Le chef de l’État invite les uns et les autres à faire la part des choses. À comprendre qu’il puisse participer à la marche de Paris, dimanche dernier, et, trois jours plus tard, interdire la diffusion de Charlie Hebdo sur le territoire national.
"À travers cette présence (à la manifestation), j’ai voulu indiquer que le Sénégal s’indignait face à ces méthodes barbares, intolérantes et inacceptables, a déclaré Macky Sall au micro de Rfi, en marge de son séjour à Ouagadougou, jeudi. Je voulais aussi apporter notre solidarité au gouvernement et au peuple français, qui ont été très solidaires à l’Afrique. C’est ça le sens de la présence, ce n’est pas ‘d’être Charlie’, ou de ‘ne pas être Charlie’."
Cette solidarité envers la France, précise le Président sénégalais, ne doit pas être le lieu de toutes les absolutions. En clair, elle ne peut justifier l'acceptation de la diffusion d'un journal qui se plait à représenter le Prophète Mahomet, au mépris de la foi de milliards de musulmans. "La question de la liberté de la presse, elle se pose partout dans le monde, fait remarquer Macky Sall. Nous sommes des partisans de la liberté de la presse. Mais elle ne doit pas, de notre point de vue, entraîner vers ce qu’on peut considérer comme une provocation, tout à fait inutile."
Le chef de l'État de poursuivre : "Du point de vue français, la caricature fait partie du dispositif de liberté de la presse. De notre point de vue à nous, lorsque cette liberté s’exprime sur une matière extrêmement sensible comme la religion, nous disons ‘attention !’ Et lorsque l’on reprend des caricatures du prophète Mahomet, pour le président de la République du Sénégal que je suis, un pays à 95% musulman, je ne peux pas cautionner une telle publication. C’est aussi simple que cela."
Sous le feu des critiques depuis sa présence à Paris lors de la marche "républicaine" de dimanche dernier contre le terrorisme et la non-disparition du journal "Charlie Hebdo", le président de la République, M. Macky Sall, devait absolument se racheter aux yeux de l’opinion dans un pays à majorité musulmane.
Il l’a fait de fort belle manière — même si on peut estimer que c’est insuffisant ou que son geste représente trop peu et intervient trop tard. Toujours est-il qu’il se rachète en faisant interdire, par le biais d’un communiqué du ministère de l’intérieur, la distribution et la diffusion "par tout moyen" des éditions de l’hebdomadaire français "Charlie Hebdo" et du quotidien "Libération".
Un communiqué dont les opposants au président Sall pourront dire qu’il enfonce des portes ouvertes ou qu’il prêche dans le vent dans la mesure où les Sénégalais, qui sont musulmans à plus de 90 %, ont déjà censuré les caricatures du prophète Mohammed (PSL).
En effet, bien avant cette vengeance à la Kalachnikov qui a bouleversé la France et le monde, l’autocensure morale s’était invitée dans la foi et la ferveur de tous les musulmans, en particulier ceux du Sénégal. Blessés dans leur croyance, nos compatriotes évitaient même de commenter les caricatures du Prophète publiées par "Charlie Hebdo" pour ne pas tomber dans un blasphème coupable.
Mieux, ils avaient tout simplement choisi de vivre dans l’ignorance de ces croquis outrageux "représentant" l’image du Prophète Mohamed (Psl). Encore une fois, ces caricatures, ils ne voulaient pas les voir même en numérique ! Dans ces conditions, évidemment, il est permis de se demander à quoi ça sert d’interdire un journal étranger inconnu jusqu’ici du lectorat sénégalais. Ah, s’il s’était agi de journaux comme Le Monde, Le Figaro, Paris-Match, Jeune Afrique, L’équipe etc.
Mais "Charlie Hebdo" ou "Libération"… des journaux qui même en France ont une diffusion confidentielle ! Il est clair que les Sénégalais ont déjà facilité la tache au ministre de l’intérieur en ayant factorisé "Charlie Hebdo" par zéro. En effet, cette publication satirique n’est pas et ne sera jamais un journal attendu au Sénégal. Elle n’est pas comme L’Observateur, Le Témoin, L’Enquête, Libération, Le Quotidien, L’As, Le Populaire etc. qui publient souvent des photos de Serigne Touba ou d’El Hadj Malick Sy et que les crieurs s’arrachent à l’imprimerie avant d’aller les écouler comme des petits pains…
Au Sénégal, la communauté musulmane, bien que sereine et tolérante, est fortement indignée et choquée après la diffusion de ces caricatures provocatrices dont seuls les auteurs connaissent les motivations. Dans leur écrasante majorité, nos compatriotes considèrent que le massacre des journalistes de "Charlie Hebdo" est fortement regrettable et condamnable, aucun motif, même des caricatures du Prophète, ne pouvant justifier que l’on tue ainsi des êtres humains.
