QUAND LE « NGANALE » DÉPOUILLE LE HAJJ DE SON SENS
En plus de tuer des bœufs et des moutons, les pèlerins procèdent à des remises de cadeaux énormes comme des tissus et des enveloppes d’argent sous le résonnement des voix des griots sous les tentes

Communément appelée «nganalé», la cérémonie traditionnelle de bienvenue des pèlerins de retour de La Mecque prend de plus en plus une tournure de «bamboula». En plus de tuer des bœufs et des moutons, les pèlerins procèdent à des remises de cadeaux énormes comme des tissus et des enveloppes d’argent sous le résonnement des voix des griots sous les tentes. Bref lors de ces «nganalé» qui prennent parfois des allures de mariage ou de baptême, ce sont les mondanités qui dominent le spirituel et le sacré. Si pour certains, le retour de la Mecque mérite toutes les fêtes, pour d’autres, le «nganalé» de nos jours n’est qu’une futilité qui ne cesse de générer des problèmes aux pèlerins qui n’ont pas les moyens. Quant au prêcheur à la radio Sud Fm, Oustaz Alioune Mbaye, l’Islam n’est pas contre le «nganalé» mais interdit le gaspillage. Non sans souligner que la nouvelle formule du nganalé, consistant à donner quelque chose pour attendre du pèlerin un cadeau en retour, c’est du commerce.
«NGANALE» : Le casse-tête des oujaj et leurs familles
E ffectuer le pèlerinage à La Mecque, le cinquième pilier de l’Islam, une obligatoire pour tout musulman qui en remplit les conditions, est devenu un véritable casse-tête pour nombre de candidats au Sénégal. En plus de la cherté du package (billet et séjour/prise en charge en Arabie Saoudite), le retour au pays, parmi les siens, ponctué de cérémonie grandiose, constitue un fardeau. Jadis, de retour du pèlerinage aux lieux saints de l’Islam, le pèlerin ou sa famille organise un réception sobre, dans la plus grande modestie ou discrétion, où les parents, amis, connaissances, voisins et autres gens venaient juste pour se procurer de l’eau de Zamzam et recueillir des prières de celui qui est absout de tous ses pêchés, conformément aux textes de l’Islam. Cependant, de nos jours, cette fête simple, communément appelée «nganalé» ou «ganalé» semble dévoyée. Cette cérémonie «traditionnelle» organisée par ou pour les pèlerins de retour de La Mecque est presque devenue un impératif à honorer… en grande pompe au Sénégal. Visites, prières, remises de cadeaux, louanges, le tout couronnés par des repas copieux accompagnés de boissons à distribuer aux invités et autres participants confortablement installées sur des chaises rangées sous des bâches et tentes dressées à cet effet rythment ainsi ces moments forts pour un pèlerin attendus avec impatience par les parents, amis et voisins.
LE HAJJ: D’UNE OBLIGATION RELIGIEUSE A UNE ASCENSION SOCIALE
«J’apprécie bien le «nganalé». C’est une très bonne chose car le retour de La Mecque doit être célébré», estime Babacar Senghor. Ce chauffeur de taxi rencontré à la Médina est d’avis que le pèlerin qui revient des lieux saints de l’Islam mérite «toutes les fêtes du monde». Ce qui fait ainsi que le «nganalé» est préparé en même temps que le «Hajj» pour ne pas passer «inaperçus», le Hajj étant devenu une ascension sociale ou presque. Pour Amy Sall, croisée sur l’Avenue Bourguiba, il n’y a rien de mal dans le «nganalé». «Quelqu’un qui revient de La Mecque doit faire un bon nganalé avec ses parents, ses voisins et ses amis. Il faut que tout le monde sache que tu es bien revenu», soutient la dame, la quarantaine révolue. Mieux, dit-elle, «nous aussi qui ne sommes pas encore partis à La Mecque, nous prions Allah d’y aller. Et, à notre retour, nous organiserons aussi un bon nganalé, comme tout le monde»
«NGANALE» AUX ALLURES D’UN BAPTEME OU D’UN MARIAGE
Toutefois, force est de constater que le «nganalé» au Sénégal est plus qu’un simple accueil d’un pèlerin. En plus des cadeaux, les femmes sont parées de leurs plus beaux habits, avec parfois des hôtesses. Parfois même on se croit à un baptême ou un mariage, avec les louanges des griots par-ci, les distributions de présents et même «défilés de mode» qui ne dit pas son nom quand il s’agit de pèlerine (Hadjaratou) par-là. C’est une lapalissade de dire que les charges et dépenses deviennent énormes, donnant l’air ou conduisant au gaspillage. Ce qui est interdit par l’Islam. C’est pourquoi même si certains de nos interlocuteurs apprécient bien le «nganalé», d’autres par contre trouvent qu’il n’est d’aucune importance. «Si ça ne dépendait que de moi, personne ne fera le nganalé. Ce n’est même pas important. D’ailleurs, si on est loin, le téléphone même suffit. Pas la peine de se déplacer. On peut juste appeler et s’enquérir de la situation du pèlerin, s’il est bien rentré», soutient Bineta Sarr rencontrée sur l’avenue Bourguiba. Cet homme aussi ne cache pas son inquiétude par rapport à la société sénégalaise. «Le nganalé au Sénégal est devenue une noce et une véritable démonstration de force. Ce que j’ai vu la semaine passée dans mon quartier est inacceptable. Une femme revenue de La Mecque a gratifié de tissus, de l’argent, des cadeaux, des enveloppes d’argents sa belle famille devant tout le monde. Et le griot était là pour relayer ce geste à haute voix», fustige Omar Keita. Pis, dit-il, «ce sont des futilités qui dépouillent le Hajj de son côté sacré et sacralisé».
