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26 avril 2025
Développement
par Ibrahima Cheikh Diong
SI J’ÉTAIS MILLIARDAIRE...
J’aurais soutenu les jeunes entrepreneurs africains en leur fournissant des capitaux d’amorçage et des services de renforcement des capacités afin qu’ils continuent à penser globalement mais à agir localement
La pandémie du Covid 19 a certainement prouvé que nous sommes tous égaux face à cet horrible virus et que le monde ne sera plus jamais le même !
Je ne doute pas que les grands groupes de consultants proposeront toutes sortes de recommandations sur la façon dont les pays pourraient se reconstruire après Covid 19. Laissons cela à ces brillants consultants en stratégie comme ils ont déjà commencé!
En lisant ce matin la récente liste Forbes de milliardaires dont le premier est à nouveau Jeff Bezos, je ne pouvais pas m’empêcher de noter qu’en dépit de tous ces milliards, le monde ne pouvait pas surmonter cet “ami” invisible, destructeur et opportuniste : le virus COVID 19.
Je ne porterais certainement aucun jugement sur ces milliardaires car je suis sûr qu’ils ont travaillé dur pour bâtir leur fortune et défendent probablement de nombreuses grandes causes à travers leurs fondations et d’autres plateformes.
Cependant, ce qui précède m’a fait penser, à la lumière du monde en évolution dans lequel nous vivons maintenant, ce que j’aurais fait, d’original pour l’Afrique, si j’étais milliardaire.
Que diriez-vous de ces 10 actions / engagements concrets ?
1. J’aurais réorienté mon objectif de vie vers une mission humanitaire plutôt que d’acquérir plus d’actifs qui ne feraient probablement pas grande différence pour l’Afrique. Pensez-y, de combien de milliards une personne a-t-elle besoin pour être satisfaite ou heureuse ?
2. J’aurais partagé une partie de ma fortune avec mes collaborateurs en leur donnant des parts dans l’entreprise car, après tout, ce sont eux qui m’ont permis, en partie, d’être milliardaire. De cette façon, ils seront davantage motivés et sécurisés à vie.
3. J’aurais promu le concept d’«indice de bonheur» à travers l’Afrique comme à Buthan, au lieu de poursuivre ces chiffres de PIB non inclus qui ne font aucune différence dans la vie de nombreux pauvres Africains. Il est grand temps que nous mettions le capital humain, par opposition à la création de richesses, au cœur du développement de l’Afrique.
4. J’aurais défendu des thèmes comme «les soins de santé pour tous» et «l’éducation pour tous» en Afrique comme mes deux principales missions de vie, parce que comme Covid 19 nous l’a enseigné, sans la santé et l’éducation, rien n’est durable. J’investirais massivement avec les gouvernements africains pour rendre les soins de santé et l’éducation accessibles à tous sur le continent noir.
5. J’aurais consacré beaucoup de ressources financières et de temps pour soutenir la recherche et le développement dans les universités africaines afin que nos scientifiques africains puissent mettre en pratique leurs idées créatives tout en aidant à résoudre les problèmes de l’Afrique. Des solutions africaines aux problèmes africains!
6. J’aurais soutenu les jeunes entrepreneurs africains en leur fournissant des capitaux d’amorçage et des services de renforcement des capacités afin qu’ils continuent à penser globalement mais à agir localement. De cette façon, ils s’aventureront davantage dans la fabrication, les technologies et l’agro-industrie localement développées afin qu’en tant qu’Africains, nous consommions ce que nous produisons. Covid-19 nous a offert un aperçu du danger de tout pays de s’approvisionner à l’étranger.
7. J’aurais consacré du temps et de l’énergie et convaincu d’autres personnes de se joindre à moi pour développer un solide programme de mentorat à travers l’Afrique. De cette façon, chaque jeune africain aurait accès à des mentors et à une bonne orientation de la vie, en particulier ceux qui n’avaient pas un bon départ dans la vie. Notre dividende démographique est notre plus grand atout.
8. J’aurais soutenu tous les Africains de la diaspora, quelle que soit leur appartenance politique, qui souhaitent rentrer chez eux et faire partie des solutions car l’Afrique a besoin de tous ses fils et filles. Nous avons des Africains talentueux à travers le monde occidental qui sont prêts à rentrer chez eux si les conditions sont réunies.
9. J’aurais consacré au moins 10 milliards de dollars US à un “Fonds africain de relance et de croissance Covid-19”, et j’aurais convaincu d’autres milliardaires et institutions de financement africaines comme la BAD de contribuer à ce projet pour en faire une plateforme de 100 milliards de dollars US. Le fonds fournirait les prêts concessionnels, les subventions, les investissements et d’autres instruments financiers adéquats aux pays africains pour les aider à démarrer et à faire croître leurs économies dévastées par Covid-19.
10. Enfin, j’aurais créé un Fonds africain d’investissement social entièrement dédié au soutien de toute initiative visant à développer des médicaments génériques et des vaccins abordables fabriqués en Afrique afin que nous puissions cesser de dépendre des médicaments importés. J’ai été surpris de découvrir que la plupart de nos médicaments génériques proviennent d’Inde. Il est temps de responsabiliser notre industrie pharmaceutique!
Pour rappel, je ne suis pas milliardaire et je n’ai aucun intérêt à l’être, mais Dieu merci, il n’est pas nécessaire d’être milliardaire pour faire et / ou contribuer à tout ou partie de ce qui précède. Après tout, nous avons tous des milliards d’idées brillantes, ce qui fait de nous tous des «milliardaires».
Espérons que les milliardaires africains apprendront de cette saga Covid-19 et montreront la voie en réorientant leurs missions et leurs ressources vers une plus grande différence en Afrique au lieu de célébrer des slogans vides comme «l’homme ou la femme le plus riche d’Afrique» ou d’accumuler des actifs dont ils ne jouissent guère.
N’oubliez pas que même sans être milliardaire, vous pouvez contribuer à votre manière à faire de l’Afrique un endroit formidable. Ensemble, riches ou pauvres, construisons l’Afrique que nous voulons et méritons.
Profitez de la nourriture de l’esprit et restez en sécurité !
Ibrahima Cheikh Diong est Fondateur et Président de ACT Afrique Group, ancien expert de la SFI, de la Banque mondiale et de BNP Paribas
AUDIO
SALY DEVENUE FANTOMATIQUE
Prisées par les touristes européens, en grande majorité français, la plupart des activités dans la ville sont à l’arrêt. Reportage sur place
Après le déconfinement dans les pays européens, quand reviendront les touristes au Sénégal ? Le secteur touristique est durement frappé par la crise sanitaire liée au Covid-19. Très important pour l’économie du pays, il représente 10% du Produit intérieur brut.
La station balnéaire de Saly, à une centaine de kilomètres de Dakar, la capitale, est devenue dès les premiers jours de l’épidémie une ville fantôme. Prisées par les touristes européens, en grande majorité français, la plupart des activités dans la ville sont à l’arrêt.
Reportage sur place.
« NOUS N’ALLONS PAS ACCEPTER QUE LES MOSQUÉES SOIENT ASSAILLIES »
Le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, réagit à le mesure de réouverture des lieux de culte annoncée par le président Macky Sall
Le président de la République, Macky Sall a pris la décision de rouvrir les moquées et autres lieux de culte, dans le cadre de l’assouplissement des mesures de l’état d’urgence. Interpellée sur cette décision du chef de l’Etat, le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, a fait savoir que la réouverture des mosquées pourra être effective d’ici vendredi prochain.
