Dakar, 7 fév (APS) - La comédienne Assy Dieng Bâ a réussi à captiver le public du Grand Théâtre de Dakar, samedi soir, lors de la présentation de la pièce de théâtre "Kujje", adaptée d’un livre du professeur de lettres modernes (français) El Hadj Momar Sambe publié en 1997.
Cette pièce mise en scène par Bâ et Sambe tourne en dérision la pratique de la polygamie, qui est bien ancrée dans les mœurs sénégalaises, chez la communauté musulmane précisément.
La polygamie, "kujje" en wolof, est une norme au Sénégal. Ses partisans la justifient surtout par l’islam, une religion qui l’autorise.
Dans le livre dont émane la pièce de théâtre, El Hadji Momar Sambe tente de déconstruire la suprématie de l’homme sur la femme. La pièce, elle, est savamment interprétée par les principaux comédiens Assy Dieng Bâ, dans le rôle de Madjiguène, et Mame Mor Diarra Thioune, qui se fait appeler Amagoor.
"Kujje" met en scène un couple, Amagoor et Madjiguène. Après 20 ans de mariage, Amagoor décide de devenir polygame en trouvant une "petite sœur" à son épouse, mettant le ménage, jusque-là stable, sur la sellette et dans "une zone de turbulences".
Madjiguène ne veut pas de cette situation, même si, après les pleurs et lamentations, elle s’y plie, sans renoncer à sa vengeance, laquelle est à la fois un défi à l’opinion et une invite à la réflexion sur une question de société.
Entre humour et ironie, les comédiens du Théâtre national Daniel Sorano et les Artistes comédiens du théâtre sénégalais (ARCOTS) ont mis à nu la souffrance silencieuse de Madjiguène et les conséquences de la polygamie sur une famille entière.
Mariée depuis 20 ans à Amagoor, Madjiguène se voit annoncer une nouvelle inattendue : elle doit partager le foyer conjugal avec une autre femme, une coépouse. Le monde s’effondre pour elle. Madjiguène cherche à comprendre ce qui a poussé son mari à lui trouver une coépouse, après tout l’amour et tout le dévouement dont elle a fait preuve à son égard.
Ses parents et sa sœur Arame la consolent et lui demandent d’accepter ce qui lui est arrivé, une pratique bien ancrée dans les mœurs au Sénégal. Mais Madjiguène ira même jusqu'à traiter son mari de "lâche" et de "traitre". Son époux aussi la console, en lui rappelant cependant que sa religion lui donne le droit d’épouser jusqu’à quatre femmes.
Madjiguène n’exclut pas de recourir au divorce. Mais sa famille l’en dissuade, au nom du "bien-être" de ces deux filles.
En évoquant les enfants, El Hadji Momar Sambe touche à une autre dimension de la polygamie : les enfants issus du ou des premiers mariages doivent accepter de vivre avec une ou des marâtres.
L’auteur du livre "Kujje", qui a grandi dans une famille polygame, explique que sa production littéraire est le fruit d'une volonté de "rendre hommage" aux femmes et aux enfants ayant vécu, comme lui, cette expérience.
Lors de la présentation de la pièce de théâtre, il a évoqué la Tunisie, en rappelant que, dans ce pays, la loi interdit la pratique de la polygamie.
Assy Dieng Bâ a dit qu’elle souhaitait présenter la pièce de théâtre dans d’autres régions du pays.
DE THURAM À CHEIKH ANTA
29e anniversaire de la disparition de l’égyptologue : Extrait du livre de l’ancien footballeur international français Lilian Thuram, "Mes étoiles noires : de Lucy à Barack Obama", pages 27, 28 et 29
(SenePlus.Com, Dakar) - Dans son livre Mes étoiles noires : de Lucy à Barack Obama (Éd. Philippe Rey, 2010), l’ancien international français Lilian Thuram fait un petit clin d’œil à Cheikh Anta Diop. Aux pages 27, 28 et 29 ("Pharaons noirs"), le footballeur à la retraite rappelle comment les travaux de l’égyptologue sénégalais, dans un contexte où il subissait les critiques de chercheurs européens, ont redonné au Noir sa place dans l’histoire de l’Égypte. Pour le 29e anniversaire de la disparition de Cheikh Anta Diop, décédé le 7 février 1986, www.seneplus.com vous propose in extenso l’intégralité de ce passage, court mais bref, du livre de Thuram.
"... Quant à la nature et aux origines de l'héritage de l'Égypte ancienne, elles constituent toujours un sujet de controverse. Évoquer l'Égypte des pharaons noirs soulève toujours autant de passions et une montagne de préjugés.
"Le pionnier de l'école africaine, celui par qui le scandale est arrive, est Cheikh Anta Diop (1923-1986), scientifique sénégalais dont les recherches contribuent à réintégrer l'Égypte dans l'histoire générale africaine. Sa thèse, selon laquelle la civilisation égyptienne appartient au monde négro-africain- l'impérialisme occidental ayant "blanchi" la prestigieuse Égypte aux seules fins de maintenir la colonisation-, déclenche en 1954 un tollé dans le milieu universitaire français.
"La position de Cheikh Anta Diop sur l'Égypte noire s'explique par sa rigueur scientifique et ses engagements politiques : combat contre l'apartheid en Afrique du Sud, pour la démocratie et la laïcité au Sénégal. La parution de Nations nègres et culture, en 1954, 'étandard d'une révolution culturelle que les Nègres agitaient sous le regard d'une puissance coloniale se résignant mal à lâcher ses territoires d'outre-mer' (selon Lilyan Kesteloot, historienne de la littérature africaine), déclencha l'enthousiasme des écrivains de la négritude. Aimé Césaire qualifia ce livre du 'plus audacieux qu'un Nègre ait jusqu'ici écrit et qui comptera, à n'en pas douter, dans le réveil de l'Afrique'.
"Jusqu'au années 1950-1960, les historiens européens, occidentaux et arabes n'ont pas cessé de traiter l'ancienne Égypte comme une partie des racines de leur propre histoire et non comme une partie de l'Afrique elle-même. Le résultat, c'est que l'Égypte ancienne a été coupée de l'Afrique noire.
