TOUBA LUTTE TOUT HAUT CONTRE L’ANARCHIE
Occupation de la corniche de la Grande mosquée

Le khalife général des Mourides, Cheikh Sidy Makhtar, souhaite voir Touba avec ses plus beaux atours avant le prochain Magal. En ce sens, il a ordonné le déguerpissement des commerçants installés tout le long de la corniche. Les opérations doivent être effectuées avant le Magal prévu en novembre prochain. Du coup, les jours de ces commerçants établis sur la corniche sont comptés. L’inquiétude grandit chez les propriétaires de cantines qui espèrent le prolongement du délai.
La Grande mosquée de Touba est un joyau. Juchés au sommet de la ville, ses minarets scintillent et donnent à la capitale l’image d’une ville résolument tournée vers la modernité. Mais elle étouffe devant cette occupation anarchique qui rend moins attrayante sa corniche où se succèdent des cantines et des étals anarchiques. Cette situation pousse les autorités religieuses à exprimer leur colère.
Serigne Bass Abdou Khadre Mbacké, porte-parole du khalife général des Mourides, ne mâche pas ses mots pour décrire cette situation anachronique : «Le khalife général des Mourides a ordonné la destruction des cantines installées sur la corniche. Il a confié le travail aux agents municipaux de Touba, le maire en particulier, et le gouverneur de la région. Toute la corniche a été partagée et les commerçants y ont mis leurs cantines de manière anarchique. Les propriétaires de tables seront recasés, car il y a des places inoccupées dans les marchés. Les autres vendeurs à la sauvette seront déplacés dans d’autres lieux.» Sa sentence est sans appel : «Touba est méconnaissable actuellement avec cette occupation anarchique de la voie publique. Personne ne peut circuler comme il le souhaite dans cette ville. C’est devenu une véritable anarchie. On ne doit pas prendre comme prétexte que son fondateur l’a battue autour des concepts de solidarité et d’entraide pour que chacun fasse ce qu’il veut.»
Cheikh Bassirou Mbacké Abdou Khadre, porte-parole du khalife général des Mourides et président du Comité d’organisation du grand Magal de Touba, a fait cette sortie lors de la réunion consacrée aux préparatifs de cet événement majeur du calendrier musulman sénégalais.
La fatwa du khalife
Et les choses vont aller très vite. Le khalife général des Mourides a donné un ultimatum de 15 jours pour rendre à la corniche sa beauté d’antan. D’ailleurs, l’Administration territoriale n’a pas traîné pour exécuter le voeu du guide religieux. Aussitôt après cette sortie du porte-parole, le gouverneur de Diourbel a convoqué une réunion et les commerçants et autres personnes qui s’activaient au niveau de la corniche doivent quitter de leur gré le 5 octobre prochain. Après cette date, ils seront déguerpis de force. Aujourd’hui, la hantise de quitter ces lieux où ils ont élu leurs habitudes de vendeurs depuis plusieurs années ronge les commerçants qui ont peur du lendemain. Ndèye Fall, commerçante établie au niveau de cette corniche, ne cache pas ses états d’âme : «Je me suis installée ici à côté de la gare routière de Darou Mouhty depuis plusieurs années. J’ai fait des investissements avec cette cantine que j’ai construite. Maintenant, sans aucune préparation, on me demande de quitter. Ce sera très dur pour moi parce que je ne sais pas où est-ce que je serais redéployée.» En écho à ces préoccupations, le vieux Moustapha Ndiaye, vendeur de poulets, installé à la corniche Guédé, explique : «Je suis là depuis plusieurs années. C’est ici que je gagne avec mes activités ma dépense quotidienne. J’ai entendu à la radio la déclaration de Cheikh Bass disant que nous devons quitter les lieux. Je ne suis pas contre, mais ce qui m’inquiète, c’est le délai qui nous est imparti. Je ne sais où est-ce que je vais trouver une cantine et poursuivre mes activités. D’ailleurs, je m’interroge sur la mesure et son urgence. Je me rappelle, il y a de cela deux années, on nous avait demandé de reculer de quelques mètres. C’est ce que nous avions fait à l’époque et voilà qu’ils se lèvent encore pour demander de quitter les lieux. Ce sera dur pour nous. Nous demandons plus de compréhension parce que cette ville est une ville de solidarité et d’entraide. Les dirigeants actuels ne doivent jamais perdre de vue cette donne.» En tout cas, tous les commerçants sont hantés par le délai imparti pour être délogés. Sawrou Diaw, vendeur de poulets établi sur la corniche menant à la mosquée de Serigne Cheikh Saliou Mbacké, sollicite qu’un délai de grâce leur soit accordé jusqu’après le Magal. En revanche, Bassirou Niass applaudit des deux mains et espère que les autorités concrétiseront cette mesure «salutaire» : «C’est une mesure qui est venue trop tard.
Vous ne saviez pas les difficultés que nous rencontrions, nous autres chauffeurs, le temps du Magal pour conduire des passagers. Une véritable anarchie, des problèmes pour retrouver un lieu. Les gens s’implantent comme ils veulent ou le souhaitent. Ce que nous demandons, c’est que ceux qui ont pris la mesure ne reculent pas à cause de pressions.» Ce qui est loin d’être évident surtout à la veille du grand Magal de Touba qui attire des milliers de personnes.
