BAABA MAAL POURRAIT S'ENGAGER EN POLITIQUE
Si un jour, ma vision de mon pays et du monde ainsi que mon désir d’œuvrer pour la collectivité m’obligent, je m’engagerais - Il ne faut pas exclure cette éventualité

Baaba Maal crée le rêve et excite l’imaginaire de son peuple dont il porte fièrement la voix. Il a consigné, grâce à son art, le patrimoine des siens, l’a fleuri de sa créativité avant de l’offrir au monde. L’œuvre du leader du « Daande Leñol » est celle d’un poète à la charnière de ce qui évoque la beauté d’hier, l’instant à vivre et les scintillements de l’aube à venir. De son imagination romantique se déploie une humanité marquée par le bonheur de l’altruiste et le drame de la solitude de l’artiste et du père de quelqu’un qui n’est plus. Baaba Maal, c’est un engagement pour l’Afrique. Pour l’humain tout court. C’est un compagnonnage infini avec les valeurs de son terroir et cet amour de l’universel. Il est une âme en voyage qui s’est posée un instant pour nous en dire un peu plus sur l’homme et sur l’artiste qu’il ne cessera jamais d’être.
Nous vous avons trouvé à Mbounka Bambara qui, semble-t-il, est votre cocon tranquille. Est-ce pour reconstituer votre univers de créativité, pour votre inspiration ?
Par inspiration, je dirai. Un après-midi, j’étais à la maison de Nord Foire avec des amis à qui j’ai demandé de me dire en Pulaar le nom de l’aura sur la tête des Saints. J’avais le désir d’écrire, ce jour-là, une chanson sur El Hadj Oumar Tall. J’ai eu tellement de réponses ! Je me décide alors à aller à la plage en espérant suivre le cours de mon inspiration pour trouver le mot. Je suis allé à celles de Yoff, Yaarakh, Rufique, Yène… mais il y avait à chaque fois beaucoup de monde. Je me retrouve à un endroit qui s’appelle Kel avec une merveilleuse falaise où on pouvait voir Dakar au loin. Je sors ma guitare et commence à jouer. Une voix de femme peule venant d’une maison et hélant quelqu’un m’oblige alors à quitter les lieux parce que j’étais conscient que si elle me voyait, je n’aurais plus la tranquillité que j’espérais. C’est ainsi que je me suis retrouvé à Toubab Dialaw. Quand je suis arrivé, des enfants ont accouru. Et un homme me demande si je suis venu faire le pèlerinage sur un lieu se trouvant près d’un puits qu’il m’indique et où a prié El Hadj Oumar. J’étais surpris ! Je n’avais aucune information sur ce lieu. C’était une heureuse coïncidence. Il y avait une petite cabane à côté qui appartenait à la famille de mon interlocuteur. Je l’ai prié de me la vendre ou de me la louer. Et pendant trois ans, j’y allais et composais avec ma guitare. Toutes les chansons de « Nomad Soul » ont été écrites là-bas à Toubab Dialaw. C’est en voulant m’y retrouver que Mbassou Niang a découvert cet espace à Mbounka Bambara. C’était un verger. Parti à l’étranger pour récupérer des revenus tirés de mes droits d’auteur, Mbassou m’a acheté le verger sans m’en aviser. Je lui ai alors fait savoir que je n’en voulais pas, que je préférais qu’il me donne mon argent. Voici sa réponse : « J’ai tout fait pour t’acheter une maison à Nord Foire. Là, il te faut ce verger parce que si on ne t’aide pas, tu ne réaliseras rien ».
C’est ainsi que j’ai quitté, petit à petit, Toubab Dialaw pour réaménager cet espace. C’était un grand verger. A côté, c’est El Hadj Ndiaye de la 2stv qui y habite. Je lui ai vendu une moitié du verger pour que nous soyons voisins !
Est-ce qu’on avait une chance de vous trouver ici en train de vous occuper d’autres choses que de musique ? Je ne pense pas que vous ayez cette chance ! Ma vie, c’est la musique, mon studio, même s’il y a à côté la radio qui est implantée ici mais
je ne m’implique pas trop parce que ce n’est pas mon domaine. Mon environnement, c’est la musique, l’art, la culture et tout ce qui s’y greffe. J’aime aussi lire surtout les albums avec des illustrations parce que cela me fait voyager. J’ai un attrait particulier pour la littérature africaine, et de plus en plus, pour les ouvrages écrits par des Français et qui parlent de la pénétration coloniale au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. Il y a beaucoup d’écrits sur la région du fleuve, sur Saint-Louis. Tout cela me permet de savoir ce que ces espaces ont représenté dans le temps et de rêver un peu. L’histoire aussi peut faire rêver. La lecture me permet de meubler le temps dans l’avion. C’est toujours bien d’avoir un livre à côté.
