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26 avril 2025
Développement
par l'éditorialiste de seneplus, Félix Atchadé
SAHEL, MACRON GARDE LE CAP SUR LE DÉSASTRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Comme une évidence, la seule réponse militaire est un échec - Il ne suffit pas de signer des traités laissant à l’armée française toute latitude d'occuper le terrain, pour sortir la sous-région du guêpier
Félix Atchadé de SenePlus |
Publication 14/05/2020
La crise née de la pandémie de Covid-19 n’a pas entamé les certitudes et la vision toute militaire et sécuritaire de la politique sahélienne d’Emmanuel Macron. Selon ses conseillers diplomatiques, il « garde » le cap. Que les évènements l’obligent à reporter le sommet Afrique-France prévu initialement à Bordeaux du 4 au 6 juin 2020 à l’année prochaine ou que la saison Africa 2020 soit décalée de plusieurs mois n’y change rien. Dans l’agenda élyséen, le report du sommet G 5 de Nouakchott des 29 et 30 juin 2020 n’est pas envisagé. Dans quelques semaines, Emmanuel Macron devrait retrouver ses homologues de Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad pour dresser le bilan du sommet de Pau du 13 janvier dernier et annoncer le maintien de l’opération militaire Barkhane.
Sur le terrain, malgré les effectifs des forces françaises qui sont récemment passés de 4 500 à 5 100 militaires, la situation reste préoccupante. Les groupes djihadistes multiplient les attaques. En moins d’une semaine, deux légionnaires français sont morts à la suite de combats dans la zone transfrontalière entre le Mali, le Niger et le Burkina. Au Mali, après l’opposant Soumaïla Cissé otage d’un groupe djihadiste depuis le 25 mars, le préfet de Gourma-Rharous a été enlevé le 2 mai par des hommes armés alors qu’il regagnait son poste en voiture depuis Tombouctou.
En 2019, selon l’Organisation des Nations unies, les violences djihadistes et les conflits connexes ont fait 4 000 morts au Mali, au Niger et au Burkina Faso, cinq fois plus qu’en 2016, malgré la présence de forces africaines, onusiennes et françaises. Depuis 2013, date de l’opération Serval, 44 militaires français ont trouvé la mort dans la région. Des centaines de militaires maliens et de la Mission de stabilisation des Nations unies au Mali (Minusma) ainsi que des milliers de civils ont subi le même sort.
Au Burkina Faso, la violence armée a poussé près d’un demi-million de personnes à prendre la fuite pour trouver refuge ailleurs dans le pays. Aujourd’hui, au Burkina Faso, au Mali et au Niger, plus de cinq millions de personnes dépendent entièrement de l’assistance humanitaire. Ce sont des centaines de milliers de familles qui ont tout perdu en fuyant les violences.
Le Sahel reste sous la menace d’une déstabilisation lente et diffuse. Le scénario que l’on pouvait redouter au lendemain de l’intervention militaire française au Mali se déroule dangereusement. La primauté de l’action militaire, avec un mélange des genres entre Barkhane (antiterrorisme), G5 Sahel et Minusma (Maintien de la paix des Nations unies), sur des objectifs non explicités masque l’absence de réponse politique. « Pour se prémunir autant que possible contre le risque de rejet de la présence militaire étrangère, il faut aussi mener des projets de développement », déclarait il y a quelques mois, la ministre de la défense, Florence Parly, auditionnée par le Sénat. Elle ajoutait qu’à cet égard, « nous souhaitons articuler de manière plus efficace l’action de Barkhane et les actions de l’Agence française de développement, pour que le rétablissement de la sécurité bénéficie directement aux populations. C’est ainsi que la présence militaire sera mieux tolérée ». L’aide au développement est conçue comme un instrument complémentaire, destiné à faire accepter une présence militaire étrangère.
Comme une évidence, la seule réponse militaire est un échec. D’autant qu’elle est orchestrée de la part d’un État français qui n’a eu de cesse de jouer au pompier pyromane depuis les années 60 aux quatre coins du continent africain. Il ne suffit pas de signer des traités laissant à l’armée française toute latitude pour aller et venir et occuper le terrain, pour sortir la sous-région du guêpier. Les solutions sont ailleurs, dans la réponse aux immenses défis sociaux, économiques, environnementaux, pour donner des perspectives et une place aux Sahéliens, singulièrement aux jeunes.
LA PRIÈRE RESTE SUSPENDUE À LA GRANDE MOSQUÉE DE DAKAR
L'imam El Hadji Alioune Moussa Samba souligne ainsi que le nombre de contaminations croît de manière constante et que "les raisons évoquées pour la fermeture des mosquées restent aujourd'hui plus valables que jamais"
L'imam de la Grande mosquée de Dakar a annoncé jeudi que les prières restaient suspendues à cause du coronavirus, malgré la décision du président Macky Sall d'autoriser la réouverture des lieux de culte. La décision du grand imam El Hadji Alioune Moussa Samba est significative en ce qu'elle concerne l'une des principales mosquées de Dakar, aux liens réputés étroits avec le pouvoir. Le président de ce pays musulman à plus de 90% s'y rend à l'occasion des grandes fêtes religieuses. Une autre mosquée importante de la capitale, la Mosquée omarienne, restera elle aussi fermée jusqu'à nouvel ordre, ont indiqué ses responsables.
Mercredi, c'est l'Eglise catholique qui avait fait savoir que les prières collectives restaient suspendues. Les catholiques représentent environ 5% de la population.Tous invoquent la persistance du risque sanitaire. L'imam de la Grande mosquée de Dakar souligne ainsi que le nombre de contaminations croît de manière constante et que "les raisons évoquées pour la fermeture des mosquées restent aujourd'hui plus valables que jamais". "Nous n'avons pas les moyens de faire respecter les gestes barrières", dit-il dans un communiqué.
Le président sénégalais a annoncé lundi soir, parmi une série d'assouplissements des restrictions d'activités, la réouverture des lieux de culte, fermés depuis fin mars. Il a exprimé la nécessité "d'apprendre à vivre en présence du virus" qui devrait continuer à circuler jusqu'en août ou septembre, selon lui. La pression religieuse a été avancée dans les commentaires comme l'une des raisons, avec les impératifs économiques, de ces allègements.
Les responsables musulmans ont diversement réagi à l'annonce du président. Le chef de la puissante confrérie des mourides, Serigne Mountakha Mbacké, a fait connaître par son porte-parole les modalités de reprise de la prière collective : port du masque, lavage des mains et distanciation obligatoire.
by Hawa Ba & Ayisha Osori
COVID-19 IN WEST AFRICA : CREDIBLE INFORMATION AS A VACCINE AGAINST MISINFORMATION ?
Public service announcements must focus on making citizens accept that the illness is a reality, giving them the knowledge to prevent and treat the infection and debunking myths and fake stories which impact the effectiveness of the response
During the social media age information spreads faster than any virus and there seems to be no vaccine against misinformation. As governments struggle to contain COVID19, public service announcements and communication must focus on making citizens accept that the illness is a reality, giving them the knowledge to prevent and treat the infection and debunking myths and fake stories which impact the effectiveness of the response. This could save many lives.
