DES BASTIONS TOMBENT MAIS DES COMBATS DEMEURENT
CINQ ANS DE LA LOI SUR LA PARITE

Les femmes peuvent saluer les cinq premières années de l’application de la loi sur la parité. Elles siègent maintenant dans les prés carrés des hommes que sont l’Assemblée nationale et les collectivités locales. Mais il y a encore des luttes à mener pour que la victoire soit irreversible.
Au-delà de leur présence plus significative, elles sont désormais maires ou premières adjointes, présidente de l’Assemblée nationale ou vice-présidente. En effet, bien qu’on y ait toujours noté une présence symbolique des femmes, l’Assemblée nationale du Sénégal pouvait être considérée comme le bastion de la masculinité et jalouse de sa composition.
Il a fallu le vote de la loi n° 2010-11 du 28 mai 2010 instituant la parité absolue homme-femme «applicable au niveau de toutes les institutions totalement ou partiellement électives» (voir le décret d’application), pour que plus de 42% des membres (64/150) du Parlement sénégalais soient des voix féminines. La présence égalitaire ne pouvait pas être atteinte à cause de la nature du scrutin législatif caractérisé par des listes départementales non paritaires. Néanmoins, les organisations féminines ont applaudi une appli- cation de la loi.
Celle-ci a été délicate et difficile pour les partis et coalitions politiques. Des leaders politiques en sont même arrivés à vouloir remettre en cause la pertinence d’une telle loi, dans le contexte politique sénégalais marqué par «l’accaparement» des instances de décision par la junte masculine. Du coup, l’élection du bureau de l’Assemblée nationale a été le premier moment de violation de la loi.
En effet, le premier bureau du Parlement a été très majoritairement composé d’hommes. Des députés comme Aida Mbodj ne se sont pas gênés de faire la remarque au président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse. Elle a relevé le «paradoxe» qui consiste, pour les législateurs, à violer une loi qu’ils ont eux-mêmes votée.
Etant donné que le mandat dudit bureau est d’un an, on a vite fait de rectifier le tir l’année suivante. Toutefois, d’aucuns s’attendaient à plus d’initiatives et d’audace des femmes parlementaires. De telles attentes sont encore entières en ce sens que le minimum de propositions de loi agité est porté par des hommes.
Par ailleurs, la majorité des femmes participe à entretenir une «chambre d’enregistrement et d’applaudissements» des politiques de l’Exécutif. Elles ne se distinguent point dans le contrôle de l’action du gouvernement. La qualité en question
Si une frange des citoyens pense que l’Assemblée nationale a perdu de sa qualité à cause de la présence plus significative des femmes, le Président de l’institution, Moustapha Niasse, défend le contraire. Dans un livre-bilan réalisé par la sociologue Fatou Sarr Sow, il a salué l’apport de ses collègues dans «le rayonnement de la diplomatie parlementaire et dans les travaux des commissions et du bureau traditionnellement non- ouvert au public».
Toutefois, elles n’échappent pas au constat général selon lequel l’Assemblée nationale ne prend pas encore en charge les préoccupations du peuple. Pour les rendre plus entreprenantes, l’Observatoire national de la parité, un organe public, doit renforcer davantage les capacités des femmes parlementaires.
A défaut, elles vont légitimer des critiques d’une certaine opinion, du reste valables, pour hommes députés. Ces derniers qui sont bien représentés dans les autres cercles décisionnels par le biais des nominations, continuent de développer des formes de résistance.
Au lendemain de la dissolution du Sénat, le président de la République a créé le Conseil économique, social et environnemental. Pour éviter le piège de l’élection qui impose la parité, il a procédé à la nomination de tous les 150 membres de cette nouvelle institution.
Les frustrations féminines n’avaient pas manqué. Le seul bémol de leurs critiques a été la nomination d’une femme, en l’occurrence Aminata Tall, à la tête dudit conseil. Néanmoins, les organisations féminines disent avoir redoublé de vigilance.
Féminisation des collectivités locales
Grâce à l’Observatoire national de la parité, elles ont été représentées dans la Commission électorale nationale autonome (Cena). C’est ainsi qu’elles ont pris part au processus de révision du Code électoral lancé en perspective des élections locales de 2014. Après un report, ce scrutin a été tenu le 29 juin de cette année.
Les investitures sur les listes électorales étaient encore difficiles pour les partis et les coalitions politiques. Néanmoins, la loi sur la parité homme-femme a été respectée sauf dans la commune de Touba. Dans cette ville religieuse, une seule liste a été confectionnée, et ne comprenait pas de femme. Malgré les protestations des leaders féminins, l’Etat a fermé les yeux. Le sous-préfet de la circonscription administrative a déclaré recevable la liste du Khalife général des mourides.
L’organe de contrôle des élections, la Cena, n’a pu fléchir cette volonté des autorités religieuses de Touba. L’autre faiblesse a été qu’aucune organisation féminine locale n’a eu l’audace de déplorer une telle violation de la loi.C’est le président du groupe parlementaire majoritaire à l’Assemblée nationale, Moustapha Diakhaté, qui a osé relever que «la liste de Touba est illégale et devrait être invalidée».
Mieux, ce partisan du président de la République assume que l’autorité administrative et la justice ont «failli» par rapport à cet état de fait. Les femmes étaient sans interlocuteur. Certains leaders des partis estimaient qu’une telle démarche était «politiquement suicidaire au regard de l’importance de l’électorat mouride dans le pays».
La touche féminine dans les armées
Dans ce contexte, il a été encore observé une remise en question de la pertinence de la loi sur la parité. Selon plusieurs acteurs religieux et politiques, elle n’est pas adaptée à «nos réalités sociologiques et culturelles». Et l’organe de contrôle des élections a conforté cette thèse. Dans son rapport définitif sur les élections du 29 juin 2014, la Cena a recommandé une révision de ladite loi pour éviter de futures violations.
Toutefois, dans plus de 99% des collectivités locales, la parité a été appliquée. Elle a ainsi entrainé une présence massive des femmes dans les nouveaux conseils municipaux et départementaux.
Mieux, elle est jusque dans les bureaux municipaux et départementaux. Au total, 25.688 conseillers ont élus à l’issue de ces élections, tels que l’ont voulu les décrets n°2014-500 et n° 2014-501 du 10 avril 2014 qui fixent le nombre total de conseillers à élire pour chaque ville. Du coup, les femmes ne servent plus uniquement d’escaliers aux hommes, mais elles siègent désormais dans les instances de décisions locales.
Ces acquis politiques viennent s’ajouter à l’ouverture des corps militaires et paramilitaires aux femmes. L’Armée sénégalaise recrute 300 femmes chaque année, et ce depuis 2008. La Police et la Gendarmerie réservent des quotas de 50 places aux filles à chaque concours.
Après le service légal, les filles intègrent de plus en plus les corps paramilitaires. Ce qui fait qu’il est difficile de connaitre leur nombre global actuel dans ces différents corps, d’autant que les forces de défense refusent de publier leurs statistiques démographiques. Ce qui est visible est que la féminisation de la fonction publique est une réalité.