RÉPONSE À MARY TEUW NIANE
Notre laïcité est sénégalaise. Elle n’est pas une religion d’État. Elle ne signifie pas une négation du fait religieux. La proposition anticonstitutionnelle de Mary Teuw, en plus de son caractère populiste, est le résultat d’une inculture historique
De l’absence du fondement historique, culturel sénégalais de la laïcité et de la proposition de sa suppression : le professeur Mary Teuw Niane a tout faux
La laïcité sénégalaise n'est pas d’origine coloniale française. Il ne s’agit pas non plus du placage de la Loi française de 1905 sur les textes d’un nouvel État indépendant. Notre laïcité ne signifie pas la séparation des mosquées et églises de l'État mais une collaboration entre le religieux et le séculier. Le texte fondateur de la laïcité de la République, c’est la Constitution du Sénégal en son article 24 et non la Loi française de 1905. Notre laïcité assure la liberté de conscience. C’est une garantie constitutionnelle du libre exercice de culte, de tous les cultes. Notre laïcité n’est pas le fruit de l’assimilation encore moins de l’acculturation coloniale. La Constitution du Sénégal n’a pas aboli le régime des cultes et l'État continue à les appuyer et les soutenir.
A ce propos, le programme de modernisation des cités religieuses relève de ce régime de financement du culte par l’argent public. Toutefois, la religion demeure une affaire privée, voire intime au sens où elle n'est pas organisée par l'État et relève de la liberté personnelle à la foi et à la pratique. Faire de la religion une affaire privée, c'est garantir la liberté individuelle et permettre en même temps aux différents cultes de se constituer, dans la sphère de la société civile, comme force sociale pouvant exercer librement leur développement. Le Professeur Mary Teuw Niane fait preuve d’une curieuse ignorance pour un savant de son rang lorsqu’il remet en cause les fondements historiques et culturels de la laïcité au Sénégal.
Aux territoires historiques correspondant à l’actuel Sénégal, l’islam a connu un fulgurant développement depuis plus de 1000 ans. Toutefois, il est à noter que, contrairement aux pays de la péninsule arabique, en dépit de l’islamisation très avancée, la légitimité des régimes royaux sénégalais était fondée sur l’alliance des lignages régnants et non sur une quelconque religion. Ici l’autorité légitime n’appartenait qu’aux familles régnantes et non aux confessions religieuses.
Les rois et princes exerçaient le pouvoir au nom des familles régnantes. Leur légitimité ne découlait pas d’un droit divin comme ce fut le cas de l’Ancien-Régime en France, où les rois étaient sacrés dans les cathédrales. Les confréries sénégalaises, pour ce qui les concerne, n’ont jamais prôné le remplacement de l’ordre princier traditionnel régnant par une légitimité théocratique musulmane. Bien au contraire, elles ont toutes collaboré avec l’ordre royal. Ce faisant, contrairement aux affirmations gratuites du Professeur Niane, les royaumes qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler l’actuel Sénégal, n’ont pas attendu la colonisation pour pratiquer la laïcité.
D’ailleurs, les rares tentatives de prise du pouvoir par des insurrections théocratiques s’étaient soldées par des échecs : qu’ils s’agissent des mouvements « Buur julitt », « Tuub nann» ou « la révolution Torodo ». Les royaumes du « Sénégal précolonial » étaient laïques. Et le Sénégal l’est resté depuis 1960. Ainsi, dès son accession à l’indépendance, le nouvel État, après avoir proclamé sa laïcité, assure et garantit « le respect de toutes les croyances, la liberté de conscience, les libertés et les pratiques religieuses ou cultuelles. »
Mieux, l’article 24 de la Constitution dispose que « Les institutions et les communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave. Elles sont dégagées de la tutelle de l’État. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome ». Cette disposition, en ladite forme, n’existe qu’au Sénégal. Elle est le fruit de notre propre génie politique, d’un art sénégalais de la synthèse et de la volonté de préservation de la nation plurielle et du vivre-ensemble. Notre laïcité est donc sénégalaise. Elle n’est pas une religion d’État. Elle ne signifie pas une négation du fait religieux. Elle ne combat non plus aucune religion. Bien au contraire !
La proposition anticonstitutionnelle, dangereuse et inopportune du Professeur Mary Teuw Niane, en plus de son caractère populiste, électoraliste et démagogique, est le résultat d’une inculture historique. Pour la présidentielle de 2024, il est attendu des candidats des propositions concrètes de transformations politique, économique et culturelle profondes visant à bâtir un nouveau Sénégal, à créer une nouvelle citoyenneté, une nouvelle identité nationale progressiste et non l’étalage de mesures dangereuses et rétrogrades qui flirtent de bas instincts obscurantistes. Il est incompréhensible que Monsieur Mary Teuw Niane, un éminent professeur de mathématiques des universités, ancien Recteur et ancien ministre de l’Enseignement supérieur, puisse, pour des raisons politiciennes et électoralistes, ose affirmer une si grossière contre-vérité sur l’absence de fondement historique et culturel de la laïcité au Sénégal.
Le régime républicain libéral et démocratique du Sénégal doit continuer à tirer sa légitimité du seul suffrage universel, du seul principe de la souveraineté nationale et non d’une quelconque confession.
Vive la République !
Vive le Sénégal !