Mais en même temps, ils considèrent, les Sénégalais, que les attaques de quelque nature que ce soit contre le saint prophète Mohamed (Psl) sont déplorables et punissables. Par conséquent, pas besoin d’édicter une interdiction, puisqu’aucun citoyen de ce pays ne va se procurer un exemplaire de "Charlie Hebdo", même si cette publication était distribuée gracieusement. Comme quoi, cet arrêté d’interdiction pris par le ministre de l’Intérieur, M. Abdoulaye Daouda Diallo, est un coup d’épée dans l’eau. Mais enfin, si cette mesure peut aider le président de la République à se racheter après sa maladresse ayant consisté à défier derrière une banderole "Je suis Charlie"…
PAR L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, MOMAR SEYNI NDIAYE
LE GRAND ÉCART
Charlie Hebdo ne symbolise pas la liberté de presse. Sa nature je-m’en-foutiste lui a tracé des boulevards de l’offense par les libéralités qu’il se donnait, se moquant du terrible ressenti des cibles
Ainsi donc, le gouvernement sénégalais a donc décidé d’interdire la dernière diffusion de Charlie Hebdo et de Libération dans notre pays. Pour cause de blasphème ! L’infâme représentation que ces deux journaux ont produite du Prophète est une grossière injure à la communauté musulmane. Et le Gouvernement a certainement raison de prendre cette décision. Le contraire eût été inadmissible et incompréhensible. Comme l’a été la présence du Président Macky Sall à cette marche républicaine, apologie à l’anti islamisme.
Le président de la République a t-il voulu corriger cet écart difficilement justifiable dans un pays comme le Sénégal ? Sans doute. La distribution de ces journaux dans nos kiosques allait créer des troubles à l’ordre, des manifestations en cascade, que le gouvernement aurait beaucoup de mal à contrôler.
Cependant, la question demeure lancinante. Au-delà de l’émotion que la vue d’une telle image peut produire chez un croyant, en quoi cette représentation peut-elle ébranler la foi d’un musulman, fortement ancré dans ses croyances ? Quel sens peut avoir cette interdiction à l’heure où l’espace public est plus que jamais planétaire. La civilisation numérique a ouvert et élargi tous les espaces sociaux d’accès à l’information et au savoir. Hélas sans discernement !
Les réseaux sociaux avec plus deux milliards de suiveurs, sont le plus grand média du monde. Parce que nous sommes dans trois ères communicationnelles : l’interactivité, l’intercommutatibilité et l’intermodularité, qui placent la connectivité et l’instantanéité au cours de tous les enjeux.
Cette mesure d’interdiction prise par le gouvernement apparaît donc seulement dans sa valeur symbolique. Elle n’empêchera pas aux Sénégalais qui le désirent de voir, lire et se passer ces journaux. Déjà des voyageurs venant de l’Hexagone s’en sont procurés. On peut se demander si au fond cette interdiction ne renforce pas les éditeurs, en donnant l’occasion, une nouvelle fois, de crier à l’intolérance, au moment où des jeunes sont jugés et emprisonnés en France pour avoir manifesté leur solidarité avec les Kouachi et Amedy Coulibaly. Mais eux n’ont pas le droit d’être ignobles en cautionnant ces tueries. Ceux qui, comme le Pape François l’a dénoncé, atteignent à la foi des croyants, ont le droit d’être ignobles et d’en être gratifiés.
L’islam dans ses préceptes fondamentaux est essentiellement iconoclaste, quel que soit le personnage ciblé. L’indignation est d’autant plus grande qu’il s’agit de dépeindre sous des traits scandaleux un symbole fondateur de l’islam et qui marque sa différence avec toutes formes de croyances. Comme Jésus pour la religion chrétienne et Abraham pour les Juifs.
Que Charlie Hebdo ait décidé de faire de la dérision du prophète Mouhamed, une marque déposée au nom de la liberté d’expression prouve la valeur qu’il accorde a contrario à la liberté de culte des musulmans, qu’il prétend odieusement respecter en les distinguant des islamistes radicaux. Comme s’il existait un Prophète pour les musulmans modérés et un autre pour les radicaux.
Cette vision hémiplégique et caricaturale, démontre à suffisance les limites culturelles, intellectuelles et humaines d’un journal qui a toujours vécu des frustrations des citoyens qu’il se réjouit à ébranler dans leur foi, en prenant, tout simplement pour des imbéciles et des niais… Parce qu’ils ont de la foi et qu’ils croient. On oublie souvent que le nom de Charlie provient du prénom du Général Charles de Gaulle que ces journalistes ouvertement athées (ils en ont le droit), avait pris pour cible des années durant. Ces anciens de Hara Kiri, qui représentaient un Japonais à l’embonpoint proéminent plantant un couteau dans son vendre, les entrailles dégoulinant, avec ce fameux slogan «honni qui soit, mal y panse» a célébré sa naissance avec un mépris culturel évident.
Ces Mai-soixante-huitards, partisans de toutes les formes de nihilismes, clamaient haut et fort qu’il était «interdit d’interdire» et faisaient de l’audace et de irrévérence leur fonds de commerce. Le choix de la caricature comme mode d’expression, leur fournissait une grande opportunité de défoulement par la force de l’image et le poids des mots toujours teintés d’insolence et d’impertinence.
Charlie Hebdo ne symbolise pas la liberté de presse. Loin s’en faut. Sa culture extrême-gauchiste, lui a donné une caution morale reluisante, parce que tout ce qui est de gauche semblait séduisant et humaniste. Sa nature je-m’en-foutiste et sérieusement iconoclaste lui a tracé des boulevards de l’offense par les régals et les libéralités qu’il se donnait dans un abject amalgame de justiciers, d’objecteurs de conscience et de licences pour tout dire, sous le couvert de l’hilarité, du burlesque, du sarcasme, de la satire, ignorant et se moquant allégrement du terrible ressenti des cibles.
