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3 mai 2025
Développement
GRIS, GRAS, ZAM : L’ÉLAN BRISÉ D'UN TRIO MAGNIFIQUE
Avec un look qui détonait (n’est-ce pas, Zam ?), une belle insouciance et une complicité sans pareille autant sur le terrain qu’en dehors, le trio d’attaque avait même sorti le village traditionnel de Ouakam de sa torpeur
Ils ont en commun d’avoir été des footballeurs de grand talent et de n’avoir jamais disputé une phase finale de Coupe d’Afrique des Nations (Can). Pour une raison ou pour une autre. Nous vous proposons d’aller à la rencontre de cette belle brochette de joueurs qui auraient certainement fait bonne figure dans cette compétition si courue. Aujourd’hui, la triplette Gris, Gras et Zam.
Gris, Gras, Zam ! C’est le tube des années 1989 – 1990. À l’état civil, c’étaient les jumeaux Al Hassane et Al Ousseynou Sène et leur compère Amadou Ndoye Ndiaye. Mais pour le monde du football, c’étaient simplement Gris, Gras et Zamadou ! Un trio magnifique débarqué en cours de saison, de Besançon en France, dans l’équipe nouvellement promus de l’Us Ouakam qui se morfondait dans les bas-fonds du classement de la D1 et qui avait complètement transfiguré cette formation. Avec un look qui détonait (n’est-ce pas, Zam ?), une belle insouciance et une complicité sans pareille autant sur le terrain qu’en dehors, le trio d’attaque avait même sorti le village traditionnel de Ouakam de sa torpeur. L’Uso faisait se déplacer les foules et ses trois attaquants, Gris avec le dossard 12 à droite, Gras avec le numéro 14 à gauche et Zam en pointe avec le maillot floqué du 13, servis par l’excellent gaucher Youssou Mbengue en meneur de jeu, martyrisaient les défenses.
Un match, remporté (1 – 0) face au Port qui jouait alors les premiers rôles, leur avait suffi pour se faire sélectionner dans l’équipe nationale qui préparait le Cabral de Bamako en 1989. Et c’était parti pour un bail avec la Tanière. Amadou N. Ndiaye Zam se souvient même avoir été la doublure de Jules Bocandé, lors du fameux match Sénégal – Tunisie où les « Lions » s’étaient imposés 3 buts à 0 à L.S.S, en éliminatoires de la Can Algérie 90. « D’ailleurs, à un moment du match, alors que le score était nul et vierge, Bocandé souffrait terriblement de problèmes gastriques et quand je suis allé sur le bord du terrain lui apporter une bouteille d’eau, il m’a dit de me tenir prêt à entrer. Je lui ai rétorqué qu’il devait continuer à jouer », rigole Zam. Il avait bien fait de s’être rétracté, puisqu’en seconde période, Boc a frappé deux fois et Lamine Ndiaye avait conclu le festival.
Au retour, à Tunis, Zam n’était pas du groupe. Mais Gras si ! « J’étais le seul attaquant sur le banc. Et lorsqu’au bout de quelques minutes Youm s’est blessé, je me suis aussitôt levé pour m’échauffer. Mais Claude Le Roy avait préféré faire entrer le milieu de terrain Baytir Samb », se souvient Al Ousseynou Sène. Qu’importe, le Sénégal était qualifié à la phase finale après avoir raté la précédente au Maroc. « Moi qui ai toujours été titulaire lorsque les Senefs n’étaient pas là, j’étais en droit d’espérer être du voyage final. Mais, suite à un choc, lors d’un match de championnat face au Port, je me suis blessé aux adducteurs et n’ai pas été retenu », regrette Gras. Reparti entre-temps en France, Zam non plus. « Pour avoir fait la plupart des matches amicaux et de qualification, et étant la doublure du meilleur attaquant sénégalais voire africain de l’époque, je pouvais logiquement espérer faire partie du groupe », témoigne Zam. « Peut-être que si j’étais resté au Sénégal, j’aurais disputé cette Can et eu une autre carrière ».
Encore plus amer est Al Ousseynou Sène Gras, mais à propos de la Can suivante en 1992, au Sénégal. Et il s’indigne pour deux, parce qu’il témoigne aussi pour son double, Gris. « Cette fois, Claude Le Roy n’est pas allé au bout de ses idées ; il n’a pas été courageux ; il a simplement eu peur, a renié ses idées pour composer avec celles des autres », témoigne-t-il. Et d’expliquer : « pendant un mois, il nous prenait tous les matins de 05h30 à 06 heures, avec mon jumeau, au stade L.S.S, et nous entrainait comme latéraux : Gris à droite et moi à gauche. Il avait même insisté auprès de l’Uso pour qu’on nous fît jouer de temps en temps à ces postes. Mais notre coach tenait à son trio Gris, Gras Zam ». Après les avoir « fait travailler comme des fous » (tactique, tacling, etc.), alors que presque tout le monde était encore au lit, dans ce qu’il présentait comme « sa surprise tactique lors de la Can », Claude Le Roy les a laissés en rade au profit de pros trentenaires, dont certains ne jouaient même pas en club. « On avait une bonne équipe de locaux qui auraient pu faire quelque chose lors de cette Can ; mais on a presque tous été mis sur la touche », regrette Gras. « C’est cela qui a faussé mon palmarès. J’avais le talent et la volonté. Mais mon rêve a avorté d’entendre l’hymne national, vêtu du maillot de mon pays et de jouer aux côtés de Oumar Guèye Sène pour profiter de ses caviars ». Selon lui, sans aucun doute, « 1992 reste la plus mauvaise année de ma carrière. Pire même que 1994 où je m’étais fracturé la jambe. Et c’est la même chose pour mon jumeau, Gris ». Même à deux pour tenter d’oublier cet épisode, ça reste compliqué pour Gris et Gras. Si Zam y ajoute son spleen de 1990, cela ne peut donner qu’un tableau bien sombre pour ce trio qui avait conduit l’Uso jusqu’en quarts de finale de la Coupe des vainqueurs de Coupe en 1990 après avoir bouffé les Requins de l’Atlantique (Bénin) et le Tonnerre de Yaoundé (Cameroun) avant de tomber face aux Nigérians de Bbc Lions.