There is fertile ground for fake stories about Corona to thrive
If there is a thin line between love and hate, there is an even thinner line between fake news and reality, especially on social media. Along with the COVID-19 pandemic, the infodemic the World Health Organization (WHO) warned the world about is spreading across West Africa. “Coronavirus does not exist”. “Bananas cure Coronavirus”. “Coronavirus is a conspiracy”. “Coronavirus was sent by God to punish humankind”. Why does misinformation thrive?
While lockdown-induced mischief cannot be ruled out, there are other reasons fake news and misinformation thrives: low trust, information asymmetry, a culture of weaponizing information, life experiences, cultural beliefs, myths and fragile social cohesion. This combination creates a fertile ground for fake stories which speak to the truth in people’s lives and fills the gaps in information required to manage the anxieties and realities of COVID19. As governments struggle to contain the pandemic, there are at least three areas where public service announcements and communication must focus.
Many still doubt the existence of coronavirus and struggle to believe that they can be affected by a virus which started in China
Many still doubt the existence of coronavirus and struggle to believe that they can be affected by a virus which started in China when they have not travelled there. This is where the 5G , Bill Gates and other source conspiracy theories thrive and prominent figures have inflamed the chorus with public claims that, "coronavirus is pure invention". Fake news of conspiracies against Africans and Muslims is too close to the reality of botched vaccine trials in northern Nigeria and two European scientists proposing that coronavirus vaccine trials start in Africa. It plays on fears that are not unfounded.
Senegal and Kenya have acknowledged the threat that fake news poses to successful management of the pandemic and, as a deterrence, will fine anyone disseminating false information. A good start but not enough because lies spread faster than rebuttals.
It is only a matter of time before the tensions of the lockdown will lead to blaming 'others'
When the lines between reality, prejudice and fears intersect, it makes for fake stories that are hard to debunk. The internet is rich with conspiracy theories popular with the well and less educated, about attempts by the West to control African demography. It becomes easy to feed President Macron’s statements about Africa’s population growth into the conspiracies about vaccines being a means to control population growth.
Sometimes, underlying tensions are brought to the surface, fueled by misinformation. In Senegal divisions between people who stay home and Senegalese migrants rose with the spread of the pandemic as migrants and their families were blamed and stigmatized for bringing the foreign disease back to Africa. Suddenly, those previously praised for foreign exchange remittances were threats to their country and unpatriotic. In Nigeria, a video about the burial of President Buhari’s Chief of Staff was alleged to have been doctored to implicate and raise tensions between those from the north where the president and his chief of staff are from and the rest of the country.
It is only a matter of time before the tensions of the lockdown, exacerbated by hunger, will lead to blaming ‘others’ which historical narratives have encouraged us to be suspicious of. New scapegoats will be identified especially amongst coronavirus survivors of which there will be many as the global recovery rate is 80 percent . A community in Cote d’Ivoire was projecting when they dismantled a testing center for fears that it would bring the infected to their neighborhoods, not seeing that the center would also serve them.
Governments public service announcements must begin to proactively address stigmatization and prejudices to manage the powerlessness that millions are facing with the COVID-19 fueled uncertainties. One antidote for a low trust society is more communication and transparency.
People want to know how to prevent infection and how to treat it
People want to know how to prevent infection and how to treat it and the information gap is being filled with charlatans and innocents trying to be helpful. This information is crucial and in multilingual countries where many cannot read in the official language of government communication i.e., Portuguese, French and English, communication needs to be creative, in multiple languages and across the most popular platforms for different audiences.
During the Ebola crisis, SMS and WhatsApp messages in Nigeria ignited a rush to pre-dawn drinking and bathing in salty water to prevent infection. Today, the WhatsApp coronavirus prevention advice from marabouts and experts include drinking hot water every 2 hours, drinking hot beverages made of neem leaves and rubbing one’s nose with shea butter. Some of this communication looks official and often the only clue that it is not, is the generous sprinkling of typos which not many will pick up on. It has not helped that President Alpha Conde of Guinea, proclaimed in a video that drinking hot water and rubbing menthol on one’s nose helps keep the virus away or that President Trump, popular with some West Africans, endorsed chloroquine as a treatment.
It is the responsibility of government to not add to this flood in a mindless, faceless fashion.
There are estimates that the use of social media has increased by 40 per cent during the pandemic and Whatsapp has for years, led as the most popular app for communicating in Africa. More people online and on these platforms, means more people being exposed to fake news and misinformation .
One disadvantage of a pandemic during the social media age is that information spreads faster than any virus and there is no vaccine against misinformation. It is the responsibility of government to not add to the flood of information in a mindless, faceless fashion. One option is to provide free airtime and credible information to those with influence, to speak to their communities through radio, television, Instagram live and videos so that trusted voices are constantly sharing what is true and useful. Another is to continue to collaborate with the media to fund fact checking .
As a few West African countries such as Ghana and Nigeria begin to relax lockdown rules, governments, the media and civil society must intensify communications aimed at sharing factual information on coronavirus prevention and cure; building and keeping trust; and defusing existing and new prejudices. The right communication tailored for multiple audiences could be the difference between life and death.
Hawa Ba & Ayisha Osori work with the Open Society Initiative West Africa
par Amadou Tidiane Wone
AMALGAMES DANGEREUX
La foi des gens n’est pas le sujet. Ni la pratique des uns et des autres. Il s’agit d’un risque sanitaire planétaire dont nous devons tous nous protéger. Laisser les surenchères religieuses ou confrériques s’installer dans le débat, c’est le fausser
Depuis le début de la pandémie au Sénégal, un malentendu s’est installé et s’inscrit dans la durée : il s’agit de la centralité de la question des lieux de culte dans un sujet qui relève exclusivement du domaine de la santé publique. A force, chaque groupe religieux ou confrérique se croit obligé de se prononcer sur des questions ne relevant pas de sa compétence. Soyons plus clair : la problématique de la lutte contre la pandémie du covid’19 repose sur la nécessité de circonscrire la propagation du virus afin de l’éradiquer. Pour ce faire, l’expérience éprouvée repose essentiellement sur le confinement. En conséquence, toutes sortes de lieux d’affluence et de promiscuité doivent être prohibés en attendant la disparition totale du virus. Les textes de loi n’avaient besoin de citer des lieux spécifiques. Il suffisait de viser l’affluence et la promiscuité quitte à préciser le nombre de personnes admissibles dans un lieu donné et à quelles conditions. Cela aurait évité les susceptibilités que l’on note çà et là.
Le sujet n’est donc pas d’ordre religieux. Il est d’ordre public !