Il n’est pas étonnant que ses journalistes aient continué de donner dans la surenchère, ne se fixant aucune limite dans l’humiliation de leurs victimes. Contrairement au Canard Enchaîné qui s’est fixé des digues éthiques, Charlie Hebdo a poussé le bouchon de l’insolence toujours plus loin. Ses lecteurs l’ont progressivement abondé. Sa descente aux enfers était inscrite dans le temps court. Il ne tirait plus qu’à 60 000 et ne vendait que la moitié.
Son Directeur envisageait de le transformer en version électronique, après une rencontre infructueuse avec Hollande pour un sauvetage inespéré. Son tirage à cinq millions d’exemplaires, traduits en cinq langues et dans 20 pays et ses 120 000 abonnés apparaît comme une bouée de sauvetage pour ce magazine englué dans l’insolence.
C’est sans doute un cadeau royal que les intolérants tueurs Kouachi ont servi à un journal qui s’était déjà préparé à mourir. Leur funeste bêtise les aura emmenés à prolonger la vie d’un journal moribond, qui par leur ignominie schizophrénique va continuer à produire de l’angoisse et de la souffrance, à ceux qui ne demandent qu’à pratiquer leur foi sans être méprisés et blessés dans leur âme.
De quelle légitimité peut se réclamer Charlie Hebdo pour penser que leur athéisme légendaire est qualitativement supérieur à la foi des autres ? Soutenir le projet de Charlie, c’est tenter de donner du sens à l’insensé.
Ibrahima Khalilou NDIAYE, Secrétaire général du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics):
"Par rapport quand même à la population sénégalaise qui a une foi en l’Islam, donc je pense qu’elles (NDLR: les autorités) n’ont pas tort de l’interdire. D’autant qu’il y a beaucoup de combattants, de militants de la liberté qui vont ramer à contre-courant de Charlie Hebdo, bien vrai qu’ils soient des gens qui soient favorables à la liberté d’expression, à la liberté de presse, mais ne pourront pas cautionner également que Charlie hebdo continue de verser dans la provocation entre guillemets."
Odia, Caricaturiste :
"S’il (NDLR: le président Macky Sall) se met à faire la marche républicaine, intitulée ainsi, c’est son droit le plus absolu. Même si d’aucuns disent que c’est de la géopolitique, il en a le droit. S’il vient à interdire Charlie ici au Sénégal, il y a certainement une contradiction… je comprends aussi leur préoccupation, ça peut susciter quelque peu des troubles".
"On ne peut pas enlever aussi à Charlie sa raison de vivre, c'est-à-dire l’irrévérence, l’impertinence, la satire, la caricature".
FOPICA : LE PROCESSUS IRA ''JUSQU'AU BOUT'' SUR LA BAS D'UN MILLIARD DE FCFA
Dakar, 15 jan (APS) – Le directeur de la cinématographie, Hugues Diaz, a donné l'assurance que la mise en œuvre du Fonds de promotion de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (FOPICA) ira "jusqu'au bout", annonçant que le comité de gestion, réuni depuis jeudi matin, sélectionnera "d'ici la fin du mois de janvier" les projets à financer "sur la base du milliard" promis par le chef de l'Etat, Macky Sall.
"Nous irons jusqu'au bout du processus. D'ici la fin du mois de janvier, les acteurs seront édifiés sur les projets qui auront été retenus. Une fois que l'on termine, ces projets seront financés sur la base du milliard'' promis en 2013 par le chef de l'Etat, a déclaré M. Diaz, invité de la rédaction de l’Agence de Presse sénégalaise.
Il a expliqué les lenteurs notées dans la mise en œuvre de l'opération – dont la ligne de crédit était inscrite pour l'année 2014 - par le souci, pour les pouvoirs publics, d'éviter "les problèmes de gestion" connus avec de précédents fonds ouverts dans les années 1970 et 1980.
"Les fonds publics ont une manière d'être gérée. On a évité les conséquences des autres expériences. Si vous avez un montant aussi élevé à gérer, il fallait une société autonome, un personnel qu'il faut affecter, etc. Le ministère de la Culture a dit +non+ à cela", a-t-il expliqué.
Il a ajouté : "Le ministère de l'Economie et des Finances nous a suivis. Aujourd'hui, les 94% du milliard vont aller au financement des projets. Nous n'avons que 6% pour le fonctionnement du comité de gestion et du comité de lecture, alors que la loi permettait 10%".
Pour 2014, la prévision sur laquelle le comité de gestion va rester, est de financer 4 longs-métrages de fiction, avec un montant plafond de 100 millions de francs CFA par projet, 6 à 8 documentaires, qui seront financés à hauteur de 25 millions par projet, 6 séries avec un plafond à 35 millions par projet et la finition de 6 films pour un montant de 15 à 20 millions par projet.
Au sujet de la ponction de 800 millions de francs CFA, sur le milliard initialement mise en place, Hugues Diaz a affirmé que le président de la République, "dès qu'il a été mis au courant, a demandé que cette situation soit rétablie", pour permettre l'octroi de financements.
"Quand l'Etat a besoin d'argent, il cherche des niches pour faire face à des besoins ponctuels. Il n'y a pas eu de détournement", a-t-il indiqué, signalant que pour faire fonctionner le comité, la Direction de la cinématographie a été "obligée" d'utiliser des crédits de la Direction de la cinématographie, "pour aller vite et ne pas être tributaire des lenteurs administratives".
