«Le marché de la musique n’existe plus au Sénégal»
ENTRETIEN AVEC… DJIBY GUISSE, MEMBRE DES FRERES GUISSE

C’est vers les années 1995 que les trois frères se sont révélés au public. Avec le morceau Fama, le trio… phénoménal parvient à séduire les Sénégalais et même au-delà des frontières. Leur style folk, acoustique et les voix douces et suaves de Cheikh et Djiby, les deux chanteurs guitaristes ne laissent pas les mélomanes indifférents. Dans cet entretien, Djiby Guissé se prononce sur leur absence de la scène musicale sénégalaise, mais aussi il évoque les difficultés que traverse ce secteur. Préoccupés par la dégradation de la nature, ils organisent le Festival de l’Environnement. Une manière à eux de participer à la sensibilisation du peuple sur l’intérêt de sauvegarder la nature en mettant la musique au service du développement.
Grand-place : On ne voit plus Les Frères Guissé comme avant sur la scène musicale sénégalaise, qu’est-ce qui explique cette absence ?
Djiby GUISSE : Le paysage musical sénégalais a beaucoup changé. Au début, il y avait beaucoup d’espoir, parce que, au moins, il y avait un marché. Actuellement, on se rend compte qu’il n’y a plus de marché. On ne peut même pas écouler les Cd, les productions. Il est impossible de vendre au Sénégal encore moins d’organiser un concert parce que vous risquez de payer des taxes à plus de 40 % et c’est sur les recettes, ce n’est pas sur les bénéfices, ce qui n’est donc pas possible. C’est d’ailleurs pourquoi il y a autant de mécènes (rires). Alors, il n’est pas évident d’organiser des concerts ou de se produire.
Cela fait des années que les gens n’ont pas produit. Ils ne sortent pratiquement plus de productions, ils ne font que des singles. Il n’y a pas beaucoup de groupes qui sortent des albums. Nous, nous avons eu la chance de choisir très tôt une musique internationale, universelle que nous pouvons vendre à l’extérieur. Donc, pourquoi restez alors que nous avons des problèmes financiers. Alors nous partons à l’extérieur où nous sommes sollicités dans les festivals à travers le monde. Nous y allons et faisons notre travail.
Le plus dur, ce n’est pas d’avoir une musique et de jouer à trois, le plus dur c’est d’avoir une musique originale qui se vend à l’étranger. Al Hamdoulilah ! Nous sommes à l’extérieur, mais en même temps, nous essayons d’avoir un pied au Sénégal pour régulariser le milieu.
Nous nous produisons au Sénégal, mais nous faisons beaucoup de privé ici, notamment dans les cocktails, les dîners gala et plein d’autres manifestations. On ne se produit pas beaucoup en cabaret, mais en privé et à l’extérieur comme au Canada. C’est la raison pour laquelle, les gens ne nous voient pas souvent.
Les artistes s’investissent de plus en plus dans le folk, votre genre musical, comment trouvez-vous cela?
Cela est très bien. Nous cherchions une voie, nous l’avons trouvée et qu’ils soient des nouveaux ou d’anciens artistes, d’autres s’y adonnent. Parmi nos aînés il y a Omar Pène et Youssou Ndour qui font de l’acoustique, ce qui est très bien. Ce qui nous intéresse, c’est de faire une musique capable d’apporter quelque chose à la musique sénégalaise et nous sommes en train de le réussir. Si les gens choisissent cette musique, nous leur disons bienvenue à bord.
À quand le prochain album des Frères Guissé ?
Avant la fin de l’année. Cela me manque surtout que cela nous permet de retrouver nos amis. Ce sont des retrouvailles pour des amis, des connaissances. C’est un soutien aussi. Beaucoup de gens viennent non pas pour la musique, mais pour la relation qu’ils ont avec les Frères Guissé et la relation qui s’est tissée entre eux en venant nous regarder jouer. Mais nous tenons à le faire avant la fin de l’année.
Vous organisez chaque année ce festival de l’environnement, qu’est-ce qui lie les Frères Guissé à l’environnement ?
Quand nous avions cet âge-là, (l’entretien s’est déroulé au Parc de Hann à l’occasion du festival de l’Environnement et des enfants d’environ 7 ans jouaient à côté), nous venions jouer ici. Nous avons grandi ici. Personnellement, j’ai écrit la majorité de mes thèmes dans ce parc. C’est ici que j’ai appris la guitare. Donc, nous devons quelque chose au parc. Ça, c’est la première raison. La seconde, c’est que ce parc est le seul poumon vert à Dakar. On est pollué. La baie est polluée, c’est dangereux. Nous mangeons des fruits de mer qui viennent d’ici. Bref, c’est un problème de santé. Nous sommes des natifs de Hann, nous avons grandi ici, notre maison est à deux cents mètres d’ici.
