DES EXPERTS PROPOSENT DES RÉFORMES DU MODÈLE INSTITUTIONNEL DE GOUVERNANCE
Il faut trouver un consensus sur des sujets cruciaux et éviter autant que possible des solutions unilatérales - Il faut éviter la multiplication des cadres de concertation sans mission concrète

(SenePlus.com, Dakar) - Deux mois après l’élection présidentielle du 24 février qui a consacré la réélection du président Macky Sall au premier tour, des organisations de la société civile, des représentants des partis politiques, des experts et juristes spécialistes des questions électorales, en ont fait une évaluation et proposé des recommandations allant dans le sens d’un processus électoral plus transparent et plus inclusif dans la perspective des prochaines échéances. C’était à la faveur de la 3ième édition du forum des partis politiques à l’initiative du Groupe de Recherches et d’Appui-conseil pour la Démocratie Participative et la Bonne Gouvernance (GRADEC), tenu mardi 30 avril 2019.
Le premier panel présenté par Raoul Niang Ndiaye, ancien chef de la division formation du ministère de l'Intérieur et Expert-consultant a porté sur le thème : « Quel modèle institutionnel de gouvernance des élections au Sénégal : rôle et place des OGE dans le contrôle et la supervision du processus électoral ».
En présentant l’évolution de l’organisation des scrutins au Sénégal, M. Ndiaye a relevé que la contestation d’élections est survenue à maintes reprises et des fois avec violences, aussi bien pendant la période coloniale que dès les premières années de l’indépendance. Depuis, a-t-il constaté, c’est seulement l’intensité et les modes de revendications qui changent. Ainsi de 1968 à 1990, les lendemains des élections organisées au Sénégal ont toujours été troubles malgré le retour du multipartisme limité en 1976, puis intégral en 1981 ayant favorisé l’arrivée de l’opposition au parlement. Toutes ces élections avaient été organisées par un ministre de l’Intérieur qui était en même temps membre du parti au pouvoir. Une situation dénoncée à l’époque par l’opposition, sans une remise en cause totale du système. Selon Raoul Niang, les lignes ont commencé à bouger après d’âpres et longues négociations entre les partis politiques dans la commission dirigée par feu Kéba Mbaye. A l’issue des discussions, 35 propositions qui seront la base du code consensuel du 20 novembre 1990 ont été adoptées.
De l’avis de ancien chef de la division formation du ministère de l'Intérieur, le souci majeur de l’opposition a été l’élaboration de nouvelles dispositions qui limiteraient les possibilités de fraudes éventuelles du parti au pouvoir. Mais pour l’expert, l’opposition ne se rendait peut-être pas compte qu’en érigeant en normes ces propositions, elle ne créait pas seulement des gênes pour le parti au pouvoir mais surtout pour elle-même, notamment en termes de ressources humaines et financières propres.
Des améliorations ont été notées, particulièrement depuis 1986, période durant laquelle l’administration impliquée dans l’organisation des élections s’est davantage ouverte aux partis politiques, à la société civile et aux médias privés. Des performances acquises de haute lutte mais qui se sont avérées par la suite bien maigres dans la perspective d’une démocratie performante. C’est ainsi qu’a été retenu le principe de confier le ministère de l’intérieur à une personnalité impartiale, de créer une direction général des élections confiée à des hommes neufs sans passé électoral connu et l’Observatoire Nationale des Elections (ONEL). La mise en œuvre de tout cela n’a pas été des plus faciles. M. Ndiaye évoque à ce propos des conflits de leadership, de prérogatives mais aussi les faiblesses de la loi concernant notamment l’ONEL.
Des évaluations conjointes et propositions des différents acteurs ont abouti à la création de la CENA en 2005 tandis que plus tard en 2011, un ministère des élections fût créé pour écarter du jeu un ministre de l’intérieur récusé par l’opposition. Malgré ces évolutions significatives, les récriminations n’ont pas cessées et la CENA est depuis 2017 accusée de complicité avec l’administration à des moments cruciaux du processus électoral ou de ce qui pouvait l’influencer. Le dialogue qui était le mode de prévention et de règlement des conflits électoraux est devenu lui-même un problème. Pour M. Ndiaye, on ne s’accorde plus sur ses modalités d’organisation, ses termes de référence, les participants et leurs statuts. Compte tenue des vives contestations soulevées lors de l’élection présidentielle de 2019, l’expert-consultant en conclut qu’il reste encore des chantiers pour les organisateurs des élections, les partis politiques et les citoyens parce que tous les points de désaccord enregistrés n’ont pas été vidés. Il constate par exemple que le débat, encore informel, revient sur la personnalité ou la structure devant être en charge des élections.