"L'attribution des grandes œuvres de la civilisation ç une mythique migration blanche n'est pas nouvelle. Au XIXe siècle, la découverte de la magnifique civilisation du Zimbabwe déclencha une vive réactions des savants du monde entier. 'La cité n'a pas été construite par des Africains, car le style de construction est trop élaboré : c'est l'œuvre de colons phéniciens ou juifs', affirmait l'Allemand Karl Mauch en 1871. Quant à l'archéologue anglais Theodore Bent, il concluait vers 1890 que la civilisation du Zimbabwe était l'œuvre de 'descendants d'envahisseurs blancs venus du Nord'.
"Il faudra attendre le XXe siècle pour que des égyptologues comme Jean Leclant, professeur au Collège de France, et Jean Vercoutter, de l’université de Lille, entament un remarquable travail sur l’Antiquité nubienne et déclarent, lors de l’important collogue international du Caire en 1974, que l’Égypte est ‘africaine dans son écriture, dans sa culture et dans sa manière de penser’. Les thèses de Cheikh Anta Diop sont enfin acceptées, du moins en partie.
"En effet, alors qu’au Etats-Unis ses travaux sont cités et reconnus, un certain nombre de chercheurs européens les taxent encore d’‘afro-centristes’. Ils lui reprochent une posture idéologique et non scientifique ; ils l’accusent d’avoir ‘noirci’ l’Égypte afin de réveiller la conscience des Noirs africains en leur faisant miroiter un illusoire passé prestigieux. N’étant pas expert, il ne m’appartient pas d’établir la part du vrai ; mais il n’empêche que les textes nous montrent que le royaume de Koush et le royaume d’Égypte n’étaient pas étanches, leurs échanges pas seulement marchands, leurs cultures et leurs populations traditionnellement mixées. Quant à la possibilité de règnes alternants, elle est démontrée par le règne de la XXVe dynastie.
"Malgré le profond changement de perspective qu’a apporté le travail de Cheikh Anta Diop, l’éloignement dans le temps et la lecture occidentale maintiennent encore l’histoire de l’Égypte dans une certaine obscurité. Les règnes des pharaons noirs n’ont pas livré tous leurs mystères.
"Volney, orientaliste et philosophe français, au retour d’un voyage en Égypte en 1783, avait écrit : ‘Quel sujet de méditation de voir la barbarie actuelle des Coptes, issus de l’alliance du génie profond des Égyptiens et de l’esprit brillant des Grecs, de penser que cette race d’hommes noirs aujourd’hui notre esclave et l’objet de nos mépris est celle-là même à qui nous devons nos arts, nos sciences, et jusqu’à l’usage de la parole…"
C’est dans l’un des amphithéâtres d’une université qui porte son nom, que l’on a choisi hier vendredi 6 février, de rendre hommage à l’historien et égyptologue sénégalais Cheikh Anta Diop, 29 ans après sa mort le 7 février 1986. Une idée de la Fondation Léopold Sédar Senghor, en collaboration avec l’Ucad. L’historien et égyptologue congolais Théophile Obenga a été choisi pour animer une conférence sur ce thème : «L’enseignement des humanités égypto-nubiennes en Afrique noire : quels fondements scientifiques ? Quelles conditions de mise en œuvre ?»
Le Pr. Obenga suggère la création d’un centre panafricain d’égyptologie. Le Pr. Iba Der Thiam annoncera lui une bonne nouvelle, qu’il tient de l’ambassadeur d’Egypte au Sénégal : son pays a décidé de traduire en arabe toutes les œuvres de Cheikh Anta Diop qui aura consacré l’essentiel de ses travaux à ce pays. La conférence s’est tenue en présence d’un public hétéroclite : élèves, étudiants, membres de la communauté universitaire, membres du corps diplomatique, membres de la famille de Cheikh Anta Diop parmi lesquels son fils Cheikh Mbacké Diop qui n’a pas souhaité s’exprimer.
Pour présenter l’historien et égyptologue congolais Théophile Obenga, point besoin de longues phrases et de discours encombrants. La directrice de la Fondation Ucad Mariétou Diongue Diop a fait le choix de la version courte : l’introduire tel que lui-même le lui a suggéré, c’est-à-dire comme «un héritier de Cheikh Anta Diop», un homme à qui il dit devoir beaucoup, à tel point qu’il a du mal à dire ce qu’il ne lui doit pas. Fils aîné d’un tradipraticien, ce sont des missionnaires qui lui enseigneront le latin et le grec, et idem pour la philosophie de Platon, de Descartes, de Kant ou encore de Hegel.
Il apprend, il écrit, «mais sans avoir la clé de ce qu’on lui enseigne »…jusqu’à sa rencontre avec Cheikh Anta Diop qui l’entraînera dans son domaine à lui : la paléontologie, l’égyptologie. Il lui doit, comme il dit, « (son) affranchissement et son attachement à l’histoire africaine», et se présente volontiers comme l’un des « premiers produits de l’école égyptologique fondée par Cheikh Anta Diop».
Dans la mémoire de ce monsieur de 78 ans, les souvenirs de ce colloque de 1974 organisé au Caire en Egypte n’ont pas pris une ride. Dans la carrière de Cheikh Anta Diop, ce sera « l’événement le plus crucial ». «Nations nègres et Culture», l’ouvrage qu’il publie en 1954, sera mis à rude épreuve, même si on retiendra au bout du compte que pour ce qui est de la race, de la langue et de la culture, « l’Egypte pharaonique appartient au monde noir ».
Théophile Obenga pense qu’il faut aujourd’hui « connaître et enseigner la pensée égyptienne », qui ne se résume pas qu’aux momies et aux hiéroglyphes. Il faut encore « recommander la pensée de Cheikh Anta Diop» et aller jusqu’à la «création d’un centre panafricain d’égyptologie », pour nous ressourcer ou construire nos propres modèles.
Parce que dans la plupart des cas, se désole-t-il, on se contente seulement d’imiter des choses dont on ignore presque tout, ce qui fait que « cela reste souvent très superficiel. Si nous reculons, c’est parce que nous ne sommes enracinés nulle part. » Ce qui implique selon lui de pouvoir construire des réseaux internationaux spéciaux qui permettront d’organiser des voyages d’étude et des recherches archéologiques en Egypte, mais aussi au Soudan et en Ethiopie. Malheureusement il manque et le personnel administratif et tout l’équipement qui va avec.