Hugues Diaz a dit que le lancement de l'appel à projets pour la FOPICA a permis à une soixantaine de sociétés de production de se régulariser, d'avoir une reconnaissance législative, de s'acquitter de leurs obligations fiscales.
Lire un livre de Chimamanda Adichie est toujours une expérience extraordinaire, tant au niveau des magnifiques histoires que ses ouvrages racontent, mais aussi de la sensibilité extrême qui s’en dégage. Ceux qui ont lu ses livres peuvent aisément saisir ce dont je parle ici. Son sens aigu du détail, qui confine un caractère si particulier à son style de narration, la force de ses personnages, la plongée au sein de leurs sentiments que nous permet de faire l’auteure, l’environnement unique ou pluriel au sein desquels ils évoluent, sa description sans complaisance de la société nigériane; tout ceci donne un cachet authentique aux récits de Chimamanda Adichie.
"En descendant de l’avion à Lagos, j’ai eu l’impression d’avoir cessé d’être noire."
Ifemelu prend la décision de rentrer s’installer à Lagos, après quinze ans passés aux Etats – Unis. Ce qui motive cette décision ? La volonté de renouer avec ses racines, d’arrêter de justifier son statut de "noire", mais surtout l’envie de retrouver son premier amour, Obinze. Elle l’Americanah (sobriquet dont est affublé quelqu’un ayant vécu en Amérique), que toutes ses amies envient, par le prestige dont elle est affublée au pays de l’Oncle Sam. Donc, personne ne comprend sa décision aussi soudaine qu’inattendue et sa tante Uju, elle qui a tout abandonné au Nigeria, est la première à lui demander si elle est vraiment prête pour "ça".
Car Ifemelu connaît une trajectoire singulière. L’Université connaît quantité de grèves, et y poursuivre une scolarité normale relève de l’impossible. Poussée par Obinze, qui promet de la rejoindre un peu plus tard, elle prend la décision d’aller tenter sa chance en Amérique. A son arrivée, premier choc : ce qu’elle voit est si creux, si fade, l’appartement dans lequel vit tante Uju avec son fils Dike est si miteux et petit qu’Ifemelu est dépitée. De plus, tante Uju s’est métamorphosée, tant physiquement, que psychologiquement : économe jusqu’à la radinerie, obsédée par l’idée de réussir son diplôme de médecin, mais ce qu’Ifemelu ne comprend pas, c’est la propension de sa tante à courir les hommes, pour se donner un semblant de stabilité.
Ifemelu est contente de déménager, mais c’est la période des vaches maigres. N’ayant pas encore sa carte verte, elle travaille sous un patronyme étranger, ce qui lui est difficile à accepter, car elle se dépouille de plus en plus de son identité dans ce pays dont elle a tant rêvé.
Bien que les temps soient durs, elle décroche une place de babysitter, et c’est là qu’elle fait la connaissance de Curt, son premier amour non – black. Mais qu’en est – il d’Obinze ? Avant de travailler pour Kimberly, elle aura une expérience fort traumatisante. Un entraîneur de tennis l’engagera pour "se relaxer" ; et par relaxer, il parlera de caresses sexuelles. Ifemelu en sort dégoûtée d’elle – même, dégoûtée d’être jusque – "là" pour quelques centaines de dollars. Elle rompt brutalement contact avec Obinze.
Commence alors une nouvelle étape de sa vie. Sa liaison avec Curt est plaisante, il n’a d’yeux que pour elle, il la fait se sentir aimée, se plie en quatre pour elle. Mais une question épineuse demeure : celle de sa couleur de peau. Elle n’est pas seulement black, c’est une black non – américaine. Curt est fier de l’exhiber, elle, la Nigériane si cultivée, si intelligente, à la langue acérée. Mais ce nuage rose commence à s’assombrir, quand Ifemelu décide de porter ses cheveux au naturel et ouvre un blog traitant de "race". Curt, en bon Américain fortuné, mais surtout Blanc, il ne comprend pas les revendications identitaires de Ifemelu et les considère comme fantasques. La rupture s’opère quand Ifemelu découvre sur son ordinateur des photos d’une femme avec qui il la trompe. Le choc est d’autant plus violent qu’elle est blanche et a les cheveux … lisses.
Blaine apparaît dans sa vie ensuite. Il est black, professeur à Yale, et est d’une rigueur extrême. Au début, ce pragmatisme plaît à Ifemelu, mais par la suite, ce trait de caractère la rebute, car il pense pouvoir donner un avis sur tout : sur sa mollesse, sur la façon dont elle rédige son blog, sur son non engagement dans des causes telles que les discriminations dont sont victimes les noirs en Amérique … Ils s’éloignent l’un de l’autre subrepticement, et Ifemelu se met à écrire à Obinze, qui entre – temps, a été expulsé de Londres où il était, a fait fortune au Nigeria, mais est surtout … marié !
Le brouillard opaque qui entoure l’existence de Ifemelu la pousse à se poser des questions existentielles, sur sa vie en Amérique, sur sa condition de noire, sur l’avancement qu’aura sa carrière. Elle se met à visiter des sites nigérians, à voir que toutes ses amies ou presque s’en sortent, et elle décide de rentrer.
Elle retrouvera Obinze, et découvrira avec une stupeur mêlée de ravissement que leurs sentiments l’un pour l’autre demeurent inchangés. Leur amour renaîtra de ses cendres, mais la menace de sa femme planera au – dessus de leurs têtes, tel un couperet.
