IL Y A UN DÉSÉQUILIBRE À CORRIGER"
MBALLO DIA THIAM, S.G SUTSAS

Les goulots d’étranglement, le secteur sénégalais de la santé en connaît. Et qui mieux qu’un syndicaliste pour en parler! Dans cet entretien accordé à Ouestaf News, dans le cadre de notre série sur les systèmes et politiques de santé en Afrique de l’ouest soutenue par la fondation Osiwa, Mballo Dia Thiam, secrétaire général du Syndicat unique des travailleurs de la Santé et de l’Action sociale (Sutsas), revisite les grandes questions d’un secteur malade de sa mauvaise gestion. Qu’il s’agisse du management interne des structures de santé ou de certaines incohérences de l’Etat, en butte à des difficultés financières persistantes.
Ouestafnews : quel est aujourd’hui l’état du système de santé sénégalais ?
Mballo Dia Thiam : aujourd’hui, malgré les progrès, ce système reste à parfaire. Nous avons vu que la capitale, Dakar, concentre l’essentiel des infrastructures, des ressources humaines et des équipements de grande performance techniques et technologiques. De ce point de vue donc, il y a un déséquilibre certain à corriger aux niveaux financier, matériel, du capital humain, etc. En tant que syndicat, le Sutsas tient à son rôle de sentinelle et ne manque jamais d’alerter.
Ouestafnews - L’Assemblée Nationale vient d’adopter nouvelle loi (NDLR : le 22 juin 2015) modifiant la loi du 2 mars 1998 portant réforme hospitalière au Sénégal, dans les détails, cela donne quoi à vos yeux
MDT : Le Sénégal a plus ou moins hérité d’un système colonial avec un Etat qui était en train de se bâtir (…). Plus de cinquante ans plus, tard, il y a eu beaucoup de progrès accomplis dans la lutte contre les grandes endémies qui ont caractérisé l’Afrique. Nous avons également assisté à la transformation des hôpitaux, qui constituent la vitrine du système, en Etablissements publics de santé ou EPS, grâce à la loi de 1998 portant réforme hospitalière, ceci pour autonomiser les structures de santé et les mettre en contact avec les outils et impératifs du management moderne…. L’objectif était d’équilibrer les comptes financiers des EPS dans deux dynamiques complémentaires : la performance dans les soins de qualité et la performance dans la gestion. A l’époque, un hôpital était géré par un directeur secondé par son gestionnaire pour ne pas dire son intendant, et à côté il y avait le médecin-chef et un surveillant général…
Ouestafnews : ce dispositif a changé ?
MDT : il a changé parce qu’il ne pouvait pas prospérer. En lieu et place, la réforme a créé un conseil d’administration qui délibère sur un budget alors qu’avant on parlait de ligne de crédits. Maintenant, le surveillant général est devenu un chef du service des soins infirmiers pour montrer que le focus est mis sur la qualité des soins. A la place de l’intendant, deux fonctions distinctes ont été mises en place : le chef du service administratif et financier qui est aussi un adjoint pour le directeur dans le projet d’établissement, d’une part, et le Trésor qui est désormais installé dans l’hôpital par l’intermédiaire d’un agent comptable particulier (ACP). Tout cela aboutit à une double tutelle : financière, celle du ministère de l’Economie et des Finances, et technique, celle du ministère de la Santé (…) et pour le contrôle, il y a la Cour des comptes…
Ouestafnews : Là, on parle de textes, d’orientations. Mais pour le contenu ?
MDT : à ce niveau, nous avons un gros problème parce que si l’hôpital doit disposer de subventions, celles-ci doivent couvrir les charges. L’Etat a la mission régalienne de soigner ses enfants, de les éduquer, d’assurer leur sécurité. Sous ce rapport, et quel que soit le degré d’autonomie des EPS, il est impossible à l’Etat de se dérober de telles responsabilités ou de se désengager. Les EPS sont la vitrine du système, comme dit plus haut. Mais en amont, en dehors de l’hôpital, il y a la périphérie avec en bas de la pyramide les postes de santé, les centres de santé.