Vous êtes toujours aussi sérieux ou c’est seulement avec les journalistes ?
Rire... ! Non, pas tout le temps. Au Daande Leñol, nous déconnons beaucoup. Rassurez-vous, dans le bon sens. Quand on est ensemble, on se chambre, l’ambiance n’est jamais lourde. Nous travaillons dans le sérieux mais de manière naturelle et très décontractée. Les artistes sont de grands enfants. Certains de mes amis me disent souvent si jamais le public découvrait ce Baaba Maal taquin, il n’en reviendrait pas.
Avant de voyager à travers le monde, vous avez sillonné les terroirs le long du fleuve Sénégal. Est-ce que vous pouvez revenir sur cette période ?
A part la période de mon enfance, c’est cet espace de temps qui m’a rendu le plus heureux. J’étais beaucoup moins connu. Je suivais un rêve inspiré par ce que j’avais appris à propos des anciens musiciens et chanteurs Haal Pulaar en l’occurrence Samba Diop Lélé, Guelaye Aly Fall et d’autres. Ils ont hérité du « Lappol » (chemin). A l’époque, un artiste qui composait une chanson n’avait pas la chance, comme aujourd’hui, d’avoir les supports médiatiques, les maisons de disques pour faire la promotion. Donc les chansons voyageaient avant l’artiste. Je me rappelle que quand Mansour Seck, Demba Diack et moi sommes arrivés à Goudiry, où nous avons séjourné pendant six mois, les femmes griottes du Boundou connaissaient déjà tout mon répertoire. Le soir, on jouait ensemble avec elles nos deux répertoires. Je connaissais le leur parce que j’étais avec Mansour qui est griot. Quand on a commencé à chanter, j’ai dit pourquoi ne pas aller à l’aventure. Nous avions quand même une petite touche intellectuelle dans notre programmation. A chaque fois que nous arrivions quelque part, nous demandions à voir les historiens, les griots pour leur poser des questions sur l’historique et le sens des chansons. On envoyait un précurseur annoncer notre venue dans les villages que nous sillonnions. Et les gens nous accueillaient. Nous avons fait plus de 300 localités. Nous n’étions pas connus mais notre insouciance et les rencontres ont rendu ces moments agréables. J’ai dit à certains de mes amis que je vais essayer, un jour, je ne sais pas si c’est possible, de repartir à l’aventure sans aucune planification et avec beaucoup de simplicité.
Mansour Seck est un griot. Ce qui n’est pas votre cas. Avez-vous été victime d’ostracisme pour avoir investi cet univers de prouesses des griots ?
De temps en temps oui, mais ce n’était pas méchant. Il y avait Mansour Seck qui me couvrait d’une certaine légitimité. Par contre, à Podor, dans ma famille, il y avait quelques problèmes. Podor est une ville très culturelle. Je suis né et j’ai grandi en voyant mes oncles et mes tantes être très impliqués dans les activités culturelles. Ma mère, elle-même, dirigeait un ballet. Le fait de chanter de temps en temps n’a jamais posé problème. C’est quand j’ai voulu en faire une profession que mon père s’est opposé. J’étais bon élève. Quand je suis venu à Dakar avec Mansour Seck retrouver Mbassou Niang pour les premiers enregistrements, je me suis caché. Car, il y avait tellement de réclamations à mon sujet. On disait à mon père « toi, l’ancien combattant, pourquoi laisses-tu ton fils, qui a suivi des études, faire le troubadour » ! Mais, j’avais quelque part la complicité de ma mère.
Le Daande Leñol est né d’une sensibilité amicale, disiez-vous un jour, au-delà de celle-là musicale. Pouvez-vous revenir sur les conditions de sa naissance ?