Dans ce contexte, il est pour le moins étrange que le débat au Sénégal se déporte au plan religieux ou confrérique. Le virus n’est pas programmé en fonction de la religion ou de la confrérie. Le risque de le rencontrer ne dépend pas du fait que l’on aille à l’église ou à la mosquée. Par contre, on peut l’attraper ailleurs et aller contaminer ceux qui étaient sagement en prières. C’est pour éviter toutes ces probabilités incontrôlables que chacun doit appliquer la maxime : « l’homme est le gardien de son frère ». Il est pourtant simple de faire entendre à tout le monde cette raison. La foi des gens n’est pas le sujet. Ni la pratique des uns et des autres. Il s’agit d’un risque sanitaire planétaire dont nous devons tous nous protéger. Laisser les surenchères religieuses ou confrériques s’installer dans le débat c’est le fausser. Il faut se ressaisir. En matière de santé tout court, chacun va consulter son médecin. Parce qu’il a été formé pour cela. On lui fait confiance. Pourquoi lorsqu’il s’agit de santé publique on ne s’en remet pas à ceux dont les savoirs sont avérés en la matière ?
Pour dire qu’il faut rester lucides. Nous sommes tous stressés. C’est un fait. Mais il y a des moments où un surplus de lucidité est nécessaire. Surtout face à une situation inédite dont on ne sait pas encore l’issue.
Je suis de ceux qui ne partagent pas l’esprit des dernières mesures prises par le chef de l’Etat. Mais je prie pour que les résultats attendus aillent dans le sens de la préservation de plusieurs vies humaines. Sans être un spécialiste, mais en observateur attentif de tout ce qui se passe à travers le monde, j’avoue que je suis très préoccupé. Et pour cette raison, je pense qu’il faut assainir le débat public des amalgames dangereux qui pourraient servir de détonateur en cas de situation incontrôlable.
Donc et pour ma petite part, je respecte les gestes barrières. Je limite mes déplacements au strict minimum. Pour retourner à la mosquée, j’attendrai que les responsables de la Santé publique de mon pays donnent le signal. Car c’est la responsabilité que Dieu a mis entre leurs mains. Ils en seront redevables. Qu’ils l’assument donc sans faiblesse.
En attendant, je prie le Seigneur Allah Tout-Puissant dont La Miséricorde s’étend sur tout, de nous délivrer tous de cette épreuve, peuple du Sénégal et hôtes étrangers qui vivent parmi nous, sans distinction religieuse, confrérique, raciale, sociale ou autre. Le virus ne connaît pas ça. C’est le lieu de se dire : nous sommes tous dans la même galère !
LE RAMADAN FACE AU COVID-19
« Pour le musulman, le ramadan de cette année est une expérience singulière », dit le philosophe Souleymane Bachir Diagne, en raison de la épidémie de coronavirus. Il donne quelques enseignements clés pour surmonter cette période de crise
« Pour le musulman, le ramadan de cette année est une expérience singulière », dit le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, en raison de la épidémie de coronavirus. Professeur de philosophie française et des questions philosophiques en Afrique, Souleymane Bachir Diagne a publié plusieurs ouvrages sur l'islam. En ligne de New York, où il enseigne à l'université Columbia, il répond à nos questions.
RFI : À l’heure actuelle, l’Afrique est moins impactée que d’autres continents et de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que le confinement ne marche pas pour beaucoup de gens qui travaillent au jour le jour pour gagner leur vie. « Il faut trouver une autre solution. Notamment, il faut tester pour isoler », dit-il.
Souleymane Bachir Diagne : Oui, déjà le confinement est très difficile à réaliser physiquement. J’étais, il y a encore quelques semaines, au Sénégal. Je suis allé dans ma ville natale de Saint-Louis et je me suis dit qu’il est impossible de penser à un confinement dans les quartiers les plus densément peuplés du Sénégal. Alors du coup, il y a peut-être la tentation de dire : mais au fond, allons-y et mettons-nous aux tests. Déjà, il y a des difficultés logistiques. Il faudrait pouvoir tester très largement, est-ce qu’il y a les capacités pour cela ? Mais il ne faut pas baisser la garde. C’est vrai que jusqu’ici l’Afrique semble avoir été relativement peu touchée, mais on ne peut pas encore dire que le continent a véritablement échappé à la pandémie, parce que, tant que le feu couve sous la forme des cas communautaires qui se révèlent quotidiennement, maintenant, l’incendie reste toujours possible.
Vous, qui êtes un penseur de l’islam, est-ce qu’en cette période de ramadan, l’islam apporte un enseignement particulier pour surmonter cette pandémie ?
Effectivement, en cette période de ramadan, les musulmans avaient l’habitude d’avoir une vie sociale encore plus intense. C’est véritablement un mois où on se rend visite, où on prie ensemble le soir… De vivre le ramadan dans le confinement et dans l’isolement est une expérience singulière. Mais d’un autre côté, cela ramène le musulman face à la signification profonde de sa religion et de ce mois en particulier, qui est un mois également de méditation. Au fond, il est toujours possible de vivre cet islam de manière encore plus intense, si je peux dire, parce qu’on transforme ce mois en un mois de méditation et de retour sur soi.
Et pourquoi aimez-vous citer cette phrase de Mahomet « Si la peste se déclare dans une contrée, n’y allez pas, et si vous vous y trouvez déjà, n’en sortez pas » ?
Parce qu’au moment où je travaillais sur cette phrase-là, évidemment, il s’agissait de rappeler que la religion musulmane n’est pas, contrairement au stéréotype, une religion du fatalisme et de l’irrationnel. C’est une phrase tout à fait rationnelle. Un épidémiologiste ne dirait pas mieux que cela. Deuxièmement, cela s’impose aujourd’hui. Nous sommes dans une situation analogue à une épidémie de peste et les décisions que nous devons prendre, ces décisions-là, ce sont les États laïques qui les prennent. Mais il s’agit de montrer que ces décisions prises par les États reflètent parfaitement la sagesse comprise dans cet énoncé religieux. Il s’agit de montrer, par exemple, que, quand les États africains sont obligés de dire à leur population dans la diaspora « Restez où vous êtes », et surtout, une chose qui est tout à fait pénible pour ces populations-là : « Vous ne pouvez pas ramener vos morts, vous ne pouvez pas les ramener et les enterrer », ce n’est pas simple à comprendre, mais voilà une phrase prophétique qui éclaire les décisions difficiles que cette pandémie, malheureusement, nous impose.
À la sortie de cette épidémie, vous espérez plus de citoyenneté mondiale, dites-vous. Mais l’heure ne risque-t-elle pas d’être plutôt au repli nationaliste et au cynisme ?
Oui, mais malheureusement, c’est ce qui a été le premier mouvement. D’ailleurs on l’a vu dans l’état de panique, par exemple en Europe. Les frontières internes de l’Europe se sont ré-hérissées très rapidement. Mais je crois qu’à la réflexion, le second mouvement sera de comprendre la nécessité d’une véritable solidarité et d’une véritable citoyenneté mondiale. On se rendra compte de la signification d’une mondialité humaine. Quelqu’un attrape un virus à l’autre bout de la terre et le lendemain ce virus est partout présent. La crise économique qui arrive va imposer un certain nombre de gestes, d’attitudes, qui vont traduire cette solidarité. Étant Africain, je pense en particulier à une annulation de la dette. Parce que ce ne sera pas simplement un geste de générosité, ce sera également un geste tout à fait intelligent. Cela va consister à dire que le monde a besoin d’une Afrique qui peut consacrer les ressources quelle consacrait au service de la dette à un équipement sanitaire dont on a vu qu’il faisait cruellement défaut.