LA RÉOUVERTURE DES MOSQUÉES POSSIBLE D’ICI VENDREDI
À l’en croire, ses services ont depuis quelques jours entamés des discussions avec les imams et les chefs religieux pour que les mesures barrières soient respectées dans les mosquées. « Le président de la République m’a donné des instructions pour mettre en œuvre cette décision. Nous allons donner des directives aux gouverneurs, aux préfets et sous-préfets de discuter avec les imams et autres chefs religieux des différentes localités pour voir comment rendre effective cette mesure tout en respectant les mesures », a-t-il déclaré.
Toutefois, Aly Ngouille Ndiaye prévient que des mesures seront prises pour éviter que les lieux de culte ne soient pris d’assaut. « Nous n’allons pas accepter que les mosquées soient assaillies par les fidèles. Il faut un nombre limité dans les mosquées. Dans le rite de l’Imam Malick, un nombre minimal de 12 musulmans en dehors de l’imam est une des conditions pour que la prière du Vendredi puisse être effectuée. Je pense qu’on ne va pas dépasser ce nombre parce qu’il faut que les mesures barrières soient respectées. »
VIDEO
MACKY DESSERRE L’ÉTAU
Le chef de l'Etat a annoncé dans un discours à la nation, l'assouplissement de l’état d’urgence comprenant entre autres, la réduction de la durée du couvre-feu, la réouverture des lieux de culte et un réaménagement des horaires de bureau
Macky Sall a annoncé un ‘’assouplissement’’ de l’état d’urgence comprenant la réduction de la durée du couvre-feu, la réouverture des lieux de culte, la reprise des cours dans les classes d’examen, le 2 juin, et un réaménagement des horaires de bureau, fixés de 9 heures à 16 heures.
Ces mesures entreront en vigueur mardi 12 mai, selon le président de la République, qui s’est adressé à la nation, lundi soir, via la RTS. ‘’J’ai décidé de l’assouplissement des conditions de l’état d’urgence’’, a-t-il dit, ajoutant qu’‘’à compter du mardi 12 mai 2020, les horaires du couvre-feu seront de 21 heures à 5 heures, au lieu de 20 heures à 6 heures’’.
‘’Les horaires de bureau sont réaménagés de 9 heures à 16 heures’’, a-t-il ajouté. Dans le cadre de l’‘’assouplissement’’ de l’état d’urgence en vigueur depuis le 24 mars, ‘’les marchés et autres commerces, qui étaient astreints à des jours particuliers d’ouverture, seront ouverts six jours et resteront fermés un jour dédié au nettoiement’’, a annoncé M. Sall.
‘’Ce jour [de fermeture] sera déterminé par l’autorité compétente (préfets et sous-préfets) en fonction des contingences locales’’, a-t-il précisé, faisant allusion aux autorités administratives. Les marchés hebdomadaires appelés ‘’louma’’ seront rouverts, ‘’mais dans les limites de chaque département’’, selon le président de la République.
‘’Il sera également procédé à la réouverture des lieux de culte. Le ministre de l’Intérieur, en rapport avec le ministre de la Santé et de l’Action sociale, engagera les consultations nécessaires à cet effet avec les guides spirituels et les associations religieuses, pour convenir des conditions et modalités’’, a déclaré Macky Sall.
‘’S’agissant de l’école, les cours reprendront le 2 juin pour les classes d’examen, c’est-à-dire les classes de CM2, de troisième et de terminale’’, a-t-il annoncé. Ainsi, 551.000 élèves (sur 3.500.000 élèves, au total) – du public et du privé - sont concernés par la rentrée des classes au début du mois prochain, selon le chef de l’Etat. Par conséquent, l’année scolaire et le calendrier des examens seront réaménagés, a-t-il dit.
Les élèves des autres classes continueront de suivre les cours à domicile, à l’aide du ‘’dispositif ‘Apprendre à la maison’, décliné dans ses plateformes télévisuelle, radiophonique et numérique’’, a précisé Macky Sall.
Concernant les universités, le ministre de l’Enseignement supérieur va se concerter avec les académies pour ‘’aménager les enseignements à distance’’.
Selon le chef de l’Etat, le gouvernement va veiller à ce que ‘’la fréquentation des lieux de culte, des établissements scolaires et des autres espaces publics (marchés, commerces et restaurants) obéisse strictement aux mesures de distanciation sociale et aux gestes barrière, notamment le port obligatoire du masque et le lavage des mains’’.
Il dit avoir décidé d’assouplir l’état d’urgence pour ‘’adapter notre stratégie’’ de lutte contre le Covid-19 à la poursuite de ‘’nos activités essentielles’’, pour ‘’faire vivre notre économie’’.
Du 2 mars à maintenant, le Sénégal compte 1.886 cas positifs de Covid-19, dont 715 guéris et 19 décédés, selon le chef de l’Etat. Il ajoute que 1.151 malades sont sous traitement, et 7.182 contacts sont suivis par les services de santé.
par Hamidou Anne et Sahite Gaye
NARRATIONS PAR LE BAS ET CONTRE-RÉCITS EN TEMPS DE CORONAVIRUS
Le covid-19 a suscité en Afrique un intérêt pour le débat - Le récit observé à partir du continent laisse voir une contemporanéité des initiatives malgré les différences dans les formes énonciatives
Hamidou Anne et Sahite Gaye |
Publication 11/05/2020
Une cartographie du coronavirus se dessine, même si personne n’est capable de prévoir le dénouement de cette crise comme personne n’avait prévu son irruption. Elle s'accompagne d'une série de narrations en compétition les unes avec les autres. Dès lors, toute narration se lit comme construction d’une visée et d'une certaine vision du monde. De l'Afrique, depuis le début de la pandémie, on en a beaucoup écrit, beaucoup parlé et surtout beaucoup pronostiqué.
Depuis des mois des experts annoncent une déferlante de la pandémie en Afrique, continent du manque d'infrastructures de santé, de la malaria, d’Ébola. Leur sentence est la même : le pire est à venir. Et aujourd'hui on voit encore des interrogations surgir sur ce qu'il est convenu d'appeler une spécificité africaine. En effet, le coronavirus jusque-là a faussé les calculs. L'Afrique a été touchée tardivement et pour le moment, elle s'en sort mieux. Un mystère ? Une imperfection statistique ? La jeunesse ? Le facteur climatique… S’interrogent, sous le sceau de l'affirmation, analystes et médias hors du continent.
Au cœur du continent également, des narrations surgissent pour faire le récit du coronavirus. Une appropriation de la parole qui permet à des voix de cohabiter et de raconter ce qui se passe tout en élargissant l'horizon de certaines utopies. L’Afrique nomme sa crise, l’habite et invente ses solutions. Ce nouveau schéma narratif se décline sous différentes formes.
Une narration par le bas
En Afrique, le coronavirus se raconte surtout en dehors des médias classiques. La trame de ce récit est portée par des acteurs peu connus, invisibilisés. Les Africains dans leur diversité s'approprient les plateformes numériques pour parler du coronavirus. Cette polyphonie narrative se veut cash, sans fard, elle épouse les contours de la vie quotidienne. Toutes les langues la permettent. La gestion de la pandémie se jauge en jugeant les pratiques en cours. Les images des dernières innovations africaines pour faciliter la gestion de la pandémie se partagent et s'exhibent comme des trophées. Chaque facilité technologique trouve un public qui fait sa promotion. Le débat autour de la chloroquine sur la toile africaine consacre Didier Raoult comme la figure du héros face à l'industrie pharmaceutique au banc des accusés, notamment au sujet des supposés vaccins covid-19 destinés au continent. Le numérique devient un institut de notation. Tel président suscite le ricanement par les bizarreries de ses recommandations quant à l'usage du mentholatum pour ne pas être infecté par le virus. Tel autre reçoit des applaudissements pour avoir osé proposer une boisson à base de l'artémisia comme remède. Il devient ainsi le chouchou d'une communauté virtuelle à laquelle l'internaute africain peut se sentir appartenir.