Très applaudi, l’égyptologue congolais qui jouera de son humour pour captiver son public, n’évoquera pas la seule pensée de celui dont il est l’héritier. Il cite encore cette Ecole de Dakar qui «illumina tous les continents». Avec parmi tant d’autres, des personnages comme celui de Senghor « qui fit du nègre un concept universel », de Birago Diop, « ce conteur sculpteur de masques littéraires », Cheikh Hamidou Kane ou « ce maître absolu du roman philosophique » ou encore Sembène Ousmane, « cet écrivain fécond et cet intrépide cinéaste qui a marqué toute la production cinématographique africaine ». Tous ces intellectuels qui « nous ont tirés du doute du non-être et de l’irréflexion. »
Pour le Doyen de la Faculté des Sciences de l’Ucad, le Pr. Amadou Ndiaye qui représentait le recteur le Pr. Ibrahima Thioub, il est important de revisiter l’œuvre de Cheikh Anta Diop, dans un monde globalisé où l’on a plutôt tendance à nier l’identité.
Le concept égyptien de l’enseignement
Le Pr. Théophile Obenga explique que « c’est quelque chose d’assez complexe », parce qu’il y a deux paliers. Il y a d’abord un niveau intellectuel qui consiste à prendre de l’instruction auprès de ceux qui dispensent les enseignements, que ce soit à l’école ou dans la famille.
Le niveau spirituel signifie quant à lui que l’on opère un changement ou une transformation, que l’individu accède à la sagesse (que traduisent à la fois cinq mots égyptiens), et donc à la connaissance du réel. Ce qui fait de l’éducation une sorte de béatitude ou de plénitude. Dans la pédagogie égyptienne, on dissocie difficilement le savoir de la vertu, la science exacte n’exclut pas la vert.
Les cycles scolaires
Il y en a au moins trois, selon le Pr. Obenga. Le premier, ou cycle «du village », va de 0 à 10 ans. Avec jusqu’à 4 ans, une éducation des enfants, garçons et filles confondus, qui se fait sous l’autorité paternelle. Les 6 autres années, l’enfant les passe à «apprendre à chanter, à danser, à jouer d’un instrument, à dessiner, à compter et à lire les hiéroglyphes». Cette première période correspond à ce que l’on appellerait aujourd’hui le cycle maternel et primaire.
Ensuite vient l’apprentissage auprès de maîtres dans les grands centres urbains et établissements scolaires d’Etat, et qui correspond au cycle secondaire moderne. Les élèves ont entre 10 et 15 ans, et «ils ont la possibilité de devenir scribes, bureaucrates, artistes, maçons ou alors membres du clergé.»
Le troisième palier, le niveau supérieur, est celui des « maisons de vie », proche de l’enseignement « dispensé dans nos instituts et dans nos académies, et où l’on transmet des savoirs comme l’astronomie, les mathématiques et l’hydraulique. Dans la pédagogie égyptienne, on mise énormément sur le jeu, histoire de provoquer le plaisir et d’éveiller plus facilement.
L’héritage des Egyptiens
La première dette que l’on a envers les Egyptiens, selon Théophile Obenga, c’est sans doute celle de l’écriture, quand on sait que comme il dit, l’alphabet latin est dérivé des hiéroglyphes. Il en est de même pour la division du temps : les 12 heures du jour et de la nuit, et aussi pour notre calendrier de 365 jours qui remonterait à l’Egypte antique. Dans le domaine de l’architecture, il y a les fameuses pyramides d’Egypte.
Théophile Obenga dit aussi que les Egyptiens seraient sans doute très étonnés s’il nous entendait faire tout un débat de l’égalité entre les hommes et les femmes car chez eux, c’est une question que l’on avait déjà réglée, et sans le moindre mépris.
La «Maât», dans la mythologie égyptienne, est la déesse de l’ordre. Le Pr. Obenga explique que le mot correspond à la justesse, à la justice, à l’exactitude, l’intégrité, l’éthique, l’authenticité, la vérité, l’exactitude, la règle, la norme, la cohérence, l’harmonie, l’efficience et l’exigence du bon chemin quand on sait que « l’homme sur terre est à la recherche du bonheur ». Chez les Egyptiens toujours, « la vraie immortalité, c’est ce qui reste de la pensée».
GUET NDAR, SOUS LA POUSSIÈRE DU QUOTIDIEN
"IMPRESSIONS" OU L’EXPOSITION DU PHOTOGRAPHE PAUL JOLICOEUR
L’Institut français de Dakar accueille depuis le 27 janvier l’exposition que le photographe canadien Paul Jolicoeur a consacrée à Saint-Louis et à son quartier de Guet Ndar. "Impressions", c’est le nom donné à cette expo, s’amuse à dépoussiérer la banalité du quotidien. Pour cela, il aura fallu plusieurs années de travail. Entre 2011 et 2014, Paul Jolicoeur, passionné de photographie depuis une vingtaine d’années, s’est rendu plusieurs fois à Saint-Louis, attiré par cette vie exubérante, par les gens et par leurs couleurs. Vous avez encore le temps d’aller voir par vous-mêmes. L’expo se poursuit jusqu’au 27 février.
Ce qui donne aux images du photographe canadien Paul Jolicoeur cette sorte d’insolente familiarité, c’est leur naturel désarmant, un peu comme de la désinvolture. Il faut dire que pendant trois années, l’homme qui vit à Dakar depuis 2010, s’est amusé à laisser vagabonder une "caméra discrète et patiente" qui s’est faufilée entre les ruelles colorées de Saint-Louis et de son quartier de pêcheurs de Guet Ndar, arrachant à ces personnages qui en sont l’âme, comme s’il suffisait de se baisser pour les ramasser, quelques pépites ou quelques éclats de vie.
