du peuple sénégalais avant d’être séparés par les colonisateurs. D’où « sénégalo-gambiens » par exemple ! Vous savez, lorsque les premiers migrants libanais sont arrivés au Sénégal, le Liban n’existait pas ! C’était une grande région, presque un continent, que l’on appelait Damas ou Cham regroupant la Syrie, le Liban, la Jordanie, Israël, la Palestine, le Sinaï, la Turquie etc. Arrivés au Sénégal, personne ne pouvait distinguer les Libanais des Syriens appartenant au même peuple. Le nom « libano-syrien » est venu de là ! D’ailleurs, à l’époque, on avait crée au Sénégal une organisation sociale dénommée : Association Libano-syrienne tandis que, dans la région dite Cham, la première institution crée en 1943, c’était la Banque centrale de la Syrie et du Liban. Après l’indépendance du Liban, cette banque est devenue la Banque du Liban en 1963 basée à Beyrouth dont le rôle est entre autres de gérer la livre libanaise, de maintenir la stabilité monétaire et de garantir la solidité du secteur bancaire. Juste pour préciser que le Liban et la Syrie ont formé tout au long de leur histoire un seul peuple, un seul pays. Nos arrières grands parents ont migré ensemble au Sénégal jusqu’à devenir des Sénégalais avant de travailler, de vivre et de mourir au pays de la Téranga.
Que diriez-vous à ceux qui disent que Son Eminence Cheikh Abdel Monem El-Zein serait un personnage mystérieux c’est-à-dire impénétrable, extrêmement caché ?
(Rires) Non, je ne suis pas un homme mystérieux ! Par contre, je suis un homme qui n’aime pas la publicité. L’ensemble de mes projets, de mes œuvres sociales et mes réalisations d’utilité publique dans tous les domaines font mon marketing. Il est vrai que je préfère être discret et effacé. Parce qu’en matière de justice sociale, l’Islam recommande la règle de la discrétion. Pour preuve, l’Institution islamique sociale située à Dakar, dont je suis le président, intervient dans les domaines social et éducatif depuis plus de 50 ans. Rien que la construction des 36 écoles implantées sur l’ensemble du territoire national atteste les immenses projets et réalisations de l’Institution islamique sociale libanaise dans le but d’accompagner l’Etat dans sa politique sociale et éducative. J’ai également construit plusieurs mosquées à travers le Sénégal où de nombreux musulmans effectuent quotidiennement les cinq prières. Sans oublier le dispensaire situé à la rue Amadou Assane Ndoye ouvert en 1979 et inauguré par l’ancien ministre de la Santé, feu Mamadou Diop. Et l’ancien président de l’Assemblée nationale Moustapha Niass, un ami de très longue date, est le président d’honneur de l’Institution islamique sociale depuis plus de 35 ans. En dehors d’un médecin résident au dispensaire, nous en avons cinq autres permanents. De même que des infirmiers, sages-femmes et autres agents de santé. Chaque année, des millions de patients dont la majorité écrasante sont des Sénégalais bon teint bénéficient des consultations et autres soins médicaux gratuits au niveau du dispensaire de l’Institution islamique sociale de Dakar. En dehors de Dakar-Plateau, les malades viennent de partout pour se faire consulter et soigner. Donc, l’Institution intervient dans tous les domaines pour venir en aide aux personnes en détresse sociale ou sanitaire.
Justement, restons dans le domaine social ! Il y a un an, « Le Témoin » quotidien avait révélé le mariage princier célébré à Istanbul (Turquie) entre deux familles libanaises de Dakar et Abidjan avec des dépenses faramineuses estimées à plus de deux (2) milliards Cfa. Quelle lecture faites-vous d’un tel gaspillage dans un pays extrêmement pauvre comme le Sénégal puisque la famille d’un des mariés est originaire de ce pays ?