Le système faible médico-sanitaire africain n'est pas épargné. Il n'a jamais été au cœur des stratégies de développement dans la quasi-totalité des pays africains. Les formes narratives cohabitent, s'entremêlent et se nourrissent, parfois, de l'infodémie.
Cette narration par le bas a sa propre identité, elle n'est ni apocalyptique ni naïve. Elle raconte le quotidien déstabilisé par le virus et rend compte d'une lecture des enjeux au niveau du continent. Toutefois ces palabres virtuels tout en fournissant des matériaux permettant à leur tour de comprendre les dynamiques en cours, n’ont pas encore le poids discursif performatif propre à l'engagement politique. Ils restent confinés dans un espace symbolique numérique certes important, mais à relativiser par rapports aux autres espaces de formulation et de prise de la décision publique. L’espace par essence de la puissance du politique.
Les contre-récits de l'artémisia et de la dette
En annonçant un remède « vita malagasy » (made in Madagascar) avec ses vertus, le président malgache change la perspective narrative du coronavirus. De ce fait, il installe une controverse scientifique qu'il transforme en controverse sociale à thème scientifique. Ainsi, il introduit une rupture, un élément perturbateur, dans l'habitude de valider le savoir. Andry Rajoelina part de ce que Gramsci appelle le sens commun pour attaquer le discours dominant sur le coronavirus. Le sens commun ici est l'ensemble des conceptions les plus importantes par lesquelles certains Africains perçoivent et interprètent leur vie, leur environnement et leur propre corps. Sous ce rapport le Covid-Organics en confirmant les certitudes de ceux qui dénoncent l'industrie pharmaceutique, bouscule la narration dominante axée sur le respect des protocoles scientifiques. De même, il devient un contre-récit dans cette société du battle, du tacle et du spectacle. Il exploite les lenteurs méthodologiques de l'expérimentation de la recherche d'une solution covid-19 ouverte au grand public, loin des laboratoires et des revues spécialisées. Andry Rajoelina popularise l'artémisia en misant sur des possibles vitaux (la médecine traditionnelle) et le pouvoir d'une nouvelle épistémè locale et ouverte sur le monde. Fort de ce nouvel intérêt, le président malgache interpelle ses pairs africains tout en gardant le contact avec le public via les réseaux sociaux. Ses tweets deviennent de micro-récits qui mettent en lumière son pays tout en ralliant ceux qui sont moins conformistes, moins attachés aux idées toutes faites de l'ordre mondial narratif.
Dans cette même perspective, l’appel à l’annulation de la dette du président Macky Sall s'inscrit dans une logique de rupture narrative. La reprise de son énonciation par le Pape François pendant son homélie avant la bénédiction urbi et orbi de la fête de Pâques et par le président Emmanuel Macron, témoigne de l’appropriation de ce contre-discours. D'ailleurs, le président sénégalais a été désigné pour diriger la task force africaine dans le cadre des négociations pour l’annulation de cette dette. Toutefois, ce contre-discours devrait être l'occasion pour repenser la place de la justice sociale dans les politiques publiques, les priorités de l’accès à l'éducation, à une santé de qualité…Une focalisation externe pour un bien- vivre africain.
Un nouvel intérêt pour l’énonciation publique
Le coronavirus a suscité en Afrique un intérêt pour le débat. Outre les figures habituelles (Souleymane Bachir Diagne, Emmanuel U. Nnadozie, Nadia Yala Kisukidi, Achille Mbembé, Ndongo Samba Sylla, Felwine Sarr, Kako Nubukpo, Aminata Traoré, Boubacar Boris Diop…), les nouvelles énonciations sont produites par des hommes politiques, des ministres en charge de secteurs stratégiques, des artistes, des femmes et des hommes d'affaires… Certains crient les exigences de transformation avec un appel à ne pas se dérober de la réflexion critique sur la place de l'Afrique dans l'après Covid-19 ou à se laisser entrainer par le statu quo. D'autres critiquent les dysfonctionnements conjoncturels et institutionnels des modes de gestion. Dans leur narration revient toujours cette observation : la solution est en nous en exploitant les nouvelles possibilités et en pistant de nouvelles utopies créatrices de sens. Il s’agit de narrations ancrées dans un imaginaire local qui produisent des solutions globales à l’échelle de la pandémie.
Le récit du coronavirus observé à partir du continent africain laisse voir une contemporanéité des initiatives malgré les différences dans les formes énonciatives. En outre, l'hégémonie narrative qui a longtemps favorisé un discours infidèle à la réalité tend à changer. L'on retiendra avec Chimamanda Ngozi Adichie que « lorsque nous rejetons l'histoire unique, lorsque nous nous rendons compte qu'il n'y a jamais une histoire unique pour un lieu donné, quel qu'il soit, nous reconquérons une sorte de paradis ».
par l'éditorialiste de seneplus, Félix Atchadé
LA GLOBAL HEALTH AUX TEMPS DU COVID-19
EXCLUSIF SENEPLUS - La pandémie du coronavirus va-t-elle faire changer nos cadres d’intelligibilité ? Est-on à la veille de ce que Thomas Kuhn appelle une révolution scientifique ?
Félix Atchadé de SenePlus |
Publication 11/05/2020
Au 3 mai 2020, le Centre de contrôle des maladies de l’Union africaine (Africa CDC) a dénombré 43029 cas confirmés de coronavirus. Le Covid-19 a déjà coûté la vie à 1 761 personnes sur le continent. L’Afrique du Sud et l’Égypte sont les pays les touchés. Suivis par le Maroc, l’Algérie, le Ghana et le Nigeria. Comparée à celles de l’Europe de l’Ouest ou de l’Amérique du Nord, la situation épidémiologique de l’Afrique est donc sans commune mesure en matière de morbidité et de mortalité. Le temps permettra d’en élucider les raisons si cette situation s’avère définitive. En attendant que la science résolve la question, de nombreuses explications sont avancées : démographiques (jeunesse de la population), météorologiques et/ou climatiques (chaleur, humidité, etc.), virologique (c’est un virus à enveloppe) et économiques (faiblesse des échanges sino-africains), etc. Ces explications, de bon sens, relèvent pour le moment d’extrapolations. Il manque des données empiriques pour les confirmer ou les infirmer. L’étude des situations particulières des pays les plus touchés montre que les déterminants de l’épidémie sont loin d’être connus. La publication par le gouvernement français le vendredi 1er mai 2020 de la carte sur l’état de l’épidémie en France par département, selon les critères de circulation active du virus et des tensions hospitalières sur les capacités en réanimation, montre une situation hétérogène. Les différentes explications données plus haut sont-elles de nature à rendre compte des différences notées dans ce pays ? Jusqu’à présent, la compréhension que la médecine a des épidémies met en relief un germe (virus, bactérie, etc.) et un écosystème qui permet sa dissémination. La pandémie de Covid-19 va-t-elle faire changer nos cadres d’intelligibilité ? Est-on à la veille de ce que Thomas Kuhn appelle une révolution scientifique ?
