LE CRI D'ALARME DE LA BARBADE
Nous devons renforcer nos liens commerciaux avec l’Afrique, l’Amérique latine et centrale, et renouveler nos partenariats historiques avec l’Europe, le Royaume-Uni et le Canada. Nous ne pouvons plus dépendre d’un ou deux marchés

Dans un discours empreint d'urgence, Mia Amor Mottley, Première ministre de la Barbade et présidente de la CARICOM, alerte les nations caribéennes sur une convergence de crises sans précédent. Changement climatique, inflation galopante, tensions géopolitiques et désormais guerre commerciale : la leader barbadienne dresse un tableau inquiétant des défis imminents qui menacent des économies insulaires historiquement dépendantes des importations et vulnérables aux chocs extérieurs.
"Bonjour à toutes et à tous,
Je m’adresse aujourd’hui à tous nos frères et sœurs caribéens, non pas en tant que Première ministre de la Barbade, mais en tant que présidente de la Communauté caribéenne.
Notre monde est en crise. Je ne vais pas l’édulcorer. Nous vivons l’une des périodes les plus difficiles que notre région ait connues depuis que la majorité de nos membres ont accédé à l’indépendance. En vérité, c’est la période la plus critique que le monde ait traversée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a 80 ans.
Notre planète fait face à une catastrophe climatique qui s’aggrave chaque année. Nous subissons une crise du coût de la vie qui nous accable depuis la désorganisation des chaînes d’approvisionnement, déclenchée par la pandémie de Covid-19.
La désinformation, la manipulation et les fausses informations sont omniprésentes. La crise de santé mentale provoque un profond sentiment de désespoir chez beaucoup de nos jeunes. Et malheureusement, la criminalité et la peur augmentent. Des guerres ont lieu en Terre Sainte, en Europe, en Afrique. Les pays se méfient les uns des autres. Les voisins se méfient de leurs voisins. L’ordre international est en grand danger d’effondrement. Et désormais, nous sommes au bord d’une guerre commerciale mondiale.
Nos économies caribéennes dépendent largement des importations. Il suffit d’aller au supermarché, au centre commercial, dans une quincaillerie ou un magasin d’électronique, pour constater que la majorité des produits que nous utilisons ne sont pas fabriqués dans notre région. Beaucoup sont directement importés des États-Unis ou y transitent avant d’arriver chez nous. C’est l’héritage de notre dépendance coloniale.
Avec mes collègues chefs d’État et de gouvernement, nous travaillons à sortir de cette dépendance. Nous avons déjà enregistré certains succès, notamment dans l’agriculture, mais le chemin reste long. Et alors que nous avançons, nous devons comprendre que les annonces récentes, faites ces derniers jours, auront un impact direct sur notre région et nos peuples.
Nous œuvrons, et continuerons d’œuvrer, pour devenir plus autosuffisants. Mais je veux que chaque homme et chaque femme de la Caraïbe m’entende. Cette guerre commerciale, et la possibilité d’une taxe de 1 à 1,5 million de dollars américains sur tous les navires fabriqués en Chine entrant dans les ports américains, entraînera une hausse des prix pour nous tous : au coin de la rue, au supermarché, dans les magasins d’électronique, au restaurant, chez les concessionnaires automobiles, et au-delà.
Beaucoup de Caribéens pensent que ces problèmes sont lointains. On entend souvent : « Je suis juste un agriculteur », « Je suis juste un enseignant », ou « Je suis juste un mécanicien ». On se dit : « J’habite à Saint Lucy à la Barbade », ou « à Portmore en Jamaïque », « à Kingstown à Saint-Vincent », « à Arima à Trinité », « à Basseterre à Saint-Kitts-et-Nevis », ou encore « à San Ignacio au Belize ».
Et pourtant, la réalité, mes amis, c’est que si vous achetez de la nourriture, des appareils électroniques, ou des vêtements, cela vous concerne. Cela nous concerne tous.
Nos économies ne sont pas très grandes. Elles sont donc — et ont toujours été — à la merci des prix mondiaux. Si l’Europe, la Chine, les États-Unis, le Canada et le Mexique imposent des droits de douane les uns aux autres, cela perturbera les chaînes d’approvisionnement et augmentera les coûts de production de tout ce que nous consommons : la nourriture, les vêtements, le téléphone dans votre poche, la voiture que vous conduisez, les pièces pour nos infrastructures essentielles. Cela signifie des prix plus élevés pour nous tous, peu importe les efforts de nos gouvernements.
Même si nous supprimions tous les droits de douane à l’intérieur de la CARICOM, cela ne changerait rien. Parce que nos économies sont petites et vulnérables. Cette crise ne se limitera pas aux biens. Elle pourrait aussi avoir des conséquences importantes sur le tourisme. Nous devons donc prendre des mesures pour préserver ce secteur, car la détérioration des conditions économiques dans les pays émetteurs risque de freiner les voyages. Nous appelons le secteur privé régional et les acteurs du tourisme à collaborer avec les gouvernements pour élaborer une stratégie immédiate et coordonnée visant à maintenir notre part de marché touristique.
Je prie pour avoir tort. Je prie pour que la sagesse l’emporte dans le monde, que les dirigeants se rassemblent avec un nouvel esprit de coopération, pour protéger les pauvres et les plus vulnérables, et permettre à la classe moyenne de tracer son chemin de vie, pour que les entreprises puissent fonctionner et commercer.
Mais franchement, je n’ai pas confiance que cela se produise.
Alors, que devons-nous faire ?
Nous devons renouer d’urgence, directement et au plus haut niveau, avec nos amis des États-Unis. Il existe une vérité évidente que les deux parties doivent affronter : les micro-États des Caraïbes n’ont en aucun cas un avantage commercial sur les États-Unis, dans aucun secteur. Historiquement, c’est précisément notre petite taille et notre vulnérabilité qui ont motivé les États-Unis, y compris sous Ronald Reagan, à soutenir notre développement via l’Initiative des Caraïbes (CBI – Caribbean Basin Initiative). Nous verrons comment les nouvelles taxes affecteront cette initiative.
Nous ne devons pas nous diviser pour des raisons politiques. Comme le dit l’adage : Unis, nous résistons. Divisés, nous tombons.
Nous devons redoubler d’efforts pour investir dans l’agriculture et la production locale. L’objectif du projet « 25 by 2025 » mené par le président Ali semble désormais insuffisant face à la gravité de la situation. Nous devons cultiver et produire autant que possible. Chacun de nous peut faire le choix d’acheter des produits sains, locaux, au marché plutôt que des produits transformés au supermarché.
Nous devons renforcer nos liens commerciaux avec l’Afrique, l’Amérique latine et centrale, et renouveler nos partenariats historiques avec l’Europe, le Royaume-Uni et le Canada. Nous ne pouvons plus dépendre d’un ou deux marchés. Nous devons vendre nos produits à un monde plus diversifié et plus stable.
Mes frères et sœurs, chaque crise mondiale est aussi une opportunité. Si nous mettons nos divisions de côté, si nous soutenons nos petites entreprises et nos producteurs, nous sortirons plus forts de cette épreuve.
À nos hôteliers, à nos commerçants, à notre population : le message est le même. Achetez local. Achetez régional. Les produits sont souvent meilleurs, plus frais, plus compétitifs. Si nous travaillons ensemble, si nous valorisons nos ressources locales, nous pourrons surmonter cette crise. Il y aura des défis logistiques, mais nous y parviendrons.
Que Dieu bénisse notre civilisation caribéenne.
Merci."