VIDEOLA DANSE, ART RESPECTABLE OU PORTE OUVERTE VERS LA PERVERSION

Le moins que l’on puisse dire est que la danse est devenue un vrai raccourci qui mène vers la célébrité et une certaine reconnaissance sociale. Hommes et femmes se bousculent au portillon pour s’adonner à cet art.
Jadis considérée comme une simple distraction, elle est aujourd’hui devenue une vraie profession. A l’origine, la danse occupait une place de choix au sein de toutes les sociétés africaines. Il était d’ailleurs bien convenu que la diversité des danses en Afrique répondait à la multiplicité des ethnies, des croyances et des cultures.
Chaque danse s'appuie sur une gestuelle, une rythmique différente, pour exprimer des choses aussi essentielles que le sens de la vie, l’évolution humaine ou encore le cycle des saisons. Elles sont indissociables de la vie quotidienne et occupent une place majeure dans la vie sociale des collectivités. La danse est un art qui consiste à mouvoir le corps humain selon une certaine harmonie entre le temps et l’espace et le tout soutenue par une belle concordance rythmique.
Il existe des danses originales pour tous les événements. Elles sont utilisées pour raconter, communiquer, fêter… pour vivre, tout simplement ! On peut alors différencier les aspects sacrés et profanes de la danse. Les danses sacrées, qui prennent souvent la forme de transes, suivent des rituels précis et ne sont accessibles qu’aux initiés. Elles se déroulent lors de cérémonies plus ou moins initiatiques et sont fixées par le calendrier. Les danses populaires sont accessibles à tous.
Elles développent la créativité des danseurs et, grâce à l’improvisation, leur offrent une grande liberté d’expression. Pour les besoins de ce dossier, on s’est plutôt intéressé à cette nouvelle forme de danse populaire et omniprésente sur nos écrans de télévision. Pratiquée aussi bien par les hommes que par les femmes, cette forme d’expression artistique est souvent l’objet de critiques et de remarques acerbes qui fustigent son coté pervers pour ne pas dire obscène.
Une entrée fulgurante dans nos mœurs
Au Sénégal, la danse a toujours occupé une place de choix et toutes les occasions étaient bonnes pour se trémousser au son du rythme. Force est de constater que cette pratique festive, ludique ou posée, a connu ses heures de gloire. C’est sûrement la raison principale qui a poussé le président poète Léopold Sédar Senghor à exprimer toute l’importance de la danse:
"En Afrique, c'est la danse qui est au commencement de toutes choses. Si le verbe l'a suivie, ce n'est pas le verbe "parler", mais le verbe "chanter", rythmer. Danser, chanter, porter des masques constituent l'art total, un rituel pour entrer en relation avec l'indicible et créer le visible".
Pourtant depuis au moins deux décennies, avec l’avènement des groupes musicaux modernes, la danse a connu une seconde jeunesse et une nouvelle orientation. Des jeunes garçons et filles à la fleur de l’âge en ont librement fait un métier.
Les têtes d’affiche de la musique sénégalaise rivalisaient d’ardeur en essayant de trouver de nouvelles danses à chaque sortie de produits musicaux sur le marché. Il est loin le temps ou Saloum Dieng faisait hurler les puritains avec la danse du "Ndaga" qui parait bien terne au vu de ce qui se fait actuellement. Pourtant il a bien fallu un élément déclencheur.
A ce jeu, Youssou Ndour a vite fait de ravaler Coura Thiaw, Diéynaba Niang, Amy Tocksell, Oumy Séne et Ndéye Khady Niang aux rangs d’articles de musée. Son fameux titre "Marième Dieng Salla", plus connu sous le nom de "Ventilateur", a inauguré cette ère propice à la prolifération de nouvelles danses au Sénégal.
Quelques années plus tard, sans doute conscient des ravages de sa trouvaille géniale, il a dû mettre de l’eau dans son vin en commettant le titre "Wendélou" dans lequel il dénonce carrément les nouvelles formes de strip-tease collées à la danse moderne. Il faut convenir qu’il avait toutes les raisons du monde de s’ériger en censeur car cette débauche inquiétante qui était souvent collée à son nom, lui qui était considéré comme le Roi du Mbalakh.
