MAMADOU BADIO CAMARA, UN MAGISTRAT FACE À L'HISTOIRE
Sous sa présidence, l'institution a posé des actes décisifs en déclarant inconstitutionnel le report de l'élection présidentielle, en rejetant un projet de modification de la Constitution, et en validant la candidature contestée de Bassirou Diomaye Faye

Le président du Conseil constitutionnel, Mamadou Badio Camara, décédé jeudi, à Dakar, à l’âge de 73 ans, a sans doute été l’un des acteurs-clés du dénouement apaisé du processus électoral ayant débouché sur l’investiture le 2 avril 2024, de Bassirou Diomaye Faye comme cinquième président du Sénégal.
La juridiction électorale s’est notamment illustrée sous son magistère par une posture équidistante et indépendante dans un contexte politique marqué par des pressions et polémiques provenant de la quasi-totalité des acteurs politiques et de la société civile.
Difficile de ne pas évoquer l’intense activité déployée aussi bien dans la validation des candidatures au scrutin que dans la garantie de la poursuite du processus dans le respect de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel sous sa présidence avait tour à tour jugé inconstitutionnel le report de l’élection présidentielle qui avait été initialement prévue le 25 février, rejeté le projet de modification de la Constitution qui devait ouvrir la voie à la tenue du scrutin en décembre et publié d’autres arrêts et décisions ayant, en fin de compte, favorisé une bonne tenue de l’élection finalement organisée le 24 mars 2024.
Auparavant, le Conseil constitutionnel avait validé la candidature de Bassirou Diomaye Faye qui était emprisonné à la prison du Cap Manuel de Dakar, alors que beaucoup d’acteurs prédisaient son rejet en partant du principe que le parti politique auquel appartient M. Faye, Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), avait été officiellement dissous.
Mamadou Badio Camara, membre du Conseil constitutionnel depuis 2021, avait été désigné par décret, le 5 septembre 2022, président de cette institution en remplacement de Papa Oumar Sakho, arrivé au terme de son mandat.
”Les politiques peuvent être féroces avec ceux qui peuvent contrecarrer leur projet”
Lors d’une récente sortie publique effectuée en France, l’ancien président de la Cour suprême du Sénégal affirmait que le Conseil constitutionnel avait signifié au président Macky Sall que la Constitution ne lui permettait pas de briguer un nouveau mandat après être resté 12 ans à la tête du pays.
”Il y a eu beaucoup de tensions, beaucoup de pression. C’est peut-être un peu normal. C’est une élection présidentielle et les enjeux sont importants. Les politiques peuvent être féroces avec tous ceux qui peuvent contredire ou contrecarrer leur projet. On a fait l’effort d’exercer notre métier de la manière la plus conforme à la Constitution Sénégal et à notre métier”, déclarait-il le 3 octobre dernier à Paris à l’édition 2024 de la Nuit du droit, un évènement organisé par le Conseil constitutionnel français. Une déclaration somme toute empreinte de sérénité, de lucidité et traduisant une capacité de résistance aux pressions.
Des vertus l’ayant sans doute motivé lors du discours prononcé le 2 avril 2024 à Diamniadio lors de l’investiture du président Bassirou Diomaye Faye. Le cinquième président de la République ‘’choix incontestable et éclatant du peuple sénégalais’’ lors de l’élection présidentielle du 24 mars, symbolise ‘’la volonté de notre peuple de changer de paradigme dans sa gouvernance et de génération dans son gouvernement’’.
Le président du Conseil constitutionnel avait également invité le chef de l’Etat à se souvenir, ‘’à l’heure où surgiront les inévitables tentations du pouvoir, l’ivresse de la puissance, les démons de la division,’’ de ‘’la main de Dieu, dont la volonté domine et détermine inéluctablement les moments que nous vivons’’.
‘’Prions que cette bénédiction divine ne cesse de tirer notre pays de tous les traquenards tendus par la main de l’homme, en particulier dans la perspective d’une exploitation prochaine, et porteuse d’espoir, du pétrole et du gaz’’, avait lancé Mamadou Badio Camara.
S’adressant au président de la République, il concluait : ‘’Vous êtes désormais le garant de la démocratie sénégalaise, du respect des institutions, des droits et libertés, gage de la stabilité de l’État et de l’unité du Peuple sénégalais, dans sa diversité. Prions que les espoirs de notre peuple, placés en vous, Monsieur le président de la République, fleurissent et portent fruits. Que Dieu Le Tout-Puissant vous assiste !’’.
Issu de la promotion de 1977 de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (actuelle ENA), Mamadou Badio Camara avait intégré le système judiciaire avant la trentaine.
Il avait occupé, de novembre 2008 à juillet 2013, les fonctions de Président de la chambre criminelle de la Cour suprême (cumulativement avec les fonctions de Secrétaire général de la Cour suprême du Sénégal). Il était aussi passé à la Cour de cassation où il avait occupé, de février 2004 à novembre 2008, le poste de Secrétaire général.
En 1993, il était le Procureur adjoint au tribunal régional hors classe de Dakar. Mais déjà en 1977, il avait été nommé Substitut du Procureur à Dakar. Mamadou Badio Camara avait également été Chargé de mission de l’Organisation internationale de la Francophonie (O.I.F) : mission d’audit organisationnel de la Cour de cassation d’Haïti (Port-au-Prince, juin 2007) et mission d’appui à la justice pénale (Port-au-Prince, juin 2008). Il avait aussi été élu membre du comité des Nations-Unies sur les disparitions forcées, le 31 mai 2011.