Son contact avec le Nigeria ne se passe pas aussi bien qu’elle espérait. Le poste de chroniqueuse qu’elle décroche au magazine Zoe de "tante" Onenu ne la satisfait aucunement. Car le magazine passe son temps à faire de la publicité à des femmes ayant fait fortune illicitement, et à coups de nairas, elles achètent quelques lignes à Zoe.
Ifemelu ne se retrouve pas dans tout ceci, quitte Zoe et commence un blog, où elle entreprendra de décrire le Nigeria avec ses yeux, et écrira sans complaisance. L’histoire amorce un dénouement heureux, avec Obinze qui décide de revenir dans sa vie, avec un divorce et des promesses de lendemains heureux auréolés d’amour.
Avec son style inimitable, Chimamanda nous offre encore une fois un superbe roman. Rien n’est superflu pour elle, et c’est cela, à mon humble avis, qui donne ce cachet à ses histoires.
Il est poète-slameur, il s’appelle Marcel Cassien Badji, et son nom de scène est assez peu courant. KSI comme le « diminutif » de Cassien, et Apakena, mot diola que l’on traduit par « Le Sauveur » et qui renvoie à Jésus-Christ. S’il s’inspire énormément de ses paraboles, lui écrit plutôt en rimes et en métaphores, et « slame » depuis presque toujours. Cassien, qui se destinait d’abord à la vie religieuse, a finalement décidé de jouer avec les mots. Dans la vie, il a deux modèles : Nelson Mandela qui a su pardonner, même après 27 années passées en prison, et son défunt grand-père Louis Badji, qui lui inculqua des valeurs comme le respect de la terre. Fan de Sting et de Miles Davis, il lit la Bible, comme il lit Baudelaire et Rimbaud.
Dans l’histoire que raconte Marcel Cassien Badji, le récit de sa vie de jeune trentenaire, il y a beaucoup de ces chemins de traverse où l’on n’avance pas toujours tout droit. Entre 1998 et 2000 par exemple, le voilà qui se destine à une vie religieuse, loin de nos mondanités. Mais quelque chose lui tient aux tripes, cette irrépressible envie d’écrire qui ne l’a jamais quitté. Ecrire, dit-il aussi, c’est à la fois transmettre et partager. Lui, poète-slameur avec un récent passé de rappeur un peu « sans conviction », comme il dit lui-même, raconte qu’il griffonne depuis tout petit déjà. A l’école primaire, c’était toujours lui le premier de la classe lorsqu’il s’agissait de déclamer un poème.
Et là-bas dans le village de Nianing situé sur la Petite-Côte où il séjournera pendant ses études secondaires, loin du tumulte de la vie, sa plume lui colle à la main, et l’encre donne des couleurs à sa feuille blanche. Son rêve est plutôt contagieux car voilà que d’autres amis chopent son virus. Mais le groupe qu’il réussit à façonner est bien loin de plaire à tout le monde : incompatible avec la vie religieuse lui dit-on, surtout que sa vocation s’effiloche. Dans son cœur, l’écriture parle fort et n’écoute pas vraiment, et Cassien Badji sait qu’il ne peut malheureusement pas faire les deux, du moins pas ensemble.
Son slam à lui est à la fois « poétique, politique et philosophique ». De la poésie urbaine, de la poésie de rue qui n’a pas d’autres normes que ce que lui-même ressent. Des mots qu’il « n’attend pas forcément et qui lui viennent un peu comme cela ». Ni prémédités, ni circonscrits dans le temps. Il lui arrive souvent de se lever la nuit pour écrire. Aux écrits périodiques qui s’agglutinent au temps ou marchent au business, Cassien Badji préfère les textes intemporels. C’est sans doute pour cette raison que trois albums dorment paisiblement dans ses tiroirs, sans avoir peur de vieillir ou d’être passés de mode. Cette année d’ailleurs, lui et les musiciens qui l’accompagnent lanceront « Kayro Kassoumay », un ensemble composé de 9 morceaux, et dont le titre est l’association entre deux synonymes qui ne parlent pourtant pas la même langue. En mandingue, « Kayro » se traduit par le mot « paix », et idem pour « Kassoumay » en diola.
Inquiet, pas parano
Le jeune slameur se dit d’ailleurs très préoccupé par le conflit en Casamance où il est rentré dans les années 1990, après un long va-et-vient entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire où travaillait son père, un imprimeur indépendant qui y vit toujours. Un beau pays, mais un grand gâchis finalement que la crise ivoirienne…Là-bas, il faut aujourd’hui « tout recommencer », et Cassien a « peur » qu’il arrive la même chose à « sa » Casamance.
Dans sa bouche, c’est un mot-la peur-qui revient souvent. Il n’est pas parano, il est inquiet et peut-être un peu traumatisé par ce qu’il aura vécu dès son retour de Côte d’Ivoire : des attaques, des tueries et des embuscades. Lorsque ces moments-là lui reviennent, l’artiste qu’il est leur prête ses mots parce qu’il est « la voix du peuple ».
Jusque-là, plusieurs scènes l’ont accueilli, et il n’a jamais eu le trac, pas même au début. Face au public, il joue souvent en direct ou en semi-direct mais jamais en mode playback. La dernière fois qu’il s’est produit, c’était au Centre Culturel Blaise Senghor.
