CHAMBRE DE COMBINES
Macky Sall, qui a tant souffert des manœuvres et intrigues à l’Assemblée nationale, dirige une coalition qui ramène la démocratie parlementaire au ras de pâquerettes

De tout temps, les élus du peuple n’ont jamais joué pleinement le rôle que leurs mandants attendent d’eux : animer la vie démocratique par le débat contradictoire, contrôler l’action gouvernementale en toute indépendance sans subir la pesanteur ou l’influence du camp auquel on appartient. Au contraire, on a transformé l’Assemblée nationale, lieu de reddition des comptes en un lieu de règlement de comptes entre députés d’un même clan ou d’anéantissement de la minorité parlementaire.
Le jour où Senghor a liquidé Dia
En décembre 1962, le président Léopold Sédar Senghor exécute politiquement Mamadou Dia, chef du Conseil gouvernemental, accusé de fomenter un putsch, en instrumentalisant les députés godillots qui n’hésitent pas à voter une motion de censure contre le gouvernement. Le tort de Mamadou Dia, c’est d’avoir refusé, dans un contexte d’austérité, l’augmentation injustifiée du salaire des fonctionnaires et des députés.
Son programme économique et social, qui doit promouvoir le premier plan de développement économique et social du Sénégal nouvellement indépendant, n’a pas reçu l’onction de la métropole bailleresse soucieuse de protéger localement ses compatriotes propriétaires des maisons de commerce privées de Bordeaux et de Marseille. De même que certaines autorités religieuses et coutumières grands producteurs d’arachide et certains politiciens véreux qui voient en ce programme la perte d’une certaine emprise monopolistique sur la production et la commercialisation arachidière au profit des structures coopératives réunissant les paysans petits producteurs. Il fallait une politique mutationnelle qui substitue à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement. De ce fait, les paysans producteurs réunis au sein des coopératives seraient associés aux prises de décisions sur la commercialisation de leur production.
Dia étant ainsi devenu un danger pour les intérêts des Français, il faut l’éliminer pour que les bailleurs de la métropole libèrent les crédits qui devaient financer le programme de développement revu et corrigé du Sénégal. C’est ainsi que Léopold Sédar Senghor profite de l’absence du chef du gouvernement du pays pour inciter les députés à voter les augmentations de leurs salaires. Une telle initiative courrouce le président qui, à son retour, entame un bras de fer avec les députés pour annuler une telle mesure dont la prérogative décisionnelle revient au parti. Ces députés restent inflexibles et décident de voter une motion de censure pour faire tomber le gouvernement Dia.
La situation de confusion subséquente avec la présence des forces de la Garde républicaine à l’Assemblée nationale permet à Senghor d’accuser Dia de tenter un coup d’Etat et de se débarrasser de lui définitivement comme le lui ont dicté les maîtres français. Dia, stoïque, purge une peine carcérale de 14 ans avec 4 de ses ministres.
Habib Thiam et Daouda Sow victimes de Collin
Cette même Assemblée, sous le règne du président Abdou Diouf, sera manipulée par le superpuissant Jean Collin pour anéantir ses camarades de parti. Il faut préciser que, dans le dessein d’affaiblir l’opposition d’alors, le président Abdou Diouf avait instauré aux législatives de 1983 la règle des 15% pour obtenir un groupe parlementaire. C’est ainsi que le parti d’Abdoulaye Wade qui avait obtenu 8 députés sur 120 ne dispose pas de groupe. Et le Ps règne en maître à l’Assemblée sans opposition parlementaire.
En 1984, Habib Thiam est victime des manœuvres, sur fond d’un contentieux des années 70, de Jean Collin qui a «marrionnettisé» une bande de députés socialistes sous sa coupe pour pousser aux orties l’alors président de l’institution parlementaire. Le même procédé est utilisé par la même personne en décembre 1988 pour se défaire de Daouda Sow successeur d’Habib Thiam au perchoir. Son crime : avoir demandé, après des élections législatives catastrophiques, un nouvel organigramme du Ps qui écarterait Jean Collin de sa position de numéro 2 officieux du parti.