Faisant référence aux expériences en Afrique, Raoul Niang Ndiaye remarque que toutes les organisations en charge des élections ont affronté presque partout les mêmes problèmes que ça soit le modèle hybride dans lequel les principales fonctions du processus électoral sont réalisées par la gouvernement mais sous la surveillance d’un organe indépendant (Sénégal, Cap-Vert), le modèle politique dans lequel la gestion des élections relève d’une institution indépendante du gouvernement mais essentiellement ou entièrement composée de représentants de partis politiques (Bénin) ou le modèle avec des experts, dans lequel la gestion des élections relève d’un organe indépendant dont les membres sont (au moins en théorie) choisis pour leurs qualités personnelles, leur expérience professionnelle ou leur intégrité (Ghana, Nigéria, Sierra Leone).
En conclusion, M. Ndiaye estime sur la base de retour d’expérience ou de leçons apprise, que les organisations de gestion des élections montées sous le modèle hybride ou d’experts sont le plus performantes. Mais à son avis, il est patent que charger la CENI/CENA de toutes les opérations électorales n’est pas tenable même dans le moyen terme et crée plus de problèmes qu’il n’en résout. Selon lui, les tensions pourraient baisser si tout le monde accepte que les élections sont plus une affaire des citoyens que de gouvernement ou de partis politiques qui ont surtout un rôle de facilitateur ou de contributeur. De plus, ajoute-t-il, les règles du jeu doivent être acceptées et appliquées en toute transparence par tous. Et à cet égard, l’expert insiste pour une presse libre et professionnelle, un organe de régulation non partisan et une justice jalouse de son indépendance. Des acteurs importants et gage d’un réconfort pour les citoyens.
Tous les participants au forum estiment que le système démocratique sénégalais doit être consolidé. Et pour cela, il faut des réformes pour un processus électoral transparent et consensuel. Cela a d’ailleurs été le sujet du deuxième thème présenté par le professeur Alioune Sall, agrégé en droit public et ancien juge de la CEDEAO. Il a axé son exposé sur deux réalités qui révèlent le processus électoral : l’accord (ou l’idée de concertation qui en est le présupposé) et le désaccord.
Sur l’accord, Alioune Sall regrette la superposition de cadres formels de solutions des problèmes et le flou de leurs missions. Ce qui donne l’impression d’une gestion de circonstance, d’un pilotage à vue et d’une approche au coup par coup, dépourvue de logique d’ensemble et de planification. Il cite à titre d’illustration, le Cadre de Concertation sur le Processus Electoral (CCPE), la Commission Technique de Revue du Code Electoral (CTRCE) ou encore le Cadre ad hoc sur la mise en œuvre de la loi sur le parrainage. S’y ajoute la mise en place de multiples sous-commissions qui accrédite à son avis, l’impression que dès qu’une difficulté se fait jour, il faut mettre en place une « commission ». Le professeur Sall s’est par ailleurs étonné de voir qu’un organe aussi important que celui qui fait office de lieu de dialogue et de concertation dans un pays marqué par le caractère endémique des controverses électorales, ne soit pas « acté » dans la loi, voire dans la loi fondamentale.
L’ancien juge de la CEDEAO estime toutefois nécessaire de trouver un consensus sur certains sujets cruciaux et d’éviter autant que possible des solutions unilatérales, donnant les exemples de la carte électorale, la caution et le bulletin unique.
Sur le désaccord, le professeur Sall a fait trois affirmations : on n’est pas obligé d’être d’accord sur tout, tous les désaccords ne se valent pas et enfin les désaccords insurmontables, tout au moins dans le contexte tendu dont le Sénégal est coutumier à la veille d’élections, avec une impression d’un éternel retour du caractère cyclique des difficultés du processus électoral.
Quid du conseil constitutionnel, un autre acteur du processus électoral. Son apport à la pacification électorale pourrait être majoré de l’avis de Alioune Sall qui suggère d’une part que le juge constitutionnel initie un travail de sensibilisation, d’information et de concertation avec les acteurs politiques autour de la question du traitement technique des parrainages. D’autre part, le juriste pense qu’il faut une évolution de la jurisprudence du même conseil. Par exemple, par une interprétation assouplie de l’article L122 du code électoral qui a été au cœur du débat contentieux, ainsi que la notion de réclamation qui lui est associé.