Les photos sont toujours très peuplées, presqu’autant que Guet Ndar lui-même, et pleines de ces mille et un bruits que l’on se contente seulement d’imaginer. Ce sont des personnages, mais sans le côté préfabriqué encore moins artificiel de la pose préméditée, calculée ou instrumentalisée. Tout a l’air d’aller tellement de soi, et sans doute parce que c’est le cas…Ce ne sont pas de vrais modèles prisonniers d’un rôle qui finirait par leur coller à la peau, un peu comme pris au piège dans une camisole de force taillée sur mesure. Ce sont des gens comme vous et moi, petits et grands, hommes et femmes, d’ordinaires personnes transformées en personnages principaux. Si ces images sont touchantes, c’est surtout parce qu’elles nous les rendent familiers et presqu’intimes, nous autorisant à nous glisser dans leur quotidien.
Guet Ndar, c’est aussi tout le charme de ces murs décrépis qui portent les stigmates du temps et qui sentent la peinture défraîchie. Et idem pour ces bribes de mots qui lézardent les vieilles bâtisses ou racontent une histoire fragmentée que l’on entendrait par à-coups. C’est aussi tout le côté pittoresque de ces maisons adossées les unes aux autres comme terrorisées par la solitude ou comme si elles se tenaient chaud tout simplement. Ce sont les calèches, les vieilles voitures mal maquillées, les pirogues arc-en-ciel, les marchés de poisson, la vendeuse de beignets, quelques bribes de conversation, les jeux de gamins et leurs demi-sourires à la fois amusés et intrigués par ce mystérieux appareil. Ce sont les vieilles portes et fenêtres parfois entrebâillées, et qui donnent sur de sombres intérieurs que l’on se contente seulement d’apercevoir, comme pour leur laisser quelque parcelle de secret.
Dans les allées gorgées de soleil, la vie s’échappe des maisons et des cloisons et s’approprie les rues. Dehors on ne s’encombre pas de fioritures. Le quotidien suffit, mais sans le côté poussiéreux "d’un tous les jours" que subliment les photos. Car sans cela, on passerait presque sans les voir (l’habitude les rendrait impersonnelles) devant toutes ces rangées de vêtements agrippés à leurs cordes à linge, avec l’air de se moquer du vent et de narguer le soleil. Paul Jolicoeur fait un pied-de-nez au temps qui s’arrête comme s’il n’avait pas le choix, et nous avec. Crevant et dégonflant la banalité du quotidien, à coups de flash.
LA FAUTE AUX PROCEDURES ET AUX DYSFONCTIONNEMENTS
LES ARTISTES NON PAYES DE DIAMNIADIO RENCONTRENT LE DELEGUE GENERAL DE LA FRANCOPHONIE
La Délégation générale de la Francophonie (DGF) n’existera officiellement plus dès ce 28 février. Pour les artistes dont les œuvres ont été sélectionnées pour décorer le Centre international de conférences Abdou Diouf (CICAD) et qui n’ont toujours pas été payés, le temps presse. Ce qui explique la rencontre qu’ils ont eue hier mercredi 4 février avec le Délégué général de la Francophonie, Jacques Habib Sy. Histoire de mettre les choses au clair, pour que tout le monde soit au même niveau d’information. A la Dgf, on accuse les procédures, les dysfonctionnements, et l’ancien ministère de la Culture, à l’époque sous la direction d’Abdoul Aziz Mbaye. Ce que disent les artistes, c’est qu’ils n’ont pas à subir des dysfonctionnements dont ils ne sont pas responsables. Même si, comme on dit là-bas, la rencontre a eu le mérite de dissiper quelques malentendus.
Quand on prend la peine d’égrener les jours, on se rend compte qu’il ne reste plus que très peu de temps à la Délégation générale de la Francophonie (DGF). Faites vous-mêmes le calcul : officiellement, la mission de la Dgf s’achève dès le 28 de ce mois de février. Mais comme souvent avant de partir, on fait un peu le ménage, on évite de laisser traîner de vieux dossiers comme celui des artistes dont les œuvres ont été sélectionnées pour décorer le Centre international de conférences Abdou Diouf (CICAD).
Et qui courent encore après les sous qu’on leur doit depuis plus de deux mois, donc depuis la fin du Sommet de la Francophonie. C’est dans la matinée d’hier mercredi 4 février, qu’ils ont enfin pu rencontrer le Délégué général de la Francophonie Jacques Habib Sy qui les a reçus dans les locaux de la Délégation, sur l’avenue Faidherbe. On leur a fait comprendre qu’ils allaient encore devoir se montrer patients, même si toujours d’après Jacques Habib Sy, il ne reste que quelques derniers réglages. Ce que dit la Dgf, c’est «qu’il y a des règles administratives à suivre, ce qui bloque le processus. Et parce qu’il s’agit de paiements individuels, il faut aussi des contrats individuels » que le ministère de la Culture aurait dû prendre en charge. Si la Dgf a décidé de s’en occuper elle-même, c’est pour gagner du temps et anticiper. Ces mêmes contrats, il va falloir les enregistrer auprès de la Direction des Impôts.
La continuité de l’Etat
Aujourd’hui, c’est à l’actuel ministre de la Culture et de la Communication, Mbagnick Ndiaye, de « gérer le dossier, au nom de la continuité de l’Etat». Jacques Habib Sy, qui confirme qu’il est effectivement « en fin de parcours administratif », se souvient du passage d’Abdoul Aziz Mbaye à la tête de ce département. Le chef de l’Etat Macky Sall ressuscite à ce moment la fameuse loi du 1%, qui date des années Senghor et dont le texte prévoit d’accorder 1% de la construction des bâtiments publics aux artistes sénégalais, qui s’occuperont de leur décoration.
Ce qui se passe explique Jacques Habib Sy, c’est que le ministère de la Culture met en place un jury, et sélectionne des artistes qu’il conduit sur le site de Diamniadio. «Mais sans que la Délégation générale de la Francophonie ne soit informée». Et ça, selon Jacques Habib Sy, c’est un dysfonctionnement : le ministère «a enfreint les règles des marchés concernant la sélection des artistes et leur contractualisation. »
Pour le peintre Viyé Diba, cette rencontre est salutaire : « Il y avait un flou, des informations par ci par là, et de quoi entretenir la psychose et l’angoisse. Mais le problème, c’est que les artistes se retrouvent ainsi à devoir subir des dysfonctionnements administratifs dont ils ne sont pas responsables. Quand on sait que certains d’entre eux sont des cas sociaux, et que deux mois c’est trop long.» Si le ministère de la Culture et la Dgf ont quelques divergences, dit-on encore, ce n’est pas aux artistes d’en payer le prix.