Ouestafnews : Quels sont ces problèmes ?
MDT : le problème numéro un, c’est que les subventions ne couvrent pas les charges. En plus, elles ne sont pas allouées selon des critères pertinents. Les indices synthétiques d’activité appelés points ISA ne sont pas utilisés à cet effet. Pour disposer de cet indice, il faut recourir au système d’information médical, mais il y a peu d’hôpitaux qui font marcher ce système d’information. Ce sont des informations de type médical, économique, financier, etc. que l’on agrège pour déterminer le point indiciel. Et c’est à partir de ce point là que l’on doit faire les allocations ou subventions. En dehors du système d’information, l’Etat ne tient nullement compte des états financiers. Or, c’est à partir de ces états financiers qu’il est possible d’identifier les déficits, leurs origines, leur ampleur. Si c’est un déficit d’exploitation lié par exemple à une insuffisance de la subvention, l’Etat doit allouer une subvention d’équilibre car l’exercice consiste justement à équilibrer les comptes des hôpitaux.
Ouestafnews - ensuite, deuxième problème ?
MDT : En dehors des subventions, il y a les fonds de dotation qui sont les moyens financiers de la compétence transférée. Chaque jour, c’est des conflits entre les élus et les fonctionnaires sur la question. Les problèmes sont là, mais on n’arrive jamais à des arbitrages corrects. Autre difficulté, c’est le budget de la Santé. Même s’il évolue, c’est de manière parcimonieuse. Cette année aussi, malgré les discours et les promesses, on n’est pas encore à 11% du total national alors que 2015 devait être l’année où ce budget devait atteindre 15% du budget national avec une augmentation de 0,5% chaque année. Bien sûr, nous avons eu droit cette année à quelques milliards supplémentaires, mais en rapport avec le nouveau gabarit du département qui est devenu « Ministère de la Santé et de l’Action sociale », c’est minime. D’autant plus que l’Etat s’oriente vers des politiques de réduction des inégalités sociales, celles-là même qui expliquent le lancement de la Couverture maladie universelle (CMU). Ce qui demande des ressources supplémentaires car la question fondamentale est le préfinancement du système.
Ouestafnews - d’autant plus également que le principe de gratuité s’est greffé à ce système…
MDT : mais oui ! Il y a des dispositifs de gratuité, par exemple, pour les personnes âgées. Je veux parler du Plan Sésame. Or, vous avez vu que pour cette année, seuls 700 millions de francs Cfa ont été rajoutés au milliard de francs disponible. Or, il y a deux hôpitaux de la place qui prendront en charge l’essentiel des personnes âgées mais qui, à eux seuls, cumulent des impayés par l’Etat de 4 milliards de francs Cfa (Ndlr : Hôpital Principal et Hôpital Général de Grand-Yoff). Quand vous avez environ 650 000 personnes âgées comme cible, ce n’est pas évident.
Ouestafnews : Plan Sésame, Couverture maladie universelle… sont-ce des programmes viables ?
MDT : s’ils sont financés, ils sont viables ! Il y a plusieurs difficultés les concernant. La première, c’est qu’avec une enveloppe d’un milliard de francs CFA par an, on ne peut pas soigner 650 000 personnes, même pour des maladies mineures, alors que la cible, c’est-à-dire les personnes âgées, traîne le plus souvent des maladies chroniques, chères en prise en charge. A l’époque, si on faisait le partage de ce milliard, cela revenait à 1532 francs Cfa par personne et par an ! Deuxième difficulté, si vous auscultez de près ce milliard, c’est 700 millions de francs Cfa venant de l’Etat et 300 millions de l’Ipres (Ndlr : Institution de prévoyance retraite du Sénégal). Mais les 300 millions de l’Ipres sont presque gérés par l’Ipres elle-même ! En outre, pour lutter contre les fraudes, nous avons dit et répété qu’on ne peut développer un Plan Sésame sans la carte Sésame car c’est ce document qui permet de discriminer entre tous les postulants à ce programme. Ceux qui disposent déjà d’une couverture maladie ne doivent pas bénéficier du Plan Sésame. Vous pouvez avoir un fonctionnaire qui, ayant du mal à trouver une imputation budgétaire pour se soigner, y parvient avec une simple carte nationale d’identité.