Mansour Seck, Mbassou Niang et moi évoluions dans le groupe Lasli Fouta. A un moment, nous trois, étions un peu trop sollicités. Et nous ne voulions pas faire ombrage aux autres chanteurs du groupe. C’est la première raison de notre départ. Ensuite, le Lasli Fouta, c’est grandeur nature. Il y avait le théâtre, le ballet, la musique. Nous, nous voulions nous focaliser plus sur la musique. Et nous avons demandé la permission à ceux que nous appelions les « grands » de Lasli Fouta de nous laisser monter notre structure à côté tout en restant membres. C’est ce que nous avons fait. On a appelé cette formation « Yellitaré Fouta ». C’est avec le récépissé de celle-ci que le Daande Leñol a commencé. Nous nous sommes installés à Castor. Je suis allé en France avant de revenir pour les obsèques de ma mère. A mon retour, El Hadj Ndiaye m’a proposé, en 1984, de faire deux cassettes (Yeela et Wango). Cela a eu un succès éclatant. Je voulais repartir en France mais El Hadj m’en a dissuadé. Il m’a incité à monter un orchestre avec lui, le Wandama. Mais, je ne pouvais pas continuer en laissant en rade mes amis Malick Paté Sow, Demba Dia, Mansour Seck et Mbassou Niang. Nous avions notre propre rêve. J’ai même essayé de les faire venir en France. J’y suis arrivé avec Mansour Seck. J’ai préféré retrouver mes amis et monter une autre structure musicale. J’ai proposé le nom Daande Leñol d’autant plus que j’avais déjà composé la chanson trois ans auparavant en France. Ce nom allait très bien avec la mission que nous nous assignions : représenter notre communauté avec nos voix. Nous n’avions même pas mesuré la portée de ce slogan. Pendant des années, ceux qui faisaient jouer le Daande Leñol n’étaient pas des promoteurs de spectacles qui cherchaient de l’argent. C’est souvent des associations de village qui travaillaient pour l’épanouissement de notre communauté. Et ce qu’ils récoltaient était destiné à la communauté. On se retrouvait dans ce piège sans le savoir. C’était agréable mais c’était quand même un piège.
Pourquoi il y a cette influence mandingue dans votre musique ?
Cela vient d’abord de mon arbre généalogique dans lequel on retrouve les ethnies Wolof, Sérère et Mandingue surtout du côté de ma mère. Par ailleurs, Podor, d’où je suis originaire, a fait partie de l’empire du Mali comme une bonne partie du Fouta Toro. Ce n’est pas pour rien que nos joueurs de Xalam, quand ils commençaient à s’exercer à cet art, allaient au Mali et revenaient nous jouer « Taara », « Domba »,« Sakhadougou »… ces mélodies qui font partie de la musique classique malienne. Le Sénégal et le Mali ont la même culture, la même histoire, la même destinée.
Après tant d’années à faire de la musique, à créer, à vous renouveler, n’éprouvez-vous pas un certain essoufflement ?
Cela arrive toujours et cela se voit surtout entre mes grandes productions. Au début, on produisait des albums presque chaque année puis tous les deux ans. Quand j’ai sorti « Missing you », qui était plutôt traditionnel, je suis resté dix ans avant de sortir un autre album, « Television ». Entre celui-ci et « Traveler », un long temps s’est écoulé. Car, entre les tournées, les concerts, les studios, les engagements sur le plan humanitaire, on est quelquefois essoufflé. C’est humain. On a envie de se renouveler à chaque fois. Et pour le faire, il faut regarder derrière pour voir ce qui a accroché, ce qu’on a fait, ce qu’on a envie de dire, quelles sont les attentes, où trouver l’inspiration. Il y a toujours cette anxiété. On se demande si on va rester qui on est réellement. C’est pourquoi j’ai envie de reprendre la route, comme je vous l’ai dit tantôt, à la recherche de cette sensibilité et de cette inspiration qui nous avaient habités, Mansour Seck et moi, pour écrire des chansons comme celles que nous avions composées il y a 10, 20 ans.
Mais, il y a une force qui vit dans le corps, dans l’âme, dans la voix de l’artiste. A chaque fois qu’on s’essouffle, qu’on n’a pas la maîtrise de sa capacité artistique, il y a cette anxiété qui se mue en révolte artistique qui prend le dessus. Avons-nous même peut-être besoin de cet essoufflement, de ce doute, de cette peur avant de monter sur scène. Cet instant est producteur d’émotions. Et cela se ressent dans la voix, dans l’écriture. Il y a des sensations que même le public ressent. Et pour que l’âme de l’artiste ne se corrompe, pour être égal à lui-même, il ne doit pas canaliser tout cela.
Vous avez parlé de révolte. L’album « Traveler » en était-il une ?