L'ANACARDE POURRIT EN CASAMANCE
La pandémie de coronavirus pourrait entrainer la mévente de 30.000 tonnes d’anacarde et "un manque à gagner" estimé à 50 milliards de francs CFA aux dépens des producteurs de la région
La pandémie de coronavirus pourrait entrainer la mévente de 30.000 tonnes d’anacarde et "un manque à gagner" estimé à 50 milliards de francs CFA aux dépens des producteurs d’anacarde des trois régions de la Casamance (sud), a déclaré l’ingénieur agronome Abdourahmane Faye.
"On annonce une mévente record de 30.000 tonnes d’anacarde et un manque à gagner de 50 milliards pour les producteurs casamançais, qui ne voient pas l’ombre d’un acheteur (…) en ce début de campagne", a écrit M. Faye dans une tribune dont l’APS a obtenu une copie.
"Le désastre sera d’autant plus grand que la campagne précédente était chahutée par une chute drastique des prix aux producteurs, qui était due à une surproduction au niveau mondial", a souligné l’ingénieur agronome et expert chargé de la formation et de l’emploi à l’Initiative prospective agricole et rurale (IPAR), un "espace de réflexion" sur "les politiques publiques dans le secteur agricole et rural en Afrique de l’Ouest".
Ce sont des hommes d’affaires indiens qui venaient souvent acheter la production d’anacarde aux producteurs des régions de la Casamance (Kolda, Sédhiou et Ziguinchor), selon M. Faye.
Un collectif d’acteurs de la filière anacarde locale a fait part de son "désarroi", déplorant l’absence des partenaires commerciaux indiens et mauritaniens, qui ne peuvent se rendre en Casamance à cause de la pandémie de coronavirus, a-t-il expliqué.
La morosité de la filière anacarde va affecter le port de Ziguinchor, qui connaissait chaque année un regain d’activité pendant la campagne de vente des récoltes de noix de cajou, selon l’ingénieur agronome.
Les services portuaires prévoient une baisse importante de leur chiffre d’affaires à cause de la mévente des récoltes d’anacarde.
"C’est toute une filière, à l’entame de son envol, qui prend du plomb dans l’aile avec ce Covid-19, qui n’épargnera même pas la mangue, pour la même raison, le manque d’acheteurs", a souligné Abdourahmane Faye.
"Les deux mamelles principales de l’économie agricole sont ainsi infectées dans cette partie du Sénégal, qui présente déjà une comorbidité lourde liée aux effets des changements climatiques, à la salinisation des terres, à la baisse de la fertilité et de la productivité des sols, au sous-équipement des exploitations agricoles, etc.", a ajouté M. Faye.
Selon lui, à cause de la fermeture des marchés hebdomadaires ruraux, en raison de la pandémie de coronavirus, les paysans sont privés de "débouchés commerciaux" et ne peuvent pas vendre leurs produits agricoles et d’élevage pour subvenir à leurs "besoins monétaires et alimentaires".
"Dans plus de 80% des cas, les ménages agricoles épuisent leurs stocks vivriers six mois après récoltes et dépendent, pour le reste de l’année, de ces marchés pour s’acheter de la nourriture", a expliqué l’expert d’IPAR.
"Les restrictions imposées dans les transports intérieurs et extérieurs ont perturbé le fonctionnement des chaînes logistiques d’approvisionnement et de livraison [des] exploitations agricoles", a-t-il écrit.
par Abdou Latif Coulibaly
COVID-19 : DE LA QUALITÉ DE LA COMMUNICATION !
Il y a parfois beaucoup de brouillage de messages et de confusions préjudiciables à la communication sur le Covid 19 dans des programmes de radio et plateaux de télévisions
En ayant suivi pendant quelques minutes une émission sur les antennes d’une chaîne de télévision privée, j’ai eu la désagréable surprise de tomber sur la prise de parole de quelqu’un qui a été identifié par l’animateur comme un communicant. Désagréable surprise, tant le communicant de service s’est montré très peu humble, certain de ne pas se tromper dans ses affirmations, très peu étayées du reste, en clouant avec force au pilori la communication supposée « nulle » de l’Etat sur le Covid-19. À entendre « l’expert » en communication, il semble y avoir un décalage entre la perception des populations de l’action gouvernementale sur le covid-19, notamment sur le volet sensibilisation. Tout porte à croire que le gouvernement ne communique pas efficacement avec les populations ; qu’il ne s’emploierait pas d’une part, à mieux appréhender les opinions et aspirations profondes des populations et d’autre part, à expliquer et à faire comprendre les actions de lutte contre le covid-19 afin qu’elles soient bien comprises. Même agacé par son ton péremptoire et ses certitudes, je n’ai pas manqué de le remercier, car aussitôt après avoir zappé, j’ai composé le numéro de Moubarak Lô. Je rappelle à certains et informe d’autres que ce dernier opère dans l’une des rares structures, parmi les cabinets d’expertise et de prospective existant au Sénégal, qui consacre un travail quotidien digne d’intérêt sur le Covid-19. Un travail basé sur une analyse qualitative et quantitative fine des données du jour, publiées sur la maladie par le ministère de la Santé. Les publications proposées par ce cabinet traduisent par des schémas graphiques assez parlant l’évolution de la maladie, en utilisant une démarche de modélisation statistique qui, à mon humble avis, permet de mieux comprendre tous les jours ce qui se joue à travers les chiffres déclinés chaque matin depuis le ministère de la Santé et de l’Action Sociale.
Le but de mon appel participait d’un souci d’en savoir plus sur la qualité de la communication faite autour du Covid-19, depuis son apparition le 2 mars 2020 au Sénégal. Seulement, cette fois-ci, j’ai voulu comprendre, à la faveur d’une démarche scientifique d’enquête de type psychologique, en collectant des données statistiques fiables sur la question. Affable et courtois, il l’est par nature. Moubarak accepte sans réfléchir ma proposition. Il me proposa de m’associer à la tâche utile pour concevoir un questionnaire et à en évaluer sa consistance interne et externe. Sans hésiter, j’ai accepté son offre. Il tenait à faire participer un communicant au travail. Après avoir réalisé le questionnaire, nous avons convenu de l’administrer dans les deux zones les plus infectées par le virus, à savoir les régions de Dakar et de Diourbel. Seulement, pour l’instant, ne sont disponibles que les résultats de Diourbel. Aux fins de conduire l’étude, l’économiste statisticien a proposé la méthodologie suivante : une enquête téléphonique réalisée auprès d’un échantillon de 320 personnes à Diourbel. Des personnes sélectionnées selon la méthode des quotas. Les variables de quotas utilisées sont : le sexe, l’âge et le niveau de formation. Ainsi, dans la région de Diourbel précisément, l’univers de l’enquête (ou population cible) étant constitué de l’ensemble des individus âgés de 18 ans ou plus, des communes de Mbacke et Touba, appartenant à un ménage ordinaire. L’enquête a été réalisée par téléphone, le 2 mai 2020, en wolof ou en français, sur la base d’un questionnaire préétabli, avec une répartition en deux sous-échantillons homogènes par commune (dispersion géographique et contraintes méthodologiques identiques). En attendant que le cabinet agrège toutes les données, celles de Diourbel et Dakar, afin de publier l’intégralité des résultats de l’étude, ses responsables m’ont autorisé, pour les besoins de la rédaction de cette tribune, à extraire quelques données majeures du travail effectué par le Bureau de Prospective Économique (BPE) du Sénégal, sous la direction de Moubarak Lo.