Étant donné que nous sommes des acteurs du développement et des porteurs de voix, nous sommes préoccupés par la dégradation qui avance. Aussi, nous allons partout à travers le monde. C’est pourquoi, Les Frères Guissé se sont dit qu’il faut s’investir et faire quelque chose pour le parc. C’est la musique au service du développement, c’est la musique au secours du développement, mais aussi on essaie de sauver notre culture. Car la culture sénégalaise est en train de partir, la musique sénégalaise commence à perdre sa forme et il faut lutter pour sa survie. Et ce sont les acteurs culturels qui luttent pour ça, mais ils ne sont pas compris. Il leur faut du soutien, la musique doit être accompagnée parce que c’est la seule chose qui nous reste. Avec elle, nous pouvons aller loin. C’est le seul aspect qui n’est pas encore exploité par l’extérieur et il faut la sauvegarder.
Quels sont vos projets?
On s’apprête à aller au Canada. Nous avons des albums à sortir. Nous avons un album international et un album local. Nous venons d’enregistrer une trentaine de morceaux. Aussi, il y a un clip vidéo que nous avons donné et qui commence à passer sur les chaînes de télévision. La nouveauté, c’est la sortie prochaine de nos deux albums. C’est un album international et un album national et c’est pour bientôt. Nous avons déjà attaqué avec un clip vidéo et, dans deux semaines, nous allons sortir un autre.
Y aura-t-il des concerts ?
Des concerts sont prévus. On s’apprête à aller au Canada. Comme d’habitude, chaque mois de juin, nous allons au Canada ; et cette année également, nous sommes sur le point de repartir. Nous mettrons l’accent sur la sortie de nos albums. Nous ferons aussi des tournées à l’étranger.
Revenons-en au festival. C’est vous qui l’organisez, mais qui finance cela ?
Jusqu’à présent, ce festival se fait sur fonds propres. Tout vient des Frères Guissé. Voyez la programmation, ils y a tous les artistes dedans. (Joignant l’acte à la parole, il cite les noms des artistes prestataires inscrits sur une fiche qu’il tient, Ndlr). Notre objectif, c’est de mettre la culture au service de l’environnement. Nous sommes des acteurs du développement et nous voulons jouer notre rôle, même si nous ne sommes pas bien compris, même si nous ne sommes pas soutenus. Parce que le Sénégal, c’est à nous -et à personne d’autre- de le changer. Que les gens prennent des initiatives et que les autorités managent les populations, les y accompagnent. Ils sont révolus ces moments où les gens disent que le gouvernement n’a rien fait alors qu’ils ne font rien, où ils attendent des emplois de la part du gouvernement. Les emplois, il faut les créer, il faut agir et creuser.
Quelle est votre opinion sur le projet de loi portant sur l’interdiction du mécénat au Sénégal ?
Il y a des choses beaucoup plus importantes que le mécénat. Au contraire, ce qui développe la musique, c’est le mécénat. Les pays les plus grands sont développés parce qu’il y a le mécénat.
Pouvez-vous expliquer comment cela se passe ?
C’est-à-dire que quand une personne aide, elle est exonérée de taxes et autres fiscalités et cela marche. Par exemple, tu donnes 10 millions de francs, tu es exonéré de fiscalités. Les gens viennent et ils donnent et ainsi de suite. C’est comme ça que cela se passe au Etats-Unis et ailleurs. C’est cela que ces gens doivent au contraire creuser pour voir au lieu d’interdire le mécénat. Il n’y a rien qui soutient le mécénat. En outre, il y a des choses beaucoup plus importantes à débattre à l’Assemblée nationale.
Comme quoi par exemple ?
Il y a les détournements de fonds. Toute personne qui mange l’argent des Sénégalais doit aller en prison. En réalité, pour bouffer, les gens n’ont pas besoin d’être mécènes, parrains, marraines et autres. Mais non, on n’a pas besoin de l’être pour le faire. Alors, il faut laisser les choses comme ça. Encore une fois, ce n’est pas le mécénat qui fait bouffer de biens publics. Qu’est-ce qui pousse les gens à détourner, c’est là que les gens doivent creuser. La personne qui a proposé cette loi, vraiment qu’elle aille chercher ailleurs.