NATHALIE YAMB, NOUVELLE ÉGÉRIE CONTROVERSÉE DU "FRENCH-BASHING" EN AFRIQUE
Son expulsion de Côte d’Ivoire, où elle résidait depuis plus de dix ans, a braqué tous les projecteurs sur cette militante virulente qui a fait de la dénonciation du néo-colonialisme son cheval de bataille

Si l’objectif des autorités ivoiriennes était de réduire son influence, l’effet aura été pour le moins contre-productif. Depuis que Nathalie Yamb a été expulsée d’Abidjan, lundi 2 décembre, le milieu se réclamant d’un panafricanisme de combat est en ébullition. Très active sur les réseaux sociaux, la Suisso-Camerounaise, qui a fait de ses prises de positions anti-impérialistes tonitruantes une marque de fabrique, y a en effet gagné une aura renforcée.
Depuis son arrivée à Zurich, mardi 3 décembre, la militante du parti d’opposition Lider (Liberté et démocratie pour la République), proche de Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale et ancien ministre de l’Économie de Laurent Gbagbo, a d’ailleurs reçu une pluie de messages de soutien.
Parmi ces nombreux messages, celui de l’activiste Kemi Seba, qui avait lui aussi vu sa popularité grimper en flèche après avoir été expulsé du Sénégal, puis de Côte d’Ivoire. Le polémiste, rarement avare d’envolées lyriques, y juge notamment que l’expulsion de celle qu’il appelle sa « grande sœur » était « le prix à payer pour que notre peuple puisse être libéré ».
Porte-étendard
À en croire la militante et son entourage, ce sont d’ailleurs ses prises de position radicales qui lui ont valu d’être expulsée d’Abidjan, où elle réside depuis plus de dix ans. Mais si une partie de la galaxie anti-coloniale radicale porte aux nues celle qu’ils érigent désormais comme l’une de leurs nouvelles égéries, d’autres se montrent beaucoup plus circonspects, pointant le grand écart idéologique entre ses positions libérales, une certaine forme de souverainisme et le panafricanisme dont elle se réclame.
Certains n’ont d’ailleurs pas hésité à ressortir un tweet de Nathalie Yamb datant de 2017 dans lequel la pasionaria anticolonialiste affirmait que « le peuple de Côte d’Ivoire est composé de moutons tribalistes dirigés par des loups voleurs et manipulateurs ».
Pas de quoi écorner l’image de Nathalie Yamb auprès de ses soutiens ; au contraire. « Son discours d’activiste plaît à une partie de la jeunesse africaine, parce qu’il met en lumière la question centrale de la souveraineté des États africains, notamment vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Mais aussi parce que, conformément à la logique d’une époque dominée par les réseaux sociaux, il est parfois outrancier et excessif », juge l’essayiste camerounais Yann Gwet.
Une sémantique qu’elle a notamment déployée en octobre dernier, lors du sommet Russie-Afrique à Sotchi. Nathalie Yamb, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien, avait alors fait une intervention fort remarquée. « La France considère toujours le continent africain comme sa propriété. Nous voulons sortir du franc CFA, que Paris, avec la complicité de ses laquais africains, veut pérenniser sous l’appellation éco », a-t-elle notamment martelé.
« Nous voulons le démantèlement des bases militaires françaises qui ne servent qu’à permettre le pillage de nos ressources (…) et le maintien de dictateurs à la tête de nos États. » Un discours qui, selon elle, a « profondément dérangé les officiels et médias françafricains ».
Sur les réseaux sociaux, l’activiste loue d’ailleurs volontiers les mérites de la Russie, dont elle vante les « autorités décomplexées ». Elle a ainsi participé à un « séminaire de prospective sur l’Afrique » à Berlin, organisé par l’Association pour la recherche libre et la coopération internationale (AFRIC), un think tank pro-russe.
La militante peut notamment compter sur le soutien indéfectible des sankaristes burkinabè. Membre du Comité international du mémorial Thomas Sankara, elle y joue un « rôle déterminant » selon le secrétaire général du comité Luc Damiba.