Quand on considère les résultats de l’enquête sur Diourbel déjà disponibles, en observant les réponses données par les populations enquêtées, on note que celles-ci ont été bien sensibilisées, afin de comprendre ce qu’est la maladie, ce qu’il faut éviter, dans une proportion de l’ordre de 98,70%, aussi bien dans les villes de Mbacké que de Touba. Par exemple, quand on leur demande comment perçoivent-elles et apprécient-elles la gravité du Covid, les taux de citation : « la maladie est très grave sont de l’ordre de 79,60% et grave 19%. Les personnes enquêtées sont capables de citer au moins quatre des symptômes de la maladie, avec en tête une forte fièvre (79,60%), toux sèche (7%), maux de tête (3%), gorge irritée (0,6%). C’est la télévision qui a sensibilisé et informé, dans une large proportion de 99% les populations de Touba, concernant la réalité de la maladie, sa gravité et sur les gestes barrières. Alors que la radio dans certaines zones est citée à 88,80%, concernant ce même item. Constat majeur : plus de 85% des personnes enquêtées disent qu’elles n’ont pas été du tout informées et sensibilisés par les médias sociaux, non plus par internet de manière générale. Ils font confiance aux média classiques de manière générale et à la communication de proximité pour en savoir sur le Covid 19.
En résumé, les populations ont été bien sensibilisées et bien informées par les différentes actions de communication initiées, différemment naturellement, selon les canaux de communication utilisés. La communication dirigée vers la télévision et la radio ont été cependant plus efficaces. Les autres types de communication : communication personnelle de proximité, presse écrite et autres ont aussi joué un rôle important. L’efficacité des actions de communication est incontestablement établie. Plusieurs facteurs, autre que la qualité, peuvent expliquer une inefficience globale ou très partielle dans la mise en œuvre d’une action de communication : barrières culturelles, l’indiscipline ; la défiance voulue et organisée parfois. Tenant compte de l’ensemble de ces facteurs, on devrait parfois se garder de nous montrer trop péremptoire dans notre façon de juger la communication engagée autour du Covid-19. Le gouvernement fait à la fois dans la communication institutionnelle et dans la communication sociale destinée au grand public dans son extrême diversité et sensibilité. Cette communication est portée par les institutions, les secteurs fortement impactés par le covid-19 : la santé, l’éducation, le transport, le tourisme et l’hôtellerie, le commerce, la culture, l’artisanat, l’agriculture, l’élevage, l’environnement, la gouvernance territoriale. Parallèlement, trois catégories de professionnels ont beaucoup pris la parole dans les médias ces temps derniers - lutte contre le Covid-19 oblige -, je veux parler des médecins, des communicants et des journalistes. Généralement ces médecins, à une notable exception près, se sont montrés très prudents dans leur prise de parole, en s’évertuant à faire comprendre aux populations ce qu’est la pandémie, à leur détailler les systèmes mis en place pour y faire face, et enfin, à donner du sens aux gestes barrières, en leur expliquant le pourquoi et le comment de toutes les mesures arrêtées dans le cadre de la lutte contre le Covid 19.
Quant au travail des journalistes professionnels, il a été plus que correct dans l’ensemble, vu les réponses des personnes enquêtées. C’est à leur honneur, surtout en cette journée du 3 mai 2020, consacrant la journée internationale de la liberté de presse. Pour en revenir à la radio et à la télévision, on signalera, à l’appui, cette fois-ci, de constats empiriques, des exceptions qui confirment la règle de bonne tenue de ces canaux. On note en effet, pour s’en désoler, ces cas de plateaux de télévision et « shows » diffusés à la radio et dans lesquels on enregistre la présence de journalistes et qui ont beaucoup fait dans la confusion de genre dommageable. Il y a parfois beaucoup de brouillage de messages et de confusions préjudiciables à la communication sur le Covid 19 dans ces programmes de radio et plateaux de télévisions. Ici, se mêlent souvent des pratiques de talk-show, des éléments de téléréalité, marqués par des désirs individuels d’exister par la seule grâce du seul canal, la télévision en particulier, qui portent en effet des préjudices notables à la communication sur le Covid-19. Ces confusions sont parfois entretenues par la diffusion d’opinions ne reposant sur aucun fait tangible. Les professionnels, les journalistes je veux dire, sont souvent restés dans la collecte primaire et la diffusion de l’information factuelle, en expliquant et en s’appuyant sur des points de vue documentés, émanant souvent de spécialistes.
Quant à certains communicants, il m’est parfois apparu beaucoup d’audace et de l’imprudence dans les propos de certains d’entre eux. J’en ai eu parfois le profond sentiment. Cela a été le cas, quand certains d’entre eux ont décrété urbi et orbi, en affichant en apparence de fortes certitudes, que la communication proposée par les autorités engagées en première ligne dans la lutte n’était pas bonne, pour ne pas dire qu’elle était mauvaise.
par Kako Nubukpo
CONTROVERSE BÉNIN/SÉNÉGAL SUR LA DETTE : LA RENAISSANCE DU DÉBAT AFRICAIN
La tribune du ministre béninois des Finances apparaît comme la contestation du leadership sénégalais en construction et la réponse du ministre sénégalais des finances, comme une « commande » présidentielle
Jeune Afrique |
Kako Nubukpo |
Publication 04/05/2020
Si la pandémie du coronavirus n’avait qu’une seule vertu, ce serait la renaissance du débat africain qu’elle provoque à l’heure actuelle. En effet, rarement les décideurs et intellectuels africains se sont autant exprimés par voie de tribunes, d’articles, d’appels divers et variés.
