VOIE DÉMOCRATIQUE, VOIX LIBRES
Non Monsieur le Président, les journalistes ne sont pas votre variable d’ajustement chaque fois que le gouvernement patauge dans l’embarras

Ainsi donc le Président Macky Sall a enfin joint l’acte à la parole. Il a livré dans les détails, par internet et à la presse papier, les orientations des réformes constitutionnelles qu’il entend soumettre à l’appréciation des citoyens. Après avis du conseil constitutionnel… bien entendu. Il s’en fallait de peu pour qu’on commençât de douter de sa réelle et ferme volonté d’engager le processus de réduction de son mandat. Trop d’atermoiements, de glissements sémantiques, de stigmatisation de la presse et des experts, d’agacement non contenu, avait entamé l’espoir des Sénégalais de le voir tenir sa promesse.
Qu’il ait choisi un dimanche (après-midi) et la presse électronique pour divulguer son pack de réformes institutionnelles largement éventé, il est vrai, par sa déclaration du Nouvel an, ne nous fera pas bouder notre plaisir. Juste une petite moue dédaigneuse, pour regretter le choix de supports quasi confidentiels, pour une occurrence aussi solennelle.
La radio RFM, assurément très proactive a fort opportunément réagi en organisant un enrichissant multiplex, pour éclairer l’opinion. Bon réflexe professionnel, plutôt que de ruminer des frustrations. Après tout, acceptons-en l’augure, l’équipe du Président a parfaitement le droit de choisir son mode de communication, en pareille circonstance et de le dérouler de la sorte. Pourvu simplement que la forme n’affecte pas le fond.
Dimanche soir, la plupart des médias, «sans programme» (Président Sall dixit), n’a même pas eu l’heur de commenter ou au moins traiter en «breaking news,» cette annonce très attendue. Si les réseaux sociaux ont eu la primeur de ce mini scoop, il ne fallait pas ce jour-là leur en laisser l’exclusivité. C’est ce que l’équipe d’Alassane Samba Diop a fort compris et à bon escient, plutôt de maugréer dans le vide. Peu importe, le choix du support et de la temporalité, l’essentiel est que les médias anciens ont largement, dès lundi, fait le relais de l’info, le tournant et le retournant dans tous les sens.
Cet exercice de décryptage auquel a largement participé, heureusement, la «République des professeurs» (le Premier Ministre Dionne dixit), a éclairé la lanterne des Sénégalais sur les enjeux et les finalités des préconisations présidentielles. Et n’en déplaise au Président Sall et à son Premier ministre, les Sénégalais (ces «n’importe qui» Macky Sall, dixit) vont continuer à parler à ces médias «sans programme» tant qu’ils resteront convaincus que la parole, même prolixe et répétitive, est qualitativement supérieure à l’affrontement physique. Elle est une sorte d’exutoire et d’exorcisme, qui canalise les violences et les énergies guerrières. Cette fonction cathartique est essentielle à une démocratie majeure, qui préfère la force des arguments aux arguments de la force. Et au lieu de flétrir la liberté de ton des Sénégalais, le Président Sall devrait plutôt s’en féliciter.
Dans d’autres pays, pas loin du nôtre, le crépitement des kalachs, s’est substitué à la voix humaine. Du moins, les cordes vocales n’y servent plus qu’à exprimer tout haut d’inclassables souffrances. Vox populi, vox dei ! Heureusement que dans notre pays les citoyens ont encore la force de parler et de trouver des médias libres (en dehors du service public en mission de propagande comme jadis), pour relayer leurs légitimes complaintes. Et… appréciations aussi !
Sauf pour les cas d’excès à stigmatiser, ni la récurrence ni l’intensité des critiques adressées contre le régime, ne méritent le traitement que le chef de l’Etat et son Premier ministre viennent de leur infliger. Il serait superfétatoire de rappeler que la liberté d’expression publique ou par voie de presse est garantie par le même droit, qui protège l’intimité close et la vie privée des citoyens. Que le binôme de l’Exécutif étale, avec tant d’agacement et d’énervement, son courroux contre ceux qui ne font qu’exercer leur devoir d’informer et assumer une fonction tribunicienne, est tout simplement navrant. Parce que tout simplement pour toutes les nations qui s’instancient dans l’État de droit, la voix est forcément libre si on fait le choix de la voie démocratique.
Comment concilier les exigences de pluralisme, les devoirs d’indignation avec des salves de sommations, stigmatisations, rappels à l’ordre récurrents provenant du plus haut sommet de l’État ? Comment accepter qu’à chaque fois qu’un sujet insupporte le gouvernement, (affaire des 2000 soldats sénégalais destinés à l’Arabie Saoudite, débat sur la burka, arrestation de l’Imam Alioune Ndaw, la réduction du mandat, le référendum,) le chef de l’Exécutif sort de ses gongs, pour réclamer un mutisme à la presse, aux experts et à ses propres partisans ?
Le silence de la presse (sans programme), des syndicats et des organisations de droit de l’homme est tout de même étonnant. S’agit-il d’une impensable indifférence ou d’un coupable manque de réactivité devant cette forme insidieuse de censure et de restreinte de des espaces d’expression ? Et pourtant, le Président Wade qui avait une trop forte propension à casser la plume des journalistes et à étouffer leur voix, subissait à chaque débordement un traitement (sous formes de manif, de quolibets) proportionnel à son outrecuidance.
À chaque acte d’agression contre la presse, il récoltait sans délai, une volée de bois vert. Usant de la plus sévère causticité, les journalistes avaient fini par le dénommer «la bête». Saisissante allégorie pour désigner le «monstre censeur». Certes, le Président Sall agit, même avec un tantinet d’autoritarisme, avec moins d’agressivité que son prédécesseur. Mais ses qualificatifs peu amènes à l’encontre des journalistes, des experts et des orateurs des émissions interactives, le mettent en situation de confrontation inutile avec un secteur aussi vectoriel que la liberté d’opinion.
Ses spins doctors et autres conseillers en communication devraient tout de même se charger de nettoyer les écuries d’Augias, plutôt que de laisser le Président s’attirer l’inimitié des journalistes et de l’opinion publique. On constate du reste, pourquoi le Président Sall s’oppose (à raison de mon point de vue) avec autant de véhémence à la «déprisonalisation des délits de presse». Il n’y a, en effet, aucune raison que les journalistes (justiciables comme tout citoyen, mais qui ne sont pas n’importe qui), bénéficient de privilèges de juridiction Mais les dérives médiatiques et l’insolence de certains abonnés des émissions interactives, méritent de la part du Président, plus un silencieux mépris, qu’une ostensible stigmatisation… présidentielle. Les excès font partie du décor démocratique. Il faut savoir les gérer plutôt que de chercher à les éradiquer. Non Monsieur le Président, les journalistes ne sont pas votre variable d’ajustement chaque fois que le gouvernement patauge dans l’embarras.