C’est vrai qu’en Europe de grandes voix s’élèvent pour l’annulation de la dette africaine. Mais pour l’instant, les Chinois, qui sont les principaux créanciers de l’Afrique, n’ont accepté qu’un moratoire d’un an…
Oui, il faut espérer que le moratoire soit un moratoire du temps de la réflexion. Parce que, si aujourd’hui la Chine veut, par exemple, jouer le rôle que visiblement elle veut jouer dans une gouvernance mondiale, il faut que ce qui est présenté comme une aide chinoise pour un avenir partagé –je cite la doctrine officielle de la Chine dans cette pandémie– ne soit pas simplement un slogan. Une « aide chinoise pour un avenir partagé », cela va être également de s’engager, comme le président Macron l’a fait, en soutenant l’idée d’une annulation de la dette dans cette voie-là.
Par Seybani SOUGOU
TOUS LES DÉCRETS DE MACKY PROROGEANT L’ETAT D’URGENCE SONT ILLÉGAUX
« Aucune disposition juridique ne permet au président de proroger l’état d’urgence par décret. Il s’agit d’une compétence exclusive de l’assemblée nationale »
« Aucune disposition juridique ne permet au Président de proroger l’état d’urgence par décret. Il s’agit d’une compétence exclusive de l’assemblée nationale »
S’agissant de la proclamation de l’état d’urgence et sa prorogation, la Constitution sénégalaise établit une claire répartition des pouvoirs entre le président et l’assemblée nationale. Aux termes de l’alinéa 1 de l’article 69 de la Constitution, l’état d’urgence, est décrété par le Président de la république.
L’alinéa 2 de l’article 69 de la Constitution dispose que le décret proclamant l’état d’urgence cesse d’être en vigueur après 12 jours, à moins que l’Assemblée nationale, n’en ait autorisé la prorogation. La répartition des pouvoirs, établie par la Constitution est claire, nette et précise :
Le président dispose du pouvoir de proclamer l’état d’urgence (décret),
La prorogation de l’état d’urgence est une compétence exclusive de l’assemblée nationale (loi). Par Décret n° 2020-830 en date du 23 mars 2020, Macky Sall a proclamé l’état d’urgence sur le territoire national, pour une durée de 12 jours.
Pour proroger l’état d’urgence, Macky Sall a saisi l’assemblée nationale, conformément à l’alinéa 2 de l’article 69 de la Constitution.
Le 01 avril 2020, l’assemblée nationale a adopté la loi d’habilitation, autorisant la prorogation de l’état d’urgence pour une durée de 3 mois. L’article 4 de la loi d’habilitation dispose « qu’il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret avant l’expiration du délai fixé par la loi prorogeant l’état d’urgence ».
Au titre du pouvoir réglementaire, le président peut prendre 2 décrets dans le cadre de l’état d’urgence : un décret pour proclamer l’état d’urgence (alinéa 1 de l’article 69 de la Constitution) et un décret pour y mettre fin de manière anticipée (article 23 de la loi 69-09 du 29 avril 1969).
D’ailleurs, l’article 4 de la loi d’habilitation adoptée le 01 avril 2020 précise que le président peut prendre un décret pour « mettre fin à l’état d’urgence par décret avant l’expiration du délai fixé par la loi ». C’est clair, net et précis : lorsque le président prend un décret, suite à une prorogation de l’état d’urgence autorisée par la loi, c’est uniquement pour y mettre fin.
Le président ne peut jamais, par décret, proroger l’état d’urgence puisque la loi adoptée par l’assemblée le 01 avril a déjà prorogé l’état d’urgence en fixant une durée (3 mois au maximum). Au Sénégal, aucune disposition juridique ne permet au président de proroger l’état d’urgence par décret (aucun texte ne le prévoit).
Macky Sall ne dispose pas du pouvoir réglementaire de proroger l’état d’urgence, même pour 1 journée (ce décret relève du banditisme juridique).
En conséquence, le décret n° 2020-925 du 3 avril 2020 prorogeant l’état d’urgence pour 1 mois ainsi que le décret du 02 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence jusqu’au 02 juin 2020 sont totalement illégaux. Aucun décret ne peut porter la mention « prorogeant l’état d’urgence ».
La prorogation de l’état d’urgence est une compétence exclusive de l’assemblée nationale.
par Madiambal Diagne
MACKY A PRIS LES RISQUES DU CHEF
L'ignorance et l’irresponsabilité de nombreuses élites constituent un handicap pour le développement du pays. L’attitude des populations durant cet épisode doit convaincre de faire de l’éducation une nécessité impérieuse
On ignore les circonstances ou les paramètres sur lesquels le Président Macky Sall a fondé ses décisions, annoncées le 11 mai 2020, allégeant le dispositif de prévention contre le Covid-19. L’exercice a pu être très délicat, au moment où la propagation de la pandémie s’est accélérée (le 11 mai 2020, le record journalier de 177 nouveaux tests positifs au Covid-19 a été révélé). Mais pour diverses raisons, on peut trouver l’allégement du dispositif approprié dans le contexte.
1. La létalité du Covid-19 est assez marginale au Sénégal
On peut observer que pour la période du 2 mars 2020 (date de recensement du premier cas de malade du Covid-19) au 11 mai 2020 (soit 71 jours), le Sénégal a enregistré un nombre de 19 personnes malheureusement décédées de la pandémie. Trois nouveaux décès se sont ajoutés à ce bilan deux jours après. Cela équivaudrait à un ratio de moins de 2 morts par semaine. L’extrapolation donnerait un nombre de morts sur l’année de l’ordre de 100 cas. Le scénario le plus pessimiste, la situation la plus catastrophique, si on en juge par les méthodes de projection utilisées par les experts sur les statistiques du Covid-19 à travers le monde, serait la multiplication des cas par 3. Cette situation catastrophe nous amènerait à un nombre total de 300 morts sur l’année. On conviendrait que c’est beaucoup car toute mort de personne constitue une catastrophe, un drame pour les familles, les proches et la société de façon générale. En effet, «rien ne vaut une vie», mais on ne perdra pas de vue qu’il y aura fatalement des morts de personnes tous les jours que Dieu fait. Il reste que les statistiques montrent que le taux de mortalité au Sénégal est de 7,9 pour 1000, soit quelque 118 mille morts par an, sur une population moyenne de 15 millions d’habitants. Chaque année on recense plus de 13 mille cas de tuberculose avec plus de 300 décès. Quelque 750 mille personnes souffrent annuellement du paludisme avec des centaines de morts. C’est dire que le Covid-19 tue beaucoup moins que les autres causes de décès. 3000 enfants meurent chaque année de pneumonie. On remarquera pour l’anecdote, que le taux d’homicides au Sénégal est de 3 morts pour 100 mille habitants, soit une moyenne annuelle de 450 morts par homicide. Ce bilan macabre dépasse largement les projections les plus sombres pour le Covid-19. On retiendra également que les accidents de la route provoquent plus de 600 morts par an au Sénégal. Pour autant, le Sénégal n’a pas empêché la circulation des véhicules et autres engins sur les routes, encore moins décrété un couvre-feu permanent pour empêcher d’éventuels homicides ou fermé les marchés et les lieux de culte pour barrer la route à la propagation de la tuberculose.
