L'ÉMIGRATION IRRÉGULIÈRE À DIONEWAR, UN CHOIX, UNE FATALITÉ ?
À Dionewar, l'émigration irrégulière ne se mesure pas seulement en départs, mais aussi en absences. L'absence des garçons dans les maisons, dans les activités communautaires comme le mouvement Navétane, en dit long sur l'impact de cette dynamique

J'ai eu l'occasion, lors d'un voyage pédagogique à Dionewar avec des des étudiants de l'Un-Chk ( ex UVS) du club de sociologie de l'ENO de Mbour, de toucher du doigt une réalité qui dépasse les simples chiffres et les discours officiels sur la migration irrégulière au Sénégal. Là-bas, l'émigration clandestine n'est pas seulement une option, presque un passage obligé.
Dans cette localité où la la pêche, jadis florissante, peine aujourd'hui à nourrir ses travailleurs, l'horizon est bouché pour une jeunesse en quête d'un avenir meilleur.
Le constat est révélateur de l'ampleur du phénomène. À Dionewar, l'émigration irrégulière ne se mesure pas seulement en départs, mais aussi en absences. L'absence des garçons dans les maisons, dans les rues, dans les activités communautaires comme le mouvement Navétane, en dit long sur l'impact de cette dynamique.
Le manque de perspectives professionnelles et la pauvreté omniprésente façonnent un imaginaire collectif où l'Europe est conçue comme un eldorado.
À Dionewar, partir par la mer, c'est aussi banal que prendre un car rapide pour Dakar.
Ceux qui réussissent - ou du moins, ceux en donnent l'apparence - sont les émigrés clandestins. Leurs maisons imposantes et leur réussite matérielle sont les meilleures campagnes de promotion pour ce voyage périlleux.
Ce qui m'a le plus marqué, c'est l'implication des familles elles-mêmes dans ce processus.
Contrairement à l'image de jeunes fuyant en secret. Ici, ce sont les parents qui financent ces départs. Investir dans un voyage clandestin est souvent perçu comme le seul moyen d'assurer une ascension sociale à leur progéniture.
Lors de notre dernier jour à Dionewar, nous avons échangé avec des jeunes tout juste rapatriés d'une tentative avortée. Loin d'être découragés, ils nous ont confié qu'ils étaient prêts à repartir dès que possible.
Aujourd'hui, alors que l'on parle de l'implication du maire de Dionewar dans un réseau de convoyage vers l'Espagne, je ne suis pas surpris. Je ne connais ni les tenants ni les aboutissants de cette affaire, mais une questione taraude : et si, au-delà de la légalité ou de l'illégalité de son acte, ce n'était qu'un cri d'impuissance face à l'absence de solutions locales ?
Le problème du Sénégal est sociologique. Nous persistons à refuser de nous regarder en face, à identifier nos failles et à nous donner les moyens de changer.
L'émigration clandestine n'est pas qu'une affaire de passeurs ou de candidats au départ, c'est un symptôme d'une crise plus profonde qui mérite une réponse globale. Car, comme le dit l'adage, on n'arrête pas avec ses bras.
Dionewar, comme bien d'autres localités du Sénégal, a vu sa jeunesse s'engager politiquement avec espoir et détermination.
Lors de notre voyage, nous avons constaté que ces jeunes, malgré les difficultés économiques et l'émigration clandestine, plaçaient leurs espoirs dans un changement politique. Un an plus tard, leur rêve s'est concrétisée avec l'accession de Pastef au pouvoir.
Dès lors, il y a une responsabilité morale du nouveau régime : répondre aux attentes de cette jeunesse qui a porté un projet de rupture.
La question de l'émigration clandestine, en particulier à Dionewar, ne peut être traitée sous l'angle de la seule répression ou des accords migratoires. Il faut des solutions globales et locales, durables et adaptées aux réalités des jeunes de dionewar et d'ailleurs.
Bien sûr, par honnêteté intellectuelle, il serait hasardeux de juger aujourd'hui de leur rapport au nouveau pouvoir.
L'engagement politique évolue au gré des actes posés par les dirigeants. Mais une chose est certaine, une jeunesse qui croit au changement est une jeunesse qui mérite des réponses concrètes.
Quand une localité voit disparaître une partie de sa jeunesse active, c'est tout son équilibre social, économique et culturel qui vacille. Ce n'est seulement une question de départs individuels, mais une véritable saignée qui affecte la structure familiale, la transmission des savoirs et même l'animation de la vie locale.
Cela montre que la migration irrégulière, à Dionewar comme ailleurs, n'est pas un simple choix personnel. C'est un phénomène collectif, un système ancré dans les réalités locales et perçu comme la seule issue possible.
Face à cela, il est impératif de réfléchir à des alternatives concrètes pour redonner espoir et perspectives à ces jeunes avant qu'ils ne prennent la mer.