Si la catastrophe épidémique n’a pas touché le continent, ses conséquences économiques sont bien présentes. Selon la Banque mondiale, la croissance économique en Afrique subsaharienne passera de 2,4% en 2019 à une fourchette comprise entre -2,1 % et -5,1 % en 2020, ce qui constituera la première récession dans la région depuis 25 ans. Des millions d’emplois ont été détruits dans le secteur informel qui occupe plus de 80 % des actifs dans la majorité des pays. Nos gouvernants ont-ils eu une réaction disproportionnée par rapport à la menace ? Une réponse affirmative serait à mon sens injuste. Les épidémies sont, au-delà de leur caractère objectif en matière de données épidémiologiques, des constructions sociales. Les images d’hôpitaux italiens débordés où les patients sont intubés dans les couloirs ou encore celle de professionnels de la santé en France, haut lieu de tourisme médical des élites des pays africains francophones, se plaignant de manquer du minimum de moyens pour faire face à l’afflux de patients infectés, ne pouvait qu’inciter les pouvoirs publics à prendre les mesures les plus radicales pour faire face au risque d’épidémie. Il y a eu également une demande de protection face aux menaces qui étaient en mondiovision. Cette demande s’exprimait dès la mi- février dans divers pays du continent. Et quand on sait qu’il y a des toujours de nettes différences entre les dimensions affectées aux problèmes de santé par l’imaginaire collectif et leur réalité, on ne peut que comprendre l’empressement des gouvernants africains à dupliquer sur leurs territoires les mesures des pays les plus touchés. Les pouvoirs de la périphérie du système-monde voyant les États du centre (États unis, France, Royaume-Uni, Italie) démunis face à la pandémie, sauf à être absolument sûrs de leurs capacités coercitives, ne pouvaient que prendre les mesures de prévention les plus hardies.
Les systèmes de santé africains pourront-ils faire face si l’expression épidémiologique de la pandémie de Covid-19 venait à changer négativement ? Sans entrer dans des généralisations abusives, il est légitime de craindre que les difficultés qu’ont connues les pays touchés par l’épidémie à virus Ebola qui a dévasté de l’Afrique de l’Ouest en 2014-2015 se reproduiront dans divers endroits du continent en cas dissémination du SRAS-Cov2. Et, malheureusement, une telle situation sera une preuve supplémentaire de l’impuissance des systèmes de santé en Afrique subsaharienne et l’échec de la Santé globale ou Global health* fille de la Banque mondiale et de l’idéologie néolibérale.
À suivre
* La santé globale est la santé d’une population dans un contexte global (ou mondial). Le bureau exécutif des Universities for Global Health explique que « la croissance rapide de la vitesse des voyages et de la communication, ainsi que l’interdépendance économique de toutes les nations ont entraîné un degré nouveau et une rapidité nouvelle d’interconnexion globale ou de globalisation qui se répercutent sur la santé des populations partout sur la planète ».
"LE PROBLÈME DU COVID-ORGANICS, C'EST QU'IL VIENT D'AFRIQUE"
Selon le président Andry Rajoelina, le traitement issu de la pharmacopée traditionnelle a fait ses preuves à Madagascar, et si un pays européen l’avait découvert, il n’y aurait pas "autant de doutes"
Christophe Boisbouvier, Marc Perelman |
Publication 11/05/2020
Dans un entretien exclusif accordé à France 24 et RFI, le président malgache Andry Rajoelina revient sur le controversé Covid-Organic, un remède issu de la pharmacopée traditionnelle de Madagascar, présenté comme efficace contre le coronavirus. Bien que n’ayant pas encore obtenu d’autorisation de mise sur le marché et malgré les mises en garde de l’OMS, le traitement est distribué dans plusieurs pays d’Afrique. Selon le chef d’État, le traitement a fait ses preuves à Madagascar, et si un pays européen l’avait découvert, il n’y aurait pas "autant de doutes".
Pour le président malgache, Andry Rajoelina, le Covid-Organic est efficace non seulement pour prévenir le coronavirus, mais également pour guérir de la maladie. "Le Covid-Organic est un remède préventif et curatif contre le Covid-19, qui fonctionne très bien", déclare-t-il dans un entretien exclusif accordé à France 24 et RFI, depuis Antananarivo, la capitale de l’île. "À Madagascar, nous avons eu 171 cas, dont 105 guéris" majoritairement par ce remède.
"Une nette amélioration de l’état de santé des patients ayant reçu ce remède a été observée en 24 heures seulement après la première prise. La guérison a été constatée après sept jours, voire dix jours. Ce remède est naturel, non toxique et non invasif", assure-t-il.
Les éventuels effets du Covid-Organic, breuvage à base d'artemisia, une plante à l'effet thérapeutique reconnu contre le paludisme, n'ont pourtant été validés par aucune étude scientifique et l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui recommande des essais cliniques rigoureux, a mis en garde jeudi 7 mai 2020 contre "l'adoption d'un produit qui n'a pas été soumis à des tests pour en vérifier l'efficacité".
Médecine traditionnelle
Le président Andry Rajoelina balaie les doutes sur l’efficacité de ce remède, laissant entendre que ces positions sont dictées par une vision archaïque de l’Afrique. "Si c’était un pays européen qui avait découvert ce remède, est-ce qu’il y aurait autant de doutes ? Je ne pense pas […] Le problème c’est que cela vient d’Afrique. Et on ne peut pas accepter qu’un pays comme Madagascar, qui est le 163e pays le plus pauvre du monde, ait mis en place cette formule pour sauver le monde".
Il rappelle que Madagascar a une longue tradition de médecine traditionnelle et note, par ailleurs, que de nombreux médicaments autorisés en Occident, se sont révélés nocifs, voire meurtriers, comme le Médiator en France.
Enfin, interrogé sur le litige avec la France à propos des îles éparses, ces quatre îles au large des côtes malgaches, Andry Rajoelina explique que l’objectif annoncé avec le président français de trouver une solution d’ici au 26 juin 2020, date du soixantième anniversaire de l’indépendance de Madagascar, ne pourra être tenu en raison de la crise sanitaire du Covid-19.
Il rappelle que son pays réclame "la restitution" par la France de ces îles et rejette toute idée d’une cogestion.
par Florian Bobin
OMAR BLONDIN DIOP : EN QUÊTE DE RÉVOLUTION AU SÉNÉGAL
Sa mort ne peut être isolée comme un malheureux accident de l’Histoire - Les méthodes autoritaires déployées par l’actuel gouvernement illustrent à quel point l’impunité se nourrit du passé
Le 11 mai 1973, les autorités sénégalaises annoncent la mort d’Omar Blondin Diop, jeune militant et artiste âgé de 26 ans détenu à la prison de Gorée. Depuis près d’un demi-siècle, la version officielle du suicide est largement contestée par de nombreuses voix dénonçant un assassinat. Retour sur le parcours de Blondin Diop et une période de quête de révolution au Sénégal.
En 2013, la famille d’Omar Blondin Diop organisa une cérémonie commémorative à sa mémoire, quarante ans après sa mort à Gorée. Pendant des siècles, l’île fut un point de transit majeur pour les navires européens déportant d’innombrables captifs asservis africains vers le continent américain. Dans le cadre de la commémoration, ses proches installèrent un portrait de lui dans son ancienne cellule, devenue depuis une salle d’exposition du principal musée historique du Sénégal. Le cliché date de 1970 ; Omar Blondin Diop était alors étudiant-professeur en philosophie, tout juste expulsé de France vers le Sénégal. Il participa, à l’image de nombreux autres étudiants de l’époque, aux manifestations de « Mai 68 ». Quelques années plus tard, le dissident devint martyr. À sa mort en détention, quatorze mois après avoir été condamné à trois ans de prison pour « atteinte à la sureté de l’État », les autorités sénégalaises affirmèrent qu’il s’était suicidé. Mais de nombreuses voix eurent de bonnes raisons de soupçonner son assassinat. Depuis lors, sa famille exige sans relâche que justice soit faite, et militants ainsi qu’artistes ont pris les devants dans le maintien de sa mémoire.