La Dgf n’existera plus (officiellement) dès ce 28 février, parce que d’après les textes, la reddition des comptes doit se faire trois mois après le Sommet, et certains artistes sont inquiets. Jacques Habib Sy se veut pourtant rassurant, même s’il ne donne pas de date précise: « Nous n’irons pas au-delà du 28 avec ce dossier. Les contrats sont en train d’être saisis de manière individuelle et pour anticiper, on rédige déjà les chèques. Pour les cas spéciaux qu’il faudra régler au-delà du 28 février, que ceux-là s’adressent au Bureau d’architecture du Palais ».
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Baye Mouké Traoré, artiste plasticien
«Si je suis venu ce matin à la Délégation générale de la Francophonie, c’était franchement pour me faire payer. J’ai fait 300 kms de route de Saint-Louis à Dakar. Je suis dans ce métier depuis 1969, mais c’est la première fois que je reste confronté à un tel problème. D’abord, nous avons été dévalués par l’Etat, parce que tout simplement le ministère de la Culture a négocié les œuvres d’art au rabais pour permettre au plus grand nombre d’artistes de pouvoir participer en fonction de l’enveloppe qui a été dégagée. Que ce soit au ministère de la Culture ou à la Délégation générale de la Francophonie, les gens n’ont pas fait leur travail. Je pense même que cela va plus loin : c’est un manque de considération à l’endroit des artistes que de les faire poireauter de cette façon.
Après ce que j’ai entendu tout à l’heure, je n’ai toujours pas confiance. On a vu ce qui s’est passé avec le Festival mondial des arts nègres (FESMAN). J’attends de voir, mais si d’ici le 26 rien n’est fait, je ne sais pas pour les autres, mais moi Mouké Traoré ils m’entendront. »
Germaine Anta Gaye, artiste plasticienne et professeur d’art
«En venant à cette rencontre, mon objectif était avant tout de m’informer, de savoir où en était la situation et, collégialement avec mes pairs, de voir quelle conduite on doit adopter.
Nous avons été édifiés. Nous sentons que nous avons affaire à une personne honnête, et surtout qui a de l’assurance. Les gens sont rassurés. On espère maintenant qu’il y aura une suite diligente. Je pense également que notre démarche n’était pas vaine. C’est le fait de ne pas être informés qui entraîne toutes sortes de suppositions. (…) Les gens disaient que si les choses avaient traîné jusque-là, il n’y avait pas de raison pour qu’elles ne traînent pas davantage. Et comme c’est une structure qui a une durée de vie, si nous on reste à traîner et à supputer, que va-t-il se passer ? A la fin, ce sera plus difficile. Il faudrait que l’on puisse rentrer dans nos droits, avant la date butoir du 28 février. »
L’HOMMAGE A CHEIKH ANTA DIOP
CONFERENCE INAUGURALE DE RENTREE DE LA FONDATION SENGHOR
La conférence inaugurale de rentrée de la Fondation Léopold Sédar Senghor, qui aura lieu ce vendredi 6 février, sera un hommage à Cheikh Anta Diop. L’Université du même nom, l’Ucad, est associée à cette cérémonie qui se tiendra justement à l’amphithéâtre de l’Ucad II. Le thème de la conférence, qui sera animée par l’historien et égyptologue le Professeur Théophile Obenga, portera sur « l’enseignement des humanités égypto-nubiennes en Afrique noire : quels fondements scientifiques ? Quelles conditions de mise en œuvre ? »
Cela fera 29 ans jour pour jour, ce samedi 7 février, depuis la mort en 1986 de l’historien, égyptologue et anthropologue sénégalais Cheikh Anta Diop, l’homme qui a donné son nom à l’Université de Dakar (UCAD). C’est d’ailleurs en ce lieu symbolique dira-t-on, que la Fondation Léopold Sédar Senghor lui rendra hommage ce vendredi 6 février, plus précisément à l’amphithéâtre de l’UCAD II. L’information est contenue dans le communiqué qui nous est parvenu.
La Fondation organise ainsi sa conférence inaugurale annuelle de rentrée, mais pas sans l’Université de Dakar qui est associée à cette rencontre. L’édition 2014 n’a lieu que maintenant parce qu’elle a été décalée, et elle sera animée par un autre historien et égyptologue surtout, le Pr. Théophile Obenga qui s’exprimera sur ce thème : « L’enseignement des humanités égypto-nubiennes en Afrique noire : quels fondements scientifiques ? Quelles conditions de mise en œuvre ? »
Ouverte à tous, la rencontre devrait commencer à 8H30, comme mentionné sur le programme, par la projection de quelques extraits de conférences données par Cheikh Anta Diop lui-même. Suivront les différentes allocutions et autres débats.
Ce n’est pas un hasard si la Fondation Senghor et l’Ucad ont décidé de confier cet exercice à Théophile Obenga, mais pour comprendre, faisons un peu d’histoire. En 1954, Cheikh Anta Diop publiait le fameux « Nations nègres et Culture – De l’Antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique Noire d’aujourd’hui », et en ces temps-là, l’ouvrage fera grand bruit. Ce qu’il dit entre autres, c’est que les premiers égyptiens étaient noirs. Il racontera plus tard comment le contenu de ce livre l’avait exposé à « la lignée des égyptiens de mauvaise foi.
20 ans plus tard, nous sommes en 1974, et c’est avec Théophile Obenga que Cheikh Anta Diop défendra sa thèse, en « binôme ». Du 28 janvier au 3 février plus précisément, un colloque international se tient au Caire en Egypte autour de la question du peuplement de l’Egypte ancienne et du déchiffrement de l’écriture méroïtique (langue du Soudan antique, et mot construit à partir du nom du Royaume de Méroé). L’initiative est de l’Organisation des Nations-Unies pour l’Education, les Sciences et la Culture (UNESCO). « Par souci d’objectivité », Cheikh Anta Diop tient alors à ce que tous les plus grands spécialistes soient présents à cette rencontre.
