LA LONGUE MARCHE DES BAÏNOUKS
Réputés être un peuple pacifique et tolérant, les Baïnouks ont précédé et accueilli toutes les autres ethnies en Casamance. Leur présence dans cette région remonterait au 6ème siècle de notre ère

Pour se rendre à Niamone, qui symbolise le site sacré par excellence des Baïnouks, il faut emprunter une piste cahoteuse bordée de rizières, de palmiers et de forêt dense. Au bout d’une heure de piste, Niamone se découvre comme une sorte de clairière au milieu de grands arbres. Une ambiance de convivialité règne dans les rues. Les enfants jouent au football à l’ombre des manguiers. Niamone est le village le plus ancien de la Casamance. Pour cette raison, personne, y compris les plus âgés, n’est en mesure de nous dire quand il a été fondé. «Chaque famille essaie de tirer la couverture sur soi mais on ne sait pas, de façon exacte, la date de fondation du village et qui est la première famille à s’y installer ; on est en train de faire des recherches», explique Idrissa Coly, le chef du village.
Selon la version communément admise, à la fois par les anciens et les historiens, les Baïnouks seraient originaires d’Egypte. «Ils ont été les premiers à fuir vers le sud, avec leurs djinns, lors de la confrontation entre Pharaon et Moïse», soutient imam Seckou Coly, d’une voix forte. Assis à ses côtés, Bakary Diémé dit «Basooy» acquiesce. Les deux vieillards sont actuellement les aînés des Colycounda Lihol et des Diémécounda, les deux familles qui détiennent le «vrai secret» de la forêt. A ce titre, leurs décisions sont incontestables. «S’il y a une décision importante à prendre pour la communauté, nous nous retrouvons quelque part dans la forêt, un endroit connu de nous seuls, et arrêtons une décision que personne n’ose contester», informe Bakary Diémé d’une voix calme.
Vacataire à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, l’historien Amadou Fall défend aussi la thèse de l’origine égyptienne. Il a soutenu, en 2011, sous la direction du professeur Aboubacry Moussa Lam, une thèse de doctorat sur la conception de l’être et de l’au-delà chez les Égyptiens anciens et les peuples de la rivière du Sud (Casamance). «Si on examine les éléments de l’anthropologie culturelle, le symbolisme, les rites d’initiation, le rôle des femmes dans la société ou encore la cosmogonie Baïnouks, incontestablement ils viennent de l’Égypte», explique-t-il. L’imam Coly livre d’autres éléments pour donner de l’épaisseur à cette thèse. Les noms de l’Éthiopie et du Tékrour (ancien royaume du nord du Sénégal qui signifie, en Baïnouk, traverse et bois) et même de la Gambie («Cambi» en Baïnouk) seraient d’origine baïnouk. Aujourd’hui, ils sont présents dans toute la sous-région, mais leur appellation varie d’un pays à l’autre. En Guinée, ils sont appelés Dalianké, Baniouls en Guinée-Bissau et Bananka au Mali. Ils seraient les premiers habitants de la Casamance. Certaines sources remontent leur présence dans la région au 6ème siècle de notre ère. Une équipe de chercheurs, sous la direction du professeur Moustapha Sall, a récemment mené des fouilles archéologiques dans certains sites (comme à Djibonker et Bafican à la sortie de Brin) dont on attend les résultats. Ce qui est sûr, on retrouve les traces des Baïnouks sur toute la région naturelle de la Casamance, de la Falémé à Diogué. «Toute la Casamance est imbibée de culture baïnouk», note l’historien Amadou Fall. De l’avis de ce dernier, le kaléidoscope humain qu’est la Casamance est dû «à l’extrême humanité des Baïnouks». C’est aussi cette extrême tolérance qui est à l’origine de leur perte, parce qu’ils ont été «submergés» par les peuples guerriers, au point d’être marginalisés sur leur propre terre. D’ailleurs, l’autre nom des Baïnouks, c’est «Ujaxër» qui signifie le peuple accueillant, hospitalier, tolérant…
Mieux, beaucoup d’ethnies peuplant la Casamance actuellement seraient issues des Baïnouks. Par exemple, les Diolas seraient des Baïnouks «dégradés». «Les Diolas ne veulent pas en entendre parler, mais la vérité, c’est qu’ils sont issus des Baïnouks», affirme imam Seckou Coly. Son épouse (d’ethnie diola), assise à côté, conteste bruyamment cette version. «Dans tous les cas, nous comprenons le diola, alors qu’eux ne comprennent rien à notre langue», semble se consoler le mari.
Un peuple pacifique
Ce qui est constant, c’est que les Baïnouks restent un peuple pacifique. Toutefois, ils évitent de se fondre avec les autres ethnies. Un peu à l’image des peuls, quand d’autres s’installent à leur côté, ils se déplacent et laissent la place aux nouveaux arrivants. Une situation qui trouve une illustration parfaite dans l’histoire de Boroufaye, village situé à la sortie de Ziguinchor sur la route de Mpack. Selon Idrissa Diatta, un habitant de Boroufaye baïnouk, le village a été fondé par des familles venues de Niamone, la capitale des Baïnouks, au début des années 1940. Mais quand les Diolas ont commencé à les rejoindre, ils se sont déplacés à quelques kilomètres de là, cédant la place aux nouveaux arrivants. Ce qui explique qu’aujourd’hui, il y a deux Boroufaye : l’un diola, l’autre baïnouk. Nous pouvons ajouter Singhère Diola et Singhère Baïnouk, dans le département de Goudomp.
Les Baïnouks entretiennent des liens de cousinage avec les Peuls, les Lébous et les Sérères. D’ailleurs, sur la légende Aguène et Diambone, ce dernier serait Baïnouk et non Diola comme cela est souvent rapporté. C’est du moins la version soutenue par les Baïnouks. Quant aux Peuls, les Baïnouks leur sont reconnaissants pour les avoir sauvés de l’extermination. En effet, selon la légende, le roi baïnouk, Ganasiraba Biaye, sur les conseils de son féticheur, devait tuer, en guise de sacrifice, cent hommes et autant de femmes parmi ses sujets. Un Peul aurait livré à ces derniers un subterfuge (le piéger pour le faire tomber dans un puits) pour éliminer le roi sanguinaire et ainsi échapper à l’extermination. De là est parti le pacte. Mais un préjugé tenace dit que celui qui épouse une Baïnouk ne réussira pas dans la vie. Cela expliquerait-il le peu de mariages mixtes avec les autres ethnies ?