Pour lui, ce n’est pas facile tous les jours, parce qu’on ne connaît pas très bien le slam au Sénégal, mais ça n’a pas l’air de le décourager. Au mois de mai prochain, il sera en tournée dans plusieurs établissements scolaires où il s’efforcera de transmettre, d’insuffler à de jeunes enfants souvent « plus réceptifs, ou plus intéressés, » le goût de l’écriture. C’est sa façon à lui d’ « accompagner le système éducatif ». Il faut aussi savoir qu’il y a, derrière lui, toute une association que lui-même a créée. «Triple S Sensibilisation Société Sénégalaise», c’est son nom, a un « cachet légal ».
La Délégation générale de la Francophonie (DGF) lui a d’ailleurs permis de mettre en œuvre son concept d’hommage à la poésie, où il collabore avec des élèves et autres établissements scolaires. Un concept qui en est aujourd’hui à sa 3ème édition. La première avait eu lieu en 2011, c’était lors des 25 ans de l’Alliance franco-sénégalaise de Ziguinchor. Mais Cassien Badji en parle comme d’un « projet nomade » appelé à migrer vers d’autres cieux, et même au-delà du Sénégal.
A une certaine époque de sa vie, Marcel Cassien Badji s’est aussi tracé un autre destin, celui de promoteur de spectacles pour des groupes de rap dakarois qu’il est parvenu à « déraciner », s’échappant avec eux de la capitale sénégalaise. Parmi les artistes qui lui ont fait confiance, il y a eu les groupes Keur Gui et Yatfu, la rappeuse Fatou Diatta alias Sister Fa, pour ne citer que ceux-là.
L’EFFET CHARLIE
5 millions d’exemplaires, tirage record – Interdiction du journal au Sénégal – Protestations en Turquie - Arrestations de l’humoriste Dieudonné - Menaces de mort au Canard Enchaîné
L’attentat contre Charlie Hebdo aura causé 12 morts, de nombreux blessés, des dégâts matériels considérables, un élan de solidarité mondial et un paquet de polémiques. Et, au rythme où s’enchaînent et s’imbriquent les événements, la fièvre ne semble pas près de retomber très vite. L’affaire est bien partie pour devenir la série incontournable de ce début de l’année avec, en perspective, de nombreux épisodes à rebondissements.
Au Sénégal, le ministre de l’Intérieur a interdit la distribution et la diffusion, "par tout moyen", de Charlie Hebdo et du quotidien français Libération, qui a repris à sa Une la manchette du journal satirique de ce mercredi où le prophète Mahomet est représenté par une caricature. "Les contrevenants s’exposent aux lois et règlements en vigueur", avertissent les autorités sénégalaises.
Une décision qui pourrait surprendre. Car, dimanche dernier, le chef de l’État sénégalais, Macky Sall, avait pris part à la marche de soutien aux victimes, dont 12 employés de Charlie Hebdo, des tueries qui ont secoué la France la semaine dernière.
Un déplacement fustigé par une partie de l’opinion. Qui estime, d’une part, qu’en prenant part à la manifestation de Paris, le président de la République cautionne les moqueries du journal contre l’Islam et, d’autre part, qu’il aurait dû balayer d’abord devant sa porte, faire preuve de la même détermination face aux terroristes qui menacent de ruiner le Mali et le Nigeria.
Macky Sall chercherait-il, par le biais de cette interdiction des journaux où le prophète est représenté, à regagner du crédit aux yeux des pourfendeurs de son acte de soutien à la France ? Ou bien cherche-t-il simplement à montrer que, pendre part à la marche de Paris ne signifiait pas cautionner les provocations de Charlie Hebdo ?
En Turquie, si une mesure d'interdiction gouvernementale n'a pas encore été prise contre sa diffusion, le numéro de ce mercredi de Charlie Hebdo a suscité une vive polémique. Des musulmans ont manifesté contre la publication par un quotidien turc, Cumhuriyet, des dessins de l'hebdomadaire français.
Un tirage record, 5 millions
De toute façon, ce ne sont certainement pas ces protestations en Turquie ou l'interdiction du journal au Sénégal qui vont chahuter les ventes du n°1178 de l’hebdomadaire, dénommé "numéro des survivants", ou limiter sa large diffusion. Initialement, le numéro en question devait être tiré à un million d’exemplaires, déjà loin, très loin des 60 000 habituels. Mais face aux demandes qui fusaient de partout de par le monde, le tirage fut porté à 3 millions puis à 5 millions.
Du jamais vu dans l’histoire de la presse française d’information, selon des spécialistes. À la mort de De Gaulle (9 novembre 1970), à l’élection de François Mitterrand (10 mai 1981) ou à la victoire de la France en Coupe du monde (12 juillet 1998), la presse française n’avait pas fait mieux. Sans compter que le numéro en question a été traduit en italien et en turc et que sa version numérique est disponible en anglais et en arabe.
Ainsi, les frères Kouachi (tués lors de l’assaut du Gign et du Raid), présentés comme les auteurs des attentats contre Charlie Hebdo, ont voulu enterrer le journal, mais, finalement, ils l’ont ressuscité. Empêtré dans les soucis financiers, l’hebdomadaire était en effet au bord de la faillite. Mais avec les millions d’exemplaires du "numéro des survivants" écoulés et les nouveaux abonnements enregistrés depuis l’attentat du 7-janvier, le journal prend un nouveau départ. Charb, Cabu, Wolonski, Tignous et compagnie, tués dans l’attaque du siège du satirique, ne seraient donc pas morts pour rien.
