«C’EST NATUREL QUE LES PAYS PAUVRES DEMANDENT UN DIFFÉRÉ DE PAIEMENT DE LEURS DETTES»
Meissa Babou, trouve tout à fait normal que les pays pauvres demandent aux institutions financières de lever leurs dettes pour mieux faire face à la pandémie.

Hier, le G20 s’est mis d’accord sur un moratoire concernant la dette des pays africains. En effet, les pays les plus pauvres de la planète avaient sollicité une annulation du service extérieur de la dette pour atténuer l’impact de la pandémie du Coronavirus sur leurs économies. Interrogé sur le moratoire accordé aux pays pauvres, notamment africains, l’enseignant à l’université Cheikh anta Diop de Dakar, Meissa Babou, trouve tout à fait normal que les pays pauvres demandent aux institutions financières de lever leurs dettes pour mieux faire face à la pandémie.
Les pays du g20 semblent avoir entendu le président Macky Sall en accordant un moratoire aux pays les plus pauvres sur la dette pour lutter contre le Covid-19. Comment analysez-vous cela ?
Ce sont des mécanismes naturels qui se sont déclenchés. Et la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (Fmi) ont mis en place des mécanismes en cas de catastrophes sanitaires, guerres, tremblements de terre etc… pour soutenir les pays. Et cela n’a rien à voir avec les appels de Macky Sall, de Macron et du Pape. On a déclenché ce mécanisme au niveau mondial. Maintenant, concernant ces pays dits pauvres qui sont très impactés par la pandémie, je crois comprendre que quand on est un dépendant du pétrole comme le Nigeria, et que le baril est trop bas, ou qu’on dépend de la fiscalité comme le Sénégal alors que les activités ne marchent plus, c’est normal pour ces pays qui n’ont plus de ressources pour faire face à des engagements de bénéficier de l’apport de la banque pour un différé de paiement. Pour les institutions financières internationales et les grandes banques, c’est plus facile de demander un report d’échéances que dans le marché financier. C’est ce qui s’est passé et les pays les plus vulnérables ont été cités. En Afrique, c’est 40 sur 53 pays. Il ne faut pas oublier que tous ces pays sont actionnaires. Alors, quand des membres ont des problèmes, il faut faire le minimum en aidant ceux qui sont très touchés. D’ailleurs, le Sénégal ne fait pas partie de ces pays. Et le troisième axe était de décaisser très rapidement des Droits de Tirages Spéciaux (DTS) dans les 48 heures pour tout le monde. Ce sont trois mécanismes qui sont lancés par les organisations internationales pour venir en aide aux économies très affectées.
On a constaté aussi qu’après chaque annulation, ces pays pauvres, surtout africains, s’endettaient de nouveau jusqu’à attendre un taux très élevé. N’urge-t-il pas aujourd’hui de changer de démarche?
Il faut savoir s’endetter. Et on s’endette pour faire quoi aussi ? Nous payons le prix d’un endettement de 65%. On n’a pas de pétrole encore moins de l’or. Il faut faire la différence et éviter les comparaisons parce que notre pays n’a pas les moyens résilients. Nous n’avons que des impôts. Il faut un ordre prioritaire de développement. Il faut que ce qu’on fait soit réellement une demande sociale. C’est ça le problème. Aujourd’hui, est-ce que le TER est une demande sociale ? Je ne crois pas. Est-ce que le BRT est une demande sociale ? Je ne crois non plus. Nous avons besoin d’eau ; pas encore d’électricité. Ce pays manque de tout en termes d’alimentation. Nous n’avons pas atteint l’autosuffisance en riz. On n’est même pas dans les 90%. Nous n’avons même pas suffisamment d’universités et beaucoup d’étudiants ont été orientés bêtement. Nous n’avons pas d’hôpitaux. Quels sont les ordres de priorité ? Et je pense que c’est là où les politiques sont en train de pécher. C’est là où nous avons des problèmes
Comment expliquer le fait que les pays pauvres s’endettent en monnaie étrangère comme le dollar par exemple ?
Il y a d’abord le fait que toutes les institutions internationales travaillent en dollar. Tout le commerce international se fait en dollar. Idem pour le pétrole et tout cela. D’ailleurs, la Russie a commencé à changer de cap, parce que le dollar devient plus difficile pour tout le monde. Aujourd’hui, le dollar n’est plus une valeur sûre, parce qu’il valse trop comme toutes les monnaies. C’est pour cela que les gens sont en train de changer de paradigme pour essayer de trouver un autre langage, c’est-à-dire une autre monnaie capable d’être utilisée dans le business mondial.
Donald Trump a décidé de suspendre la contribution des Etats-unis à l’oMS. quel va être l’impact de cette suspension sur le fonctionnement de l’organisation
C’est une décision très grave. Parce que l’OMS est une organisation qui lutte pour la santé communautaire dans tout le monde et un alerteur aussi avec des spécialistes dans tous les domaines. Trump dit que si le virus du Covid-19 est arrivé aux Etats-Unis, c’est parce que l’OMS n’a rien fait. Mais qu’estce que l’OMS peut faire contre un virus qu’on a envoyé dans l’air comme ça. Je pense que Trump est un fou heureux. Il est loin d’être un exemple. En conséquence, tout le monde va pâtir de ses boulimies. Parce que d’abord, c’est la Chine, après, c’est l’Europe, ensuite l’Afrique. Trump ne suit aucune logique politique et même géopolitique. Nous sommes dans une mondialisation, il faut aussi qu’il accepte les principes. D’ailleurs, il est habitué de ces genres de décisions comme il l’avait fait avec l’environnement
Quelles peuvent être les conséquences de l’aprèsCovid-19 sur l’économie sénégalaise ?
Les conséquences sont énormes économiquement et financièrement. Parce que les Etats sont en train de se surcharger avec des dettes. Financièrement, les Etats ont perdu beaucoup d’argent avec la perte des fiscalités et même en termes de ressources intérieures parce que les matières premières ne valent plus rien. Donc, tous les Etats ont en fait des problèmes de finances. Il y a un fonds de roulement que les gens ont déjà épuisé en deux mois et trois mois parce que les bénéfices ne sont pas aussi importants. Beaucoup d’entreprises comme celles qui évoluent dans le tourisme ne peuvent pas supporter de payer des salaires alors que les gens ne travaillent pas. Le transport, c’est pareil. J’ai vu en France et en Italie deux entreprises qui risquent d’être nationalisées pour sauver au moins les gens. Comme nous sommes en cours de pandémie, c’est difficile de mesurer l’impact réel. Il faut vraiment une étude très approfondie et très élargie concernant tous les secteurs d’activités. Mais on peut au moins comprendre que cela va coûter des points de croissance peut-être à trois ou quatre points. Nous serons peut-être en récession. Mais cela peut nous ramener à des taux de 2% et ailleurs, ce serait des récessions pures et simples. Globalement, ce sera un tableau noir qu’il est difficile actuellement d’évaluer.