Après le recul du Ps aux législatives de 1988 avec un score 103 députés soit 8 de moins qu’en 1983 et une percée de l’opposition qui obtient 17 députés soit 9 de plus que la précédente législature, Daouda Sow, alors président de l’Assemblée nationale et tête de liste PS aux législatives de 1988, suggère une réforme du bureau politique. Il propose le rétablissement d’une hiérarchie au sein du parti, afin que lui, le secrétaire chargé de la vie politique, occupe officiellement le poste de numéro deux pour donner les nouvelles orientations du bureau politique.
Jean Collin, alors secrétaire national chargé des règlements des conflits et numéro 2 officieux du parti, sent la mise à l’écart rampante et réagit contre son futur tombeur. Soixante députés acquis à sa cause accusent en novembre 1988 le président Sow de mal gérer les fonds spéciaux de l’Assemblée et bloquent le fonctionnement de l’institution parlementaire. Las de cette situation, Sow quitte le perchoir le 6 décembre 1988 en conservant son mandat de député contrairement à Habib Thiam qui avait tout rendu. Des députés de la majorité, sous les ordres du tout-puissant Jean Collin venaient en l’espace de 5 ans d’enterrer politiquement deux présidents de l’Assemblée issus de leurs rangs.
Le sabre de Wade
Ces intrigues et manœuvres ont refait surface sous le règne d’Abdoulaye Wade quand Youssou Diagne, premier président de l’Assemblée de la première alternance démocratique, est contraint à la démission le 12 juin 2002, après avoir perdu les locales dans son fief de Ngaparou. Six ans après, l’alors président de la 11e législature, Macky Sall, accusé d’avoir voulu auditionner le fils du président de la République, patron de l’Anoci, est sacrifié sur l’autel de la haine vindicative et des jeux de positionnement de ses frères ennemis de parti. Pourtant la lettre convoquant Karim Wade pour audition à l’Assemblée porte la signature du président de la Commission des Finances Mamadou Seck, futur occupant du perchoir.
Le 24 octobre Khoureychi Thiam, député à l’Assemblée nationale exige au cours d’une conférence de presse la destitution de Macky Sall de son poste de n°2 du parti et de celui du président de l’Assemblée nationale. Ainsi les députés libéraux décident d’initier une révision constitutionnelle en votant un projet de loi visant la réduction du mandat du président de l’Assemblée à un an renouvelable.
Là aussi, peine perdue puisqu’ils se heurtent un corset juridique. La loi ne peut rétroagir à cet effet. Les dispositions de l’article 8 du règlement intérieur de l’Assemblée sont formelles : «le président est élu pour la durée de la législature». Un écueil juridique complété par l’article 62 de la Constitution qui stipule que «le règlement intérieur de l’Assemblée nationale détermine la composition, les règles de fonctionnement du bureau ainsi que les pouvoirs et prérogatives de son président qui est élu pour la durée de la législature».
De ce fait, la seule voie qui s’offre aux contempteurs de Macky Sall reste la dissolution de l’Assemblée comme le stipule l’article 87 de la Constitution qui «ne peut intervenir durant les deux premières années de législature».
Pour dépouiller Macky Sall de son pouvoir constitutionnel de remplacer le Président en cas d’empêchement ou de décès, le mercredi 23 juin 2008, le congrès (réunissant Sénat et Assemblée nationale) est convoqué par décret présidentiel pour voter le règlement intérieur qui donne la prééminence de la Chambre haute sur la Chambre basse. Ainsi le Président du Sénat Pape Diop et ses huit vice-présidents nommés deviennent les supérieurs hiérarchiques du Président de l’Assemblée nationale élu.
