LE DESERT CULTUREL AU CŒUR DE LA CITE
FAUTE DE SALLES DE SPECTACLE, D’ŒUVRES D’ART, DE THEATRE A L’HEURE DU NUMERIQUE

Une conférence d’un soir sur la mémoire et l’identité des villes africaines, le professeur Magaye Kassé a trouvé le mot juste en faisant le constat qu’une seule soirée ne saurait suffire pour traiter du sujet. Devant un Vieux Savané, un des premiers conférenciers du jour, nostalgique du Dakar colonial organisé et planifié autour de son centre et de la zone du Grand Dakar et un Baba Diop, surpris et heurté par le fait que dans la ville, ne reste plus une seule salle de cinéma, la centaine de participants à cette conférence sur «Patrimoines et identités culturelles» avait l’embarras du choix pour aborder un des nombreux thèmes et sous-thèmes évoqués ou non par la conférence. Vaste sujet susceptible d’être l’objet d’une thèse d’universités.
Du patrimoine bâti et matériel au patrimoine immatériel, il semble que la société africaine et ses villes ont fait le pari de l’oubli à tout ce qui touche aux archives. Lors de cette XV ème conférence de la Francophonie à Dakar, il a été beaucoup questions de Thiaroye, de son camp et de ses tirailleurs. Question de mémoire, mais aussi d’identité. Car Thiaroye est aussi une partie de l’histoire coloniale de la France ; mais également du Sénégal quoi qu’on veuille l’effacer.
Alors, les interrogations ont été nombreuses sur cette volonté et cette capacité à vouloir biffer de la mémoire, les traits de caractère de l’histoire sénégalaise. La place Kermel et les nombreuses menaces qui pèsent sur sa conservation ont sans nul doute été un sujet de choix évoqué par les deux conférenciers : Baba Diop et Vieux Savané. Avec le regard de l’homme de cinéma pour le premier, mais également du professeur et éditorialiste pour l’autre, ils ont été complémentaires et sous le signe de la finesse des mots et de la caractérisation de l’espace dit ville.
Sabotage, simple mépris de l’histoire urbanistique et architecturale de la cité, la question est posée par le Professeur Magaye Kassé, homme de culture et féru de cinéma. «Qui a créé véritablement la ville chez nous. Nos cités sont-elles pas pour l’essentiel, d’essence coloniale», se demande le professeur qui s’inquiète de l’anarchie qui semble être le trait de caractère quand vous allez vers ce qu’on appelle la banlieue vers Pikine, Guédiawaye.
La mémoire perdue, ce n’est pas seulement la ville qui est en question, mais nos pratiques même se désole Mademba Ndiaye, Journaliste et observateur de la cité. Le jeune saint louisien de l’époque n’a pas oublié que l’identité de son terroir à lui, était aussi dans la belle cuisine que préparait sa mère. Le patatou teugue a été une grosse question posée à l’assistance qui ne savait visiblement pas de quoi il s’agissait. Le partage de ce plat traditionnel dans le vieux Saint-Louis était un moment de bonheur, raconte Mademba Ndiaye, dont le regret a-t-il avoué est d’avoir constaté que dans sa propre famille, l’on ne savait plus faire une telle nourriture. Souvenirs d’une belle enfance, la cuisine des terroirs est aussi dans cet effort de retrouver nos identités.
Autre question, la disparition du Crédit Foncier, un vieil édifice du centre de Dakar qu’on aurait gagné à restaurer. S’ajoute à cette mémoire vivante de la vie urbaine sénégalaise, l’état des gares, au moment où le président Macky Sall veut aussi laisser ses tours nouvelles à la postérité. A Dakar, Kaolack, Thiès, Diourbel, Kaffrine et Tambacounda, ces gares sont presque à l’abandon. Pas de restauration ni de nettoyage à la peinture. D’ailleurs, combien sont-elles les gardes en service aujourd’hui au Sénégal ?
A coté des lignes de chemin de fer, toutes les villes souffrent d’un manque criant de salles de cinéma, de conférence, de théâtre. Dans les régions, plus de salles. Et Dakar n’est pas mieux lotie. Car de Magic en passant par Vog, Plaza, jusqu’au dernier vestige détruit « Le Paris», tout a été rasé. Au mépris de la mémoire.