La mort d’Omar Blondin Diop ne peut être isolée comme un malheureux accident de l’Histoire. Il s’agit, au contraire, d’un épisode tragique se situant dans une longue série de violences menées par l’État du Sénégal. Il est peu courant de mettre l’accent sur les mouvements de résistance au régime de Léopold Sédar Senghor, ou de leur donner du crédit, car le premier président du Sénégal (1960-1980) réussit à ériger le pays en « exemple démocratique ». Les récits officiels des décolonisations africaines ont souvent résumé le processus de libération du colonialisme européen à la naissance d’États nouvellement indépendants. Or, la persistance d’intérêts étrangers, soutenus et alimentés par nombre de classes dirigeantes nationales, fut un spectacle courant dès les années 1960. Suite aux indépendances politiques nominales, les autocraties du continent, soutenues par les anciennes métropoles coloniales, firent le pari de maintenir leur pouvoir en étouffant les perspectives révolutionnaires de mouvements appelant à l’émancipation de l’impérialisme et du capitalisme. Le Sénégal n’a certes pas connu les mêmes crises politiques que ses voisins, mais la mythification de « l’humanisme républicain » du « poète-président » Léopold Sédar Senghor a brouillé notre appréciation de son action politique. Sous l’Union progressiste sénégalaise, le parti unique qu’il dirigea, les autorités déployèrent des méthodes brutales de répression ; intimidant, arrêtant, emprisonnant, torturant et tuant ses dissidents [1]. Omar Blondin Diop fit partie de ceux-ci.
Blondin Diop est né dans la colonie française du Niger en 1946. Son père, médecin africain, avait été transféré de Dakar, la capitale administrative de l’Afrique-Occidentale Française, à Dosso, petite ville près de Niamey. Ses positions politiques n’étaient pas des plus radicales, mais les autorités coloniales le soupçonnaient de sentiment anti-français en raison de ses activités syndicales et son soutien à la Section française de l’internationale ouvrière [2]. Craintive du renforcement des mouvements anticoloniaux aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la métropole surveillait de près ceux qu’elle dénommait « éléments anti-français ». Une fois que sa famille fut autorisée à rentrer au Sénégal, Blondin Diop passa son enfance essentiellement à Dakar. À l’âge de 14 ans, il s’installa en France, où son père reprit ses études de médecine [3].
Blondin Diop vécut en France pour la majeure partie des années 1960. À Paris, il poursuivit des études littéraires et approfondit sa connaissance des classiques de la philosophie occidentale, d’Aristote et Kant à Hegel et Rousseau [2]. Dans la foulée de son admission à l’École normale supérieure, il commença à fréquenter des cercles militants et participa activement aux débats organisés par divers groupes de gauche [4]. C’est une époque où les mouvements anticapitalistes en Europe puisaient leur inspiration de la Révolution culturelle en Chine et s’opposaient avec virulence à l’ingérence militaire américaine au Vietnam. Les étudiants africains en France, au nombre de dix mille en 1968, militaient davantage dans des logiques nationales ou panafricaines. Blondin Diop, pour sa part, avait un pied dans les deux mondes. Peu de temps après avoir entendu parler du militant sénégalais, le cinéaste Jean-Luc Godard le sélectionna pour jouer dans son film La Chinoise (1967) [5]. Inspiré par les écrits de Spinoza, Marx et Fanon [6], Blondin Diop cultivait l’éclectisme théorique – entre le situationnisme, l’anarchisme, le maoïsme et le trotskisme, il puisait sa pensée politique d’une multitude de courants idéologiques, en se donnant la liberté de toujours voir le monde à travers ses propres lunettes [7].
En raison de ses activités politiques, Blondin Diop fut expulsé de France vers le Sénégal à la fin de l’année 1969. Aux côtés d’autres camarades sénégalais ayant étudié en Europe, il participa au Mouvement des jeunes marxistes-léninistes, dont une des scissions donna naissance au front anti-impérialiste And Jëf. Repoussant les structures formelles, Blondin Diop promut la performance artistique et développa le projet d’un « théâtre dans la rue qui dira ce qui préoccupe et intéresse le peuple », étroitement lié au Théâtre de l’Opprimé d’Augusto Boal. Se penchant sur l’art et son potentiel révolutionnaire, Blondin Diop écrit : « Avant de jouer dans un quartier il faudra en connaître les habitants, s’implanter parmi eux notamment parmi les jeunes [...]. Notre théâtre ira sur les lieux de rassemblement de la population (marchés, cinéma, stades) [...] S’efforcer donc de donner à chaque thème, à chaque situation, à chaque personnage, une dimension africaine. […] Surtout fabriquer soi-même tout ce qu’il est possible de fabriquer [...] Conclusion morale : Plutôt la mort que l’esclavage » [8].
Le Sénégal indépendant était un espace néo-colonial. Senghor s’était initialement opposé à l’indépendance immédiate, plaidant plutôt pour une autonomie progressive sur vingt ans [9]. Ainsi, lorsqu’il devint président, il appela régulièrement au soutien de la France. En 1962, Senghor accusa hâtivement son collaborateur de longue date Mamadou Dia, président du Conseil des ministres, d’avoir tenté un coup d’État contre lui – Dia fut par la suite arrêté et emprisonné pendant plus d’une décennie [10]. En 1968, à l’éclatement d’une grève générale à Dakar, qui s’étendit au reste du pays, la police réprima le mouvement avec l’aide des troupes militaires françaises [11]. La proximité de Senghor avec la France atteint son apogée en 1971, à l’occasion de la visite d’État du président français Georges Pompidou, ami proche et ancien camarade de classe [12]. Pendant plus d’un an, Dakar s’était préparé à son bref séjour de 24 heures. Sur la voie principale du cortège officiel, les autorités avaient réhabilité routes et bâtiments, tentant d’invisibiliser tout signe de pauvreté dans la capitale.
Pour nombre de jeunes militants radicaux, ce fut la goute de trop ; la réception du président français était une provocation ouverte [3]. Quelques semaines auparavant, un groupe s’inspirant du Black Panther Party américain et des Tupamaros uruguayens incendia le centre cultural français de Dakar. Au moment de la visite, il tenta d’attaquer le cortège présidentiel mais les quelques jeunes furent arrêtés. Parmi les condamnés figuraient deux frères de Blondin Diop. Lui aussi croyait en l’action directe mais n’était pas impliqué dans l’attaque ; il était retourné à Paris quelques mois plus tôt, après la levée de sa mesure d’expulsion [13]. Dans la tourmente, Blondin Diop décida, avec plusieurs amis, de quitter la France afin de s’initier à la lutte armée. À bord de l’Orient-Express, ils traversèrent l’Europe en train, avant d’atteindre un camp syrien composé de fedayins palestiniens et de guérilléros érythréens. Leur plan était d’enlever l’ambassadeur de France au Sénégal en échange de leurs camarades emprisonnés [14]. Au bout de deux mois, Blondin Diop et ses amis passèrent du désert à la ville. Ils avaient l’espoir d’obtenir le soutien du Black Panther Party, qui avait brièvement ouvert un bureau international à Alger. Mais une scission au sein du mouvement les obligea à revoir leur stratégie. Après un court passage à Conakry, ils se dirigèrent à Bamako, lieu de résidence d’une partie de la famille Blondin Diop. De là, ils se réorganisèrent.
La police arrêta le groupe à la fin du mois de novembre 1971, quelques jours avant une visite d’État du président Senghor, sa première dans le pays depuis l’éclatement de la Fédération du Mali en 1960. Les services de renseignement maliens, sous la tutelle du directeur notoire de la sûreté Tiékoro Bagayoko, les avaient étroitement surveillés pendant des mois. Dans la poche de Blondin Diop, ils trouvèrent une lettre mentionnant le plan d’évasion de ses camarades en prison. Extradé vers le Sénégal, il fut condamné à trois années de réclusion. Pour la majeure partie de leurs journées à Gorée, les détenus n’étaient pas autorisés à quitter leur cellule. Afin de minimiser les interactions, ils ne pouvaient être en présence de la lumière du jour qu’une demi-heure le matin et une demi-heure l’après-midi. Jours et nuits se confondirent, les nuits s’éternisèrent, la torture y était courante [3].