2. L’Etat a commis l’erreur de prendre des mesures dont il ne peut assurer l’observance
On peut comprendre qu’à l’arrivée de la pandémie au Sénégal, le gouvernement ne pouvait pas ne pas s’inscrire dans le sillage des autres pays infectés et a alors préconisé des mesures de restriction des déplacements des populations et de leurs activités sociales. La maladie étant toute nouvelle et la vitesse de sa propagation, stupéfiante. Aussi, le grand nombre de décès, provoqués dans les premiers pays touchés, a pris tout le monde de court, qu’aucun protocole de riposte n’est encore jugé suffisamment efficace. Il n’y avait pas de leçon apprise, il fallait faire comme tout le monde et adapter la situation, au fur et à mesure. La peur était légitime et la psychose s’est installée car, même s’il était annoncé que ce serait une seule personne qui devrait mourir du Covid-19, chacun voudrait éviter d’être cette victime ou de voir son proche succomber. Le gouvernement n’aurait-il pas pris de telles mesures qu’il ne serait pas excusable. Seulement, était-il très vite apparu que les populations violaient allègrement le dispositif du couvre-feu ou de l’interdiction de rassemblement dans des lieux de culte, sans pour autant que les forces de sécurité, préposées à la mission de veiller à son application, n’arrivassent à empêcher cela. Il demeure qu’a posteriori, on peut considérer que les autorités de l’Etat avaient fait une mauvaise évaluation de la situation (c’est le sort ingrat de tout gouvernement), pour prendre des mesures de police dont elles ne pouvaient pas garantir ou assurer le respect. On a observé des situations qui pourraient engendrer des drames et de graves périls. Des populations ont bravé les Forces de l’ordre pour ouvrir certains lieux de culte. Fallait-il faire usage de la force armée pour faire appliquer la mesure ? Sans doute pas, car le remède aurait été pire que le mal. L’Etat n’avait aucun intérêt à déclencher une escalade qui pouvait être violente meurtrière même, quand on sait la détermination des groupes de populations à en découdre avec les éléments de police et de gendarmerie. Il y avait donc une grave menace à la paix et la sécurité publiques, avec des risques de confrontation et des actions manifestes de provocation. Encore une fois, l’Etat aura fait montre de sagesse en évitant de tomber dans une escalade. Il était illusoire de chercher à maintenir des mesures qui ouvriraient la porte à toutes les formes de défiance. On peut se rappeler qu’en 1999, les Forces de l’ordre s’étaient gardées de charger des hordes de «Baye Fall» qui assiégeaient la prison de Rebeuss, exigeant la libération de leurs condisciples emprisonnés pour avoir incendié la mosquée Ibadou de Niary Tally à Dakar. Le régime du Président Abdou Diouf avait convaincu le juge de prendre une ordonnance de main-levée pour élargir de prison les personnes mises en cause pour éviter que la situation ne dégénérât. La même attitude de retenue des Forces de l’ordre a été observée en France les mois derniers, quand des occupants de l’aire du projet de nouvel aéroport de Notre Dame des Landes de Nantes ou quand des manifestants «gilets jaunes» cherchaient à en découdre violemment avec l’autorité de l’Etat. Aux Etats-Unis, le Président John F. Kennedy avait ordonné, le 11 juin 1963, le retrait des troupes pour ne pas charger le Gouverneur George Wallace et ses affidés qui bloquaient l’entrée de l’université d’Alabama à des étudiants noirs. On ne manquera pas de regretter qu’avec l’épisode des fortes résistances enregistrées contre les mesures édictées par le gouvernement pour barrer la route au Covid-19, l’autorité de l’Etat en a encore pris un sacré coup, mais notre gouvernement devra apprendre qu’un Etat ne doit pas prendre des mesures qu’il ne peut pas faire observer. L’Etat devait bien savoir à quoi s’attendre car, des actes de rébellion provenant des mêmes milieux religieux ont été constatés plus d’une fois. C’est une désinvolture coupable de s’imaginer que les mêmes causes ne produiraient pas les mêmes effets et qu’il fallait mieux se préparer à faire accepter ou faire passer les mesures.
3. L’économie ne pourrait vivre en autarcie
Tous les pays ont pu mesurer que la pandémie du Covid-19 a déjà engendré une situation de régression économique jamais connue. En conséquence, on cherche partout à arrêter l’hémorragie. Après plus de trois mois de blocage des activités économiques, les pays cherchent à rouvrir leurs économies, à les faire redémarrer. Les mesures de limitation de la circulation des personnes et des biens ont freiné les activités économiques, le Sénégal ne pouvait donc continuer de fermer son économie, qu’on sait assez faible et fragile. Des pays voisins comme le Ghana, le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou le Bénin, tout aussi touchés (ou parfois plus touchés) par la pandémie, ont desserré les vis pour permettre aux populations de reprendre le travail. Comment dans un tel contexte, le Sénégal pourrait-il aller à contre-courant et s’obstiner à chercher à renforcer davantage les mesures ? On a entendu des voix continuer de préconiser le confinement total des populations !
4. Impératif d’éducation
Tout le monde peut convenir que les difficultés constatées au Sénégal dans la mise en œuvre des mesures prophylactiques et d’hygiène contre le Covid-19 sont dues à l’obscurantisme. La situation d’ignorance des populations et l’irresponsabilité de nombreuses élites religieuses et sociales constituent un véritable handicap pour le développement économique et social du pays. Il faudrait investir et investir encore dans l’éducation, la seule panacée pour libérer les esprits. L’attitude des populations durant cet épisode doit convaincre davantage de faire de l’éducation une nécessité impérieuse. Il semble donc utile de rouvrir les écoles et permettre aux enfants de retourner en classe pour ne pas continuer de grossir les bataillons d’ignares. Il n’en demeure pas moins que l’allégement du dispositif de riposte ne devrait procéder d’un laisser-aller mais constituerait une volonté de permettre aux citoyens de pouvoir vaquer à leurs occupations essentielles, tout en gardant, encore une fois, des mesures de précaution individuelle. Le travail de discussion, de sensibilisation et de persuasion ne devrait pas être relâché. On jugera à l’heure du bilan si le chef de l’Etat s’était fourvoyé ou pas, quand il a décidé d’alléger son dispositif contre le Covid19. Mais il aura fait montre d’un certain courage. «Il est toujours facile de dire ou d’exiger quelque chose lorsque les gens autour de soi sont d’accord avec ce que l’on affirme. C’est à la portée de tous. C’est tout à fait autre chose lorsque ce que l’on déclare soulève l’hostilité dans son propre entourage.»
