LE KUMPO, SYMBOLE D'UNE SYMBIOSE ETHNIQUE
Le masque reflète le brassage culturel, l’ouverture des groupes ethniques en Casamance. Les Mandingues et les Baïnouks se disputent la paternité de ces figures dotées de pouvoirs surnaturels aujourd’hui popularisées par les Diolas

Le village de Bourofaye Baïnouk bascule dans une ambiance joyeuse l’après-midi du samedi 8 août 2020. Dans la vaste cour d’une concession, des femmes, sous l’ombre des manguiers, chantent et dansent, d’autres se trémoussent entre les grandes marmites posées sur le brasier. La cause de cette ambiance, une fille du village est donnée en mariage à un homme originaire de Niamone. Le village entier est en fête. Mais, tout s’accélère dans la soirée. Les convives attentent les ballets des masques. C’est la tradition dans cette communauté. Peu avant le crépuscule, un masque, avec les languettes de feuille de rônier, déboule derrière un bosquet. C’est le « kumpo ». Sa tête est surmontée d’un bâton coiffé d’un arc. Il se dirige vers la maison de la jeune mariée. Jadis, la danse du « kumpo » n’était pas réservée aux cérémonies de mariage. C’est la preuve que cette communauté a adapté la vocation de ce masque en fonction des nouvelles réalités. La constance, c’est la beauté de la chorégraphie, la force surnaturelle qui habite le porteur. Lorsqu’il tourne et se retourne, les languettes de feuille de rônier décrivent des formes circulaires captivantes. On n’est pas moins fasciné par son équilibre lorsqu’il s’arrête en s’agenouillant et enchaîne d’autres rotations sous les vivats des femmes, des jeunes et des non-initiés. Ce masque ne sort pas n’importe comment et n’importe où. Du moins, c’était la règle. Mais, depuis quelques décennies, les conservateurs sont moins rigides. « Le « kumpo » est encore sacré même si, aujourd’hui, il fait des prestations lors des mariages, des festivités, comme pour accueillir un hôte », tempère Malamine Goudiaby, le manager de la troupe culturelle et artistique de Tabi, baptisée Gharlanto. Au fond, le « kumpo » sert à cimenter la vie en communauté chez les Diolas où il est plus popularisé. Ce groupe l’a emprunté aux Baïnouks.
De Tabi, dans le Kalounaye, à Niamone, beaucoup reconnaissent que le « kumpo » est un mot mandingue qui peut signifier « inconnu » ou l’ « énigme ». Lors de notre passage dans la capitale des Baïnouks, comme des historiens, nous avons recueilli d’autres versions et vocations et des récits. « Dans le Niamone, le « kumpo » n’est pas banalisé. Nous ne savons pas ce qui est derrière. La robe en feuille de rônier est posée à l’entrée de la forêt. C’est à partir de là qu’il partira pour rejoindre le village. Mais, avant sa sortie, le village est informé 24 heures à l’avance. Lorsque le « kumpo » sort, il faut savoir qu’il y a un problème dans le village. Il participe à l’éducation des enfants et au renforcement de la cohésion sociale », confie Bakary Diémé qui appartient à la famille des tradipraticiens du village de Niamone où le « kumpo » est vénéré. « En réalité, le « kumpo » est un masque baïnouk plus connu chez les Diolas qui l’ont rendu célèbre », revendique Lacomb Coly. Cette thèse est soutenue par les plus anciens.
Selon d’autres versions, le « kumpo » est apparu à la suite de la rencontre du « Nama » mandingue et du « Kossé » baïnouk. C’est par la suite qu’il a été vulgarisé dans le Fogny et le Kalounaye par les Diolas et aussi en pays Kharones, dans les îles. Au-delà de tout, le « kumpo », le « kankourang » et le « fambondi » sont des masques qui symbolisent la symbiose ethnique », pour reprendre la formule de l’historien Amadou Fall, spécialiste de la Casamance et vacataire à l’Université Assane Seck de Ziguinchor. Le partage des masques véhicule l’harmonie d’une vie commune dans la diversité. « Il faut le dire, actuellement, les groupes ethniques se partagent beaucoup de masques en Casamance, qu’il s’agisse du « kumpo », du « kankourang », ou encore du « fambondi », précise l’universitaire.
Tout le monde peut voir le « kumpo » qui reste un esprit au sein des communautés. Mais, les non-initiés doivent se tenir loin. Aujourd’hui, à part le village de Ouonk, dans le Kalounaye, la sortie du « kumpo » a son caractère sacré. Ce qui est immuable, c’est que le « kumpo » est une figure mythologique des ethnies mandingue, baïnouk et diola du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée-Bissau.