La nouvelle tomba le 11 mai 1973 : Omar est mort. Il avait 26 ans. L’annonce fit l’effet d’une bombe. Des centaines de jeunes prirent d’assaut les rues et inscrivirent sur les murs de la capitale : « Senghor, assassin ; On tue vos fils, réveillez-vous ; Assassins, Blondin vivra ». D’emblée, l’État du Sénégal maquilla le crime. Allant à l’encontre des ordres officiels, le juge d’instruction chargé de l’affaire inculpa deux suspects. Il avait découvert dans le registre de la prison que Blondin Diop s’était évanoui la semaine précédant l’annonce de sa mort « par suicide » et l’administration pénitentiaire fit comme de rien n’était. Mais avant qu’il n’eût le temps de procéder à l’arrestation d’un troisième suspect, les autorités le remplacèrent par un autre juge qui mit fin aux poursuites judiciaires par « ordonnance d’incompétence » [15]. Tous les 11 mai jusque dans les années 1990, les forces armées encerclèrent la tombe de Blondin Diop afin d’empêcher toute forme de commémoration publique [3].
Depuis des décennies, Omar Blondin Diop a été une source d’inspiration pour militants et artistes [16]. Expositions, peintures et films continuent de revisiter son histoire – une qui fait tristement écho au contexte politique d’aujourd’hui. Les méthodes autoritaires déployées par l’actuel gouvernement du Sénégal illustrent à quel point l’impunité se nourrit du passé. Ces dernières années, celui-ci s’est efforcé de restreindre la liberté de manifestation, détourner les fonds publics et abuser de ses pouvoirs. Tant que la responsabilité politique devant le peuple ne demeure qu’un concept théorique attrayant pour les bailleurs de fonds internationaux, les pratiques du passé sont vouées à perdurer. Être activiste au Sénégal aujourd’hui, c’est courir le risque de se faire intimidé, arrêté, emprisonné arbitrairement ; Guy Marius Sagna et tant d’autres en ont fait les frais. Dans ce contexte, l’État sénégalais ne compte pas réouvrir le dossier Omar Blondin Diop. Toutefois, comme le répète sa famille, « quelle que soit la longueur de la nuit, le soleil finit toujours par se lever ».
Florian Bobin est étudiant en Histoire africaine. Ses recherches portent sur les luttes de libération dans l’ère post-coloniale, notamment au Sénégal sous la présidence de Léopold Sédar Senghor. Loin d’être une finalité, cet article est une contribution synthétique d’un projet de recherche biographique en cours. Il a été rendu possible grâce aux ressources inestimables et au précieux temps de la famille, des ami(e)s et des connaissances d’Omar Blondin Diop, ainsi que militant(e)s et chercheur(se)s. Profonds remerciements à : Dialo Diop, Cheikh Hamala Diop, Alioune Sall ‘Paloma’, Ousmane Blondin Diop, Pape Konare Niang ‘Niangus’, Alymana Bathily, Jean-Claude Lambert, Omar Blondin Diop Jr, Mareme Blondin Diop, Khaly Moustapha Leye, Antoine Lefébure, Gilbert Vaudey, Bertrand Gallet, Michelle Zancarini-Fournel, Marc-Vincent Howlett, Patrick Talbot, Roland Colin, Aziz Salmone Fall, Ndongo Samba Sylla, Karim Ndiaye, Marie-Angélique Savané, Pape Touty Sow, Amadou Diagne ‘Vieux’, Ibez Diagne, Mansour Kebe, Ousmane Ndongo, Alioune Diop, Papalioune Dieng, Ndèye Fatou Kane, Kibili Demba Cissokho, Bara Diokhane, Barka Ba, Majaw Njaay, Khouma Gueye, Maky Sylla, Alhassane Diop, Hugues Segla, Fatimata Diallo Ba, Khalil Diallo, Awa Mbengue, Vincent Meessen, Pascal Bianchini, Françoise Blum, Martin Mourre, Omar Gueye, Armelle Mabon, Christelle Lamy, Woppa Diallo, Yannek Simalla, Leo Zeilig, David Morton, Tristan Bobin, Njoki Mbũrũ, Njambanene Koffi.
En couverture : Vincent Meessen, Quinconce, 2018. Détail d’une série sérigraphique représentant Omar Blondin Diop lisant le 12ème numéro de L’Internationale situationniste (1969), Dakar, vers 1970. Photo originale de Bouba Diallo.
[2] Cette information provient de Dialo Diop (frère d’Omar Blondin Diop) en conversation avec Cases Rebelles (9 mai 2018) et Omar in Memoriam (11 mai 2018).
[3] Cette information provient de Cheikh Hamala Diop (frère d’Omar Blondin Diop) en conversation avec Florian Bobin (12 juillet 2018 & 4 juillet 2019).
[4] L’historienne Michelle Zancarini-Fournel met l’accent sur le rôle de Blondin Diop dans la mobilisation étudiante en 1968 (leurs chemins s’y sont croisés) dans son avant-propos « En souvenir d’Omar » de l’ouvrage collectif Étudiants africains en mouvement : contribution à une histoire des années 1968 (Éditions de la Sorbonne, 2017, pp. 11-12). « Il n’a probablement pas fréquenté beaucoup les cours cette année-là, mais il était de tous les débats organisés par les groupes politiques d’extrême gauche », écrit-elle.
[5] L’actrice et auteure Anne Wiazemsky décrit la rencontre entre Blondin Diop et Jean-Luc Godard, son partenaire à l’époque, dans son roman Une année studieuse (Gallimard, 2012, pp. 157-158). Après avoir appris que le réalisateur cherchait « un étudiant marxiste-léniniste », Antoine Gallimard proposa Blondin Diop, un ami à lui. Sous le charme du militant sénégalais, Godard le sélectionna par la suite pour jouer « Camarade X » dans le film La Chinoise (1967).
[6] Cette information provient d’Alymana Bathily (ami proche d’Omar Blondin Diop) en conversation avec Florian Bobin (9 juillet 2019).
[7] Alioune Sall ‘Paloma’ (un ami proche d’Omar Blondin Diop) insiste sur la nécessité de comprendre Blondin Diop comme un être complexe, aux multiples facettes, dans son témoignage à l’occasion du 40ème anniversaire de la mort de son ami (10 mai 2013).
[8] L’artiste Vincent Meessen a publié le « Projet de théâtre urbain » de Blondin Diop (vers 1970) dans son livre L’autre Pays (Sternberg Press, 2018, pp. 38-39).
[9] Cette information provient de Roland Colin (directeur du cabinet du président du Conseil sénégalais Mamadou Dia, 1957-1962) en conversation avec Étienne Smith et Thomas Perrot pour Afrique contemporaine (2010, p. 118).
