PROJETS DE LOI MODIFIANT LE DROIT PÉNAL, DEUX TEXTES DIFFICILES À COMPRENDRE
EXCLUSIF SENEPLUS – L’emploi des mots « groupement » et « entente » est de nature à rendre plus floue l’interprétation de l’expression « association de malfaiteurs ». L'entente ne semble pas avoir une forme légalement saisissable

Projets de loi modifiant le droit pénal : « deux textes difficiles à lire et à comprendre » et présentés en procédure d’urgence, ce qui de l’aveu de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale ne permet pas « de pouvoir voter en toute connaissance de cause ».
La lecture du rapport de la Commission des lois consacré au projet de loi n° 10/2021 modifiant le Code pénal (CP) et de celui relatif au projet de loi n° 11/2021 modifiant le Code de procédure pénale (CPP) fait ressortir une constatation générale : l’absence de commentaires sur les différents articles modifiés dans ces deux Codes. Cette constatation nous amène à nous demander si les membres de la Commission des lois savent que l’instruction de tout projet de loi par leur Commission requiert une étude article par article du projet de loi et avec des possibilités d’amendements.
Au Sénégal, « les parlementaires n’ont pas toujours le niveau intellectuel nécessaire pour appréhender les enjeux qui s’attachent aux interventions normatives ». Cette phrase de Papa Assane Touré dans son ouvrage « La légistique. Techniques de conception et de rédaction des lois et des actes administratifs : une tradition de gouvernance normative » [1] condense en peu de mots les préjugés que l’on peut avoir sur la qualité du travail législatif.
Le rapporteur de la Commission des lois confirme les propos de M. Touré lorsqu’il souligne dans son rapport sur le projet de loi n° 11/21 (page 6) que « le Code pénal et le Code de Procédure pénale sont deux textes difficiles à lire et à comprendre même pour les juristes et à fortiori les Députés, qui n’ont pas forcément une formation en science juridique » (Nous mettons en gras).
Sur un autre plan, en considérant que « le dépôt du présent projet de loi en procédure d’urgence ne permet pas d’analyser et de conceptualiser la réforme proposée » et en suggérant « de déposer, à l’avenir, les textes selon la procédure normale pour permettre aux parlementaires d’avoir suffisamment de temps pour cerner l’objet des réformes envisagées » (page 7), la Commission des lois avoue donc implicitement qu’elle n’a pas pu voter les deux projets de loi en toute connaissance de cause.
Nous n’avons pas jugé utile de reproduire ici l’ensemble des observations suscitées par l’analyse des deux projets de loi. Nous nous contenterons de soulever des commentaires sur les points ci-dessous.
La problématique de la définition du terrorisme
Selon le rapport de la Commission des lois sur le projet de loi n° 10/2021 « le ministre a été invité à apporter des éclairages sur la notion de terrorisme ». Le rapport ne fait pas état de la définition de la notion de terrorisme donnée par le ministre.
Ainsi que l’a souligné Dubuisson François, «la notion de « terrorisme » reste largement insaisissable, et que les éléments définitionnels qui en sont donnés demeurent extrêmement flous, ce qui octroie une importante marge d’appréciation aux États dans son utilisation, qu’il s’agisse de justifier des régimes juridiques dérogatoires et exceptionnels, ou de stigmatiser un ennemi, dans une perspective politique » [2].
Les modifications apportées au droit existant ne sont pas précisées
Ni l’exposé des motifs, ni le rapport de la Commission des lois n’exposent les modifications apportées par le projet de loi n°10/2021 au droit existant en particulier à la loi n° 2016-29 du 8 novembre 2016. Cela est également vrai pour le projet de loi n° 11/2021 par rapport à la loi n° 2016-30 du 8 novembre 2016.
En particulier, les faits de financement du terrorisme non couverts par la loi n° 2018/03 du 23 février 2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ne sont pas précisés dans l’exposé des motifs.
On remarquera que les deux exposés des motifs et les deux rapports de la Commission des lois ne font référence nulle part aux deux lois du 8 novembre 2016 [3].
Il devrait être rappelé aux rédacteurs des projets de loi la décision n° 1/C/2016 du Conseil constitutionnel en date du 12 février 2016 dans laquelle le juge constitutionnel considère que « l’exposé des motifs doit indiquer, de manière claire, l’esprit dont procède le texte, les objectifs que l’on cherche à atteindre et les modifications à apporter au droit existant ».
L’association de malfaiteurs du nouvel article 238 du CP
Le projet de loi n° 10/2021 propose une nouvelle formulation de la définition de l’association de malfaiteurs de l’article 238. Le premier élément constitutif du crime ou du délit défini par l’article 238 est un groupement formé ou une entente établie dans le but de préparer ou de commettre un crime ou délit contre les personnes ou les propriétés. Les travaux préparatoires de la nouvelle loi pénale auraient dû nous édifier s’il y a là une alternative à savoir la loi pénale punirait soit un groupement formé, soit une simple entente établie entre deux ou plusieurs personnes. À notre sens, le terme groupement renvoie au mot association. Or, une association suppose nécessairement une entente. Dans ces conditions, on se demande si l’emploi des deux mots « groupement » et « entente » n’est pas de nature à rendre plus floue l’interprétation de l’expression « association de malfaiteurs ». En ce qui concerne l’entente, on se demande comment la déceler si elle n’a pas une forme légalement saisissable.