Dommages collatéraux
Mais si Charlie Hebdo peut espérer compter un souci (financier) de moins, son confrère Le Canard Enchaîné ne peut pas en dire autant. Dans son édition de ce mercredi, l’autre hebdomadaire satirique français rapporte avoir reçu des menaces de mort au lendemain de la tuerie qui a emporté Charb et ses amis. "C’est votre tour", aurait-on écrit dans le mail, prétendant que les membres du journal seront découpés "à la hache". La surveillance des locaux du journal a été renforcée et une enquête ouverte.
Autre enquête ouverte et qui devrait déboucher sur une procédure judiciaire, celle concernant l’humoriste franco-camerounais Dieudonné. Le polémiste a été interpellé et placé en garde à vue pour apologie du terrorisme. Son tort : avoir déclaré sur Facebook se sentir "Charlie Coulibaly". Associant le titre de presse au nom du présumé auteur de la prise d’otages de Porte de Vincennes ayant fait cinq morts, quatre juifs et l’assaillant. Il risque la prison et des dizaines de milliers d’euros d’amende. Une autre polémique en perspective. Un épisode de plus dans la série Charlie Hebdo.
DERNIÈRE MINUTE : Le ministre de l’Intérieur interdit la diffusion de l’hebdomadaire satirique ainsi que celle de ''Libération'', qui a repris la Une avec la caricature du prophète Mahomet
Dakar, 14 jan (APS) - Le ministre de l’Intérieur annonce l’interdiction au Sénégal de la distribution et de la diffusion ‘’par tout moyen’’ des éditions de mercredi de l’hebdomadaire français Charlie Hebdo et du quotidien Libération du même pays, dont les Une comportent une caricature du prophète Mohammed (PSL).
‘’Il est interdit de distribuer et de diffuser, par tout moyen, les éditions de ce jour de l’hebdomadaire français Charlie Hebdo et du quotidien français Libération, sur toute l’étendue du territoire national’’, indique un communiqué transmis à l’APS, précisant que ‘’les contrevenants s’exposent aux lois et règlements en vigueur’’.
Quelque trois millions d’exemplaires de l’hebdomadaire Charlie Hebdo ont été distribués mercredi dans plus de 20 pays, pour le premier numéro édité après la mort, le 7 janvier dernier, d’une partie de sa rédaction.
Causé par deux frères, cet événement a suscité de nombreuses condamnations à travers le monde et une marche à laquelle ont pris part, dimanche dernier à Paris, une cinquantaine de chefs d’Etat, dont le président sénégalais Macky Sall.
PAR ALIOU TALL
LIBERTÉ D’EXPRESSION OU ISLAMOPHOBIE ?
La France doit faire preuve de vigilance et éviter que son beau pays soit transformé, par le fait de medias suspects et de personnes ingénieuses dans la distribution de la haine, en un nouveau champ de conflits religieux
Après l’attaque qui a anéanti sa rédaction, Charlie Hebdo publie une caricature du Prophète Mohamed dans son numéro du mercredi 14 janvier 2015. Certains y verront un geste fort pour confirmer l’attachement à la liberté d’expression et au droit au blasphème. D’autres, une nouvelle provocation islamophobe. Une chose est sûre : le cycle de la haine sera difficile à dénouer tant que les contours de la liberté d’expression ne sont pas clairement définis pour éviter qu’elle soit pervertie en arme de guerre insidieuse.
Cycle vicieux de la haine
Comme disait Saint Augustin dans son ouvrage La cité de Dieu contre les païens, toute la force de l’être humain réside dans son esprit et dans son corps. Nous constatons que certaines personnes privilégient le Corps : la vie sur terre, l’éclat de la richesse, du pouvoir, et des belles choses de la vie. D’autres mettent le primat sur l’esprit : l’amour propre, le spiritualisme et la foi. Les premiers sont blessés quand on porte atteinte à leur droit de propriété, à leur influence ou à leur liberté. Les seconds sont meurtris quand on leur prive de leur dignité humaine ou qu’on blasphème leurs croyances.
Dans la confrontation idéologique qui oppose les uns aux autres, chacun tient son arme fatale. Les premiers dressent leurs canons, aiguisent leurs plumes et, sous les tranchées de la liberté d’expression, se livrent à «assassiner» spirituellement les seconds. Ces deniers affûtent leurs couteaux, mitraillent avec leurs kalachnikovs ou se transforment en bombes humaines pour attenter corporellement aux premiers. Les uns ne veulent rien perdre de leur confort d’ici bas, alors ils attaquent ceux qui peuvent compromettre leur bien-être. Les autres, se sentant agressés dans leurs âmes, pensent qu’ils n’ont plus rien à perdre et contre-attaquent, au prix de leurs vies, ceux qui veulent anéantir leur foi.
Dans cette guerre insensée et regrettable, la plume pervertie est aussi dangereuse que le couteau dans le dos. Pour briser le cycle de la haine, les opérations militaires chirurgicales menées ça et là par les grandes puissances ne serviront pas à grand-chose. Elles risquent au contraire de produire l’effet inverse : attiser les frustrations et les animosités religieuses ; perpétuer le choc sanglant entre les religions ; et engendrer une menace diffuse dans leurs propres sociétés.