par Ngor Dieng
LE COVID- 19 : LA PRISE EN CHARGE PSYCHOSOCIALE EN QUESTION
L’Etat qui a la charge de diriger le comité de riposte contre la pandémie, doit mettre en place une cellule de veille permanente, chargée d’accompagner toute personne en contact direct ou indirect avec la maladie afin d’adoucir le choc
« Elle [la psychologie] offre l’opportunité de cerner, non seulement les comportements directement et objectivement observables, mais aussi, les processus conscients et inconscients, cognitifs et affectifs. Autant dire que la psychologie nous permet d’étudier la vie mentale, les états de conscience, les comportements et les conduites (...). De même, elle s’attache à mettre en place des techniques et des moyens efficaces dans le domaine de la thérapie, de la prise en charge et de l’accompagnement psychosocial concernant les crises et les troubles du comportement qui peuvent affecter un sujet particulier. » - Babacar Diop,Jinne Maïmouna, Crises psychosociales et hystériformes dans l’école sénégalaise, Approche psychosociologique, L’Harmattan-Sénégal, Dakar, 2018, pp. 23-24.
Depuis le mois de décembre 2019, le monde subit le diktat d’une pandémie : le Covid-19. Cet infiniment petit a bouleversé l’agenda mondial et n’a épargné aucun secteur d’activités des sociétés humaines, et cela à travers toute la planète terre. Toutes les activités sont presque au ralenti et certaines sont tout bonnement à l’arrêt. L’humanité semble confrontée à ce que nous appelons le premier conflit mondial du XXIe siècle. Le Coronavirus est véritablement la première guerre mondiale de ce millénaire naissant. L’infiniment petit est en guerre contre la race mortelle des hommes.
L’homme, l’humanité sont en guerre contre une minuscule créature qui n’est visible qu’au microscope et qui, aujourd’hui, secoue la marche de l’humanité. Le semblant de pouvoir de l’homme est remis en cause frontalement par un ennemi invisible, mais aussi redoutable que l’arme nucléaire. La puissance de l’homme s’affaisse, son contrôle de la planète l’échappe et son orgueil est atteint de plein fouet.
De la même manière que Galilée a remis en cause le privilège de la terre par la victoire de l’héliocentrisme sur le géocentrisme, Darwin le privilège de l’homme par la théorie de l’évolutionnisme qui fait du singe l’ancêtre de l’homme et Freud le pouvoir de la conscience par la découverte de l’Inconscient, le Covid-19 a remis sérieusement en cause le privilège d’une humanité qui se croyait investie d’une mission de la fin de l’histoire et de l’accomplissement du dernier homme[1]. L’homme a encore beaucoup à apprendre de la nature et de lui-même. Il est loin de réaliser ce rêve cartésien de faire de l’homme le maître et le possesseur de la nature[2].
Le capitalisme [sauvage] qui criait victoire depuis le déclin du communisme, symbolisé par la chute du mur de Berlin en 1989, souffre aujourd’hui des bouleversements causés par le Coronavirus. Les grandes nations qui se considéraient comme les maîtres du monde ont subi la foudre de la pandémie, étant obligées de confiner leurs populations durant des mois pour endiguer la propagation du virus. Pourtant, le virus reste serein et imperturbable. Il ne se déplace pas de son propre gré, mais s’agrippe aux hommes qui se déplacent, l’homme étant un éternel pigeon voyageur, pour contaminer leurs semblables.
La pandémie a remis en cause l’hégémonie de nations qui se croyaient jusque-là invulnérables. Un nouvel ordre mondial est en train, peut-être, de naître comme certains chefs d’Etat l’ont annoncé. L’humanité est obligée de repenser sa relation avec la nature. Les hommes sont tenus de revoir leurs relations entre eux et les Etats gagneraient à redéfinir leurs rapports afin d’humaniser la terre comme le souhaite l’écrivain argentin Silo[3].
Sous nos tropiques, c’est-à-dire au Sénégal, la gestion de la pandémie nécessite une réflexion dans le but de contribuer à la riposte contre le Covid-19. Cette guerre annoncée par le chef de l’Etat, dans son adresse de la nation du 23 mars 2020, nécessite la participation de toutes les ressources humaines et de toutes les expertises aussi bien dans le domaine de la santé que dans celui des autres branches de la connaissance comme l’économie, la sociologie, la philosophie mais aussi et surtout la psychologie. N’oublions pas que la maladie [toute maladie] affecte aussi bien le physiologique que l’état mental ou psychologique du malade.
Et dans le cadre de cette pandémie, la gestion ne doit pas seulement se faire sur le plan médical. Autrement dit, gérer cette pandémie demande la prise en compte de la dimension psychosociale de la maladie qui ne cesse de se propager avec son lot d’infectés, de victimes, de stigmatisés et de confinés. Dans un pays où les populations, dans leur majorité, vivent au jour le jour, il importe de tenir compte de la dimension psychosociale dans la gestion de la pandémie. Le protocole thérapeutique doit intégrer la dimension psychologique des malades, des personnels de santé (médecin, infirmer, etc.), des familles des victimes, des cas suspects, des familles mises en quarantaine qui, d’une manière ou d’une autre, vivent une certaine psychose voire un stress lié à leur face à face direct ou indirect avec le Coronavirus.
C’est pourquoi l’Etat du Sénégal, qui a la charge de diriger le comité de riposte contre la pandémie, doit mettre en place une cellule de veille permanente, chargée d’accompagner toute personne en contact direct ou indirect avec la maladie afin d’adoucir le choc et de gérer le stress qui l’accompagne. Cette cellule jouera le même rôle que jouent les « soldats du feu », en étant toujours dans les dispositions d’intervenir, partout sur le territoire national où ses compétences seront sollicitées, pour aider des populations en souffrance physique, morale, mentale et psychologique. L’individu, étant aussi solide qu’il est fragile, se trouve souvent dans des situations où la résignation n’est qu’une solution de façade. Il a alors besoin d’être assisté psychologiquement pour réaliser ce qui lui arrive afin de « faire le deuil », c’est-à-dire d’accepter psychologiquement la réalité et/ou de s’accommoder d’elle, bien qu’elle soit parfois cruelle et difficilement acceptable.
Et de ce point de vue, notre société a encore des pas à faire. Elle ne mesure pas encore toute l’importance de la santé mentale dans une société qui devient de plus en plus individualiste et matérialiste, où la valeur humaine semble reléguée au second plan au profit de l’argent, du rang social et de la lutte des places (« palaces ») au sens où on l’entend en wolof.
Le malade du Covid-19 doit être traité par un protocole thérapeutique à la fois médical et psychologique pour accepter la maladie, la supporter et guérir. Il a besoin d’un soutien psychologique pour faire face à la stigmatisation à laquelle il est exposé afin de pouvoir se réinsérer facilement dans sa société. Le regard de l’autre est souvent, dans certaines situations, perturbant et ce n’est pas pour rien que Jean-Paul Sartre disait que « l’enfer, c’est les autres ».