Nous pensons que le nouvel article 238 aurait dû imposer aux juges de caractériser des faits matériels.
L’association de malfaiteurs à caractère terroriste du nouvel article 279-1.7 du CP
Le délit de participation à une association de malfaiteurs prévu par les articles 238 à 240 du Code pénal est entré dans le droit pénal comme une infraction terroriste « autonome » depuis 2007 (Cf. article 279.1 point 7 du CP dans sa rédaction issue de l’article premier de la loi n° 2007-01 du 12 février 2007). L’article 3 de la loi n° 2016-29 du 8 novembre 2016 a reconduit les dispositions pénales de la loi de 2007 et le projet de loi n° 10/2021 (article 5) est venu s’inscrire dans la même tendance. Aussi, dire dans le rapport de Commission des lois que « la notion de terrorisme semble être élargie à l’association de malfaiteurs et qui viserait des situations de violence que le Sénégal avait connu par le passé » ne nous parait pas exact.
Sur le fondement de l’article 279-1, l’infraction de droit commun d’association de malfaiteurs n’est poursuivie et réprimée comme acte de terrorisme que lorsqu’elle est commise « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but d’intimider une population, de troubler gravement l'ordre public ou le fonctionnement normal des institutions nationales ou internationales, de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte quelconque par la terreur » .
Se pose ici la question de savoir ce qu’on entend par « une entreprise individuelle ou collective » à caractère terroriste et ce que signifie la condition d’existence d’un but :
- « d’intimider une population,
- de troubler gravement l'ordre public ou le fonctionnement normal des institutions nationales ou internationales,
- de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque par la terreur ».
En vertu de l'article 279-1.7 précité, « caractériser la participation à un groupement terroriste suppose dans un premier temps de rapporter la preuve de la nature terroriste de ce groupement, ou plus exactement de la nature terroriste des actes projetés par ce groupement ; puis dans un second temps de rapporter la preuve d'un acte individuel de participation à ce groupement [4]».
La délimitation précise du délit d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise individuelle ou collective à caractère terroriste s’impose pour éviter des décisions arbitraires.
L’appellation « réclusion criminelle » est-elle consacrée par l’article 7 du Code pénal ?
Dans différents articles du projet de loi modifiant le CP, les peines sont la réclusion criminelle à perpétuité et la réclusion criminelle alors que, dans la loi n° 2016-29 du 8 novembre 2016, le législateur employait les termes : « travaux forcés à perpétuité » ou « travaux forcés à temps » en vertu de l’article 7 du Code pénal [5]. Si aucune loi n’est intervenue depuis 2016 pour modifier l’article 7, pourquoi l’appellation « travaux forcés » a été remplacée par celle de « réclusion criminelle » ?
En passant, rappelons que la modification du Code de Justice militaire de 1994 s’impose. Ledit Code continue de faire référence à la peine de mort et à des peines de travaux forcés.
L’examen de ces deux projets de loi et les termes du rapport de la Commission des lois sur le projet de loi n° 11/21 (page 6) rendent nécessaire le recrutement d’assistants parlementaires pour appuyer la Commission des lois. Selon l’article 50 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, « l’Assemblée nationale peut recruter des assistants parlementaires pour le service des députés [6]». Plus que des assistants parlementaires, la technicité ou la spécificité de certaines matières devrait amener l’Assemblée nationale à recruter à temps partiel des experts payés sur ses crédits de dépenses diverses.
Mamadou Abdoulaye Sow est inspecteur principal du Trésor à la retraite
[1]Publié par L’Harmattan-Sénégal, 2018, p. 33 (Nous mettons en gras.)
[2] Dubuisson François, « La définition du « terrorisme » : débats, enjeux et fonctions dans le discours juridique », Confluences Méditerranée, 2017/3 (N° 102), p. 29-45. DOI : 10.3917/come.102.0029. URL : https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2017-3-page-29.htm
[3] En 2016, la loi n° 2016-29 du 8 novembre 2016 est venu abroger et remplacer les articles 279-1 à 279-5 en créant un titre II ainsi libellé : « Des actes de terrorisme et des actes assimilés » ;
[4] Jules Alix, « Réprimer la participation au terrorisme » dans Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2014/4 (N° 4), pages 849 à 865.
[5] L’article 7 dispose que les peines afflictives et infamantes sont : les travaux forcés à perpétuité ; les travaux forcés à temps ; la détention criminelle ;
[6] Selon le même article, « leur mission consiste à fournir une expertise technique à toutes les commissions qui en ont besoin, ainsi qu’aux parlementaires qui le désirent, pour faire leur travail, en leur fournissant la documentation, l’information et le soutien nécessaires ».