Ouestafnews : il y a quand même des efforts qui ont été faits…
MDT : sans doute, des efforts ont été réellement accomplis, mais ils sont insuffisants par rapport aux besoins. Une autre difficulté à relever, c’est qu’aujourd’hui comme hier, il est nécessaire que les paquets de soins soient clairement définis et systématisés. Cela veut dire qu’on ne peut tout garantir à une personne éligible au Plan Sésame, il faut donc un paquet minimal de qualité de soins disponible et exigible pour tout ayant-droit…
Ouestafnews : par rapport au montant dégagé par l’Etat…
MDT : bien sûr. Maintenant, est-ce qu’on n’a pas dépassé ce stock de 650 000 personnes ? Je n’en sais rien. D’où le fait qu’on aurait dû faire un recensement préalable des bénéficiaires potentiels. Je rappelle que lorsque l’hôpital Le Dantec a débuté l’exécution du Plan Sésame, le budget qui avait été alloué pour six mois avait été consommé et épuisé en un mois !
Ouestafnews : ça doit être quoi exactement, le Plan Sésame ?
MDT : pour nous, il ne doit pas être un moyen d’endetter les hôpitaux, mais plutôt un outil (pour) assurer leur préfinancement. Le Plan Sésame doit être un pré-positionnement de moyens financiers pour nos hôpitaux.
Ouestafnews : il y a également le dispositif concernant les enfants de la tranche 0-5 ans…
MDT : nous sommes d’accord avec ce dispositif qui permet d’aider à la réduction de la mortalité maternelle et infantile en détournant les parents des moyens de fortune souvent dangereux pour faire tomber une fièvre ou guérir une diarrhée, par exemple. Et souvent, cela aboutit à compliquer la situation des enfants. Mais comme pour le Plan Sésame, cette initiative ne doit également concerner que les enfants de 0 à 5 ans qui ne disposent pas de couverture médicale. Si on exonère tout le monde sans faire de distinction entre l’enfant du riche et celui du pauvre, entre l’enfant du fonctionnaire qui dispose d’une couverture médicale et celui de l’agent du privé qui est couvert par sa société, on fait le lit d’autres inégalités. Donc, que ceux qui ont les moyens de payer paient, et que les autres soient aidés.
Ouestafnews : Ebola est passé chez nous, furtivement. Mais elle a été cruelle en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone. Qu’est-ce que cela a révélé pour des pays si fragiles comme les nôtres ?
MDT : la crise liée à l’épidémie de fièvre à virus Ebola a mis à nu… le dénuement de beaucoup de systèmes de santé. Elle a également révélé que le Sénégal est mieux loti que bon nombre de pays, il faut en convenir. La réponse qui a été imprimée a servi de leçon à tout le monde et a fait des émules, jusqu’aux Etats-Unis, avec le traitement du cas unique de ce jeune guinéen qui avait franchi nos frontières pour fuir son pays. Cependant, la menace Ebola reste encore réelle avec la réouverture des frontières entre le Sénégal et la Guinée, une recrudescence possible de nouveaux cas alors qu’un seul cas est déjà une épidémie. Quand Ebola installe ses quartiers généraux dans un pays quelconque, c’est la croix et la bannière pour l’en déloger. La preuve avec tout le tollé suscité par l’affaire de ce jeune guinéen ainsi que la mobilisation qui a dû être organisée jusqu’au plus haut sommet de l’Etat pour sortir de ce piège.