L’INTEGRATION DES PEUPLES AU SEIN DE LA CEDEAO DEMEURE UN DEFI MAJEUR
Mamadou Mignane Diouf, coordonnateur du forum social sénégalais, s’interroge sur l’incidence de la diversité linguistique dans l’espace communautaire ouest-africain et se demande si elle constitue un obstacle à l’intégration

L’on pourrait légitimement s’interroger sur l’incidence de la diversité linguistique dans l’espace communautaire ouest-africain et se demander si elle constitue un obstacle à l’intégration. Toutefois, « une telle perception relève d’une appréhension erronée, dans la mesure où elle tend à assimiler la pluralité des langues à une entrave, alors qu’elle constitue, au contraire, l’essence même des sociétés humaines », analyse Mamadou Mignane Diouf, coordonnateur du Forum Social Sénégalais.
Certes, l’humanité est une et indivisible, mais elle se distingue néanmoins par une mosaïque de cultures et d’idiomes qui façonnent son identité et son histoire.
Partout dans le monde, les communautés se définissent par leur langue. Même au sein d’un État, la coexistence de plusieurs idiomes est une réalité indéniable, certains bénéficiant d’un statut officiel, tandis que d’autres conservent un usage vernaculaire. Dans l’espace communautaire de la CEDEAO, « certaines langues transcendent les frontières étatiques et sont partagées par plusieurs peuples, à l’instar du mandingue, du peul, du soninké ou encore du wolof », précise M. Diouf.
Ainsi, loin d’entraver le processus d’intégration, « cette diversité linguistique s’impose comme un atout inestimable », soutient-il. Il serait illusoire de croire qu’une langue unique favoriserait davantage l’unité des peuples, car c’est bien cette pluralité qui constitue une richesse à préserver et à valoriser. Elle encourage les échanges interculturels et contribue à l’essor harmonieux des sociétés.
En outre, certaines langues nationales pourraient être érigées en vecteurs privilégiés de communication et d’échange au sein de l’espace CEDEAO. Illustrant son propos, M. Diouf affirme : « Le mandingue et le peul, par exemple, sont parlés dans une pluralité de pays, du Burkina Faso au Niger, en passant par le Mali, le Sénégal, la Gambie, le Nigeria, la Sierra Leone, la Guinée-Conakry et la Guinée-Bissau. Cette interconnexion linguistique atteste que la diversité ne saurait être perçue comme un facteur de division, mais bien comme un levier de rapprochement et de cohésion entre les peuples.»
DES ENTRAVES PERSISTANTES A LA LIBRE CIRCULATION
Cependant, en dépit de l’adoption par la CEDEAO d’un protocole garantissant la libre circulation des personnes et des biens, force est de constater que les populations continuent de se heurter à de multiples entraves dans leurs déplacements transfrontaliers. Ce constat, unanimement partagé par les observateurs, s’explique par divers facteurs.
En premier lieu, bien que les États membres aient signé et ratifié ce texte, « ils ne lui confèrent pas la primauté requise sur leurs législations nationales », souligne M. Diouf. Par conséquent, tant que ce protocole ne sera pas élevé au rang de norme contraignante, prévalant sur les législations souveraines des États, « il restera lettre morte, vidé de toute portée juridique », déplore-t-il.
En second lieu, les pratiques administratives aux postes frontaliers sont souvent marquées par un excès de zèle de la part des agents chargés du contrôle. « Ces comportements se traduisent par des tracasseries inutiles et favorisent la prolifération de pratiques illicites, contraignant parfois les voyageurs à s’acquitter de pots-devin pour franchir les frontières », regrette le coordonnateur du Forum Social Sénégalais. L’absence de mécanismes de contrôle rigoureux de ces abus ne fait qu’exacerber les difficultés auxquelles sont confrontées les populations.
Enfin, l’insécurité croissante aux frontières et la méfiance persistante entre certains États contribuent à la consolidation d’un climat de suspicion généralisée. Dans un contexte marqué par des tensions régionales récurrentes, « les forces de l’ordre adoptent parfois des postures excessivement restrictives, en totale contradiction avec les principes édictés par le protocole sur la libre circulation », s’indigne-t-il.
UN FREIN A L’INTEGRATION EFFECTIVE DES PEUPLES
En définitive, l’intégration des peuples au sein de la CEDEAO demeure un défi considérable. Ce ne sont pas les autorités politiques qui subissent ces entraves, mais bien les populations elles-mêmes. Qu’il s’agisse de commerçantes sénégalaises acheminant du poisson séché vers le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, ou encore de vendeuses maliennes écoulant du beurre de karité et des mangues au Sénégal, toutes sont confrontées à des lenteurs bureaucratiques et à des pratiques corruptives qui entravent leur activité économique. À cette situation s’ajoute une méconnaissance généralisée des droits fondamentaux garantis par la CEDEAO. Par ignorance, de nombreux citoyens se conforment aux exigences arbitraires de certains agents de contrôle et s’acquittent de paiements indus. Il n’est pas rare d’observer, dans les gares routières, des voyageurs contraints de verser des sommes injustifiées, faute d’informations sur la gratuité du passage aux frontières.
Ainsi, les entraves à la libre circulation des personnes et des biens trouvent leur origine dans une conjonction de plusieurs facteurs : la reconnaissance insuffisante du protocole par les États membres, les abus récurrents des agents en charge des contrôles frontaliers et le déficit d’information des citoyens. Ces obstacles, pris dans leur globalité, instaurent un climat d’incertitude et de défiance qui ralentit considérablement le processus d’intégration tant espéré au sein de la CEDEAO.