Dans la foison de contributions plus stimulantes les unes que les autres générée par la pandémie de Covid-19, la passe d’armes récente entre le ministre béninois de l’Économie et des Finances, Romuald Wadagni, et le ministre sénégalais des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo, autour de la question de l’annulation de la dette africaine, mérite d’être soulignée à plus d’un titre.
En effet, dans une tribune publiée le 23 avril, Romuald Wadagni a exprimé son hostilité au moratoire et a fortiori à l’annulation de la dette africaine, au motif du signal négatif que cette annulation enverrait aux marchés financiers, engendrant de facto une hausse de la prime de risque et donc des taux d’intérêts exigés par les créanciers pour acquérir les dettes africaines futures.
En réponse à cette prise de position, son homologue sénégalais des Finances a publié le 28 avril une tribune intitulée : « Annuler la dette des pays africains est vertueux et bien fondé », dans laquelle il fait explicitement référence à celle de son collègue du Bénin pour la contrer point par point.
Trois raisons justifient l’importance et le caractère singulier de ce combat à fleurets mouchetés :
La tribune du ministre béninois des Finances, qui n’a pu être publiée sans l’aval de son chef d’État, apparaît dès lors comme la contestation de ce leadership sénégalais en construction et la réponse du ministre sénégalais des finances, comme une « commande » présidentielle.
Sur le plan diplomatique, les tribunes des deux ministres s’inscrivent dans un contexte où le président en exercice de l’Union africaine, le Sud-africain Cyril Ramaphosa, vient de désigner quatre personnalités emblématiques d’une Afrique mondialisée pour négocier, au nom de l’Afrique, les moratoires et/ou annulations des dettes africaines.
La tête de file de ce quatuor, Tidjane Thiam, ancien ministre, assureur et banquier franco-ivoirien internationalement connu et reconnu, a d’ailleurs répondu au ministre béninois des Finances sur la chaîne de télévision francophone TV5, en des termes fort peu amènes : « personne n’oblige un État à accepter un moratoire ou une annulation de sa dette ». On a connu des technocrates plus respectueux des ministres et des chefs d’États en exercice…
De fait, l’apparition de « nouveaux acteurs » venus du monde de la finance internationale, mais sans responsabilité exécutive à l’heure actuelle, sort de leur torpeur les ministres africains, généralement peu diserts en matière de partage de leurs convictions théoriques et empiriques.
Ces contestations – celle « par le haut » de la compétence des ministres africains en exercice dans leur capacité à représenter le continent dans les enceintes internationales et celle des commissaires de l’Union africaine (après tout, ils sont payés pour cela) – créent un nouvel espace de jeux et d’enjeux autour du leadership sur la représentation africaine sur le plan international et vient compléter la contestation « par le bas » portée par les organisations de la société civile africaine.
Sur le plan économique, les deux ministres des Finances semblent opter pour deux niveaux distincts de l’analyse économique : le ministre béninois est clairement dans une logique microéconomique, plus précisément dans l’économie du risque, de l’incertain et dans la théorie des jeux répétés. Son raisonnement consiste à dire qu’une suspension ou une annulation de la dette africaine provoquerait dans le jeu répété qui a cours entre débiteurs et créanciers, une perte de confiance de ces derniers engendrant une dégradation de la réputation et de la crédibilité des premiers, dont le coût cumulé sur longue période sera plus élevé que le gain immédiat.
Ce résultat bien connu de la théorie dite des « incitations », produit de la nouvelle économie institutionnelle, plaide en faveur du marché qui serait le meilleur allocataire des ressources en dépit de son caractère d’optimum de « second rang ». Au contraire, le ministre sénégalais opte pour une approche d’emblée macroéconomique, plus étatiste, ciblée sur la nécessité d’obtenir des marges de manœuvres budgétaires additionnelles pour faire face à la pandémie du Covid-19. De ce point de vue, il élargit l’espace d’appréhension de la crédibilité du débiteur en mobilisant l’Etat sénégalais qui aurait « un profil d’émetteur souverain de référence ».
Dans la mesure où en théorie, l’État est le meilleur débiteur par excellence car doté d’une durée de vie infinie, le tour est joué. En s’inscrivant au fond dans la nouvelle macroéconomie keynésienne, il pourrait revendiquer l’incomplétude et l’imperfection des marchés financiers pour justifier sur le plan pratique un moratoire ou même une annulation de la dette africaine.
Pour finir, il convient de souligner l’absence dans les deux contributions ministérielles des causes structurelles des dettes africaines, notamment l’étroitesse de la base productive et l’absence d’une souveraineté monétaire pouvant permettre la monétisation de la dette à l’instar de la pratique actuelle de tous les pays riches et émergents de la planète.
En effet, pour sortir du cercle vicieux de la dette africaine, il faudrait augmenter et orienter le crédit public et privé (bancaire et non bancaire) vers l’investissement productif et la création de capacités additionnelles de production. De fait, la demande africaine pourrait être assurée pour l’essentiel par l’offre africaine de biens et services, avec à la clé une réduction des importations et donc du solde courant de la balance des paiements.
Le processus de production africaine permettrait, pour sa part, de créer de nouveaux emplois, d’engendrer des revenus additionnels et de payer des impôts supplémentaires indispensables à une résorption pérenne des déficits budgétaires récurrents et donc la réduction drastique des stocks de dette extérieure.
La reconquête par l’Afrique de ses instruments de souveraineté politique, diplomatique et économique est la condition permettant de ne plus apporter des réponses conjoncturelles à une question structurelle et de sortir par le haut du débat salutaire entre le Bénin et le Sénégal sur les dettes africaines.
VIDEO
"LE SÉNÉGAL OFFICIELLEMENT EN RÉCESSION"
L’économiste Khadim Bamba Diagne jette un regard sans froid sur les conséquences économiques de la crise du Covid-19 sur l’économie sénégalaise
Invité du Grand Entretien de JotnaTV, l’économiste Khadim Bamba Diagne a fait une analyse froide des conséquences économiques du Covid-19 sur l’économie sénégalaise.
Il a par ailleurs traité, entre autres questions, des risques économiques du confinement, des dangers d’une récession, de l’impertinence du rapatriement de nos réserves, de la prudence à avoir sur la question du CFA, de la mauvaise nouvelle de la baisse du prix du baril du pétrole, de l’urgence de la réforme fiscale du secteur informel, etc.