Souvent présente au Burkina Faso, elle est proche de l’ancien président ghanéen Jerry Rawlings, président d’honneur du comité, dont elle est la porte-parole et l’envoyée spéciale. « Ils se connaissaient bien, avant même la création du comité », assure Luc Damiba. C’est d’ailleurs « lui qui l’a coopté », affirme-t-il.
Libéralisme économique et panafricanisme
Nathalie Yamb est née à Gränichen, près de Zurich, en juillet 1969. Contrainte à renoncer à la nationalité camerounaise – le Cameroun n’acceptant pas la double nationalité – , elle y a travaillé en tant que responsable de la communication pour une entreprise de transport maritime dans les années 2000.
Après un passage au Nigeria, elle s’installe en Côte d’Ivoire en 2007, où elle exerce en tant que manager au sein de la compagnie de téléphonie MTN, avant de s’impliquer en politique. Très proche de l’ancien ministre Mamadou Koulibaly, dont elle est la conseillère exécutive, elle a su se faire une place prépondérante au sein du Lider.
Cette omniprésence a participé de l’effacement de l’actuelle présidente du parti, Monique Gbekia. Ce qui a froissé certains proches de Mamadou Koulibaly, tels que Lancina Karamoko, un dissident du Lider qui a rejoint le RHDP du président Alassane Ouattara.
La militante entretiendrait également des relations tendues avec certains Camerounais intervenant dans la politique ivoirienne, dont Théophile Kouamouo, journaliste en France pour LeMedia et soutien de Laurent Gbagbo, Saïd Penda, qui se présente comme un « cyberactiviste » et compte parmi les proches du président ivoirien Alassane Ouattara, ou encore Franklin Nyamsi, fidèle de Guillaume Soro.
Ce dernier, philosophe d’origine camerounaise, a l’habitude de combattre, via des tribunes ou des publications sur les réseaux sociaux, les idées de Nathalie Yamb, une « sanguine » aux « critiques impitoyables », « capable d’aller très loin dans sa manière de caricaturer les personnes qu’elle attaque ».
Plus virulente que le candidat déclaré du Lider, Nathalie Yamb partage sa vision souverainiste. « Elle trouve en Mamadou Koulibaly quelqu’un qui lui donne une certaine cohérence », estime Franklin Nyamsi. « Nathalie Yamb a émergé dans [son] sillage, mais ce n’est pas une intellectuelle : c’est une militante », ajoute le philosophe, qui dénote une certaine « confusion » et un « côté un peu folklorique » dans ses prises de position. Un « manque de structuration idéologique », selon Franklin Nyamsi, pour qualifier la dichotomie entre les positions libérales défendues par Nathalie Yamb et le panafricanisme qu’elle affiche.
« Propos malveillants »
Malgré leurs différends, ce proche de Guillaume Soro a pourtant, lui aussi, exprimé son désaccord sur l’expulsion de Nathalie Yamb : « Paradoxalement, cette expulsion l’a rendue encore plus visible et attiré la compassion de tous les amoureux de la démocratie et de la liberté. »
Mamadou Koulibaly assure que le gouvernement reproche à sa conseillère de faire de la politique sans avoir la nationalité ivoirienne. À l’en croire, l’activiste se sentait « surveillée » depuis son retour de Sotchi. Elle se serait notamment inquiétée auprès de ses proches de l’installation d’une caméra de surveillance devant les locaux du Lider à Abidjan.
Mercredi, le porte-parole du gouvernement ivoirien Sidi Tiémoko Touré justifiait cette expulsion par les « propos malveillants » tenus par Nathalie Yamb au sujet de l’accident survenu entre deux hélicoptères de l’armée ivoirienne en marge de la visite d’Alassane Ouattara à Katiola, le 27 novembre. « Un motif suffisamment grave », pour justifier cette décision, selon les autorités.
Selon nos informations, ses documents administratifs ont été passés au crible par les policiers ivoiriens, qui ont découvert qu’elle n’avait pas de titre de séjour valide. Optimiste, la militante n’en a pas moins affirmé, mercredi, qu’elle se préparait à rentrer en Côte d’Ivoire dès 2020, « au lendemain de la victoire » de Mamadou Koulibaly.