Absolument. Je voulais montrer que l’Afrique est un continent moderne. Il y a certains puristes, surtout en Europe, même si c’est un petit nombre, qui veulent qu’on se contente d’un style de musique qui leur plaît. Ils ont leurs raisons. Mais moi, j’étais révolté par le fait qu’ils veuillent nous enfermer dans un carcan comme si on voulait nous dire implicitement que nous n’avions pas le droit de toucher à la musique moderne, à l’électronique, de sophistiquer nos productions. C’est une des raisons de cette révolte. L’autre motif est lié aux interpellations de beaucoup de gens sur notre choix de chanter en Pulaar et en Wolof. J’ai remis le morceau « Demgal » que j’ai déclamé avec une certaine révolte pour dire que c’est ma langue et c’est avec elle que je peux sortir tout ce qu’il y a de beau que renferme ma communauté, sa science, son histoire, tout ce qu’on peut apprendre de chez moi. Si j’essaie de la faire avec une autre langue, je mutilerai mes capacités artistiques.
En explorant d’autres univers rythmiques comme l’électronique, est-ce que vous ne laissez pas orphelins certains nostalgiques ?
Il y a toujours des gens qui sont nostalgiques. Moi-même je le suis quelquefois ! C’est ce qui fait qu’au milieu de mon spectacle, malgré les moyens modernes et colossaux employés, je ramène tout à la simplicité pour représenter notre univers, pour ne pas sevrer ceux qui sont férus de cette partie évocatrice de notre être. Un journaliste anglais avait titré un jour « Pauvre Baaba Maal ». Je l’ai interpellé sur le choix de ce titre. Voici sa réponse : « Tu es partagé entre plusieurs choses. On sent que tu aimes faire de la musique traditionnelle. Mais, tu es obligé de faire du moderne parce que tu as cette ouverture intellectuelle et tu travailles avec une maison de disques qui veut que l’orchestre joue sur des plateformes beaucoup plus grandes. Et toi, tu valses entre les deux ». Je suis foncièrement traditionnel. Dès que j’ai du temps, je vais au Fouta. J’aime bien aller avec le Daande Leñol dans les petits villages, jouer avec un groupe électrogène, jouer en suivant nos envies… Et le lendemain, faire une tournée internationale qui est à l’opposé de tout cela avec un programme bien ficelé, les grands hôtels, les avions, une organisation parfaite. J’aime bien les deux parce que l’un me repose de l’autre. Et cela se retrouve aussi dans ma production.
La rencontre avec le producteur de musique Chris Blackwell, fondateur du label Island Records, a été une étape importante. Comment elle s’est faite ?
Chris Blackwell, qui a hypothéqué sa maison pour faire l’enregistrement de Bob Marley, est un homme passionné pour la musique et le pont qu’elle pouvait établir entre l’Afrique et la Jamaïque.
Il est tombé, par un concours de circonstances, sur ma cassette « Jam Leeli » que nous avions composée en France quand j’y étais avec Mansour Seck. Avec Amadou Kane Diallo, on n’avait fait que 1000 cassettes que l’on avait envoyées au Sénégal pour nous rappeler aux souvenirs des Sénégalais. C’est l’une de ces 1000 cassettes qu’un Gambien a achetée. Et un touriste anglais a entendu la musique, un après-midi, à Banjul, et a demandé qu’on la lui vende. Il l’a remise à une petite maison de disques à Londres qui a commencé à faire des copies. C’est ainsi que Chris Blackwell en a eu une. Pendant deux ans, ils se sont mis à faire des recherches pour voir si je suis avec la structure Syllart en exclusivité jusqu’au jour où un producteur délégué, qui a beaucoup aidé la maison de Chris Blackwell à avoir accès à la musique africaine, a décidé de venir au Sénégal pour se renseigner et nous rencontrer. Nous lui avons signifié que nous n’avons pas d’exclusivité avec Syllart. C’est ainsi que Mbassou Niang a signé le contrat avec eux alors que j’étais en tournée.
Après plus de trois décennies de carrière, quels sont vos regrets et satisfactions ?
