LE POUVOIR JUDICIAIRE N’EST PAS INDEPENDANT
Babacar Guèye n’a pas fait dans la demi-mesure, samedi dernier, parlant de l’indépendance de la justice au Sénégal.

L’Université Cheikh Ahmadou Bamba (UCAb) a bouclé sa série de panels organisés en prélude au Grand Magal de Touba. D’éminents intellectuels ont ainsi animé le dernier webinaire tenu samedi dernier parmi lesquels le constitutionnaliste Pr Babacar Guèye qui, à l’occasion, a beaucoup insisté sur l’importance d’une bonne administration de la justice pour garantir la paix, la sécurité et la stabilité sociale. Dans ce sillage, il a affirmé que le soi-disant indépendance de la justice sénégalaise est une tromperie.
Pr Babacar Guèye n’a pas fait dans la demi-mesure, samedi dernier, parlant de l’indépendance de la justice au Sénégal. A l’en croire, si on se fie à la Constitution, on se rend compte que le pouvoir judiciaire est reconnu véritablement comme un pouvoir à l’instar de l’Exécutif et du Législatif. Seulement, se désole-t-il, quand on regarde les textes qui l’organisent, malheureusement on va comprendre que ce soi-disant indépendance est une tromperie. «Le pouvoir judiciaire n’existe pas au Sénégal. Je me demande même si l’autorité qui existe en France et ailleurs existe au Sénégal. Le pouvoir judiciaire au Sénégal n’est pas indépendant », a regretté l’éminent constitutionnaliste. Il soutient d’ailleurs que c’est ce manque de liberté des juges qui explique le combat de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) et de son président Souleymane Téliko. «Je crois que quand le pouvoir judiciaire au Sénégal aura réellement son indépendance, nous ferons un grand pas en termes de démocratie et d’Etat de droit », a déclaré Pr Guèye.
Auparavant, introduisant le thème du webinaire de l’UCAB «Paix, Sécurité et Stabilité sociale», Pr Babacar Guèye a indiqué qu’on ne pourrait aspirer à tout cela dans le Sahel que si l’on se fonde sur trois piliers parmi lesquels le respect du droit en matière de gouvernance. «Si on est dans un pays où les gens abusent du droit, où le fort domine le faible, cela peut être source de conflits. C’est pour cette raison que la justice doit protéger les plus faibles », a-t-il affirmé. Un autre pilier, selon lui, c’est la bonne gouvernance qui exige de la transparence, une efficacité dans l’évaluation des politiques publiques, une lutte ardente contre la corruption, et un combat pour un environnement saint. Et enfin, le dernier pilier, d’après le professeur Babacar Guèye, c’est la décentralisation qui permet de donner plus de pouvoir aux collectivités territoriales et de faire en sorte qu’il y ait une démocratie participative. C’est d’autant plus important que les gens vont se sentir impliqués dans la gestion de la cité. «Nos Etats connaissent très bien ces trois piliers ; mais cela ne les arrange pas parce qu’en les respectant, il ne pourrait y avoir de vols, de détournements et autres actes de mauvaise gouvernance. Malheureusement, nos gouvernants appliquent la politique du ventre : détourner, voler, etc. », a déploré le constitutionnaliste.
«NOTRE EXPERIENCE DE LA DECENTRALISATION, UN ECHEC»
Pour Monsieur Guèye, toutes ces tares sont dues au fait que nos Etats en Afrique sont hérités de la France et qu’ils ont été construits sous la forme d’un Etat jacobin. Il indique cependant que nos pays ne peuvent pas avancer et aspirer au développement tant qu’on ne renversera pas les perspectives. «On doit essayer de construire nos Etats autrement et faire en sorte qu’il y ait plus de décentralisation. Quand le pouvoir est dévolu réellement aux collectivités territoriales et que les populations locales participent à la gestion de la cité, je pense qu’on pourrait à partir de ce moment aspirer au développement », a expliqué Monsieur Guèye. A l’en croire, notre expérience de la décentralisation, entamée depuis le début des années 1990, n’est pas la bonne. Parce que, dit-il, une parcelle de pouvoir a été transférée aux collectivités territoriales sans moyens financiers, ni moyens matériels et encore moins des moyens techniques leur permettant de mettre en exécution leurs politiques. «Toutes les expériences de décentralisation en Afrique de l’Ouest sont des échecs. On doit mieux les renforcer si on veut que cela soit couronné de succès. On assiste à une décentralisation où tout quitte le haut pour venir vers le bas. Or, cela devrait venir du bas pour aller vers le haut», laisse entendre le constitutionnaliste.
«LE PROBLEME EN AFRIQUE, CE SONT LES DIRIGEANTS»
Par ailleurs, interpellé sur la culture de la paix dans nos pays, Pr Babacar Guèye affirme qu’il y a des pratiques au Sénégal qui consolident cela. Juste que, constate-t-il, le principal problème en Afrique, ce sont les dirigeants et un manque de leadership. «Il faut regarder le dénouement de la crise au Mali ; tout le problème à la base, c’est un manque de gouvernance et de leadership. Avec un chef d’Etat qui n’avait plus aucune légitimité, les Maliens ont eu le courage de le déboulonner en mettant en place un nouveau gouvernement. Espérons que le gouvernement de transition puisse accomplir la mission qui lui a été assignée», a souligné le constitutionnaliste. Sur le même sujet de la culture de la paix, la sociologue Dr Selly Ba laisse entendre que ce cousinage à plaisanterie est menacé dans les zones urbaines, notamment chez les jeunes. «Ils ne pratiquent plus ce cousinage à plaisanterie. Or, cela fait partie des piliers qu’il faut intégrer dans la politique éducative », soutient-elle. Poursuivant, Dr Ba indique que pour développer la culture de la paix, ces piliers comme le cousinage à plaisanterie doivent être intégrés dans les écoles et les maisons. Non sans dire qu’il faut impérativement que le Sénégal soit doté d’une politique de la famille pour l’intégrer dans les maisons. «Ce qui permet de construire la société et ses composantes. Il est temps qu’on bâtisse des individus, des hommes de valeurs épris de paix. Mais on se rend compte que nos Etats investissent uniquement sur les infrastructures : BRT par-ci, TER par-là, en oubliant les personnes qui doivent les utiliser doivent avoir une bonne éducation et être soucieuses du bien public », a conclu Dr Selly Ba à ce propos.