En ma qualité de lecteur assidu du quotidien « Le Témoin », j’ai effectivement lu cette édition relative à ce mariage dont j’ignore sincèrement les tenants et les aboutissants. Seulement, en ma qualité d’Islamologue et à mon avis personnel, l’Islam comme toutes les autres religions interdit tout gaspillage et tout excès. Parce que le gaspillage est le fait de dépenser sans profit divin ou économique. Par précaution, toute forme de gaspillage, aussi insignifiant qu’il paraît, est interdit par l’Islam. Et je profite de l’occasion pour rappeler que l’Islam a déjà instauré un système permettant d’effacer les péchés en accomplissant des œuvres et actions humanitaires telles que l’aumône, la zakat, le don etc. Parce que l’homme est un humain avant qu’il ne soit musulman ou chrétien. C’est dans ce cadre que j’ai fait créer également l’association des femmes libanaises dénommée « Al Houda » visant à aider et soutenir les personnes démunies et vulnérables à savoir les orphelins, les veuves, les sans emplois, les malades confrontés à des problèmes de santé, de loyers, de chômage, de scolarité des enfants etc. Allez demander les nombreuses actions humanitaires de « Al Houda », vous verrez que les Sénégalais sont les plus grands bénéficiaires aux cotés des sénégalo-libanais. Donc Al Houda est une association d’aide et d’entraide pour le Sénégal et pour les Sénégalais, toutes couches sociales confondues. Parce que, on constate que la crise sociale a atteint toutes les communautés pour ne pas dire l’ensemble de la société sénégalaise. Face à cette situation, de nombreux Sénégalais et Libanais « goorgorlous » sollicitent des aides auprès de l’Institution islamique sociale. Vous savez, je n’aime pas dire Sénégalais d’une part et Libanais d’autre part car nous sommes tous des sénégalais à part entière, c’est juste pour faciliter la compréhension des lecteurs afin de leur faire comprendre que la crise sociale n’a épargné personne !
Qu’est-ce qui explique la division voire l’éternelle guerre entre Sunnites et Chiites dans le monde alors que vous êtes tous des musulmans qui se dirigent vers la Kaaba pour prier ?
Ah, encore une excellence question qui me donne l’occasion d’apporter des précisions et des éclairages ! En tout cas au Sénégal, il n’y a aucune différence, aucune division entre Sunnites et Chiites. Nous sommes tous des musulmans qui prions vers la même direction : La Kaaba ! Nous avons le même Prophète Mohamed (Psl), les mêmes versets du Saint Coran, faisons les mêmes cinq prières de l’Islam, appliquons les mêmes recommandations de Dieu etc. Donc, il n’y a aucun problème entre Sunnites et Chiites du Sénégal.
Moi Cheikh Abdel Monem El-Zein, Khalife général des Ahlul-Bayt et Chef supérieur de la communauté libanaise, en tant que Chiite, j’ai commencé mes études dans une école chrétienne. Ensuite j’ai fait mes études secondaires dans une école sunnite, puis des études supérieures dans différentes universités sunnites, chiites, chrétiennes etc…
Et lorsque j’ai crée la communauté musulmane chiite au Sénégal dans le but de promouvoir la tarikha « Al Bayt », je suis allé voir tous les khalifes généraux installés à Touba, Tivaouane, Ndiassane, Thiénaba, Yoff, Omarienne etc. afin de recueillir leurs bénédictions. Et surtout leur expliquer notre tarikha qui ne fait qu’élargir la communauté musulmane au Sénégal. Et tous les khalifes généraux sans exception ont souhaité la bienvenue à la tarikha « Al Bayt » avant de prier pour les Sénégalais de la communauté chiite regroupant aujourd’hui plus d’un million de fidèles. Tout cela pour vous préciser que les Libanais sunnites, chiites et chrétiens constituent une même communauté. Et vous n’êtes pas sans savoir que la communauté libanaise sunnite, c’est récent ! Cela n’a même pas fait 10 ans. Donc, j’ai été toujours le Chef supérieur de la communauté libanaise du Sénégal qui inclut les sunnites, les chiites et chrétiens. C’est moi qui m’occupais des mariages, des décès, des problèmes de ménage etc. Et pas plus tard qu’il y a deux semaines, j’ai célébré, en tant que khalife général des « Ahlul-Bayt » (Chiites), un mariage d’un couple libanais de la communauté sunnite. Parce que l’heureux époux est venu me rappeler que j’ai eu à célébrer le mariage de leurs parents à l’époque, donc il est question pour lui de perpétuer la tradition. Autrement dit, célébrer son mariage chez le Cheikh Abdel Monem El-Zein. Encore, c’est un exemple parmi d’autres qui illustre le brassage socioreligieux qui consolide les relations entre les Libanais chiites, sunnites et chrétiens tout en renforçant la cohésion sociale. L’organigramme de l’Institution islamique sociale prouve encore une fois, s’il en était besoin, la cohabitation et l’union sacrée entre chiites et sunnites ainsi que entre musulmans et chrétiens qui font le charme de notre pays à travers le monde.