Avec l’avènement du "Marimbalakh", ce rythme endiablé créé par la défunte formation du Lemzo Diamono, les choses vont connaitre une nouvelle tournure autrement plus inquiétante. De jeunes chanteurs occupent le devant de la scène. Plus mobiles et plus enclins à danser sur leurs propres créations, ils n’hésitent pas à reproduire à chaque sortie de titres de nouvelles danses.
A ce jeu, Fallou Dieng, Salam Diallo et Alioune Mbaye se font les chantres d’un nouveau jeu. Des danses comme "Reug Reug" "Waniarou" et autres "Xaaj Bi" sont mises au devant de la scène. Même à son départ du Lemzo Diamono, Fallou Dieng continue d’aligner des tubes et de nouvelles "contorsions" très prisées par le public qui finit de le consacrer "Chef d’état Major des ambianceurs"".
Créatif et prolifique à sa manière, il enchaine les nouvelles créations comme "Thionthie" et récemment, "Gora Compas" qui accompagne la promotion de son dernier album.
Une nouvelle profession
Pourtant malgré les récriminations et les condamnations d’une certaine frange de la société qui ne supporte pas cette nouvelle forme de perversion, la danse continue de connaître un réel succès au Sénégal. Avec l’avènement "d’Oscar des Vacances" à l’entame des années 90, le phénomène prend une nouvelle tournure.
Des groupes de jeunes sont invités à se mesurer chaque semaine, et de véritables vedettes sont sorties de ce moule expérimental. Nombre de vedettes actuelles de la chanson et de la danse ont éclot véritablement grâce à cette émission populaire. Il convient de citer des sommités présentes comme Oumou Sow, Wa Pirates de Dieuppeul, Amy Mbengue ou autres Carlou D et Pape Ndiaye Daly, parmi les anciens participants à cette manifestation ludique.
Chose rare et inexplicable à ce jour, les hommes, confinés alors à jouer les seconds rôles, se retrouvent subitement au devant de la scène et arrivent même à damer le pion aux femmes. Des groupes de danses voient le jour et les musiciens professionnels se bousculent au portillon pour faire appel à ces nouvelles vedettes.
Des formations comme les "Pirates de Dieuppeul", devenu plus tard Wa Pirates, sont sollicitées par toutes les stars de la scène musicale nationale. D’autres acteurs vont aussi s’engouffrer dans la brèche, installant même une certaine concurrence entre les différents acteurs comme : Pape Ndiaye, Djilly, le groupe Thiou, Pape Moussa etc.
A l’instar des garçons, les filles aussi ne sont pas en reste. Des groupes pullulent comme des champignons. Oumou Sow devient la première fille à diriger un groupe de danse essentiellement composé de filles. Elle choisit le nom chargé des "Amazones" pour montrer toute sa détermination à réussir dans sa nouvelle profession.
Des dissensions internes permirent la création d’autres groupes comme les Amazones avec Ndéye Guéye ou encore "les Signares". Le corps de la femme est désacralisé et réduit à un vulgaire objet. Les positions lascives et les gestes suggestifs finissent par indigner les pudiques et une bonne partie du public.
Malgré les scandales et les polémiques sur cette forme de danse rejetée par les puristes et vouée aux gémonies par les décideurs, elle continue d’occuper une place considérable dans notre société. Si on ajoute à cela l’irruption en masse sur la scène musicale des "Tassukat" et anciens batteurs de tam-tam, devenus de véritables stars, le tableau en devient plus complet.
La danse une rampe de lancement vers le "Tassou"
Il y a aussi un autre phénomène qui a attiré l’attention du grand public. La danse est rapidement devenue le passage obligé de certains vers la chanson. Aussi bien chez les garçons que chez les filles, après s’être fait connaitre dans le monde de la chorégraphie, on se dirige inéluctablement vers la chanson ou plutôt le "Tassou".
Certains percussionnistes et danseurs aussi ne se font pas prier pour suivre la mouvance. Des artistes comme Pape Ndiaye Thiopét, Salam Diallo, Dame Séne, Mbaye Diéye Faye, Pape Ndiaye Thiou, Ameth Thiou, Pape Ndiaye Guewel, Ameury Badiane ont tous transité par la danse et les percussions avant de s’essayer au Tassou.
