Pour 25 francs, tu épouses une femme !
REPORTAGE A CAMBERENE TAKUU NDEUSS CHEZ LES LAYENNES

Le mariage a toujours été le sacrement de l’union de deux êtres animées par l’amour. Même si les procédures divergent selon les religions, les appartenances ethniques, cultures et sociales, l’objectif reste le même : deux personnes qui légalisent leur union devant Dieu et les hommes. Chez les Layènes, la coutume veut que toute fille, dès sa naissance, soit dans les liens du mariage. Ainsi, le jour du baptême, la famille de la fille choisit un homme qui peut être soit le cousin de l’épouse ou juste un proche de la famille. Le mariage est donc officialisé en présence d’un imam. Le Taku Ndeuss - comme on le dénomme chez cette communauté - devient alors une forme de mariage qui permet aux femmes d’avoir un conjoint et de se marier dès qu’elles en ont l’âge. Mais, ces époux ont-ils la liberté de renoncer à cette union ? Ne deviennent-ils pas prisonniers d’une tradition qui date d’avant leur naissance ?
En marge de la célébration de la 1 33ème édition de l’Appel de Seydina Limamoulaye, Grand-Place a fait un détour dans le village de Cambérène. Ainsi, des notables et des jeunes du quartier se sont prêtés à nos questions. Reportage.
Très ancrée dans leur tradition, la communauté Layène ne rejette certes pas le modernisme, mais se veut une société très conservatrice. Il suffit d’une promenade dans ce quartier pour s’en apercevoir. Le constat est là : des maisons qui s’ouvrent les unes sur les autres. Des endroits où il est formellement interdit de s’habiller en pantalon, encore moins en mini-jupe. Bon nombre de traditions qui ne facilitent pas l’intégration des étrangers. Mais ceci n’était nullement notre cas, car nous avons été reçue avec beaucoup d’hospitalité. Cette forme de mariage, communément dénommé «takuu ndeuss» en wolof, est l’une des traditions fortes recommandées par Seydina Limaloulaye.
Mais, de nos jours, la pratique a tendance à disparaître, nous dit, d’emblée, un vieux du quartier. «Il a toujours été de coutume, que nos filles aient un époux dès la naissance. Une dot est alors versée par la famille du mari à celle de la fille. De notre temps, cette dot s’élevait à 25 francs. Les deux jeunes sont alors unis par les liens sacrés du mariage et se comportent comme des fiancés. Maintenant, s’ils deviennent adultes, ils ont le loisir de rester ensemble ou de se séparer selon leurs convenances. S’ils optent pour la séparation, il est nécessaire de restituer la dot à l’homme et de sceller la séparation », explique ce notable du quartier.
Pour lui, cette pratique a été instituée dans le but de raffermir les liens de cousinage ou de bon voisinage dans cette communauté ; mais également de lutter contre le libertinage, un phénomène qui fait ravage. Car actuellement, les femmes ne parviennent pas à trouver un mari. Elles arrivent jusqu’à l’âge adulte et atteignent même parfois la ménopause sans parvenir à se marier à un homme. Et cela malgré qu’elles aient une très bonne situation professionnelle et financière. «Ne dit-on pas chez nous qu’une femme, malgré sa richesse, n’a rien si elle n’est pas dans les liens sacrés du mariage ? Grâce à cette tradition layène, la femme a la possibilité de trouver corde à son cou dès qu’elle est en âge de se marier», soutient notre interlocuteur.
Même son de cloche chez cet autre notable qui trouve dommage l’abandon de cette pratique. «Les jeunes d’aujourd’hui ne respectent plus rien. Ils n’en font qu’à leur tête. Raison pour laquelle ils ont tous les problèmes du monde pour vivre heureux. De nos jours, ils vous parlent d’amour, de relation avant de s’unir. Pire, ils se marient n’importe où et n’importe comment. On ne cherche plus à savoir d’où vous venez, encore moins qui vous êtes. Et on ne prend plus conseil auprès des aînés. Le résultat est là. Ils se marient aujourd’hui et divorcent demain», déplore Pa Faye.