Au niveau de l’Institution, mon vice-président est un Libanais sunnite. Il s’appelle Issam Omais. L’avocat de l’Institution est un sunnite ainsi que de nombreux travailleurs cadres et agents dont les uns sont Sénégalais et d’autres Libanais ou mourides, tidianes, layènes, chiites, sunnites etc. Vous ne verrez jamais une famille libanaise sans un couple mixte, toutes confréries ou tarikhas confondues. Tous ces chapitres de réalité palpable attestent qu’au Sénégal, musulmans, chrétiens, sunnites, chiites, tidianes, mourides, layènes, niassènes et autres cohabitent, depuis bien longtemps, en toute harmonie et symbiose offrant ainsi un exemple net du vivre-ensemble, de la tolérance, du respect de l’autre et du dialogue interreligieux et inter-confrérique. Si je me répète encore, c’est parce que je refuse de cautionner carrément la séparation et la division entre chiites et sunnites ! D’ailleurs, je suis en train de finir un livre intitulé : « Les Miracles du Coran ». Dans cet ouvrage, j’ai fait des réflexions et des éclairages très profonds sur ces questions.
Depuis des siècles, on nous parle de brassage entre nos communautés libanaises et sénégalaises. Alors que la face cachée de cette intégration se trouve dans le fait que les mariages mixtes sont extrêmement rares. Est-ce qu’il vous arrive de célébrer dans votre mosquée des mariages entre filles libanaises et jeunes Sénégalais bon teint ou vice versa ?
Ceux qui parlent de la rareté des mariages mixtes entre Sénégalais et Libanais ne connaissent pas la réalité ! Ou alors, ils n’habitent pas Dakar-Plateau abritant une forte communauté libanaise où beaucoup de Libanais ont épousé des Sénégalaises bon teint. Et vice versa ! Pendant des années, j’ai eu à célébrer des mariages entre les enfants de nos deux communautés.
On a souvent donné l’exemple du colonel Antoine Wardini qui est l’un des très rares sénégalais d’origine libanaise à intégrer l’Armée sénégalaise. Que diriez-vous aux jeunes sénégalo-libanais qui ne s’enrôlent pas dans l’Armée, la Police ou la Gendarmerie pour défendre leur patrie et servir leur Nation ?
Parce que vous ne connaissez que le colonel Antoine Wardini ! Il y avait aussi feu Fayez Bourgi qui faisait partie des officiers sénégalais d’origine libanaise. Il est vrai que, sur ce plan, ilssont rares, mais c’est une question de choix et de vocation. Car dans d’autres domaines comme la médecine, la pharmacie, le barreau (avocats), l’industrie etc., les Sénégalais d’origine libanaise défendent leur patrie économique et servent leur Nation à travers les hôpitaux, les juridictions etc…
Dans les années 90, des otages français retenus au Liban ont été libérés grâce à votre intermédiation sollicitée par l’alors ministre de l’Intérieur français Charles Pasqua. Pouvez-vous revenir sur cet épisode ?