Un musicien n’est jamais totalement satisfait. Bien entendu, il y a forcément des temps forts. En ce qui me concerne, c’est dans la phase d’écriture d’une chanson que je commence à me fixer un but. Dans ces moments précis, je cible un public, bien avant même l’interprétation. Quand je suis sûr, au plus profond de mon être, d’avoir touché la cible, c’est à cet instant que je suis satisfait. Par exemple, l’album « Baayo » a été composé suite à notre périple de deux ans, qui nous a permis de sillonner toute l’Afrique de l’Ouest. Nous avons pu disposer de tout un répertoire qui est un héritage de l’Afrique de l’Ouest. Ma maison de production, Island Records, avait accepté, à l’époque, de nous laisser faire les choses comme nous les sentions. J’en garde un merveilleux souvenir. Mes différentes rencontres avec Nelson Mandela ont également toujours été de véritables moments de bonheur. La première fois, je lui ai fait porter, dans son bureau, un boubou que je lui avais apporté en guise de cadeau. Il était encore président. Lorsqu’il a été invité par la reine Elisabeth et Tony Blair, à Londres, à l’occasion de son anniversaire, nous y avons participé. Il nous a fait venir dans ses bureaux, nous a donné des conseils et s’est tourné vers moi et a dit, en présence de mon neveu et de ma nièce, « Baaba Maal, chante-moi une chanson ».
J’ai alors fait un a capella de «Yeela». Ce même sentiment de joie m’a envahi lorsque je me suis rendu à Cape Town dans le cadre des activités de sa fondation qui œuvrait pour la prévention du Sida chez les enfants. L’artiste vit avec ses regrets. Ce qui m’afflige, c’est de constater que la musique africaine, malgré le nombre de ses talents, ne parvient pas à démontrer qu’elle a sa place dans l’industrie musicale. Quand on entre dans un magasin de musique, il y a toujours cette partie très oubliée que l’on appelle « World music »…
Vous avez, ces dernières années, perdu certains de vos proches dont votre fils unique. Comment avez-vous vécu ces moments ?
Avec tristesse ! Mais aussi avec grandeur. C’est toujours dur de perdre quelqu’un qui nous est cher, avec qui on projetait de faire des choses, qu’on avait l’habitude de voir, d’entendre rire, se fâcher quelquefois. Quand tout cela s’arrête brusquement, c’est toujours triste. Nous avons aussi vécu ces moments avec grandeur. Même si je ne suis pas le plus âgé de ma communauté, ou de mon pays, ma responsabilité fait que je fais partie de ceux que l’on observe. Les gens vous regardent dans ces moments. Certains cherchent à savoir si vous méritez véritablement votre place de leader. Vous êtes tenu, malgré la douleur, de relever la tête et de continuer votre chemin. La vie est ainsi faite. On ne peut pas tout avoir. Perdre un fils, personne ne s’y prépare.
Quand le mien est décédé, pendant quelques minutes, je me suis effondré de chagrin. En même temps, je me suis dit qu’il faut que je sois fort, pour ma famille, mes amis, mon entourage. J’ai également beaucoup pensé au groupe Daande Leñol et à sa signification (la voix du peuple). Il ne fallait pas que le porteur d’une telle voix s’écroulât. Après le temps de deuil, après avoir salué leur compassion sincère, j’ai convoqué une réunion et ai signifié aux membres de mon groupe le devoir d’honorer nos engagements. Nous ne devions pas sombrer dans l’abattement. Des personnes vivent exclusivement à nos dépens. Nous avons l’obligation de penser à ces individus. Ils étaient certes surpris, mais ils ont totalement compris le message. Il m’incombait de me conduire de la sorte.
Le Grand prix du chef de l’Etat pour les Arts vous a été décerné récemment. Comment avez-vous accueilli cet honneur ?
Cela a été un plaisir immense. Cette distinction m’a conforté dans l’idée qu’il fallait toujours faire un travail propre. Ce qui m’a le plus marqué avec ce Grand Prix, c’est la qualité du jury constitué d’artistes et d’hommes de Lettres qui sont même peut-être beaucoup plus méritants que moi. La reconnaissance vient de personnalités qui exercent le même métier que moi. Cette reconnaissance des pairs me réjouit davantage.
Au-delà de l’artiste, nous découvrons le Baaba Maal entrepreneur avec une radio, une plateforme digitale, l’association de développement Nann-K…Est-ce qu’on peut s’attendre à ce que cette vision se traduise par un engagement politique ?
Pourquoi pas ? Nann-K est avant tout un mouvement de développement où on trouve toutes les sensibilités. Nann-K n’appartient pas à Baaba Maal. Mais, si un jour, ma vision de mon pays et du monde ainsi que mon désir d’œuvrer pour la collectivité m’obligent à faire de la politique, si pour être écouté, il faut s’y lancer, je m’engagerais. Il ne faut pas exclure cette éventualité.