LA CONDAMNATION DE BOUALEM SANSAL OU L’OBSESSION DE MUSELER UN ECRIVAIN ICONOCLASTE
L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été condamné, le jeudi 27 mars 2025, à une peine de 5 ans de prison ferme et à une amende de 500 000 dinars (environ 3500 euros). C’est une forfaiture. C’est sa grande plume qui dérange

L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été condamné, le jeudi 27 mars 2025, à une peine de 5 ans de prison ferme et à une amende de 500 000 dinars (environ 3500 euros). On lui a reproché, entre autres, au bout d’un procès injuste, d’atteinte à l’unité et à l’économie nationales, d’outrages à un corps constitué (notamment l’Armée), de détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité. C’est une forfaiture. C’est sa grande plume qui dérange.
L’on savait que son sort était déjà scellé. Le procès n’était rien d’autre qu’une farce. L’Algérie, qui a un sérieux problème avec son passé colonial, a décidé d’emprisonner un écrivain pour ses idées. Il semble que, en Algérie, la colonisation et la guerre de décolonisation hantent et traumatisent, empêchant ainsi la fécondation des possibles et la naissance de nouvelles utopies. Cette affaire, faut-il le rappeler, a exacerbé les tensions diplomatiques entre l’Algérie et la France, car l’auteur de 2084 : la fin du monde (Gallimard, 2015) a récemment acquis la nationalité française. L’écrivain Kamel Daoud -un autre indésirable d’Alger- disait que, aujourd’hui, pour être un Algérien authentique, il faut détester l’ancienne puissance coloniale. Les autorités ont développé cet imaginaire de la haine. De la vengeance.
Opa sur la liberté d’expression
La condamnation de Boualem Sansal constitue une attaque inacceptable contre la liberté d’expression et le droit fondamental des intellectuels de penser librement. Ce procès pour ses écrits ou ses prises de position est non seulement une tentative éhontée de museler une voix dissidente, mais aussi une entrave au débat d’idées, fondement de toute démocratie. Hommes de plume et citoyens attachés aux principes de liberté, nous dénonçons fermement cette injustice et appelons à la mobilisation contre cette censure ignominieuse, qui vise à étouffer toute pensée critique.
A travers la condamnation de Boualem Sansal, c’est tout un principe fondamental qui est mis à mal : celui de la liberté d’expression, de la pensée libre, de la résistance par la parole. Mais à chaque tentative de museler l’écrivain, ce dernier se redresse, plus fort, plus déterminé. A chaque injustice, à chaque censure, il répond par l’écrit. Et ce faisant, il unit les voix de tous ceux qui, partout dans le monde, résistent à l’oppression, à la violence, à l’injustice.
Ecrire est un art de résister
Dans les interstices de l’histoire humaine, une force silencieuse et tenace, tissée d’encre, de mémoire et d’audace, traverse les âges : l’écriture. Non celle qui se contente de satisfaire les attentes d’un lectorat mondain ou qui se plie aux contraintes du système académique, mais celle qui, dans son essence la plus pure, s’oppose aux systèmes d’oppression, qu’ils soient visibles ou insidieux. Cette écriture-là n’est pas un ornement ; elle est un acte de résistance. Elle dérange, ébranle et trouble les certitudes qui rassurent. Elle s’élève contre l’injustice, contre l’oubli, contre la tyrannie du conformisme. Elle résiste.
L’écrivain véritable, celui qui incarne l’éthique du courage intellectuel, est sans cesse placé au cœur d’une contradiction essentielle : oser dire, c’est risquer l’anathème, mais se taire, c’est consentir à l’oppression. Dans des contextes historiques et politiques précis, l’écriture devient un acte de rébellion, une manière de préserver sa dignité, une quête de vérité et de liberté face à l’arbitraire. Boualem Sansal a fait ce choix. Dans une démarche consciente, il a pris la plume comme une arme, un cri de résistance contre une réalité défigurée par la peur et l’injustice. Son œuvre, nourrie d’une lucidité implacable, devient une forme de subversion permanente. Ce n’est pas un simple délit d’opinion qu’il a commis, mais un crime symbolique : celui de l’écriture, celui de la vérité, celui de la parole libre.
