LA LITTÉRATURE EN APPOINT AU SEPT ART AFRICAIN
PARTENARIAT CINÉMA – LITTÉRATURE

Lors d’un conseil de ministre en décembre 2013, le chef de l’Etat Macky Sall nourrissait l’idée de voir les cinéastes africains adapter les œuvres de nos écrivains. Mais voilà. Pour faire un film, il faut un bon scénario original. Et celui-ci, fort heureusement peut être inspiré d’une œuvre littéraire. En Afrique, si les scénarios foisonnent, ils ne font pas souvent hélas appel à la littérature pourtant féconde. En effet, le dialogue cinéaste – romancier n’est pas encore enclenché. Malgré tout, le cocktail romancier cinéaste pourrait donner au septième art de véritables succès.
Scénario décousu, dialogue vide
Il y a quelques années, l’actrice et productrice ivoirienne Hanny Tchelly se désolait du fait que les productions africaines, dans leur grande majorité, se tournaient dans des villages ou cases délabrées avec des dialogues pauvres. Voulant tout faire, le cinéaste africain se retrouve producteur, réalisateur, cameraman, dialoguiste etc.
Conséquence, tout un travail qui devrait être celui d’une équipe donne le plus souvent ce que le public qualifie de "navet". Surtout que, dans la plupart des cas, tout part d’un scénario pauvre. Ce qui fait que les films africains ne procurent aucune émotion aux cinéphiles. A de rares exceptions près, les scénarii sont le plus souvent empruntés à nos contes populaires avec des dialogues insipides.
Et pourtant, la littérature africaine, si riche, peut inspirer nos cinéastes. Le Sénégal pays culturel par excellence s’y est essayé avec beaucoup de bonheur. Sembène Ousmane, un des pionniers du 7èeme art continental, a donné son premier coup de manivelle avec "Borom Sarrett" qui, dès le départ, pose la question des rapports texte- images. Suivra, dans la foulée, "Niayes", à la fois film et nouvelle tirée de "Vehi Ciosane".
Momar Thiam, également, empruntera la trame littéraire pour tourner "Sarzan", tiré d’un conte de Birago Diop. "La malle de Maka Kouli" du même Thiam, sera, encore une fois, emprunté au conteur Birago Diop. Momar Thiam, toujours fasciné par l’univers littéraire sénégalais, adaptera en 1970 "Karim", une œuvre littéraire du même nom d’Ousmane Socé Diop. "Kodou", d’après une nouvelle de Madame Annette Mbaye d’Erneville, fut adapté à l’écran en 1971 par Makharam Babacar Samb qui signait ainsi son premier long métrage.
Hors du Sénégal, des cinéastes ont fait jouer le partenariat cinéma-littérature à l’instar du Mauritanien Med Hondo avec les "Nègres marrons de la liberté", un film adapté d’une pièce de théâtre de l’Antillais Daniel Boukman. Son autre film "Sarraounia", selon le cinéaste, est inspiré du livre du Nigérien Abdoulaye Mamani alors qu’un autre emprunte aussi sa trame au genre romanesque avec "Lumière noire", un roman politique de l’écrivain français Didier Daeninckx.
Tout ceci montre les relations amoureuses que le cinéaste mauritanien entretient avec la littérature. Cette relation romancier - cinéaste, selon Med Hondo, peut être bénéfique au cinéma africain qui, disait- il, il y a quelques années, "doit s’ouvrir aux bons auteurs malgré les difficultés". Selon Med Hondo, la rareté des relations avec la littérature s’expliquerait pour deux raisons : le coût des droits d’édition qui sont très élevés ; ensuite, la diffusion des films africains qui s’effectue toujours de manière partielle. Ce qui ne saurait constituer, selon lui, une raison de se détourner des œuvres littéraires.
Seulement, précise- t- il, pour qu’une réelle collaboration entre les écrivains et les cinéastes s’instaure, il aurait fallu l’existence d’un véritable cinéma africain à vocation industrielle. Ce qui n’est malheureusement pas encore le cas ou tarderait à se mettre dans ce dynamisme.
La littérature en appoint
N’empêche, même si le cocktail romancier n’a pas encore donné des sujets explosifs, des raisons d’espérer demeurent comme en attestent les succès des cinéastes qui ont investi récemment la littérature pour y trouver des sujets qui peuvent faire bouger les cinéphiles africains.
Ainsi, en est –il de la production "Le Grotto" du réalisateur burkinabé Jacob Sou qui s’est inspiré de "Monsieur Thogo Gnini" de Bernard Dadié, du feuilleton sénégalais que l’on a tendance à oublier et qui fut un grand succès "Fann Océan", d’après un roman de Mamadou Seyni Mbengue, de "Hyènes" de Djibril Diop Mambéty tiré d’une pièce de théâtre de l’écrivain suisse Friedrich Durrematt, "La visite de la vieille dame" ; "Niiwam" d’après une nouvelle de Sembène Ousmane réalisé par son fils adoptif Clarence Delgado. "Ramata", un film de Léandre – Alain Beker, est une adaptation du roman d’Abass Ndione.
Le cinéaste et ancien ministre de la Culture du Mali Cheikh Oumar Sissokho a mis en boite "La grève des battu" de Madame Aminata Sow Fall. La jeune réalisatrice sénégalaise, Angèle Diabang est sur l’œuvre "Une si longue lettre" de Mariama Ba.
Cette filmographie de la littérature montre encore ce que ce domaine peut donner au septième art, surtout si les cinéastes investissent l’œuvre de la nouvelle génération d’écrivains africains aux productions fécondes, d’une puissante liberté de ton et d’intention.
L’autre problème du septième art africain se trouve être l’inexistence de scénaristes professionnels. L’écrivain Boubacar Boris Diop s’était investi dans ce domaine avec son scénario "Camp de Thiaroye", co- écrit avec le cinéaste Ben Diogoye Bèye et finalement complètement dénaturé. Le même Boris a participé au scénario de "Le prix du pardon", un film de Mansour Sora Wade tiré de l’œuvre de l’écrivain Bissane Ngom.
L’œuvre de Boubacar Boris Diop dont l’écriture adopte la trame cinématographique constitue une niche pour un cinéaste expérimenté. Boris comme aussi tant d’autres écrivains sénégalais dont Mme Aminata Sow Fall, Ken Bugul, Mamadou Samb ou encore Moumar Guèye.
Des trésors fabuleux existent ainsi dans la littérature africaine, il suffit de s’en emparer avant que d’autres ne le fassent. L’autre atout du continent, c’est comme le disait Jean René Débrix, qu’il possède quelques unes des plus fabuleuses richesses artistiques. Il possède également les plus beaux paysages du monde. Face à tout ce trésor, le continent peut faire rêver n’importe quel cinéaste avec son décor naturel. Il suffit juste d’oser et d’ouvrir les œuvres de nos romanciers pour y jeter un coup d’œil. Le succès pourrait ainsi être au rendez-vous.