UTOPIE OU IMPOSTURE ?
EXCLUSIF SENEPLUS - L'Afrique n’a pas besoin de donneurs de leçons - Nous sommes dans une guerre économique, idéologique, culturelle et politique

Échanger des idées constitue un acte de générosité, un moment humaniste et humanisant. Cela dépasse largement le don de soi. Ne dit-on pas que l’intellectuel se doit d’être désintéressé ? Qui est intellectuel ? Qui délivre ce mystérieux passeport ? Nous serons à l’abri de toutes les impostures le jour où nous serons à même d’octroyer ce laisser-passer sans quitter nos territoires. Or nous constatons que la tendance voudrait que les intellectuels africains soient fêtés à Paris avant de pouvoir exister chez eux grâce à la magie de l’estampille « vu à Paris ». Pour ce faire, les médias ultra-connectés à l’Afrique lâchent les premières salves.
Oyez, oyez nègres d’Afrique voici le plus grand penseur d’Afrique et l’affaire est dans le sac. Les choses sont plus compliquées cependant lorsque le contenu du discours de l’impétrant sonne creux et reste sans saveur, surtout lorsque ce discours suinte la pensée dominante et néo-coloniale. Douce utopie mortifère. Le fait cocasse, c’est celui qui permet au colonisé de s’appuyer sur l’effet colonial en vue de répandre méthodiquement des idées scélérates et dangereuses, tapissant ainsi le chemin de nos futures dépendances. Le fait intellectuel ne saurait survivre aux paillettes et à l’atmosphère confinée des lambris dorés du maître. Le continent africain est soumis à des chocs multiples, anciens et contemporains. Ainsi l’on a découvert tout récemment que l’esclavage est une réalité dans la Libye déstructurée par les appétits sordides des largués de la mondialisation.
Ainsi en est-il du drame des migrants que la romancière camerounaise Hemley Boum qualifie de « souillure collective qu’aucune réussite individuelle ne lavera ». Et cela nous ramène à notre sujet à savoir l’intellectuel plus « panseur » que penseur qui cautérise en sortant du bois et « coaché » par des officines au service d’une domination impitoyable. On entend des mots nouveaux qui transpirent la concussion et la notoriété facile. L’on nous parle d’utopie, celle qui permet effectivement de semer le trouble et de faire patienter. Ne vous inquiétez pas, le filon parisien a enfanté d’une âme exceptionnelle, une âme africaine. Calembredaines ! Dans la foulée, la restitution des œuvres d’art à l’Afrique constitue l’ultime camouflet à ce continent dont les populations sont parmi les plus démunies au monde. C’est cela l’utopie au service du verbiage qui entremêle sophisme et philosophie politique à la petite semaine, celle qui permet d’entériner des desseins néolibéraux inavouables.
La logistique consacrée au mensonge et à la désinformation est si forte que des âmes dopées aux galimatias néo-coloniaux finissent par triompher sur la place publique. C’est comme une mauvaise musique qui finit par s’installer dans le cerveau à force d’écoutes fréquentes et involontaires. Toutefois la victoire est provisoire car les peuples sont désormais éveillés dans un monde où le « savoir a semble-t-il changé d’adresse. Les postures et les impostures africaines à venir seront de plus en plus sophistiquées et souterraines. Le continent africain n’a pas besoin de donneurs de leçons, ce dont il a besoin ce sont des soldats de l’économie, des soldats de la médecine moderne, des soldats de la pensée, etc. Car nous sommes dans une guerre économique, idéologique, culturelle et politique. Jamais le monde n’a été aussi violent et dévastateur et comme par enchantement l’on nous propose une utopie chantée ou une philosophie de l’espoir. Je dirais même de l’espoir en philosophant alors qu’au même moment le sang de la jeunesse africaine se dilue dans les eaux gourmandes de la Méditerranée.
Il faut être courageux pour venir de nulle part et plastronner sur des médias complices en sachant que personne ne lèvera le petit doigt pour vous porter la contradiction tant les préoccupations quotidiennes sont loin de ce grotesque « prêt-à-penser ». Que le parisianisme lettré est bête lorsqu’il préfère le manioc auvergnat aux endives de Sangalkam ! Allons il faut respecter l’ordre des choses et surtout faire preuve de cohérence. Ce qui est intéressant dans ce cirque c’est qu’il finit par s’arrêter brutalement malgré le talent des clowns et les exploits télévisés et radiophoniques des trapézistes du « savoir ». À ce stade ils finiront par nous vendre la corde pour les pendre, car l’indépendance intellectuelle de l’Afrique, prélude à son émancipation, est en cours et il est à un stade irréversible. Au final les paroles creuses et dénuées d’intérêt proférées par des « intellectuels » sponsorisés prouvent définitivement que la peur a changé de camp. Le fantasme néo-colonial le plus usité consiste à sous-traiter la forfaiture qui use de l’enthousiasme précieux du nègre servile. Nombreux sont ceux qui ont refusé cette offrande de la notoriété balisée. Il y a une justice cependant, car le talent ne s’invente pas et dans le meilleur des cas il doute. De même que l’on ne peut se réclamer de Cheikh Anta Diop ou d’une Afrique émancipée tout en pataugeant dans les marécages putrides de la Françafrique culturelle…
Almamy Mamadou Wane est auteur de « La cuisine françafricaine, quand le poétique rejoint le politique », Editions l’Harmattan 2016