Les mesures prises par l’Etat (et assouplies par le discours à la nation du président de la République du 11 mai 2020) ne peuvent être acceptées et intégrées qu’à travers une bonne campagne de communication qui nécessite des spécialistes de la « chose humaine », l’homme n’étant pas un objet des sciences exactes mais plutôt des sciences humaines et sociales. C’est cette dimension humaine et sociale qui fait que son vécu social, ses croyances religieuses, ses réalités socioculturelles et économiques doivent déterminer le type d’intervention dont le traitement de chaque cas de malade nécessite. Malheureusement, au Sénégal, la plupart des victimes et familles de victimes sont laissées à elles-mêmes, abandonnées souvent par la société, et dans certains cas, par les autorités étatiques elles-mêmes, alors qu’elles ont éminemment besoin d’un accompagnement psychosocial. Ainsi, brulent-elles et se consument-elles à petit feu, sous le regard indifférent et/ou insensible d’une société qui commence à perdre sa capacité d’indignation et de commisération.
Dès lors, nous lançons un appel aux autorités pour la prise en charge de cette dimension psychosociale dans la gestion de la pandémie et le renforcement du dispositif d’assistance psychologique par la création d’une cellule nationale de veille permanente pour la prise en charge psychologique de nos malades, victimes d’accidents, d’incendies, de catastrophes naturelles, bref des personnes traversant des moments très difficiles de leur vie[4]. C’est un gage de santé mentale pour une société et des populations fragilisée par la crise sanitaire du Covid-19 qui impacte la vie humaine sur tous les plans : sanitaire, économique, financière, religieux, social et psychologique.
Nous profitons de l’occasion pour lancer un appel à nos autorités à ne pas se désarmer bien que les stratégies soient revues depuis le 11 mai 2020, et aux populations à rester vigilantes et à respecter les mesures-barrières afin que les pessimistes et les tenants des « thèses complotistes » n’aient pas raison sur l’humain. Après tout, continuons à prier en tant que croyants pour que Dieu éradique, dans sa bonté immense, cette pandémie de la planète terre afin de la permettre de se ré-humaniser...
Nous soutenons nos autorités administratives à la tête desquelles se trouve le chef de l’Etat, son Excellence le président Macky Sall. Nous encourageons les efforts des personnels de santé dont l’autorité est incarnée par le ministère de la Santé et de l’Action sociale. Tout en manifestant notre soutien psychologique aux malades sous traitement, nous présentons nos condoléances les plus attristées aux familles des victimes du Covid-19, au Sénégal et à l’étranger. Que Dieu veille sur notre cohésion nationale et nous épargne d’une propagation exponentielle de la maladie avec les nouvelles mesures prises par le chef de l’Etat. Et pour cela, nous en appelons à la responsabilité de chacune et de chacun des Sénégalais.
Ngor Dieng est Psychologue-conseiller, Doctorant en philosophie à l’UCAD de Dakar
[1]. Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, Free Press, 1992.
[2]. René Descartes, Discours de la méthode, Le Livre de poche, Librairie Générale Française, 2000.
[3]. SILO, Humaniser la terre, Editions Références, Paris, 1999.
[4]. Bien entendu, au niveau régional, on peut avoir des cellules régionales de veuille permanente au service des victimes locales. Elles pourraient être composées de sociologues, de psychologues, d’assistants sociaux, d’éducateurs spécialisés, de psychiatres, etc.
par Pascal Diouf et Ndèye Debo Seck
PROPOSITION DE RÉAMÉNAGEMENT DE L’ANNÉE SCOLAIRE
Il nous semble prématuré, pour ne pas dire hautement risqué de reprendre les cours le 2 juin. Il est primordial de préserver la santé d’une frange importante de ce que la nation a de plus cher, ses enfants les plus jeunes et les plus vulnérables
Pascal Diouf et Ndèye Debo Seck |
Publication 14/05/2020
Dans son discours du 11 mai 2020, le président Macky Sall a annoncé que « le Covid-19 continuera encore de circuler dans le pays jusqu’au mois d'août, voire septembre ». Il a par ailleurs confirmé la reprise des cours prévue le 2 juin prochain. Laquelle avait été annoncée dans une note d’orientation qu’enseignants et élèves s’étaient partagés, notamment sur les groupes de discussions en ligne. Il est à redouter que cette reprise des cours n’ait des répercussions néfastes. Ce sont des centaines de milliers d’élèves qui vont reprendre le chemin de l’école après deux mois d’interruption en raison du Covid-19. D’après la note d’orientation susmentionnée, les enseignant.e.s devront rejoindre leurs postes le 18 mai. Avec eux/elles, il faudra compter le personnel d’appoint, gardiens et personnes de charge, les administrateurs des écoles, etc.
La majorité des écoles du Sénégal sont dans des conditions d’hygiène et de logistiques déplorables. Bon nombre d’entre elles ne disposent pas de salles de classe permettant d’acter une distanciation sociale efficiente. La disponibilité de latrines, l’accès à l’eau, l’enclavement et/ou l’éloignement de beaucoup d’établissements ont toujours constitué un frein à des conditions d’enseignement-apprentissage idoines. Qui plus est l’hivernage a débuté par endroits et nombreux sont les élèves qui préfèreront rejoindre les champs (avec l’accord des parents) que de reprendre le chemin des écoles. Pour ce qui est des zones urbaines, avec la récurrente question des inondations, les écoles servent souvent de lieu de recasements de sinistrés.
Il faut aussi prendre en compte la situation de nombre d’enseignant.e.s et apprenants immunodéprimé.e.s ou souffrant de pathologies liées à leur environnement scolaire, mauvaise qualité de la craie, abris provisoires, humidité dans les salles de classes, etc.
Par ailleurs, qu’est-ce qui a été prévu pour les enseignantes en état de grossesse et celles qui allaitent. Notons que l’ANSD comptait dans sa Situation Économique et Sociale (SES) du Sénégal de 2016, 9827 établissements d’enseignement primaire, 1932 au niveau du Moyen et 827 établissements du secondaire. Le délai entre l’annonce de reprise des cours et la reprise effective nous paraît extrêmement court pour mettre en place, partout au Sénégal, un dispositif de prévention et de prise en charge d’éventuels contaminés (Dieu nous en garde). Toutes conditions qui permettraient aux enseignant.e.s, aux administrateurs et aux élèves de rejoindre les classes en toute confiance.
Tenant compte de tous ces paramètres, il nous semble prématuré, pour ne pas dire hautement risqué de reprendre les cours le 2 juin. Il est primordial de préserver la santé d’une frange importante de ce que la nation a de plus cher, ses enfants les plus jeunes et les plus vulnérables. Il est tout aussi primordial de préserver la santé de dizaines de milliers de mères et de pères de famille.