D’après les conclusions de ce colloque, qu’il s’agisse de la culture ou de la langue, « l’Egypte pharaonique appartient à l’univers négro-africain. L’historien grec Hérodote parlera, lui aussi, de la « peau noire et des cheveux crépus » des Egyptiens. De Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga disait ceci, en 1987 : « Un fait me paraît évident, avec toute la force de l’immédiat, et qui mérite bien, je crois, d’être souligné : l’œuvre de Cheikh Anta Diop se présente désormais, plus que jamais, comme la mémoire retrouvée, reconquise, de tout le peuple africain, précisément négro-africain, tant elle a tout orchestrée, angoisses, interrogations, doutes, combats, espoirs, gestations, respirations du monde noir africain, aujourd’hui ».
LES RETROUVAILLES…UN DEMI-SIÈCLE PLUS TARD
LA REEDITION DE LA PLAIE DE MALICK FALL PRESENTEE OFFICIELLEMENT
Ressuscité récemment par les Editions Jimsaan, le roman « La plaie » de Malick Fall a été présenté de manière officielle il y a deux jours, le samedi 31 janvier, dans les nouveaux locaux de la Librairie Athéna à la Place du Souvenir. Face au public, trois personnes partageront leur expérience littéraire : le journaliste et écrivain Pape Samba Kane, l’écrivain Louis Camara, et le critique littéraire et professeur de lettres modernes Alioune Badara Diané, en présence de la famille de Malick Fall. Ce qu’il faudra retenir de cette cérémonie, ce sont des mots qui reviendront souvent, c’est qu’ «on a rendu le livre à son public ». Malick Fall est aussi l’auteur d’un recueil de poèmes intitulé « Reliefs ».
Publié en 1963, il sera préfacé par le président Léopold Sédar Senghor.
Ouvrir un livre c’est un peu comme se lancer dans une aventure…littéraire. Sans doute parce qu’on ne sait pas toujours ce qu’on y trouvera, et peut-être aussi parce que c’est tout l’enjeu du jeu finalement : l’inconnu. Le journaliste et écrivain Pape Samba Kane avait 12 ans lorsqu’en 1967, Malick Fall publiait son roman «La plaie», et il avouera qu’il ne connaissait pas vraiment l’auteur. Mais il faut croire qu’il s’est rattrapé entre-temps…Car sans cela, jamais il n’aurait pu raconter sa rencontre ou son histoire avec un récit bouleversant. Et jamais, là non plus, il n’aurait été crédible dans son rôle de lecteur « enthousiaste ». C’est de cette manière qu’il s’est présenté samedi 31 janvier aux hôtes de la Librairie Athéna qui accueillait une cérémonie peu commune, nous vous l’annoncions récemment, la réédition de « La plaie » chez Jimsaan, ou son exhumation après près d’un demi-siècle d’amnésie.
Lorsque Pape Samba Kane en parle, on a comme le sentiment que la règle dans ce texte, c’est qu’il n’y en a pas finalement. Le trait d’écriture se permet quelques emprunts « à la poésie et à la satire », l’auteur est « surréaliste » sur les bords, et surtout avant l’heure. Derrière la plume de Malick Fall, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il n’y a rien de tout à fait léger ni de tout à fait sérieux. L’auteur assume parfaitement son côté décalé ou « décontracté », à la fois « grave et burlesque », et sans que cela ne soit paradoxal. Peut-être parce qu’il sait se montrer tout à fait subtil, se jouant des images et autres métaphores, même lorsqu’il raconte comment « les poux rongent la plaie de Magamou», le personnage principal de son roman. Autrement, c’est-à-dire « sans cette poésie, ce serait (tout simplement) répugnant » et peut-être aussi un peu plat et littérairement aride.
L’écrivain Louis Camara, qui partage avec Malick Fall et avec Magamou lui-même, ses racines saint-louisiennes, s’amusera à jouer sur les mots. «La plaie», dira-t-il dans une correspondance adressée à son auteur défunt, lui « a laissé une marque profonde », lui qui lorsqu’il découvre le texte pour la première fois, est alors enseignant à Mbacké dans la région de Diourbel. A mesure que l’on avance dans le récit, dit-il encore, on éprouve un malaise : « l’histoire dérange à la fois par son côté tragique et la souffrance de son personnage». Magamou, « ce gueux atypique, ce misérable déclassé »finit par se superposer à sa plaie, mais sans que Malick Fall ne verse dans l’exhibitionnisme. Sa parade à lui, un peu comme un irrévérencieux pied-de-nez, ce sera son « humour caustique et son ironie mordante ».
« La plaie » sera dès le début frappé « d’ostracisme » et « d’une sorte de malédiction littéraire » qui feront que l’on n’en parlera que très peu, comme si l’on n’osait pas. A l’exception peut-être de quelques-uns comme le critique littéraire et professeur de lettres modernes Alioune Badara Diané de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), lui qui pratique l’œuvre de Malick Fall depuis de très longues années. La plaie selon lui, c’est à la fois « un document social…un reportage sociologique…un diagnostic sans complaisance de la misère…un monument de langage…une écriture audacieuse…un réalisme cru ». Mais aussi de la subtilité, de l’impertinence, du lyrisme et de l’ironie.
Ouvrir « La plaie », c’est avoir les yeux rivés sur nos propres puanteurs, sur nos aspérités, et sur cette « part obscure de nous-mêmes » que nous n’avons pas toujours envie de voir : parce que la rencontre avec le «Minotaure », ce monstre de nos labyrinthes intérieurs et son insoutenable regard, peut être glaçante. Entre Magamou et sa plaie, toujours selon Alioune Badara Diané, l’auteur dessine une métaphore qui exprime l’idée d’un traquenard social : « La société piège les hommes et on n’a jamais raison contre elle. »
Au cours d’une cérémonie dans leurs nouveaux locaux situés à la Place du Souvenir, les Editions Jimsaan ont présenté une réédition du roman « La plaie » du diplomate Malick Fall. Une occasion pour différents spécialistes de décortiquer ce roman qui pose un regard sur le côté obscur de la société.
Nous sommes à la fin des années 60, une décennie après les indépendances. Les écrivains africains sont, pour l’essentiel, dans le combat de l’affirmation, de l’émancipation totale du joug colonial et même de la contestation postcoloniale.