L’histoire des Lettres universelles est marquée par ces figures de plume qui, comme Sansal, ont défié les pouvoirs dominants, qu’ils soient politiques ou idéologiques, au nom d’une vérité supérieure. Victor Hugo, depuis son exil à Guernesey, n’a cessé de harceler de ses pamphlets incendiaires Napoléon III, dénonçant l’injustice et l’oppression sous toutes ses formes. George Orwell, dans 1984, a esquissé le portrait d’une société dystopique où la langue est instrumentalisée pour briser l’individu et manipuler la vérité. Anna Akhmatova, contrainte de réciter ses poèmes à voix basse, dans la clandestinité, savait que chaque mot écrit pouvait lui coûter la vie. Ces écrivains ont compris que l’écriture n’est pas un simple exercice littéraire : elle est un instrument de dénonciation, un cri de résistance contre le totalitarisme et l’aliénation.
L’écriture est résistance, car elle est mémoire. Face à l’effacement programmé des événements, à la manipulation de l’Histoire et au révisionnisme institutionnel, elle devient le dernier rempart contre l’amnésie collective. A travers ses mots, l’écrivain garde la trace des injustices, conserve la mémoire de ce que les pouvoirs cherchent à effacer. C’est ce que fit Aimé Césaire avec son Discours sur le colonialisme, où il n’exposa pas seulement une analyse froide, mais dénonça un crime contre l’humanité. De même, Assia Djebar, en donnant voix aux femmes algériennes dans L’Amour, la fantasia, n’a pas seulement écrit une œuvre littéraire : elle a inscrit dans l’Histoire ces voix étouffées, ces vécus invisibilisés. Ces écrivains ont fait de leur écriture un acte politique, un acte de justice
Boualem Sansal, tout au long de son parcours, n’a cessé de faire ce choix : celui de décrire l’Algérie postcoloniale avec une franchise parfois insupportable pour les élites, mais aussi pour les puissances internationales qui, souvent, ferment les yeux sur les dérives du pouvoir. Ses romans sont des accusations, ses essais des révélations. Et c’est cette parole libre qui dérange. Ce n’est pas simplement un écrivain que l’on veut réduire au silence, mais la parole même. Ce n’est pas un homme que l’on emprisonne, mais la possibilité même de la pensée libre.
L’écrivain, même incarcéré, ne se laisse pas confiner. L’écriture, une fois lancée, ne se résigne pas. Les livres circulent malgré les interdictions, les idées se transmettent à travers les frontières, défiant les lois et les censeurs. C’est là le pouvoir réel de la littérature : sa capacité à transcender les régimes, à survivre à la censure et à l’oubli. Le livre, une fois dans le monde, ne meurt jamais. Il devient une archive vivante, un témoignage pérenne qui défie les tentatives d’effacement.
Ce qui se joue avec Boualem Sansal aujourd’hui n’est pas un incident isolé, mais le symptôme d’un phénomène plus vaste. Partout dans le monde, les écrivains, redevenus des figures menaçantes, sont l’objet de surveillance et de répression. Leur danger n’est pas leur pouvoir matériel, mais leur liberté intellectuelle. L’écrivain ne dépend de personne ; il n’a de comptes à rendre qu’à sa conscience. C’est cela qui fait de lui un ennemi des régimes autoritaires : il n’est pas un instrument entre les mains de ceux qui détiennent le pouvoir, il est la voix qui échappe, qui dénonce, qui résiste.
Les régimes qui persécutent les écrivains révèlent leur propre fragilité. Car ce qu’ils redoutent, ce n’est pas tant l’individu, mais la pensée qu’il incarne. Le mot écrit est plus puissant que les murs de la prison, plus inaltérable que les forces répressives. Il s’étend, il traverse les continents, il s’infiltre dans les esprits. Et c’est là l’essence de la littérature : elle perdure au-delà des tyrans. Chaque texte, chaque parole libre devient un acte de défi contre l’oubli.