Occupation anarchique
Aujourd’hui, la circulation à Touba est vraiment très chao tique, provoquée par l’accélération de la croissance spectaculaire de la démographie. Elle s’est développée autour de la mosquée dont la construction est achevée en 1963. Les signalisations spontanées à Touba se distinguent des signalisations publicitaires de type affiches sur panneaux ou enseignes de magasins. La mise en avant de l’activité par ce type de signalisation ne coûte rien au vendeur et permet de doper les ventes. On retrouve ces publicités «gratuites» partout à Touba. Ces affichages sont plus visibles au bord des routes, car les promoteurs profitent du trafic et d’une clientèle plus élargie. L’intensité de la circulation sur certaines voies incite également les vendeurs à venir aux alentours de la route. Depuis quelques décennies, le Sénégal a subi une croissance urbaine très rapide sans réussir à la comprendre pour la maîtriser. De ce fait, le phénomène d’urbanisation s’impose comme un jeu combiné de la croissance démographique, de l’accroissement des besoins d’espace par habitant et de l’évolution même de notre civilisation. En effet, Touba compte à elle seule plus de 30% de la population de la région de Diourbel, soit 753 mille 315 habitants. Cette forte concentration humaine, ajoutée à celle des entreprises, commerces, et autres activités, engendre des problèmes d’encombrement qui sont devenus alarmants dans la ville de Touba, un défaut quasi permanent de fluidité et ses conséquences qui en résultent, accrus par l’inadaptation des rues de la corniche dont les chaussées sont occupées par des cantines et des étals. Cette situation est agrémentée par une hausse vertigineuse que connaît le parc automobile. Touba se caractérise par une croissance très rapide de la population urbaine. Elle est due à plusieurs facteurs, notamment l’accroissement naturel qui résulte de la montée des naissances et de la réduction de la mortalité, un afflux des ruraux causé par un échec de développement rural et la puissance de l’attraction de la ville et le rôle de capitale économico-religieuse que joue Touba. Cette somme de potentialités fait de la ville un centre commercial très convoité par les commerçants qui y fructifient leur fortune. Même dans l’anarchie.
Cette localité fut fondée en 1888 par Mouhamed Ben Mouhamed Ben Abib Ben Allah, plus connu sous le nom de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Ce dernier était un grand ascète et un fervent sunnite. Dans beaucoup de ses Khassidas, il exprime sa foi inébranlable en Dieu et son envoyé Mohamed (Psl). D’ailleurs, c’est cette dévotion et cette soumission qui lui ont valu le titre de «Serviteur zélé du prophète», Khadim Rassoul. Malgré ses 753 mille 315 habitants (un chiffre controversée), Touba est toujours considérée, d’un point de vue administratif, comme une commune rurale, c’est-à-dire «un certain nombre de villages appartenant au même terroir, unis par une solidarité résultant notamment du voisinage, possédant des intérêts en commun et ensemble capables de trouver les ressources nécessaires à leur développement ». Celle-ci se nomme Touba Mosquée et compte officiellement 74 villages parmi lesquels celui de Touba Mosquée est le chef-lieu de communauté rurale. Du fait de cette situation géographique assez favorable, Touba Mosquée est devenue au fil des années un important carrefour commercial par lequel transitent beaucoup de marchandises provenant des villages environnantes, mais aussi des autres centres urbains du pays et même de la sous région. Elle couvre une superficie de 29 mille 995ha répartis en 13 principaux quartiers que sont : Darou Khoudoss, Gouye Mbind, Darou Miname, Touba Guédé, Touba Mosquée, Keur Niang, Khaira, Guédé Bousso, Samer, Darou Marnane, Ndame, Madyana, Dianatoul Mahwa et Touba Bagdad. Les mutations en cours dans la ville de Touba découlent de son urbanisation rapide et massive qui s’explique par plusieurs facteurs aussi déterminants les uns que les autres. D’une manière générale, on peut retenir qu’elle est essentiellement due à son attractivité que lui confèrent son statut d’autonomie, le fait qu’on y ait enterré Bamba et ses différents khalifes généraux et les nombreuses infrastructures modernes qui y sont réalisées.
Explosion démographique
Par ailleurs, cette évolution s’est traduite par une remarquable croissance démographique et spatiale. En effet, entre 1958 et 1988, sa population est passée de 2 124 habitants à 125 mille 127 habitants, soit un taux de croissance de 14,5% par an durant 30 ans. Et cette croissance ne faiblit pas, car entre 1988 et 1998, ce taux est passé à 19% environ. En 2005, la population de la ville était de 1 million 060 mille 462 habitants avec un taux de croissance de 31,3%. Cette remarquable croissance démographique s’explique largement par les migrations vers la ville. En effet, Touba, du fait de son statut de ville religieuse et de son autonomie, attire de plus en plus des populations mourides venues des localités environnantes, mais aussi des autres centres urbains du pays. Dans la ville, des parcelles d’habitation viabilisées sont gratuitement mises à la disposition des migrants par le khalife général et l’activité économique y est florissante. Ce qui ne fait que renforcer davantage son attractivité et susciter ainsi son peuplement. Sur le plan spatial, la surface bâtie de la ville est passée de 575 à 3 900ha entre 1970 et 1990, et en 1997 elle était de plus de 12 mille ha. Touba a donc connu une urbanisation rapide et massive qui ne lui a pourtant pas enlevé son exterritorialité. Ce statut s’est en effet élargi au fur et à mesure que s’agrandissait la ville. Cependant, cette urbanisation, même si elle a fait de Touba un cadre urbain moderne voire même une métropole, a aussi et surtout trahi le projet du fondateur de la ville. En d’autres termes, Touba, en s’urbanisant, est devenue une ville comme une autre avec des citoyens comme les autres. Ce qui est dans une large mesure contradictoire avec le projet initial de Bamba, clairement explicité dans Matlaboul Fawzeny.