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
POUR UNE SOCIÉTÉ HEUREUSE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’école publique sénégalaise est à l’agonie - Elle n’est plus en mesure d’assurer la mobilité sociale du grand nombre. Car on ne lui donne pas les moyens de sa mission - NOTES DE TERRAIN
Cela faisait plus de vingt ans que nous ne nous étions pas vus. Ce matin de juillet 2017, nos regards se sont croisés dans la cour de l’école Matar Seck, à Rufisque. C’était un jour d'élection. Un dimanche. Elle m’avait reconnu. A ma grande surprise. Elle n’a pas oublié mon nom. J’étais si heureux de la rencontrer, ce jour-là. Elle a prononcé mon prénom, avec cette voix lointaine, imprimée dans mon inconscient, et qui n’a pas pris une ride. Il y avait son mari, un peu plus loin, qui discutait avec une autre personne. Elle l’a appelé et nous a présentés, l’un à l’autre. Je l'avais trouvée encore jeune et si gentille. Nous avons échangé nos numéros. Je l’ai appelée une fois. Quelqu’un d’autre a pris le téléphone. Elle n’était pas disponible. Je n’avais pas insisté. Et depuis, je n’ai plus eu de nouvelles. Entre-temps, j’ai aussi perdu son numéro de téléphone.
Mercredi dernier, mon frère m’a appelé le matin. Il était devant la maison familiale. Une personne l’a longuement dévisagé. Il m’a raconté que c’était une femme. Elle l’a interpellé par mon nom. Il lui a dit qu’elle confondait, mais que j’étais bien son grand-frère. Ils ont échangé un peu. Elle m’a passé le bonjour. Elle lui a aussi dit qu’elle habite juste derrière. Il m’a rapporté toute la scène. J’ai considéré ces informations avec joie. Toutes ces années, et elle garde encore, intacte dans sa mémoire, des souvenirs éloignés. Je me suis promis d’aller lui rendre visite, bientôt. La dernière fois que l’on s’était rencontrés, elle avait raconté quelques anecdotes à son mari, me concernant. Elle s’est rappelée, avec précision, mes grandes faiblesses et mes qualités à l’époque.
Sacerdoce. Mme Mbaye était ma maîtresse d’école, au primaire. Je me souviens de ce tableau noir devant lequel elle se tenait. De cette chaise et de la table, qui lui servaient de bureau. De ces classes où nous passions la journée. De la cour de l’école et de beaucoup de camarades de l’époque. Des plus turbulents, aux timides. De ceux qui étaient toujours les premiers. De ces chansons déclamées à tue-tête, que je garde encore en mémoire. Mme Mbaye était stricte, mais adorable. D’une grande douceur. C’était l’époque où l’école publique marchait encore. Même si elle était déjà un lieu sinistre. Nous étions déjà nombreux dans les salles de classes. Comme des âmes entassées dans les abîmes et que seule la magnanimité de nos éducateurs pouvaient tirer des bas-fonds.
Nous n’évoluions dans notre formation que par l'engagement de ces femmes et de ces hommes. Mme Mbaye fait partie de la troisième génération d'enseignants. Qui suivait celle des maîtres des temps héroïques, avant et juste après les indépendances ; puis celle des époques de plomb et de la désillusion, avec les ajustements structurels qui ont saccagé la culture et l’école. Je me rappelle d’elle. La tenue toujours implacable. La voix calme. L’autorité bienveillante. Qui nous inculquait la morale, l’observation, les calculs, l’histoire. Alors que nous nous mettions à trois, serrés dans les table-bancs. Parfois bavards et incontrôlables. Elle nous maintenait dans la voie de l’accomplissement de l'être.
Tant de générations d’enseignants se sont dévoués pour construire notre nation. Des médailles ne suffiraient pas à les remercier. Il y a un manque de reconnaissance, à leur égard. Pire, ils sont encore sous-estimés et oubliés dans le grand roman national. Si le Sénégal a des ingénieurs, des administrateurs civils, des médecins, des hommes de lettres et de sciences, des institutions de la République, des hôpitaux, une administration, il le doit à tous ces instituteurs. Dévoués jusqu’au sacrifice, à leur métier. Mais les années passent, les générations se suivent et l’école publique reste un lieu déconsidéré. Pire, le travail des enseignants est déprécié. Leur récompense est insuffisante et les lieux de savoir sont laissés en ruines. Si, à tout cela, s’ajoute une formation de plus en plus défectueuse des enseignants, on ne peut s’attendre qu’à des lendemains où l’esprit collectif sera diminué. Et où l'on assistera à l'enflement de l’ignorance.
Alors que faire ? L’école publique sénégalaise est à l’agonie. C’est une lapalissade. Elle est devenue un espace d'où l’on peut observer les grandes lignes de fracture de notre société. Elle raconte les inégalités de plus en plus prégnantes au Sénégal. Les enfants des classes moyennes supérieures ne la fréquentent plus. Même ceux issus de parents moins nantis la quittent. Pour une raison simple : elle est une structure sociale qui favorise le déclassement. Elle n’est plus en mesure d’assurer la mobilité sociale du grand nombre. Car on ne lui donne pas les moyens de sa mission. Également, parce que les élites politiques aveugles ont laissé prospérer la marchandisation de l’éducation. C’est un constat terrible, dans un pays où sévit encore une pauvreté étouffante, mais aussi l’analphabétisme de masse.
Restaurer l’école. Il faut aussi rappeler que l’école sénégalaise souffre, depuis toujours, d’une pathologie congénitale. L'école porte une mission civilisatrice. Nous ne cesserons jamais de le rappeler. Elle marginalise la culture nationale. En ne prenant pas en compte, dans ses actions éducatives, les langues du pays. Elle se refuse, de ce fait, à supporter le poids de la civilisation qui est la sienne. Ce qui est une aberration. Et nous le disons encore, si nous voulons desserrer l’étau de l’ignorance et de la misère, au Sénégal, nous ne pourrons continuer à évincer nos langues nationales dans le système éducatif. L'école porte une mission civilisatrice. Nous ne cesserons jamais de le rappeler. C’est seulement par une médiation culturelle endogène et active, que nous arriverons à l’épanouissement collectif. A l’essor d’une nation forte. La culture est le socle de toute édification nationale. Elle sert aussi de paravent contre les sabotages à l’âme d’une nation, et les agressions à la connaissance. Les langues sont les outils les plus précieux de la socialisation.