[10] Depuis l’indépendance du Sénégal en 1960, le président du Conseil Mamadou Dia appelait avec insistance pour la décentralisation des administrations publiques et le renforcement des collectivités paysannes. Vers la fin de l’année 1962, les tensions grandissantes au sein du parti au pouvoir (l’Union progressiste sénégalaise, UPS) ont vu s’opposer sympathisants de Senghor et de Dia. Au sein des premiers, certains décidèrent de voter une motion de censure à l’encontre du gouvernement Dia. À l’époque, chaque décision passait en premier lieu par le parti, étant entendu qu’il représentait la seule force politique reconnue. Dia s’opposa à une motion qu’il jugeait illégitime et Senghor l’accusa de « tentative de coup d’État ». Le 18 décembre 1962, Senghor ordonna l’arrestation de Dia, aux côtés des ministres Valdiodio N’diaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall. Ils furent incarcérés dans l’aride région de Kedougou jusqu’en 1974. Mansour Bouna Ndiaye (jeune cadre de l’UPS en 1962) et Roland Colin (directeur de cabinet de Mamadou Dia, 1957-1962) partagent leur version de la « crise de décembre 1962 » dans leurs mémoires respectifs Panorama politique du Sénégal ou Les mémoires d’un enfant du siècle (Les Nouvelles Éditions Africaines, 1986, pp. 136-154) et Sénégal notre pirogue : au soleil de la liberté (Présence africaine, 2007, pp. 253-293). Colin témoigna également dans Archives d’Afrique (Radio France Internationale, 2019).
[11] Cette information provient de l’historien Omar Gueye dans son ouvrage Mai 1968 au Sénégal, Senghor face au mouvement syndical (Éditions Karthala, 2017, p. 246).
[12] Léopold Sédar Senghor et Georges Pompidou se rencontrèrent en 1928 au prestigieux lycée Louis-le-Grand. Maintenant une profonde amitié à travers les années, ils collaborèrent politiquement par la suite, de manière quasi continue entre 1962 et 1974. Alors que Senghor fut président du Sénégal (1960-1980), Pompidou devint premier ministre (1962-1968) et président (1969-1974) de la France. Quand Pompidou visita Dakar en février 1971, Senghor déclara sur le tarmac de l’aéroport : « Le peuple sénégalais se sent particulièrement honoré de recevoir le président de la République française […]. Car l’amitié franco-sénégalaise remonte à près de trois siècles. […] Enfin, je suis heureux d’accueillir dans mon pays un vieux camarade de lycée et un ami ».
[13] Les autorités sénégalaises se félicitèrent de l’implication du Président Senghor dans la levée de la mesure d’expulsion du territoire français de Blondin Diop (Livre Blanc sur le suicide d’Oumar Blondin Diop, République du Sénégal, 1973, pp. 14-15). Les historiens Françoise Blum et Martin Mourre exposent ses motivations potentielles dans leur article Omar Blondin Diop : d’un monde l’autre (Centre d’histoire sociale des mondes contemporains, 2019) : « Les sources de police expliquent cette intervention par le désir de Senghor de débarrasser le Sénégal du très actif Omar Blondin. Il aurait préféré le savoir en France. De notre côté, nous pensons plutôt que Senghor était soucieux que l’étudiant puisse poursuivre des études brillamment commencées et soit donc l’un des fleurons de la future élite sénégalaise ». Il semble évident que Senghor se voyait en Blondin Diop : tous deux étaient Sénégalais, éduqués en France et de formation littéraire classique. Surement percevait-il en son jeune compatriote un potentiel descendant politique. Mais Blondin Diop était réputé pour sa critique acerbe de la politique senghorienne. Le suivant de près à la fin des années 1960, les autorités préféraient sans doute le savoir en dehors du pays.
[14] Cette information provient d’Alioune Sall ‘Paloma’ en conversation avec Françoise Blum et Martin Mourre pour Maitron (8 mai 2019).
[15] Cette information provient de Moustapha Touré (doyen des juges d’instruction du tribunal de Grande instance de Dakar, en charge du dossier Blondin Diop) en conversation avec La Gazette (21 décembre 2009). Dans cet entretien, il raconte les coulisses de l’affaire et l’ingérence de l’État dans la procédure judiciaire : « J’avais pris la décision d’inculper les agents pénitentiaires qui avaient sous leur responsabilité la garde du détenu Oumar Blondin Diop. Ils étaient trois, mais je n’avais prononcé que l’inculpation de deux d’entre eux, en attendant de le faire pour le troisième. A l’époque, nous étions sous le règne absolu d’un parti unique. L’ordre qui était en vigueur laissait peu de liberté de manœuvres aux hauts fonctionnaires que nous étions. Et pourtant, j’avais accompli avec responsabilité et de façon loyale mon devoir de juge, là où d’autres auraient choisi de faire autre chose, en obéissant aux ordres émanant de l’autorité politique. J’avais naturellement refusé et étais arrivé à une décision d’inculpation, car j’étais convaincu, contre l’avis de mon ministère et de l’Etat, que le détenu ne pouvait pas se suicider. Cela était impossible dans les conditions où le rapport d’autopsie présenté voulait faire accréditer la thèse du suicide. J’ai été renforcé dans une telle conviction par les relevées sur la main courante [registre] de la prison. Celle-ci portait des mentions édifiantes à cet égard. Cette main courante mentionnait en effet que le détenu Oumar Blondin Diop s’était évanoui, dans le courant de la semaine où il a été déclaré mort par suicide. Or, il n’a été mentionné nulle part sur cette même main courante d’examen médical ordonné, en vue de déterminer les causes de l’évanouissement constaté. Les circonstances laissaient voir des indices crédibles et concordants, tendant à prouver que le suicide, officiellement évoqué pour justifier la mort d’Oumar Blondin Diop, était en réalité un maquillage. J’ai alors décidé, dans le secret de mon cabinet d’instruction d’inculper. Après cette inculpation, jugée téméraire à l’époque, j’ai immédiatement été affecté. Dix jours après, j’ai été promu président du tribunal de Dakar et conseiller à la Cour d’Appel. Disons qu’à l’époque c’était comme une sorte de promotion-sanction qui tentait de masquer sa vraie nature ».
EXCLUSIF SENEPLUS - Il existe une spécificité africaine et notre réponse se doit d’être spécifique. Le rapport entre les difficultés économiques et le nombre de morts ne justifie plus que l’on continue à hiberner nos forces vives
“Il n’est jamais prudent de considérer l’avenir avec des yeux de crainte”, disait Herriman.
Face à la Covid 19, les gouvernants du monde entier ont été pris entre l’excès de prudence et l’excès d’audace. L’excès de prudence a consisté à confiner le peuple, à instaurer des couvres-feux forcés, gagnant incidemment une trève sociale alors que les mauvaises pratiques continuaient de prospérer. Ces stratégies ont surtout révélé les hésitations des décideurs et leur manque d’efficacité en période de crise. Les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la France et tous les Etats africains dont le Sénégal qui ont calqué leur stratégie sur celle de la France, sont à ranger dans cette catégorie.
L’excès d’audace a consisté à laisser faire et à se dire que le mal se contiendra de lui-même. Ce fût le cas de la Suède. Le curseur des stratégies a oscillé entre ces deux extrémités. Hong kong et la Corée du Sud ont opté avec succès pour des confinements sélectifs. Les stratégies ont donc été variées. Chacune ayant eu des fortunes diverses.
Nos décideurs ont eu l’air de prendre conseil de leur frayeur, en profonde dissonance avec la majorité du peuple. Ils les ont taxé d’ignorants, ne sachant pas eux-mêmes, ou en tout cas feignant d’ignorer (ce qui revient au même) ce que le peuple dans sa grande majorité vivait. Ils ne vivent pas ce que le peuple vit. Les gens du peuple veulent avant tout juste vivre avant de pouvoir tomber éventuellement malades et accidentellement d’en mourir. C’est ce langage simple, d’une logique maslowienne tenace qu’ils leur tiennent et qu’ eux, les décideurs, habitués à des actes d’autorité et d’arrogance ne comprennent pas. En lieu et place, ils leur tiennent le langage des autres ; Ne tomber pas malades, notre système sanitaire ne supportera pas le nombre des malades oubliant que le système sanitaire n’a jamais pu les supporter de toutes facons.