Une plume ne se juge pas
L’écrivain n’écrit pas pour flatter les pouvoirs en place. Il écrit pour la vérité, pour la liberté, pour la justice. Il ouvre des brèches là où d’autres se résignent. Et c’est en cela qu’il incarne la résistance. Chaque mot qu’il écrit, chaque phrase qu’il forge, devient une arme. L’écrivain porte en lui la flamme de la liberté, une flamme qui ne se laisse pas éteindre. Même dans les ténèbres, cette braise continue de briller.
Boualem Sansal, par son courage et sa plume, incarne cette flamme. Il est un porteur de braise. Et chaque mot qu’il écrit est un défi lancé à l’oppression. Il nous rappelle que la pensée libre ne s’éteint jamais, qu’elle résiste, même sous les cendres les plus épaisses.
Boualem Sansal, à travers son œuvre, incarne cette quête permanente de vérité, ce défi lancé à l’ordre établi. Son écriture est une insurrection pacifique, une dénonciation sans fard des injustices. Aujourd’hui, il est persécuté pour avoir osé dire ce qu’il fallait dire. Mais son courage, loin de l’abattre, ne fait que renforcer la portée de ses mots. Ses écrits, tout comme ceux de nombreux écrivains avant lui, traverseront le temps. Ils seront lus, relus, étudiés, et dans chaque lecture, dans chaque réflexion, sa pensée continuera de vivre, d’éclairer, de libérer.
L’écriture, plus que jamais, est notre bien le plus précieux. Elle est notre mémoire, notre combat, notre révolte. Elle est l’âme du peuple, la voix des opprimés, le miroir de l’Histoire. Elle ne craint pas les dictatures, elle ne se laisse pas écraser sous les talons des tyrans. Elle est la braise qui, une fois allumée, continue de brûler dans le cœur des hommes, éclairant le chemin de la liberté. Cette braise, même menacée par le vent de l’oppression, résiste. Elle perdure, elle éclaire, elle libère.
Nous écrivons, donc, non seulement pour Boualem Sansal, mais pour tous ceux qui, à travers le monde, se battent pour que la pensée demeure libre. Nous écrivons pour la mémoire, pour la vérité, pour la justice. Et à chaque ligne, à chaque mot, nous affirmons notre refus de la soumission. Nous affirmons que l’écriture ne peut être jugée, elle doit être lue, défendue et préservée. Car c’est dans l’écriture que réside la véritable force de la liberté humaine.
Le monde des Lettres doit se mobiliser davantage contre cette forfaiture, en écrivant, car c’est dans l’écriture que se forgent les imaginaires de liberté, de paix et de justice. Somme toute, chaque écrivain est porteur d’une flamme qu’aucun vent de censure de la part de dirigeants ignares ne peut éteindre.
SIGNATAIRES :
1- Baba DIENG, Chroniqueur, Sénégal ; 2- Mama Ndiaw GOUMBALE, Ecrivain, poète et romancier, Maître en Droit Public, Université Gaston Berger, Sénégal ; 3- Mamadou CISS, Journaliste, Sénégal ; 4- Mamadou DIOP, Etudiant en Droit public, Université Gaston Berger, Sénégal ; 5- Mackiyou DIOUF, Etudiant en Science politique, Université Gaston Berger, Sénégal ; 6- Moussa THIMBO, Etudiant en Droit public, Université Gaston Berger, Sénégal ; 7- Ousmane BALDE, Etudiant en Droit privé, Ecrivain, Université Gaston Berger, Sénégal ; 8- Djibril BA, Université Gaston Berger, Sénégal ; 9- Pathé NDIAYE, Etudiant en Droit public, Poète, Université Cheikh Anta Diop, Sénégal ; 10- Seydou Barham DIOUF, Etudiant en Science Politique, Université Cheikh Anta Diop, Sénégal.