Mais force est de constater que le cas le plus fulgurant et le plus inexplicable reste celui du jeune Ouzin Keita. Ce garçon qui était pensionnaire de la troupe de danse de Ndéye Guéye a subitement senti le besoin de sortir un single. Titré "beureung Barigo", cet opus d’une simplicité rythmique évidente a vite fait de trôner en tête des hits parades.
Ce qui a valu au garçon une rapide célébrité que ni son talent ni sa maestria ne peuvent valablement expliquer. Il a encore récidivé ces derniers temps en sortant un autre single du même acabit titré "Ramass". Ce sont des exemples de ce genre qui poussent à réfléchir sur le sérieux de certains de nos acteurs mais aussi sur l’indulgence du public qui est prêt à tout consommer.
Ce garçon qui a du mal à bien articuler est devenu très rapidement la coqueluche du public sénégalais. Piètre danseur et chanteur sans éclat, il a réussi à bousculer tout sur son passage grâce à l’appui d’un public qui a vite fait de le hisser au rang de star. Ce qui l’a vraiment galvanisé au point de lui fournir des ambitions démesurées.
Sans se démonter, il a promis de jouer au … Grand Théâtre après la sortie d’un single. Waly Seck en a fait son invité d’honneur au Zénith au mois de mai dernier. Tout cela prouve si besoin en est que la danse doit être assaini et ne plus servir de refuge aux artistes dénués de talent qui ne font qu’ajouter un peu plus de bruit à cette nouvelle forme de musique sénégalaise...
Les troupes traditionnelles laissées en rade
Cette explosion de la danse populaire n’a pas fait que des heureux. Les autres acteurs qui ont choisi un autre créneau avec les ballets et la danse contemporaine ont du mal à émerger devant cette véritable furie dévastatrice. Le Centre Culturel Blaise Senghor, qui accueille de nombreux ballets, ne désemplit pourtant pas mais les danseurs de ces entités trouvent difficilement des cadres d’expression au niveau national.
Ils sont obligés de s’exiler ou de se cantonner à des rôles de figurants taillables et corvéables à merci, à l’occasion de visites de chefs d’Etat étrangers. Ce spleen est pourtant perceptible même au niveau des véritables professionnels de la danse. Cependant, ces derniers refusent de se laisser enterrer par des rivaux qu’ils considèrent comme des profanes.
Ils se battent courageusement à l’image de Gacirah Diagne du Festival Kaay Fecc ou encore Germaine Acogny avec l’Ecole des Sables. Le constat est le même au niveau de ces différentes chapelles qui constatent toutes que la danse contemporaine a perdu de son charme et de sa vitalité depuis la fermeture de Mudra Afrique.
Cependant ces acteurs refusent de baisser les bras et continuent de lutter pour préserver cet héritage sensiblement écorné par cette nouvelle vague.La danse du hip hop ou street danse tente de se frayer timidement un chemin dans cette véritable jungle ou règne sans partage les adeptes du "Tatou Laobé" "Raaw Tacc," "Leumbeul" et autres "Bombass" et "Yeungeul Down".
LE POINT DE VUE DES ACTEURS
Oumou Sow des Amazones : "La danse est un métier noble"
"Je suis un peu gênée d’entendre à chaque fois les sénégalais tirer sur les danseuses. Si on ne nous qualifie pas de filles de mœurs légères, on nous taxe de voleuses de mari ou de dévergondées. Ce qui est archi faux. A mon avis, cela me désole au plus haut point. Je vais encore me répéter, la danse est un métier noble comme tous les autres. En ce qui me concerne, je ne fais rien de mal. Je fais mon boulot le plus naturellement du monde et avec le plus grand professionnalisme. Cela m’a valu des lauriers au plan international. Depuis plus d’une décennie, je ne vis que de la danse qui me permet de satisfaire tous mes besoins et j’en remercie profondément le Bon Dieu. Je gère actuellement une véritable école et des parents n’ont pas hésité à me confier leurs enfants. Rien ne m’a été offert sur un plateau. Je me suis battue et actuellement, je me livre à d’autres activités mais tout cela c’est grâce à la danse. Ce qui prouve à mon niveau que les choses ne sont pas aussi noires qu’on semble les décrire. Malheureusement, au Sénégal, les gens aiment parler de choses sans pour autant les maîtriser et c’est dommage."