Il faut, d’une part, s’attaquer dans le fond et à long terme aux germes du fanatisme religieux qui pousse à l’intolérance et à la violence. D’autre part, mettre fin à la terreur étatique qui a institué un choc des civilisations, avec un axe du bien et un axe du mal ; et qui a permis que la liberté d’expression soit corrompue par certains en une véritable arme de destruction massive.
Liberté d’expression en dents de scie
Dans une république démocratique la liberté d’expression, droit fondamental, a nécessairement des limites pour être efficace. Dans tous les pays démocratiques, elle est limitée par d’autres droits ou principes. Dans un pays comme la France qui compte 5 millions de musulmans, les blasphèmes de Charlie Hebdo ont choqué ou humilié beaucoup de musulmans qui n’ont rien à voir avec le fanatisme des extrémistes.
Le même Charlie Hebdo, qui réclame la liberté d’expression et par ricochet le droit d’injurier par la caricature, censurait la liberté d’expression quand un de ses employés avait écrit un article qu’il jugeait préjudiciable aux juifs. En 2008, le directeur du journal satirique, Philippe Val, avait décidé de le licencier Siné, une des figures emblématiques du journal, accusé d’avoir tenu dans une chronique des propos ironiques teintés d'antisémitisme. Alors que peu de temps avant il avait ainsi traité les musulmans : «J'avoue que, de plus en plus, les musulmans m'insupportent et que, plus je croise les femmes voilées qui prolifèrent dans mon quartier, plus j'ai envie de leur botter violemment le cul !»
La liberté d’expression et la laïcité ne doivent pas être pratiquées de manière discriminatoire, ni dénaturées en armes de guerre contre l’islam, que beaucoup d’occidentaux, se disant civilisés, assimilent à la barbarie.
La France doit faire preuve de vigilance et éviter que son beau pays soit transformé, par le fait de medias suspects et de personnes ingénieuses dans la distribution de la haine, en un nouveau champ de conflits religieux. Au lieu d’applaudir des personnes comme Eric Zemmour, elle doit se méfier de leurs stratagèmes de division des Français dits «autochtones» aux Arabes et aux Noirs.
Eric Zemmour avait porté le discrédit sur les jeunes Noirs et Arabes en essayant de justifier la discrimination et la ghettoïsation dont ils sont victimes par la polygamie, la délinquance et les trafics dans leurs quartiers. En affirmant à tort que la plupart des trafiquants en France sont noirs et arabes, Eric Zemmour a consolidé l’imaginaire collectif qui nourrit l’équation «délinquant = Noir ou Arabe». S’il avait traité de la sorte les juifs il serait probablement viré des medias avec qui il flirte. Malgré ses attaques négrophobes, arabophobes et islamophobes, et le fait qu’il ait été condamné, beaucoup de Français l’applaudissent au nom de la liberté d’expression.
La France devrait revoir les dispositions de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, du code civil, du code pénal et des lois disparates qui consacrent la liberté d’expression, pour corriger les archaïsmes et définir clairement les restrictions à cette liberté, les responsabilités, et les sanctions en cas d’abus.
Faire preuve de cohérence et de vigilance
La France limite sans équivoque la liberté d’expression pour lutter par exemple contre les atteintes à la présomption d’innocence, ou même, à la vie privée. Elle peut alors revoir son arsenal juridique pour prohiber clairement les injures et diffamations religieuses orchestrées sous le prétexte de la liberté d’expression. La Cour de cassation française a eu à valider la condamnation de l’auteur d’une caricature représentant un Président français avec une tête de vautour, de même que l’auteur d’un montage photographique burlesque ridiculisant le président de la République avec une tronche d’animal. L’opinion n’a pas été scandalisée par ces condamnations pour crime de lèse-majesté, qui limitent pourtant la liberté d’expression.
Par contre pour les caricatures blasphématoires de Mohamed, elle soutient largement la provocation. On ne touche pas à l’honneur du Président, mais on peut insulter la foi des croyants. Une telle liberté d’expression, modulable à volonté, n’est pas crédible.
Les attentats perpétrés contre Charlie Hebdo sont vus et décrits globalement sous un seul angle. Mais l’enquête ne doit pas négliger la face immergée de l’iceberg, qui pourrait cacher l’œuvre de commanditaires malicieux qui en voudraient à la fois à la France et à l’Islam. Le cas échéant, ces commanditaires auraient intérêt à discréditer l’Islam, à promouvoir une islamophobie structurelle en France.
Il ne faut pas perdre de vue que n’importe qui peut commettre un attentat, prononcer «Allahou Akbar» et dire qu’il agit sur ordre d’Al Qaïd ou de l’Etat islamique, dans la seule finalité d’accabler les musulmans et de manipuler le peuple français contre eux. Espérons que la marée humaine qui s’est formée le dimanche 11 janvier 2015 dans plusieurs villes de France exprimait son attachement à la liberté, et non une haine non avouée de l’islam. Espérons aussi que les chefs d’Etats qui ont fait le déplacement pour dire non au terrorisme, le feront aussi au Nigeria où Boko Haram aurait tué la même semaine, pas 17, mais plus de 2000 personnes. La vie de ces personnes, qui ne demandaient pas le droit de diffamer avec la liberté d’expression, mais juste le droit de vivre, était aussi précieuse que celle des journalistes de Charlie Hebdo.
Aliou Tall est le Président du Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen (RADUCC)