Mais tout cela ne doit pas éluder le fait que l’institution scolaire tenait encore la route, et transmettait le savoir. Même organiquement affaiblie. Ce qui devient de moins en moins évident. La réforme, de l’institution scolaire, est aujourd’hui, une nécessité impérieuse. Cela veut dire respecter les enseignants. Déployer plus de moyens pour construire des lieux de savoir. Reconsidérer les langues nationales et la question culturelle. Déconstruire l’esprit marchand de l’éducation. Lutter contre l’échec scolaire. Prendre en charge intégralement l’éducation des classes défavorisées et imposer l’école gratuite. Intégrer, très tôt, dans les curricula, l’enseignement des grands enjeux de l’humanité : l’écologie et le respect de la biosphère. Animer la conscience civique. Favoriser la mobilité sociale. Former rigoureusement les formateurs. Dans l’immédiat, tels sont les grands défis de l'école publique sénégalaise.
Mieux, il faut réenchanter l’école. Elle doit s’ouvrir sur la vie et sur le monde. Pour reprendre Ivan Illich, elle doit donner “une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne le goût d’inventer et d’expérimenter”. Ainsi, comment éduquer des humains, désensibilisés à la compétition ? Comment modifier et relever l'état de conscience collectif, pour faire de l’empathie et de la solidarité les figures psychologiques dominantes dans le corps social ? Comment compléter la nature de l'homme et en faire un être vivant, interconnecté à la biosphère, et à qui on enlève ses pulsions destructrices de la nature ? Comment élever le goût esthétique, et faire de la vie un voyage romantique, chez tous ? Comment articuler les différents types de connaissances, pour que l’esprit qui pense ne soit plus mutilé, et qu’il devienne le réceptacle des sciences humaines, sociales, naturelles et formelles ? Quelle architecture pour une école où l’on respire, et où l’on se sent joyeux et vivant ?
L’école publique sénégalaise, dans sa configuration actuelle, ne prend pas en compte tout cela. Elle est encore, dans une certaine manière, une structure oppressante. Qui enserre ses récipiendaires dans des schémas de pensée préfabriqués. Qui maintient, toute l’année, les corps et les esprits dans des abris étroits. Pendant que le soleil et la vie chantent dehors. Pendant que l’infini Univers demande à être contemplé. Pendant que les capacités intellectuelles peuvent être développées, par l’interface de la société et des autres humains. Surtout, l’école sénégalaise n’offre que des fragments de connaissances. L’homme qui sort de son moule ne possède pas toutes les armes pour faire la critique du monde. Pour interroger les illusions de la vie. Pour cheminer vers l’éveil. Son niveau d'initiation est encore perfectible. L’école sénégalaise peut se donner des projets plus ambitieux. Elle peut favoriser, de façon prodigieuse, les réformes spirituelles et morales. Nécessaires à la pratique transformative de notre pays, du monde et de l’humain. Mme Mbaye, ainsi que les enseignants qui se sont succédé dans nos écoles ont tout donné pour bâtir notre nation. Il reste, aujourd’hui, à construire une école qui augmente la conscience. Pour faire vivre, véritablement, les femmes et les hommes.
Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
CORONAVIRUS : HYPOTHÈSES EXPLICATIVES DE LA FAIBLE CONTAMINATION EN AFRIQUE
L’Afrique, qui représente 17 % de la population du globe, n’héberge que 1,1 % des malades et 0,7 % des morts. Mieux : avec déjà plus de 12 000 guérisons, elle semble résister bien mieux que les autres à la pandémie. Pourquoi ?
Jeune Afrique |
Olivier Marbot |
Publication 03/05/2020
Deux mois après l’irruption des premiers cas de coronavirus en Afrique, la propagation de la maladie semble y progresser plus lentement qu’ailleurs. Quels facteurs pourraient expliquer cette apparente résilience ?
Il serait inopportun de crier victoire trop tôt. Mais tout de même, les chiffres sont là : alors que les premiers cas de contamination au Covid-19 ont été détectés à la mi-février en Afrique, le continent ne compte aujourd’hui qu’un peu plus de 37 000 cas recensés (y compris les personnes déjà guéries) et 1 600 décès, contre plus de 3,2 millions de malades et plus de 228 000 morts dans le monde.
Statistiquement, il y a une anomalie. L’Afrique, qui représente 17 % de la population du globe, n’héberge que 1,1 % des malades et 0,7 % des morts. Mieux : avec déjà plus de 12 000 guérisons, elle semble résister bien mieux que les autres au coronavirus.
Est-ce simplement que la maladie est arrivée plus tard sur le continent et que, comme l’envisage une étude sud-africaine qui annonce un pic pour septembre, le pire reste à venir ? Pour l’heure, en tout cas, plus personne ne nie que la propagation du virus semble singulièrement lente sur le continent. Voici les principales raisons évoquées pour tenter de l’expliquer.
Le climat
C’est l’explication la plus couramment avancée. Comme la grippe, le coronavirus serait une maladie qui s’épanouit à la saison froide et supporterait mal la chaleur, la sécheresse, voire une forte exposition au soleil.
L’hypothèse semble corroborée par le fait que les pays les plus touchés par la pandémie ont un climat plutôt tempéré et que l’essentiel des cas se concentre soit à l’extrême nord du continent, soit à l’extrême sud, où la chaleur et la sécheresse sont moins écrasantes.
Du côté de la recherche, une étude britannique confirme qu’on rencontre en moyenne moins d’affections respiratoires dans les pays chauds et secs (on ne recense d’ailleurs qu’une épidémie de type Sras réellement sévère sur le continent, qui a touché Le Cap en 2002-2003), et un rapport américain du 24 avril affirme que la demi-vie du virus, c’est-à-dire la période nécessaire pour que sa puissance de contamination soit réduite de moitié, peut passer de 18 à 6 heures si la chaleur et l’humidité augmentent.
Les chercheurs restent néanmoins très prudents, à l’image du directeur des affaires internationales de l’institut Pasteur, Pierre-Marie Girard, qui souligne que lors d’expérimentations in vitro il a été constaté que le coronavirus « se multipli[ait] très bien dans la chaleur ».
La jeunesse des populations
C’est l’autre grande explication avancée. Dans les pays anglophones, on en a même fait un slogan : « The virus is old and cold and Africa is young and hot. »
Les médecins confirment que la majorité des cas sévères de Covid-19 concerne des personnes de plus de 60 ans, ce qui serait une chance pour le continent, où l’âge médian est de 19,4 ans et où 60 % de la population a moins de 25 ans. On souligne aussi que l’un des pays les plus durement frappés, l’Italie, compte 23,1 % de 65 ans et plus, contre 5 % en Afrique.