Ah ! Je ne savais pas que « Le Témoin » quotidien était si bien renseigné pour connaitre mon implication dans cette affaire des otages français capturés au Liban. Quel triste et mauvais souvenir qu’à chaque fois qu’on me rappelle cet épisode ! Mais Alhamdouliha, je remercie le Bon Dieu de m’avoir aidé à faire libérer ces otages français (Ndlr : ilse lève et fouille dans ses archives pour nous montrer les images de la libération des otages. Sur les différentes coupures de journaux français, américains et libanais, on y voit la photo de Son Eminence Cheikh Abdel Monem El-Zein aux cotés des otages en route pour Paris). Vous voyez, toutes ces lettres de félicitations que les présidents et chefs de gouvernement du monde entier m’ont adressées à l’époque. C’était en 1988. Il est vrai qu’à l’époque, je faisais partie des hommes les plus influents dans le monde malgré ma modeste personne. Et cette influence religieuse et diplomatique m’a permis d’entamer d’intenses négociations jusqu’à faire libérer les otages français. Mais c’était en réalité le triomphe de la diplomatie sénégalaise ! Parce que, dans cette affaire, c’est le président de la République français d’alors, François Mitterrand, qui avait contacté le président de la République Abdou Diouf pour que j’aide et assiste la France dans les négociations visant à faire libérer treize (13) ressortissants français capturés au Liban. C’est dans ce cadre que le président Abdou Diouf m’avait contacté en m’autorisant officiellement à jouer la médiation dans cette affaire en tant que Sénégalais voire Sénégalais d’origine libanaise. Le président Diouf avait encore insisté en me demandant de m’occuper de cette affaire. Et quelques jours après, le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua avait débarqué à Dakar pour discuter avec moi sur l’affaire des otages dont la libération constituerait un impératif catégorique pour le président François Mitterrand. Dès le retour de Charles Pasqua à Paris, j’ai pris le premier vol pour rallier à mon tour la capitale française. Ensuite, je me suis rendu à Beyrouth pour y créer une équipe de trois personnes pour des négociations souterraines. Durant toutes les négociations, j’ai fait six (06) vols aller-retour Dakar-Paris-Beyrouth-Dakar. Au moment où les choses s’accéléraient positivement, le ministère français de l’Intérieur a commis une bourde diplomatique en envoyant à Beyrouth un diplomate français avec un faux passeport. Un espion ou un agent de renseignements ? Personne ne saurait vous le dire. Dès que j’ai été informé de la présence de cet individu au faux passeport, je me suis aussitôt retiré des négociations parce que je suis un homme sincère, véridique et pacifique qui n’aime pas le faux. Et je n’ai jamais voulu que ma personne soit impliquée dans des affaires louches. Informé de mon retrait, le ministre français de l’Intérieur Charles Pasqua s’est précipité pour venir nuitamment à Dakar afin de me supplier de reprendre les négociations. De même que le président Abdou Diouf puisque je parle sous son contrôle. Et comme je ne pouvais rien refuser à la diplomatie de mon pays, le Sénégal, j’ai repris les négociations. Pour ce faire, j’ai repris les navettes Dakar-Paris-Beyrouth-Paris tout en m’appuyant sur des canaux de communication discrets jusqu’à obtenir la la libération des otages français au Liban après plusieurs années de captivité. C’était au mois de mai 1988. Ce jour-là, je me suis rendu personnellement chez les ravisseurs pour prendre les otages afin de les conduire à mon hôtel, puis à l’aéroport de Beyrouth pour un embarquement immédiat pour Paris. Ce, comme l’attestent les journaux et photos où je faisais la Une. Nous y reviendrons un jour, « Le Témoin » et moi, car c’est toute une longue histoire pleine de non-dits !
Justement, Cheikh Abdel Monem ElZein a-t-il accompli l’un des cinq piliers de l’Islam c’est-à-dire le grand pèlerinage à La Mecque pour devenir Haj ?