Pourquoi diantre notre soit disant stratégie est-elle calquée sur celle des autres ? N’ y- a t- il pas une disproportion entre la gravité certes réelle de la maladie et les mesures de restrictions plongeant nos économies informelles dans le chaos absolu ?
Autant au début on pouvait comprendre qu’il y eut une grosse crainte face à l’inconnu, et que le principe de précaution recommanda la plus grande prudence, autant après deux mois d’expérience de la maladie, nous aurions dû en tirer les conséquences factuelles et ériger notre propre voie de riposte.
La Covid tue mais bien moins que le paludisme, bien moins que les accidents de la route. La France sur laquelle nous nous mirons ne doit pas constituer notre référentiel. Elle a une cadence mortuaire hautement plus infernale que la nôtre. Elle a enregistré plus de 26 000 morts, alors que nous en comptions 17, soit plus de mille cinq fois moins. Certes le virus se répand rapidement et ne fait pas de distinction entre pays riches et pays pauvres, mais force est de reconnaitre que les morts sont plutôt ciblés. Plus de 92% des morts en France ont plus de 65 ans soit 9 morts sur 10. En France, la population est vieille : 20% de la population française a plus de 65 ans; Chez nous la population est jeune, les plus de 65ans ne représentent qu’un peu plus de 3%. Si on se restraint aux foyers pandémiques, ce nombre est encore plus faible. Nos 17 morts avaient un âge moyen de 65 ans. 1% de décès parmi les cas confirmés au Sénégal contre 14, 6% de décès en France. Tout cela nous renseigne qu’il existe une spécificité africaine et que notre réponse se doit d’être spécifique. Le rapport entre les difficultés économiques et le nombre de morts ne justifie plus que l’on continue à hiberner nos forces vives. Les gens ont besoin de leur liberté d’aller et venir pour commercer et vivre. La Côte d’Ivoire a bien compris cela et elle a réajusté sa situation en libérant du carcan de confinement les autres régions et en ne conservant les mesures strictes que dans la capitale économique, Abidjan.
Bien sûr les mesures barrières telles que la distanciation sociale, les masques et le lavage des mains doivent rester de rigueur.
Ceux dont on s’échine à copier la stratégie ont décidé de se déconfiner malgré un nombre de morts qui dépasse largement le nôtre. On me rétorquera qu’ ils sont dans la phase descendante de la maladie et que nous autres sommes encore en train de gravir la montagne Covid. Qu’importe ! En tout état de cause, nos réalités sont différentes. Bien que leur système de santé soit encore à l’agonie, ils ont compris que leur système économique ne pouvait plus supporter cet arrêt. L’équation : “vie humaine qui valait plus que l’argent” s’est rééquilibrée et semble même se retourner au profit de l’argent. La Chine s’est remise au travail, il faudra la marquer à la culotte et ne pas perdre du temps en chemin. Une autre guerre commence. Les discours ont changé de ton et d’inflexion ; on en appelle plus à la responsabilisation des populations. L’infantilisation qui prévalait naguère s’édulcore et s’estompe au fur et à mesure que l’on avance dans la pandémie. L’audace prend le pas sur la prudence. Il faudra faire confiance aux populations et les inciter à prendre leurs responsabilités.
Confinons nos ainés de plus de 65 ans et ceux porteurs de maladies à risques, qu’ils n’aillent surtout pas dans les mosquées et laissons les autres libres de sortir. Demandons-leur de respecter les mesures barrières, et laissons faire le virus... En l’absence de vaccin, il faut canaliser la propagation du virus vers ceux pour qui il représente le moins de risques, et procéder à plus de tests. Tester encore plus, toujours tester, tel devrait être le crédo. Il n’y a pas d’autres voies possibles si nous voulons sortir de sitôt des litanies journalières du ministère de la Santé nous annonçant les nombres d’infections et de décès.
Il ne faudrait pas que l’impéritie nous mène vers l’abîme. A force de vouloir nous éviter une mort hypothètique de la Covid-19, n’est-on pas en train de nous imposer une mort certaine de faim et de soif ?
Dr Tidiane Sow est coach en communication politique.
Le président de la République pourrait annoncer dans son adresse prévue de ce lundi, la levée de l'interdiction des rassemblements pour les prières dans les mosquées et les offices dans les églises et temples du pays
Le président de la République pourrait annoncer dans son adresse prévue ce 11 mai, la levée de l'interdiction des rassemblements pour les prières dans les mosquées et les offices dans les églises et temples du pays. Cette ouverture des lieux de culte concernerait les prières collectives du vendredi ainsi que les 5 prières quotidiennes et les «Nafilas» (prières surérogatoires) selon des sources proches des hiérarchies des grands foyers religieux musulmans du pays, qui sont toutefois, tenus de respecter les gestes barrières et la distanciation recommandés par l'Etat du Sénégal et le personnel soignant.
La défiance ouverte de certains foyers religieux musulmans qui ont superbement bravé l'interdit et challengé l'État semble avoir porté ses fruits. La position des autorités est devenue d'autant plus incohérente et intenable qu'elles se sont tiré une balle dans le pied en décrétant la réouverture prochaine des écoles sur l'ensemble du territoire national. Ajouté au fait que les marchés sont restés ouverts depuis le début de la crise sanitaire, en dépit de la proclamation de l'État d'urgence et de l'instauration d'un couvre-feu de 20 heures du soir à 6 heures du matin.
La levée formelle dès cette semaine de la décision de fermeture des lieux de culte dont certains n'ont jamais cessé d'accueillir des fidèles expliquerait cette «annonce tarabiscotée» de l'allégement du couvrefeu qui prendrait effet à 22 heures au lieu de 20 heures. Ce décalage permettra aux fidèles de sacrifier à certaines prières collectives après la rupture du jeûne et d'avoir le temps de regagner leur domicile sans pression excessive, après une longue journée d'abstinence.
Medina Gounass, Medina Baye, Touba mais aussi Yoff, Louga et d'autres foyers religieux musulmans ayant sonné l'alerte et certains, la révolte avec une inégale fortune, ont acculé les autorités à revoir leur copie en brandissant la foi contre la loi. Le traitement discriminant de ces «dysfonctionnements» a semé la violence face à la répression ciblée qui a frappé les uns alors que d'autres étaient cajolés, suscitant colère et rancœur. Deux poids deux mesures avec le risque de déstabilisation du socle de notre coexistence confrérique et de notre vivre ensemble.
C'est dans ce contexte que des informations largement partagées circulent sur le net et via les réseaux sociaux faisant état d'un «ndigueul» impératif du Khalife général des mourides ordonnant aux fidèles de sa communauté, la réouverture immédiate de toutes les mosquées partout où elles se trouvent sur le territoire national afin de permettre aux disciples de pratiquer collectivement la prière, ce pilier de la religion musulmane.
Des sources dignes de foi infirment cette «fatwa» qui serait le fait de disciples courroucés par l'inconséquence des autorités et la défiance ouverte de certaines "maisons" religieuses qu'ils assimilent à une démonstration de force et d'impunité.
A en croire des milieux généralement bien au fait de la problématique Etats/Confréries, les autorités sont en conciliabule avec les principaux chefs religieux pour amener certains d'entre eux à surseoir à des déclarations de "ndigueul" de réouverture des mosquées qui pourraient écorner l'image et ruiner l'autorité de l'État.
C'est ainsi que le Khalife des mourides aurait concédé à surseoir et à renoncer le cas échéant, à sa déclaration envisagée d'ouverture des mosquées, laissant au président de la République la primeur de l'annonce, en y mettant la forme. Et sauver la face.