Ndèye Guèye des Gazelles : "J’ai la conscience tranquille et je poursuis mon chemin car je n’ai pas l’impression de faire du mal"
"Je ne prête pas beaucoup attention à certaines rumeurs. Je reconnais que j’ai commis certaines erreurs mais cela ne veut pas dire que nous nous complaisons dans la débauche. Nous sommes jeunes et nous devons nous adapter aux exigences de notre époque. Nous avons librement choisi de faire de la danse notre métier et nous assumons ce choix. C’est cette danse qui me permet de venir en aide à mes parents, et rien que pour cela, je ne me laisserais pas divertir. Il est vrai qu’il y a beaucoup de chose à dire mais c’est valable pour tous les secteurs de la vie. Il ne faut pas se voiler la face, il y a bien pire que cela au Sénégal. Je suis consciente qu’il ne me reste plus beaucoup de temps dans ce milieu car j’envisage de raccrocher et de faire autre chose. Si les gens parlent de moi, c’est parce que Dieu en a décidé ainsi et je fais tout pour éviter de tomber dans certains travers l.
Médoune des Pirates : "Il y a des choses à revoir dans ce milieu"
Il faut bien convenir qu’il y a des choses à revoir dans ce milieu. Il faut dépasser ce stade pour arriver à professionnaliser la danse. Il y a forcément à dire. Nous avons décidé de choisir la voie du professionnalisme. Et même si les gens n’en parlent pas, nous faisons de la danse contemporaine et cela nous a valu des lauriers hors du Sénégal. C’est donc une raison supplémentaire pour nous de continuer sur cette voie. Si vous regardez bien, vous verrez que nous avons délibérément choisi de diversifier nos activités et en plus de la danse, nous faisons de la musique et du stylisme. Il faut arriver à faire admettre aux sénégalais que la danse est un métier noble qui peut nourrir son homme sans aucun problème.
Germaine Acogny de l’Ecole des Sables : "L’Etat doit soutenir la création artistique"
Je ne peux pas me permettre de juger les autres. Je ne pourrais parler que de mon vécu. La danse a connu de profonds bouleversements au Sénégal et il faut avoir le courage de le dire. Ce que je vois à la télé n’honore pas notre pays et cela ne fait pas partie de nos valeurs. Il faut bien se résoudre à revoir certaines choses. L’Etat doit jouer pleinement son rôle en soutenant ce secteur qui connaît certaines difficultés. Je continue mon combat tout en invitant les uns et les autres à se ressaisir et revoir les copies.
Aida Dada des Lionnesm : "C’est un métier très difficile"
La danse est un métier très difficile. C’est aussi un milieu ou l’hypocrisie et la méchanceté règnent. Mais c’est à nous de montrer une autre image. Il est vrai que nous ne sommes pas irréprochables et nous prêtons souvent le flanc. Il ne faut pas dévaloriser notre métier. Il faut aussi dire que certains hommes ont contribué à polluer l’atmosphère. A vrai dire les hommes n’ont pas leur place dans ce milieu. A l’exception de Pape Moussa et Pape Ndiaye qui ont un style d’homme, les autres ne font rien pour faire progresser le métier.
Soda Mama Fall chanteuse et ancienne danseuse : "Les images que je vois à la télévision sont à ranger dans la catégorie de l’obscénité"
J’ai été une très grande danseuse avant de venir dans la chanson. Mais je dois dire que nous étions beaucoup plus prudes que les filles d’aujourd’hui. Sur un autre point, je suis vraiment écœurée par les images que je vois à la télévision. Les filles d’aujourd’hui sont pratiquement nues sur les plateaux ou scènes de tournage. Les chanteurs, les réalisateurs de clips et les danseuses doivent faire attention car ces images peuvent les desservir un jour. Elles sont archivées et elles doivent penser au jour ou elles seront adultes et surtout à leurs enfants qui peuvent être pénalisés ultérieurement par ce genre de comportements qui n’a rien de sénégalais. Les femmes doivent avoir une posture irréprochable. Ces images sont indignes du Sénégal et il faut rectifier le tir pendant qu’il est temps. Nous n’avons pas de richesses mais notre culture est notre diamant. Il faut tout faire pour la préserver.