AU SÉNÉGAL, L’ÉCRITURE AFFAME SON HOMME
Samba Oumar Fall livre un témoignage sur la réalité des écrivains au Sénégal. Journaliste, romancier prolifique, il incarne ce contraste frappant : un pays à la vie littéraire "intense" et "foisonnante", mais où les auteurs "flirtent avec la précarité"

La journée mondiale du Livre et du droit d’auteur a été célébrée partout à travers la planète. Cette occasion a été saisie par Samba Oumar Fall pour revenir largement sur la mission ainsi que le rôle de l’écrivain. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le journaliste du quotidien national «Le Soleil», qui a titillé l’écriture dès sa tendre enfance à SaintLouis, a lancé un appel vibrant à ceux qui veulent s’adonner à l’écriture avant d’inviter l’état à mobiliser des moyens substantiels pour accompagner ces «génies» de l’art afin de leur permettre d’éclore. Cependant, il a laissé entendre que des efforts doivent être consentis pour permettre à l’écrivain de se «nourrir de son art».
Comment vous est venue cette passion pour l’écriture ?
Entre l’écriture et moi, je crois que c’est une longue histoire qui a démarré depuis ma tendre enfance. Je lisais beaucoup quand j'étais jeune. Cet amour pour la lecture a démarré à Saint-Louis, à l’Institut français, et m'a toujours collé à la peau. Et je me suis dit que plus tard, je ferai comme tous ces auteurs en racontant des histoires. C'est ainsi que je me suis employé à écrire et cette passion pour l'écriture ne m’a jamais quitté. Ma conviction est que l’écriture ne s’improvise pas et ne s’apprend pas. C’est un don de Dieu et quand on a ce don, on écrit avec une facilité déconcertante. Et aujourd’hui, je crois que l’écriture est la chose que je fais le mieux. J'écris comme je bois de l'eau et je le fais à un rythme qui m'impressionne même parfois. Il m'arrive même de commencer plusieurs œuvres à la fois, parce que souvent, pour ne pas dire toujours, l'inspiration coule à flot, m’accule même. Actuellement, j’ai tellement de manuscrits que je me demande si je pourrai les terminer un jour, sans compter toutes ces idées qui foisonnent dans ma tête. En 1994 déjà, il écrit son premier roman, «La misère des temps», mais il n’a été publié qu'une décennie plus tard, en 2013 (édition Salamata), en même temps que «Un amour au fond de l'océan» (Harmattan) d’ailleurs. Plusieurs autres ouvrages suivront ensuite. Et aujourd’hui, j’ai neuf romans à mon actif.
Comment se porte le livre au Sénégal ?
Si on se base sur la production littéraire, on peut dire, sans risque de se tromper, que le livre se porte bien au Sénégal. La vie littéraire est intense et l’activité autour du livre, de la lecture et de l’écriture est particulièrement foisonnante. Ce foisonnement a eu comme résultat un renouveau littéraire extraordinaire. Nous avons de belles plumes qui jouent leur partition comme leurs illustres devanciers qui ont marqué l’histoire de la littérature du pays et ont permis l’éclosion et l’épanouissement de plusieurs genres littéraires.
Est-ce que le livre nourrit bien son homme au Sénégal ?
Peut-être qu’ailleurs, l’écriture nourrit son homme. Mais ici, au Sénégal, c’est loin d’être le cas. Durant toute ma carrière de journaliste, j’ai eu à rencontrer, à côtoyer une pléiade d’auteurs qui ont passé toute leur existence à écrire, mais qui n’ont malheureusement pas eu la chance de s’en sortir. Malgré le talent, la qualité de l’écriture, le thème qu’ils ont développé dans leurs écrits, beaucoup d’entre eux flirtent avec la précarité. Car, au Sénégal, il n’est pas facile de faire publier son livre et d’en vivre. Bien sûr, il existe quelques rares exceptions, des auteurs qui parviennent à bien négocier leurs prestations. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut que l’écrivain puisse vivre de sa plume, bénéficier d’une reconnaissance. Sous d’autres cieux, certains auteurs sont hébergés dans des résidences pour écrire en toute quiétude. Des fois, ils sont pris en charge, reçoivent un soutien logistique et même une allocation mensuelle. C’est vrai que la Direction du Livre et de la Lecture fait des efforts en soutenant chaque année des auteurs pour leur permettre d’éditer leurs livres, mais c’est infime si l’on considère le nombre impressionnant d’écrivains dont regorge notre pays. Bref, je crois que l’État doit davantage aider les écrivains, subventionner les projets d’écriture, répartis par genres (poésie, roman, bande dessinée, scénario, etc.). Si toutes ces doléances sont prises en compte, la littérature ne se portera que mieux et les auteurs vivraient enfin de leurs plumes.
Quelles sont les difficultés auxquelles font face les auteurs ?
Comme je l’ai dit plus haut, les écrivains vivent dans une précarité chronique parce que les retombées escomptées ne suivent pas souvent. Passer l’écueil de l’édition ne signifie pas voir le bout du tunnel. Il y a ensuite la promotion et la vente qui ne sont pas souvent assurées par les maisons d’édition. L’auteur est souvent obligé de mouiller le maillot pour espérer écouler ses ouvrages. Et le hic au Sénégal est que nos compatriotes n’ont pas cette culture d’achat de livres pour soutenir l’effort des écrivains. Vous pouvez sortir dix livres d’un seul coup, les gens s’empressent de vous féliciter, mais rares sont ceux qui vous achèteront un ouvrage. C’est parce qu’ils n’ont pas cette culture-là. Et cela n’est guère encourageant. Être écrivain au Sénégal est très difficile. Si vous comptez sur vos œuvres pour vivre, vous risquez de mourir de faim.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui veulent s’adonner à l’écriture ?
Si l’écriture pouvait nourrir son homme, je crois que je serai l’un des plus riches de ce pays. C’est dire que c’est difficile d’être un écrivain chez nous. Et je n’ai qu’un conseil à donner à ceux qui veulent s’adonner à l’écriture. S’ils espèrent écrire pour la gloire ou pour pouvoir vivre de leur plume, ils feraient mieux de trouver autre chose à faire, car au Sénégal, l’écriture affame son homme.