Cette hypothèse fait pratiquement l’unanimité, mais les scientifiques la nuancent en rappelant que si la population africaine est jeune, elle est malheureusement plus victime que d’autres de maladies comme le VIH ou de malnutrition, ce qui peut la rendre vulnérable. Enfin, certains chercheurs remarquent qu’en Europe et aux États-Unis les personnes âgées vivent souvent entre elles dans des maisons de retraite, ce qui favorise la propagation, alors qu’en Afrique elles habitent plus fréquemment avec leur famille. Ce qui pourrait les protéger.
Un habitat moins dense
À l’exception de quelques pays comme l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc ou l’Algérie, et de certaines grosses mégapoles, la densité de population est en moyenne plus faible en Afrique que dans les parties du monde où le coronavirus a fait le plus de ravages, Europe de l’Ouest et Amérique du Nord. On compte en moyenne 42,5 habitants au km2 en Afrique, contre 207 en Italie et… plus de 10 000 dans l’État de New York.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) confirme qu’il s’agit d’un facteur positif, tout en soulignant que ces chiffres ne sont qu’une moyenne, et que des villes comme Lagos ou Abuja affichent des densités de population records.
Des déplacements plus limités
Autre explication rationnelle et difficile à contourner : la population africaine se déplace moins, en moyenne, que celle de beaucoup de pays avancés, et les risques de contamination sont donc forcément moins grands.
Pour mémoire, on ne trouve qu’un seul aéroport africain dans la liste des 50 sites mondiaux concentrant le plus de trafic aérien : celui de Johannesburg.
L’expérience des épidémies
Beaucoup le soulignent : l’Afrique n’en est pas à sa première épidémie, et elle en a connu de bien plus meurtrières. On songe bien sûr à Ebola. Le personnel soignant mais aussi les populations ont donc une certaine habitude des situations de crise sanitaire, des leçons ont été tirées, et des « bonnes pratiques » mises en place.
Certaines méthodes de détection, d’isolement des patients, de précautions lors des soins développées précédemment sont duplicables face au coronavirus. Les autorités ont aussi pris plus rapidement que d’autres la mesure du danger et ont mis en place très tôt le contrôle ou la fermeture des frontières, la distanciation ou le confinement.
Du côté de l’OMS, on souligne qu’à la suite des épidémies d’Ebola en Afrique de l’Ouest on a aidé 40 pays du continent à évaluer leur capacité de réponse. Ont ensuite été soutenus 35 de ces derniers afin d’améliorer leur système de prise en charge.
La situation est certes loin d’être parfaite – du côté de la recherche et des laboratoires d’analyse, notamment –, mais, pour le Dr Moumouni Kinda, qui a affronté plusieurs crises avec l’organisation non gouvernementale ALIMA, « les épidémies comme Ebola nous ont fait accumuler de l’expérience sur la communication et la sensibilisation, qui sont des points clés pour briser les chaînes de transmission du virus ».
Une vraie coopération transfrontière
Pour certains scientifiques africains, le continent a aussi l’avantage de pratiquer une vraie solidarité. Lorsqu’un pays manque de masques ou de kits de tests, les pays voisins moins touchés sont susceptibles de lui en fournir. Le Lesotho, qui n’a pas encore de laboratoire opérationnel, fait tester ses prélèvements en Afrique du Sud, et un réseau de détection de la grippe saisonnière, utilisé face au Covid-19, fédère déjà une vingtaine de pays du continent.
Sans tomber dans l’angélisme, force est de constater que la solidarité semble parfois mieux fonctionner en Afrique que dans certaines régions plus riches, où l’on voit les grands laboratoires veiller jalousement sur leurs découvertes dans l’espoir de pouvoir commercialiser un traitement ou un vaccin. Sans parler d’un Donald Trump tentant de mettre la main sur les brevets des médicaments en cours de développement pour le seul bénéfice (financier) des États-Unis…
À une échelle bien plus locale, on souligne aussi que le fonctionnement communautaire de beaucoup de populations africaines permet de mieux faire passer les messages de prévention, mais aussi de détecter plus rapidement les malades, peu de gens étant susceptibles d’être laissés à eux-mêmes.
La protection indirecte d’autres traitements
Cette hypothèse fait l’objet de vives polémiques, et l’OMS, en particulier, se montre très prudente. Mais certains médecins constatent des coïncidences troublantes : on compterait moins de contaminations au coronavirus dans les pays les plus touchés par le paludisme » ou la tuberculose. Ou dans ceux qui vaccinent massivement leur population avec le BCG.
Le fait d’avoir contracté certaines maladies ferait-il barrière au Covid-19 ? Il faudra du temps pour le démontrer, mais beaucoup de médecins pensent que les traitements antipaludéens comme la chloroquine ont une certaine efficacité. Et comme beaucoup de gens sont traités avec ces médicaments en Afrique, une résistance pourrait exister.
C’est en partie pour cela que le professeur français Didier Raoult, mais aussi des équipes comme celle du Drug Discovery and Development Centre (H3D) de l’université du Cap, testent en priorité des antipaludéens.
L’OMS se montre critique, remarquant que certains pays comme le Burkina Faso, le Nigeria et le Sénégal, où le paludisme fait des ravages, ne sont pas épargnés par le virus. Elle met aussi en garde ceux qui pensent que le vaccin contre la pneumonie peut les protéger, mais incite par contre les populations qui le peuvent à se faire vacciner contre la grippe, la maladie ayant des symptômes proches de ceux du Covid-19.
Une immunité « génétique »
Et si les Africains étaient protégés par leur ADN, qui, pour une raison restant à déterminer, serait plus robuste face au coronavirus ? L’hypothèse est loin de faire l’unanimité – à l’institut Pasteur, Pierre-Marie Girard « ne voit pas très bien pourquoi » une telle spécificité existerait – et demandera du temps pour être explorée.
Le professeur camerounais Christian Happi, spécialiste en génomique, qui partage son temps entre l’université Harvard et le Nigeria, n’exclut pas tout à fait cette possibilité : « Les Africains sont exposés à beaucoup de maladies, donc il est possible que leur organisme réagisse mieux. Il faudra chercher les anticorps pour le savoir, mais c’est possible. Après Ebola, on a vu que beaucoup de gens au Nigeria avaient été exposés à la maladie mais ne l’avait pas développée. »
Une autre version du virus
Idée qui se rapproche de la précédente : puisqu’il semble maintenant que plusieurs souches différentes du Covid-9 sévissent sur la planète (jusqu’à huit formes distinctes), peut-être que celle qui est présente en Afrique est moins agressive ? Ce qui pourrait expliquer aussi le fait qu’on semble y recenser plus de cas asymptomatiques qu’ailleurs.