DES CADEAUX SUPPOSÉS VENIR DE LA MECQUE, MAIS ACHETÉS DE DAKAR
Il faut dire que même si que c’est à La Mecque que les pèlerins effectuent le Hajj, pour la plupart des cas, les cadeaux sont achetés à Dakar. Au marché Tilène de la Médina, de l’encens, des tapis de prières, des chapelets, des caftans, des voiles et même du zamzam, bref tout ce dont les oujaj revenant de La Mecque ont besoin, font le décor de plusieurs cantines. Des boutiques spécialisées dans ce domaine ont fait le plein. Ici, l’ambiance est bon enfants, avec des va-et-vient incessants. Beaucoup de pèlerins achètent maintenant les cadeaux à offrir aux proches à Dakar, pour alléger les dépenses. Car les compagnies aériennes n’acceptant pas les surcharges de poids, n’autorisent que 23 kg (soute) plus un sac à main de 10 kg dans la cabine au départ et 2 fois 23 kg au retour en dehors du sac à main pour chaque oujaj. Le surplus de bagages n’étant convoyé que par fret qui n’arrive à Dakar qu’un mois après. Mieux, certains font même les achats avant de partir ou laissent le soin à leurs parents de le faire après leur départ. «C’est ma maman qui était partie à la Mecque. Quand elle partait, on lui a juste assuré sa prise en charge. Puisqu’elle est un peu âgée, on a préféré acheter les cadeaux ici pour ne pas la surcharger (avec des bagages) et les marchandises ici sont très abordables», a fait savoir Ousmane Ka. «A voir tout ce beau monde, inutile de se demander si ce commerce marche», a-t-il fait savoir. Un autre vendeur embouche la même trompette. «La vente se fait comme il faut. Les pèlerins viennent acheter des voiles/cols, des tapis de prière, du zamzam et tout. Au début du pèlerinage, il y a des gens qui venaient acheter, mais pas beaucoup. Mais, aujourd’hui, ça marche très bien», confie Naar Kawsara Fall. Il faut dire que le retour des pèlerins des lieux saints de l’Islam est une véritable fête pour les parents et amis, mais aussi une charge. Certaines personnes qui avaient donné de l’argent ou quelconque appui financier aux pèlerins attendent ainsi, en retour, des cadeaux à la dimension ou valeur de ce qu’il lui avait remis à son départ pour La Mecque. Et, les oujaj en sont conscients. Pour éviter d’être taxés de radins, ils rendent la pièce de la monnaie, allant parfois jusqu’à s’endetter pour exposer son rang social aux yeux de la société.
OUSTAZ ALIOUNE MBAYE, PRECHEUR A SUD FM «La nouvelle formule du nga- nalé… c’est du commerce»
«L’Islam n’est pas contre le nganalé. La religion musulmane aime quelqu’un qui honore une personne, surtout un hôte qui vient des lieux saint de l’Islam, chez le Prophète Muhammad (Psl), comme il est dit dans une sourate dans le Coran. «Celui qui croit en Dieu et en son prophète doit honorer son hôte surtout celui qui vient du saint, Muhammad (Psl)». Par contre, l’Islam est contre le gaspillage. Faire un «ziar» (aller saluer avec les honneurs dus à son nouveau statut, ndlr) à quelqu’un qui vient des lieux saints de l’Islam a même des bienfaits. On te donne de l’eau de Zamzam après un ziar ou on formule des prières à ton endroit, c’est tout simplement ça le sens du ziar. D’autres pratiques, par contre, n’en font pas partie. La nouvelle formule notée dans le nganalé, consistant à donner quelque chose à une personne au moment de son départ et attendre d’elle un cadeau au retour, soit un chapelet ou un voile, etc. c’est du commerce. En ce sens que si la personne ne donne rien on la traite de pingre. C’est du commerce, ce qui n’est pas accepté par la religion. Celui qui a les moyens d’organiser une cérémonie festive, la religion ne lui interdit pas de le faire. Par contre, s’endetter pour acheter des bœufs et autres tout en comptant sur des apports, cela entre dans le cadre de jeux d’échecs. Ce qui porte atteinte à tout le pèlerinage et au ziar».