Nous proposons ainsi :
De reprendre les cours dès le 1er octobre : ce mois, de même que celui de novembre seront consacrés à la poursuite des enseignements-apprentissages, en vue de compenser le retard accusé à tous les niveaux ;
De consacrer le mois de décembre aux examens ou évaluations certificatives (qui prendront fin au plus tard le 22 décembre en tenant compte des congés de Noël) ;
De programmer la rentrée scolaire 2020-2021 dans la fourchette du 05 au 10 janvier 2021. Cette année se poursuivra jusqu’au 31 juillet comme d’habitude ;
De faire cours les samedis pour le compte de l’année scolaire 2020-2021 au niveau de l’élémentaire ;
De réaménager les emplois du temps en augmentant le crédit horaire selon les matières dominantes au niveau du Moyen-Secondaire. Par exemple, une classe de 3eme qui a 4h en Histoire-Géographie par semaine se verrait ajouté 2h dans la discipline.
Ce sont là nos propositions pour sauver l’année scolaire tout en limitant le risque de propagation du covid-19 chez les élèves et les enseignant.e.s.
Pascal Diouf est Professeur d’Histoire-Géographie
Ndèye Debo Seck est Professeure d’Anglais
par Ibrahima Cheikh Diong
PARTAGEONS DANS LA DIGNITÉ
Alors que certains d’entre nous ont encore la chance de pouvoir s’approvisionner dans des chers supermarchés du coin, des gens autour de nous (sans-abri, petits commerçants, handicapés, mendiants, etc.) qui sont dans le besoin
Le coronavirus est là, espérons qu’il disparaîtra un jour, pour ne plus jamais revenir afin que nous reprenions nos vies et nos activités. Mais, quelques belles histoires humaines et inspirantes qui en sortiront laisseront des souvenirs gravés en nous, pour toujours.
Voici la mienne en 10 points, l’histoire et les leçons de politiques publiques:
1. J’ai observé…
Alors que je faisais ma marche quotidienne dans les rues de mon quartier à Dakar (Les Almadies) pour préserver ma santé mentale et physique malgré le confinement partiel et le couvre-feu national au Sénégal, j’ai remarqué 4 dames, courageuses et dignes, qui vendaient, sans masques ou autres protections, toutes sortes de petites marchandises (noix, fruits, etc.). Malheureusement, il n’y avait presque aucun client autour d’elles à cause du virus.
Pourtant, je suis convaincu que les recettes de ces petits commerces serviraient certainement à nourrir leurs petites familles, en particulier leurs enfants qui les aident d’ailleurs dans ce petit commerce plutôt que d’étudier ou de jouer comme les autres enfants du quartier privilégié des Almadies.
2. J’ai constaté…
Ces dames semblent toutes avoir une chose en commun: beaucoup de marchandises invendues tout au long de la semaine à cause d’absence de clients dûe au coronavirus.
Cependant, ces femmes et leurs enfants semblaient tous garder une grande dignité et un gros sourire sur leurs visages chaque fois que je leur disais bonjour. Ce respect de leur dignité m’a d’ailleurs amené à ne pas montrer leurs visages dans ces photos de leurs marchandises
3. J’ai agi …
Après une semaine de marche tout en observant tous les jours cette vue insupportable (qui m’a rappelé les petites commerçantes de ma jeunesse dans ma ville natale de Thiès), j’ai décidé de les contacter pour savoir ce que je pouvais faire modestement pour faire preuve de compassion et de soutien, sans aucune démonstration de pitié de ma part envers elles, car après tout, elles gagnaient leurs vies à leurs manières et honnêtement .
J’ai demandé à chacune d’elles comment elles géraient l’impact visiblement négatif du coronavirus sur leurs petits commerces et que faisaient-elles pour trouver des acquéreurs pour leurs marchandises ou gérer leurs invendus. Elles m’ont affirmé qu’elles vendaient peu et que leurs stocks invendus coûteraient environ 10 000 Fcfa (équivalent à 15 USD) par stand! Au total, 40 000 Fcfa (75USD) pour les 4 dames.
Alors, je leur ai proposé d’acheter (le mot clé ici est acheter, pour respecter leur dignité, au lieu de leur faire un don) tous leurs invendus du jour. Les produits achetés ont ensuite été distribués aux gardiens des maisons aux alentours qui suivaient avec surprise nos échanges (bien sûr, j’avais mon désinfectant pour m’assurer que toutes les personnes, surtout ces bonnes femmes, qui étaient impliquées dans la transaction, étaient protègées, coronavirus oblige !
4. J’ai impacté modestement…
Je sais que mon geste symbolique (que j’aurais pu simplement garder pour moi mais l’histoire m’a tellement inspiré pour ne pas la partager) ne résoudra certainement pas toutes leurs difficultés du moment, mais pourrait leur apporter un petit soulagement à ces moments difficiles pour tous, même si certains d’entre nous s’en sortent mieux financièrement.
5. J’ai beaucoup appris…
Voici la meilleure partie de cette histoire. Alors que je continuais ma marche pour rentrer chez moi, je ne savais pas que 5000 Fcfa (8USD) était tombé de ma poche par accident et l’une des 4 femmes qui l’avait vu, a ramassé le billet et a couru vers moi pour me rendre mon argent. Je ne pouvais imaginer un meilleur geste d’honnêteté et de dignité car, malgré leurs difficultés financières apparentes, cette dame a choisi de garder sa fierté, son honnêteté et sa dignité en me rendant mon argent. Quel geste hautement humain et plein de bonnes leçons de valeurs pour nos enfants et pour l’humanité !
6. Morale de l’histoire…
Alors que certains d’entre nous ont encore la chance de pouvoir s’approvisionner dans des chers supermarchés du coin, il y a des gens autour de nous (sans-abri, petits commerçants, handicapés, mendiants, etc.) qui sont dans le besoin. Puisez dans votre cœur pour les aassister, si vous le pouvez, mais d’une manière digne, sans que cela soit une question de gloire pour vous !
7. Les héroïnes …
Encore une fois, rappelez-vous que les vraies héroïnes de cette belle et inspirante histoire sont ces 4 dames (et surtout pas moi) qui continuent de vendre leurs produits et se battent quotidiennement pour leurs familles malgré les risques de coronavirus.
8. Partageons…
Ces moments difficiles, qui seront certainement derrière nous un jour, nous interpellent tous humainement. Il est grand temps de réveiller en nous nos grandes et belles valeurs humaines, dormantes pour certains, et partager avec les moins nantis que nous.
9. Un Etat doit être présent en cas de catastrophe…
Au moment où les pays développés distribuent des chèques a tort et à travers a leurs citoyens en difficulté et/ou en chômage c’est le moment pour nos états en Afrique de revoir nos politiques sociales et de solidarité parce qu’un état doit être présent en cas de pandémie et/ou autres catastrophes. Gouverner c’est anticiper !
10. Soutenons le secteur informel en Afrique…
Nous souhaitons certes que nos économies post-covid 19 se reconstruisent pour retrouver ou dépasser les niveaux de croissance d’avant. Dans ces efforts de nos gouvernements, n’oublions pas de soutenir le secteur informel en Afrique en leur aidant dans la formalisation de leur business et, en leur facilitant l’accès au financement et au marché. Faut-il, enfin, encore le rappeler, 80% des emplois en Afrique proviennent du secteur privé (informel et formel).
Profitez de cette modeste nourriture de l’esprit et protégez vous !