Loi Sada Ndiaye
Mais déjà quelques jours avant cette convocation, la procédure de réforme du mandat du Président de l’Assemblée nationale est déjà enclenchée depuis les officines du palais présidentiel. Sada Ndiaye dépose une proposition de loi qui va anéantir à terme ce dernier. Examinée en commission des lois et votée par une majorité écrasante le 9 octobre, la proposition de loi n°56/2008 portant modification de l’article 62, alinéa 1 de la Constitution, et permettant désormais au Règlement intérieur de l’Assemblée nationale de déterminer «la composition, les règles de fonctionnement du bureau ainsi que les pouvoirs, prérogatives et durée du mandat de son Président», est votée le vendredi 10 tard dans la soirée par 95 députés pour, 15 contre et aucune abstention.
Le texte amendé du désormais article 62 de la Constitution, en son article 2, stipule que «les dispositions de la présente loi constitutionnelle s’appliquent aux mandats en cours des Présidents de chaque Assemblée» et que «la présente loi sera exécutée comme loi de l’Etat».
Mais le nec plus ultra de ces tripatouillages textuels est cette résolution dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui stipule que si 38 députés présentent une pétition et que c’est voté à la majorité absolue, c’est-à-dire 76, cela peut faire choir le président de l’Assemblée ou n’importe quel membre du Bureau.
Les 10 et 11 octobre, l’Assemblée nationale et le Sénat adoptent la proposition de loi Sada Ndiaye. Le président de la République, Abdoulaye Wade, promulgue, le 21 octobre, la loi 2008-67 relative à la modification de l’article 62 de la Constitution visant la réduction du mandat en cours du président de l’Assemblée nationale de cinq à un an. Mais le sort de Macky n’est pas encore scellé puisque l’autre loi portant elle, modification de l’article 15 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale et requérant l’avis du Conseil constitutionnel, n’est pas encore promulguée.
En effet, l’article 62 modifié de la Constitution stipule que «les règlements intérieurs des Assemblées ne peuvent être promulgués si le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi par le président de la République, ne les a déclarés conformes à la Constitution». La bombe n’a été que retardée puisque les Sages ont déclaré cette loi conforme à la Constitution du Sénégal en leur séance du 30 octobre. Désormais, la destitution de Macky Sall est irréversible.
Doudou Wade et le groupe libéral et démocratique adoptent le 9 novembre avec une large majorité une résolution qui met fin aux fonctions du président de l'Assemblée nationale, Macky Sall. Ladite résolution a été adoptée par 111 voix pour et 22 contre. Ce dernier, ayant appréhendé qu’on ne veut plus de lui au sein du PDS démissionne subséquemment le même jour du PDS en rendant tous ses mandats électifs (député, maire).
Macky n’a pas retenu la leçon
Sous le règne de Macky Sall, l’Assemblée nationale a été utilisée comme instrument pour faire chanter politiquement Moustapha Niasse. A chaque renouvellement du bureau (avant le retour au quinquennat), des supputations sur une possible éviction du leader de l’AFP étaient en l’air. On se souvient de ces propos de Maître Oumar Youm qui déclarait à la 2STV en août 2013 : «On ne va pas se suicider en mettant à la disposition d’une personne, qui n’est pas avec nous, qui ne partage pas nos rêves, un pouvoir qui lui permet de cohabiter de manière heurtée avec le chef de l’Etat. S’il était un des nôtres, le problème ne se serait pas posé.»
Mais quand Niasse a déclaré officiellement que Macky Sall est le candidat de l’Afp à la prochaine présidentielle, le perchoir lui est assuré jusqu’en 2017.
Voilà qu’aujourd’hui, le président de la République, qui a tant souffert de ces manœuvres et intrigues de la place Soweto, dirige une coalition qui ramène la démocratie parlementaire au ras de pâquerettes. La première loi scélérate et liberticide votée sous la 12e législature, le 29 juin 2015, c’est celle relative à la constitution d’un groupe parlementaire sur la base de 1/10 alors qu’Abdoulaye Wade l’avait ramené à 10 députés en 2000. La seconde est la tenue en bride des députés dans leur groupe d’origine au risque de grossir le rang des non-inscrits.
Aujourd’hui, après la proposition de loi scélérate n°13/2015, la 12e législature s’illustre tristement par l’éviction du groupe parlementaire libéral démocrate légalement constitué.