Contrairement à ses contemporains, l’auteur Malick Fall va préférer, malgré les concepts de pudeur, d’hospitalité que l’on reconnaît aux Sénégalais, mettre l’accent sur le côté sombre de la société. En effet, avec son œuvre, l’auteur évoque l’obscur qui dort en chacun de nous, surtout devant une maladie si gênante, comme cette plaie fétide que traîne Magamou, le personnage principal du roman.
En effet, souligne l’écrivain et journaliste Pape Samba Kane, « La Plaie» est d’une qualité remarquable avec un « style burlesque, satyrique et parfois grave ». Au-delà, souligne M. Kane, à travers un descriptif sur cinq lignes, l’auteur est capable de vous peindre la société avec une décontraction qui rappelle les écrivains surréalistes.
L’’écrivain Louis Camara qui se définit comme un fils spirituel de Malick Fall, a préféré adresser une lettre d’outre tombe à son mentor. Dans cette missive, il évoque sa surprise de découvrir un roman si bien écrit, son étonnement de voir que ce roman, plus d’un demi-siècle après sa parution, n’ait pas pris une ride.
Pour sa part, le Professeur Alioune Diané de l’Ucad a expliqué « le silence gêné » des critiques après la sortie de ce roman. Pour lui, cette œuvre est un reportage sociologique, un voyage dans la société sénégalaise, surtout « quand il s’agit de notre relation avec certaines maladies inconvenantes.
Pour l’enseignant, « La Plaie » évoque « la misère, l’exode rural, la pauvreté mais également les valeurs de noblesse (avec Magamou qui dit être pourri de vertus, de sang noble et imbu de sa personne) ».
En fait, souligne, le Pr Diané, comme Charles Baudelaire, Malick Fall trouve intéressant de regarder la société en se situant du côté des exclus. Dans ce même ordre d’idées, la spécialiste en Littérature négro-africaine Lilyan Kesteloot a salué cette œuvre majeure, qui annonce une certaine révolution esthétique.
Cette réédition a été rendue possible par les Editions Jimsaan de Boubacar Boris Diop, Felwine Sarr et Nafissatou Dia Diouf.
Ils ne sont plus à présenter. De "Yaatal guew" à "Lonkotina", Pape et Cheikh revendiquent 15 ans de présence scénique assidue et riche en tubes. Pourtant, leur parcours n’a pas toujours été un long fleuve tranquille.
Tout les différencie sur le plan physique. L’un est longiligne, plus extraverti et est celui qui pousse la chansonnette. L’autre est râblé, introverti et joue les notes de la guitare basse. Par contre, sur le plan musical, ils partagent tout ou presque.
D’ailleurs, c’est cette même passion pour la musique qui explique que depuis plus de 30 ans, ils ne se séparent plus comme deux frères siamois. Ils, c’est Papa Amadou Fall et Cheikhou Coulibaly, plus connus sous le nom de scène de Pape et Cheikh.
L’entrée de ce duo sur la scène musicale sénégalaise s’est faite, en 2001, au rythme de "Yatal guew", le titre phare de leur album "Yaakaar". Un hymne à l’union des cœurs dans un contexte où le Sénégal était en pleine mutation politique et sociale. La première alternance politique venait d’être réussie et les élections législatives s’annonçaient.
Depuis, le duo n’a plus quitté le devant de la scène musicale sénégalaise grâce à un savant mélange de mbalakh et de folk. Un mariage de raison dans un pays où le mbalakh dicte sa loi et laisse peu de place à la musique de leurs débuts: l’acoustique.
Pape et Cheikh, c’est l’histoire de deux gamins originaires de Kaolack et qui ont débarqué à Dakar au milieu des années 1990 pour réaliser leur rêve : se faire un nom dans la musique. Plus de vingt ans après, le bilan est plus que flatteur.
Mais le duo se refuse à toute flagornerie. Eux qui sont allés au devant des obstacles pour les franchir un à un, ils savent que, dans la vie, il faut toujours garder la tête sur les épaules."On sait d’où l’on vient et ce que nous avons enduré pour en arriver là.
On ne déviera pas du chemin qu’on s’était tracé au début : faire notre musique avec sérieux et conviction", confie Pape. Qui n’oublie pas que, des quolibets, ils en ont fait l’objet, des huées, ils en ont reçues et des portes leur ont été fermées. Mais à force de pousser le destin jusque dans ses derniers retranchements, ils sont parvenus à se faire une place sur la scène. Et ils ne comptent pas y redescendre de sitôt.
"Nous restons nous-mêmes, nous ne concurrençons personne, nous ne sommes le numéro deux de personne, nous sommes nous-mêmes. Nous n’avons aucune pression. Notre souci, c’est d’avoir une musique avec une grande durée de vie avec des messages intéressants pour ceux qui l’écoutent", insiste Pape de sa voix rocailleuse. Pape est né à Dakar, Cheikh à Kaolack.
Au gré des pérégrinations de son père qui était cheminot, Pape se retrouve à Kaolack. Au quartier Kaznak où ils habitaient tous les deux, les deux musiciens se lient d’amitié.
Une amitié d’une vie. Les deux compères baignent dans une atmosphère remplie de mélodies et de rythmes sérères, wolofs, mandingues dans laquelle ils se sont nourris pour donner une identité à leur musique.
Une enfance rythmée parla musique Ensemble ou séparément, ils s’essayèrent à tous les genres avant de, définitivement, opter pour le folk avec une forte dose de sonorités mbalakh. Dans cette ambiance folklorique, ils commencent à inoculer le virus de la musique.
Les années passant, leur passion pour la musique grandit. Pape saute sur toutes les occasions pour faire entendre sa voix à travers des reprises de chansons célèbres comme "Thioro baay samba" de Thione Seck.
D’ailleurs, c’est en fredonnant cet air, au cours d’un concours, qu’il a été retenu pour intégrer une chorale à Kaolack. C’est le déclic, lui qui, très tôt, a déserté les bancs de l’école en classe de Cm2 alors que Cheikh, lui, a poursuivi ses humanités jusqu’en 2ème année à la Faculté de Droit de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Seulement voilà, cet attachement pour la musique n’est pas vu d’un bon œil par les parents des deux artistes. Dans un contexte où musique rimait avec débauche, cuite, voire drogue, il y avait de quoi, en effet, refuser que son enfant entre dans ce cercle.