CONFLIT DE GENERATIONS - Quand la modernité prend le dessus sur le choix des parents
À chaque génération sa manière de voir et de faire. Souvent considérés comme une jeunesse rebelle par les vieux, les jeunes ont une vision bien différente de celle des anciens. Un conflit de génération survient alors et chacun essaye de tirer de son côté. De l’avis Maïmouna, une jeune fille du quartier, le monde a simplement évolué. «Nous sommes au 21ème siècle. L’époque est révolue où les parents choisissent pour leur enfant. Je n’arrive pas à comprendre comment on peut tracer la vie de quelqu’un qui vient à peine de naître. Toute personne a le droit de mener son existence comme bon lui semble et cela sans contrainte morale et encore moins physique. On ne choisit pas la personne qu’on aime. Le cœur a ses raisons que la raison ignore, c’est ma façon de voir les choses», peste-t-elle.
Papi, quant à lui, affirme qu’il a eu à vivre cette forme de mariage. Dès qu’on lui pose la question, il nous répond d’un air comique : «J’ai été marié à la fille du meilleur ami de mon papa. Quand la fille voulait se marier, son père m’a appelé personnellement au téléphone pour me demander si je comptais toujours épouser ma fiancée. Etant conscient du fait que je n’étais pas encore prêt pour un mariage, j’ai décidé de ne pas la retenir. Sur ce, elle s’est mariée avec un autre. Je ne voulais en aucune manière lui faire perdre du temps. C’est un fait qui est là, même si, nous la jeune génération, ne lui accordons pas beaucoup d’intérêt», explique le jeune homme.
Autre quartier, autres rencontres, autres histoires. Et celle d’Aminta n’est pas aussi simple. Mariée à son cousin depuis sa naissance, elle s’est heurtée au refus catégorique de ses parents d’épouser un autre. Coincée entre le marteau et l’enclume, la jeune fille décide d’écouter son cœur et épouse ainsi l’homme de son choix. Ce qui, selon elle, lui a valu le rejet de ses parents et de toute sa famille.
Aujourd’hui, même si elle est épanouie dans son ménage, sa famille lui manque. «J’ai choisi de faire fi de la décision de mes parents - non pas par manque de respect – mais, par amour pour mon homme. Cela fait plus de cinq ans que je n’ai pas de contact avec eux. C’est par le biais de mes amies que leurs nouvelles me parviennent. Lorsque j’ai eu mon premier enfant, je l’ai informé. Mon père m’a renvoyée de la maison comme une malpropre. Je ne leur en veux pas, car je sais qu’ils ne veulent que mon bien. J’espère juste qu’avec un peu de recul, ils comprendront. Et qu’avec le temps également, ils arriveront à me comprendre et - qui sait ? - même jouer avec leur petit-fils qui vient d’avoir 3 ans», confie t-elle.
Tout le monde n’a pas le courage et la détermination d’Aminta. Nombreuses sont les filles qui, sous le poids moral de la famille, acceptent de s’unir avec un homme qu’elles n’aiment pas. Ce n’est pas Marème qui nous dira le contraire.
Trouvée devant sa maison, elle accepte de se confier à nous, mais loin des regards indiscrets. Nous nous éloignons alors de la maison. Dans un petit coin, elle accepte de vider son cœur. Et à l’en croire, même si les parents affirment que les enfants ont le choix, la réalité est tout autre. «Je me suis mariée à l’âge de 17 ans. C’est le jour de mon mariage que j’ai vu pour la première fois mon mari. C’est un cousin qui a vécu en Europe. Et j’étais sa promise depuis ma naissance.
Mon sang n’a fait qu’un seul tour quand ma mère m’a dit que je devais me marier. Ce fut un coup dur pour moi, car j’avais un copain avec qui j’ai fait six ans. On avait même décidé de s’enfuir ensemble. Il y a des moments où on ne se rend plus compte de ce que l’on fait. Comme l’on dit, la fin justifie les moyens. Mais, après moult réflexions, j’ai décidé de laisser tomber, car l’harmonie de ma famille vaut plus que mon bonheur. Ma mère ne mérite pas cela. Elle a beaucoup souffert pour que j’en rajoute. Ainsi, j’ai préféré renoncer à mon amour et m’unir avec la personne de leur choix», raconte-t-elle avec amertume.