(Rires) Vous avez parfaitement raison de poser cette question puisqu’il n’y a pas le titre « El Hadj » ajouté à mon nom. J’ai effectué 19 fois le grand pèlerinage à La Mecque qui est une obligation qui doit être accomplie au moins une fois dans la vie d’un musulman s’il en est capable. Donc si mon nom ne comporte pas le titre honorifique, « El Hadj », c’est parce que je n’aime pas la publicité. Certes, « El Hadj » est donné comme prénom à un musulman qui a accompli le Hajj c’est-à-dire le pèlerinage à La Mecque (Ndlr : El Hadj Abdel Monem El Zein par exemple). Mais, moi je préfère Cheikh Abdel Monem El Zein parce que je n’aime pas la publicité, je le répète ! (Rires).
Comment avez-vous vécu la pandémie du Covid19 à laquelle la communauté libanaise du Sénégal a payé un très lourd tribut ?
Avec tristesse et désolation ! Et je ne cesse jamais de prier et d’avoir une pensée sincère et pieuse pour nos parents et frères sénégalais emportés par cette tragique pandémie. « Le Témoin » quotidien a presque répondu à cette question pour avoir révélé que le Cheikh Abdel Monem El Zein faisait partie des premiers Sénégalais à choper le coronavirus. Il est vrai que la communauté libanaise a payé un lourd tribut à la pandémie. Un bilan macabre qui montre que, en temps normal comme en période de calamités voire de guerre, les Sénégalais que nous sommes vivent en toute solidarité et périssent ensemble dans l’épreuve et la dignité. Parce que nous n’avons où fuir car le Sénégal est notre chère patrie.
Comment et où avez-vous passé la fête de l’Aïd-el-Kébir ou Tabaski ? Quels sont les versets (préférence) que l’Imam Abdel Monem avait choisis lors de cette prière des deux rakas…
Comme la plupart des musulmans, je passe les fêtes religieuses en famille, ici, au Sénégal si je ne suis pas à La Mecque pour le petit Pèlerinage (Oumra) ou le grand pèlerinage (Hajj). Pour les versets, c’est une question de libre choix et de recommandation. Moi, je préfère toujours lors des grandes prières de fête religieuse les versets « Al Fatiya » et « Al-ikhlas » (Koul Houwa Lahou Ahad) où l’on parle de Dieu et des Qualités de Dieu.
Son Eminence Cheikh Abdel Monem ElZein est auteur de plusieurs ouvrages très volumineux. Comment parvenez-vous à écrire autant de livres ?
Oui, j’aime écrire et lire ! D’ailleurs, je suis en train d’achever un énième livre après la parution d’autres œuvres telles que « Sur la Puissance du Coran », « Lumières de la Maison du Prophète », « L’Islam, ma Doctrine et ma Loi », « La Voie des Croyants » , « Le Jeûne, Statuts et Rôle », « Karbala, la Terre du Martyre », « L’École d’Ahlul Bayt (Pse) », « Paroles et Actes », « Les Maux et les Péchés», « Les Repères Temporels » etc.. Vous savez, j’ai le temps pour travailler et le temps pour écrire. Chaque jour, je me lève à 04 heures du matin pour consacrer 03 heures à l’écriture. Et le weekend, à savoir le samedi et le dimanche, je fais presque 14 heures d’horloge devant l’ordinateur pour écrire.
Quel plat quotidien préférez-vous pour le déjeuner et le diner ?
Le thiéboudieune est sans conteste mon plat préféré. J’aime aussi trop les mangues de Pout et les papayes. Il m’arrive des fois d’aller jusque dans les vergers vers Thiès pour y acheter des mangues et des papayes.
Comment avez-vous suivi la Coupe du monde de football avec les Lions de la Téranga ?
Je ne suis pas trop passionné du football. Donc je ne regardais que les matches du Sénégal lors de cette Coupe du monde de Qatar. Ce qui m’a frappé, c’est de voir les supporters sénégalais et sénégalais d’origine libanaise célébrer ensemble dans les rues de Dakar les différentes victoires de nos Lions du football. Ces scènes de communion ponctuées par des klaxons, des sifflets, des cris de joie, des pétards, des danses et chansons à la gloire de nos vaillants « Ngaindé » attestent encore que le Sénégal de paix où il fait bon vivre en toute sportivité.