"Nous ne sommes pas de familles de griots et puis, c’est vrai, la musique n’avait pas bonne presse car certains artistes ne renvoyaient pas une bonne image. Mais, quand même, nous avons pu convaincre nos parents de nous laisser vivre notre passion. Je pense que l’avenir nous a donné raison", avance, d’une voix timide et posée, Cheikh.
Au début des années 1990, les deux gamins débarquent à Dakar. Pape pour apprendre le métier de tailleur et Cheikh pour continuer ses études secondaires. Avec d’autres amis, ils se cotisent pour acheter une guitare qu’ils se passaient à tour de rôle.
La bande d’amis décide, quelques mois plus tard, de s’inscrire en cours du soir à l’Ecole des beaux-arts afin de se perfectionner. Deux ans plus tard, ils en ressortent avec le bagage technique nécessaire et, dans la foulée, leur premier orchestre est mis sur pied. Ils l’appellent "Samtamouna", un nom tiré du vocabulaire sérère.
A cette époque, la plupart de leurs chansons étaient dans cette langue qui, pourtant, n’est pas celle de leur naissance. "On a commencé à sillonner les villages sérères pour des prestations. Il nous est arrivé de faire des tournées de 45 jours à l’intérieur du pays", se souvient Pape.
Les années difficiles
Mais l’aventure tourne court quand certains membres du groupe, pour des raisons diverses, décident d’abandonner la musique. Pape décide de s’installer dans les Îles du Saloum où il monnaie ses talents de chanteur alors que Cheikh prend le chemin de Saly où il joue des variétés.
De temps à autres, les deux amis se retrouvent pour faire des prestations ensemble notamment lors des vacances de fin d’année. Ce, jusqu’au jour où Michael Soumah les découvre et les invite à son émission radiophonique Sono mondial.
Les choses s’enchaînent pour le duo de Kaolack. Ils assurent la première partie des Frères Guissé au Centre culturel français, passent ensuite à l’émission de Fatou Sakho sur la Rts et décident de rebâtir leur groupe "Pape et Cheikh".
De petites prestations en petites prestations, le duo se bonifie mais cherche toujours sa voie. Et c’est difficilement qu’il parvient, parfois, à se faire accepter dans une boîte ou club pour une prestation. Et pour cause : "Nous n’avions pas encore sorti un album alors qu’à l’époque, c’était en quelque sorte le passeport, le laissez passer pour jouer dans certains endroits. Nous avons vu beaucoup de portesse refermer sur nous à cause de cela".
Mais ce n’est que partie remise. Les deux compères sont loin d’être gagnés par le découragement. L’adversité fouettant souvent l’esprit, Pape et Cheikh ont la lumineuse idée de faire enregistrer les morceaux qu’ils avaient chantés lors de la première partie des Frères Guissé. Le produit est proposé au studio Jololi géré par Bouba Ndour.
Après l’avoir écouté, ce dernier leur fait signer un contrat. Le duo entre en studio en 1999, mais le grand public n’entendra parler du groupe qu’en 2001, pour dire que l’album "Yaakaar" et surtout la chanson fétiche "Yaatal guew", qui a fait leur succès, ont dormi deux ans dans les tiroirs. En chœur, les deux artistes reconnaissent qu’ils ont été surpris par ce succès.
"Vous savez, cette même chanson que les gens applaudissent, il nous est arrivé de la jouer en boîte Samedi 31 janvier et dimanche 1er février 2015 Amis d’enfance, duo de talent Ils ne sont plus à présenter. De "Yaatal guew" à "Lonkotina", Pape et Cheikh revendiquent 15 ans de présence scénique assidue et riche en tubes.
Pourtant, leur parcours n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Par Elhadji Ibrahima THIAM et qu’on nous hue. C’est pourquoi nous gardons toujours la tête froide quelle que soit l’ampleur du succès que nous pouvons connaître", souligne Pape.
Après "Yaakaar", quatre autres albums sont venus grossir le répertoire de Pape et Cheikh. Il s’agit notamment de "Yaay", de "Mariama"sortie à l’international, de "Yeurmandé" qui est une autoproduction et enfin "Esprit live" dont le titre phare, "Lonkotina", est en train de faire un tabac.
La parenthèse politique de 2007
Dans la quête de leur propre identité musicale, la rencontre de Pape et Cheikh avec le musicien canadien, Mac Fallow, a été décisive. Sur les conseils de ce dernier, après la sortie du premier album, le duo a décidé de diversifier ses sonorités en apportant un peu plus de rythme.
"A un certain moment, les gens voulaient nous enfermer dans un carcan. Quand on dit Pape et Cheikh, automatiquement, ils pensaient à un certain genre musical. Alors nous voulions leur montrer que nous avions plus d’un tour dans notre besace", explique Pape.
Et cela était d’autant plus facile pour eux que Cheikh rappelle que dès leur tendre enfance, ils ont baigné dans une atmosphère de diversité culturelle : "Nous avons subi beaucoup d’influence musicale allant du folk au reggae en passant à l’acoustique, à la musique traditionnelle.
C’est la somme de toutes ces influences que nous essayons de faire ressortir dans notre musique. Ainsi, nous pouvons toucher un plus large public". A propos de public, il faut souligner qu’une partie a mal accueilli, en 2007, la chanson "Gorgui doliniou" dédiée à l’ancien président Abdoulaye Wade lors de la campagne présidentielle de cette année-là.
A l’époque, les spéculations sont allées bon train. D’aucuns, se fondant sur la prodigalité légendaire de l’ancien pensionnaire du palais de l’avenue de la République, n’ont pas hésité à accuser Pape et Cheikh d’avoir prêté leurs voix contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Pape balaie d’un revers de la main et évoque le respect de la parole donnée. "Nous n’avons fait que respecter notre promesse.
En effet, en 2001, sur les 21 partis ou listes engagés dans les élections législatives et qui utilisaient cette chanson, seul Wade nous a payés des droits d’auteurs. En retour, nous lui avions promis de l’accompagner en faisant une chanson pour lui.
C’est ce que nous avons fait, malheureusement beaucoup de gens n’ont pas compris", explique-t-il. Les critiques à leur endroit furent acerbes, mais les deux artistes ont su faire le dos rond et laisser passer la tempête