NDIAROGNE, LE VILLAGE D'ANCIENS RÉFRACTAIRES À L'ISLAMISATION
Même si 170 ans après sa fondation par Samba Codou Niane, vers les années 1850, le village est peuplé maintenant à 100% de sérères musulmans. Ndiarogne a été créé suite à un refus de se soumettre à l’Islam

Le village de Ndiarogne, situé dans la contrée du Mbanj Fadjal, commune de Nguéniène, symbolise le refus que le peuple sérère opposait à toute idée d’islamisation forcée. Ce village a été fondé par Samba Codou Niane, vers les années 1850, suite à la mort de son père dans une guerre opposant le Bour Saloum à Maaba Diakhou Bâ. Ce dernier, sorti victorieux, voulait leur imposer l’Islam. Ces sérères ont quitté Saloum pour venir s’installer entre Joal et Fadjal.
Les Sérères étaient un peuple profondément animiste. Ils font partie des dernières ethnies à accepter l’islamisation. Avec l’arrivée de l’Islam au Sénégal par la vallée du Tekrur, beaucoup de royaumes ont été forcés à la pratique de cette religion avec la guerre sainte menée, par exemple, par El Hadji Oumar Tall et Maaba Diakhou Bâ. Ce dernier qui menait son djihad dans le centre du pays s’est, à plusieurs fois, confronté aux Sérères qui ne voulaient pas se convertir. Le village de Ndiarogne Wolof ,dans le Mbanj Fadjal, est l’un des symboles de la résistance armée du peuple sérère contre l’islamisation. Même si 170 ans après sa fondation par Samba Codou Niane, vers les années 1850, le village est peuplé maintenant à 100% de sérères musulmans. Ndiarogne a été créé suite à un refus de se soumettre à l’Islam.
Le village est situé à côté du baobab sacré de Fadjal sur la route entre Joal et Mbissel. Ndiarogne se trouve dans la commune de Nguéniène, département de Mbour. D’ailleurs, son chef du village, Ibrahima Ndiaye, indique que ce baobab est plus proche de Ndiarogne même si on l’attribue à Fadjal. Non loin de la route principale, c’est une piste sablonneuse qui mène à ce village cerné par une forêt de rôniers. La demeure du chef du village, Ibrahima Ndiaye, se trouve à l’autre bout du village. Sa concession est entourée de palissades réalisées avec des tiges de mil. Averti de notre visite par sa femme, le chef du village sort de son bâtiment en dur. Nous recevant avec la chaleur qu’on ne retrouve que dans ces villages, il nous invite à le suivre chez son oncle, Mamadou Niane, petit-fils du fondateur du village. Il admet que même en étant le chef du village, ce dernier a plus d’informations sur l’histoire de la localité et de son peuplement. Du haut de ses 50 ans, Ibrahima Ndiaye se dit relativement jeune pour évoquer ces sujets sans aviser son oncle. Il nous fait traverser la place publique où les jeunes, regroupés sous une hutte, conversent, assis sur de vieux troncs de rôniers.
Le chef du village nous installe sous un grand acacia, devant la maison de son oncle qui constitue la première habitation du village. Les premiers habitants de Ndiarogne sont des Sérères venus du Saloum qui ne voulaient pas être convertis de force par Maaba Diakhou Bâ. «Il y a eu une guerre entre Maaba Diakhou et le Bour Saloum. Cette bataille a été remportée par Maaba qui voulait obliger tous les habitants à se convertir à l’Islam. Nos ancêtres étaient des résistants Ceddos (guerriers animistes). Mon grand-père Samba Codou Niane a perdu son père, Ndiack Niane dans une bataille avec Maaba Diakhou Bâ. Ses fils ne voulaient pas se convertir à l’Islam et se sont exilés vers le Sine et ont marché jusqu’à Joal», explique M. Ndiaye qui a noté l’histoire de son village dans un vieux cahier. Arrivés à Joal, «et ne voulant dépendre de personne au risque de devoir quelque chose à autrui dans le futur», Samba Codou Niane et sa famille ont séjourné au bord de la plage refusant d’être hébergés par qui que ce soit. Selon le chef du village, après avoir passé plusieurs nuits à la plage, ils ont repéré le site de Ndiarogne, situé entre Fadjal et Fadiouth.
Arrivé avec une dizaine de ses frères, Samba Codou Niane a regroupé toute sa descendance à Ndiarogne. Il a su aussi protéger sa famille tout en poursuivant son mode de vie de Ceddo Sérère qu’il ne pouvait plus mener dans le Saloum, du fait de l’islamisation. «Notre village fait partie des plus anciens de la zone, mais nos ancêtres ont décidé de le protéger mystiquement. C’est pourquoi les nouveaux villages qui se sont installés au tour sont plus grands et plus ouverts à la modernité. On ne subissait aucune influence d’autorités étrangères. Même pour les projets d’infrastructures, les ancêtres proposaient qu’on les réalise à Fadjal, ce, rien que pour protéger la famille», confie le chef du village, Ibrahima Ndiaye.
Son oncle, actuel patriarche du village, Mamadou Niane, égrenant son chapelet acquiesce de la tête. Ce dernier confirme que c’est pour cela que jusqu’à une époque récente, le village n’était habité que par la descendance de Samba Codou Niane. Même les mariages externes à la communauté n’étaient pas permis. Selon les habitants qui vivent d’agriculture et d’élevage, c’est cette protection qui fait que le village de Ndiarogne exploite l’essentiel des terres de la zone.
Adhésion volontaire à l’Islam
Même si le fondateur du village fuyait l’islamisation, son fils Saliou Niane a décidé volontairement de se convertir à la religion musulmane avant sa mort. « Le premier chef du village, Saliou Niane, avait un ami qui faisait du commerce à Ngoyé Seko et a fini par s’installer là-bas. Il a été converti à l’Islam par un marabout de Thiamène de Tattaguine». Compte tenu des relations particulières qui liaient Saliou Niane à son ami, le fondateur du village a compris qu’il pouvait se convertir aussi car son ami était un homme juste qui ne s’engagerait pas dans cette voie s’il n’y voyait pas d’humanisme. «Il a demandé qu’on amène à Ndiarogne le marabout pour se convertir à l’Islam. En tant que responsable du village, il a invité tous ses frères et les membres de sa famille qui étaient sous sa responsabilité à se convertir à l’Islam. C’est ainsi que le village a accepté l’Islam à 100%», rappelle, avec une certaine fierté, le chef du village Ibrahima Niane. Il y voit un signe divin. Selon Ibrahima Ndiaye, le débit rapide, leur ancêtre Ndiack Niane est mort refusant de se convertir à l’Islam, son fils Samba Codou Niane s’est exilé au Sine pour ne pas se faire imposer cette religion, mais Dieu a voulu que Saliou Niane se soit converti volontairement. «Nos parents ceddos refusaient qu’on leur impose quoi que ce soit quitte à donner leur vie. Mais par la méthode douce, l’Islam a été accepté par eux et dans tout le Sine, le Saloum et le Baol», constate-t-il.
Malheureusement entre temps, Maaba Diakhou Bâ ne verra pas l’expansion de l’Islam dans le Sine parce qu’il a été tué par Bour Sine Coumba Ndofféne Famack Diouf, lors de la bataille de Somb en 1867. Du fait de cette islamisation, Ndiarogne, habités essentiellement de sérères, a commencé à adopter les mêmes pratiques que les musulmans. Avec ce nouveau mode de vie, l’appellation du village a évolué pour devenir Ndiarogne Wolof.