Amadou Gon Coulibaly s'est rendu samedi à Paris pour un « contrôle médical », selon la présidence qui n'a révélé aucune information quant à son état de santé
Le premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly s'est rendu samedi à Paris en France pour un « contrôle médical », a appris APA auprès de la présidence ivoirienne.
L'intérim de M. Gon Coulibaly est assuré par Hamed Bakayoko, ministre d'État, ministre de la défense, précise un communiqué de l'exécutif ivoirien signé par Patrick Achi, le secrétaire général de la présidence de la République.
Le 24 mars dernier, le premier ministre ivoirien, s'était mis en quarantaine après un contact avec une personne déclarée positive au Covid-19. Après cet auto-confinement, la primature ivoirienne a annoncé à nouveau dans un communiqué le 30 mars dernier que le chef du gouvernement ivoirien a été testé négatif à deux reprises à la maladie à Coronavirus.
Âgé de 61 ans, M. Gon Coulibaly, qui est le premier ministre ivoirien depuis 2017, a été désigné comme candidat du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix ( RHDP, parti d'Alassane Ouattara) à la présidentielle d'octobre prochain.
par Franck - Hermann EKRA
ALIOUNE DIOP, LA GRANDE OMBRE DES LUMIÈRES TRANSAFRICAINES
La silhouette d'Alioune Diop fut de tous les rendez-vous de la pensée - Métronome de la circulation des idées, il favorisa avec le concours de la trinité de la négritude (Césaire, Senghor, Damas), le bouillonnement du Paris Noir
" Il y a 40 ans Alioune Diop s'éteignait à Paris. Que le voile de l'oubli ne tombe pas sur sa mémoire "...
Ces mots simples et intenses reçu aujourd'hui de l'une des filles du défricheur de talents et organisateur de l'intelligentsia transafricaine que fut Alioune Diop, nous rappellent à l'impératif de mémoire et au devoir de reconnaissance envers un homme auquel nous devons tellement d'éblouissement.
Dans " Les précurseurs de Kafka ", un essai d'archéologie du savoir, Jorge Luis Borges identifie les figures qui ont rendu possible l'éclosion du génie de Prague. Quiconque entreprendrait dans le paysage intellectuel de l'Afrique d'après la seconde guerre mondiale une rétrospective similaire, croiserait les pas de ce meneur d'hommes à presque toutes les intersections. Les grandes dates qui jalonnent le parcours des clercs africains sont liées au fondateur de la Revue puis des éditions Présence Africaine.
En fait de présence, la silhouette de Alioune Diop fut de tous les rendez-vous de la pensée. Initiateur à Paris puis à Rome, avant les indépendances, des premier et second Congrès des écrivains et artistes noirs en 1956 et 1959, il inspira en 1966 le Festival Mondial des Arts Nègres qui se tînt à Dakar et vit triompher les princes du verbe que furent Léopold Sédar Senghor et André Malraux.
Métronome de la circulation des idées, il favorisa avec le concours de la trinité de la négritude (Césaire, Senghor, Damas), le bouillonnement du Paris Noir sous l'influence du mouvement Harlem Renaissance. Alioune Diop stimula les rencontres entre les plumes du Continent et celles d'outre-atlantique à partir de son carrefour parisien. L'écrivain étasunien Richard Wright appartient à cette déferlante, cette vague prometteuse de lendemains enchanteurs.
Ce hub fut le foyer de la protestation morale des grandes voix de l'émancipation et des savoirs ethnographiques endogènes. Fédérateur, il faisait cohabiter des sensibilités aussi hétéroclites que celles de Léopold Sédar Senghor et de son cadet Cheikh Anta Diop.
Le Congrès de la Sorbonne réunissait les Haïtiens Jean Price-Mars, Jacques-Stephen Alexis, René Depestre et l'Ivoirien Bernard Dadié pour lequel ce raout constitua une sorte de révélation de l'interchangeabilité des situations de domination.
Dadié publia plus tard " Iles de tempête ", un drame auquel l'île magique, tient lieu de décor historique. Jacques-Stephen Alexis, auteur chez Gallimard de " Compère Général Soleil ", développa dans les colonnes de la Revue Présence Africaine sa théorie du réalisme merveilleux. Dadié publie en 1959 chez Présence Africaine une de ses chroniques sur les grandes métropoles, "Un Nègre à Paris ". Sur Rome il consigna également des notes de voyage et de curiosités qu'il publia en 1969 par l'entremise de l'éditeur qui fut un ami bienveillant. C'est le sujet de sa chronique citadine, " La ville où nul ne meurt ".
Protégé de Abdoulaye Sadji avec lequel il avait milité au cours de ses années dakaroises au Comité d'études franco-africaines et au Rassemblement Démocratique Africain (RDA) de 1945-1946 à son retour en Côte d'Ivoire en 1947 pour rejoindre la section ivoirienne du RDA, Dadié doit à ce compagnonage et à ce bouillon de culture la transposition littéraire du patrimoine de l'oraliculture, celui des contes.
Maximilien Laroche et Laennec Hurbon ont montré dans leurs travaux sur les cultures populaires, la prégnance des contes de Bouki et Malice, la version haïtienne des fabuleuses histoires ouest-africaines de Bouki l'hyène et Leuk le lièvre, dont Senghor et Sadji sont les plus célèbres passeurs. Alioune Diop a fait éclore le talent littéraire de Dadié autant que Pierre Seghers et Gabriel D'Arboussier. Senghor l'avait pressenti en 1944 à Dakar sans que cela ne se concrétise par une publication.
Il y aurait tellement à dire sur Alioune Diop et sur l'aventure séminale de Présence Africaine !
Avant le début du confinement je m'étais rendu Rue des écoles devant la grille close de la librairie, sur les traces des deux poètes dont la médiation m'accompagne (Dadié, Senghor) pour m'imprégner de cette ambiance de l'immuable quartier latin.
À l'heure de repenser d'un point de vue prospectiviste l'Afrique d'après les hégémonies... je songe à ces clercs épris de fraternité universelle, qui n'ont pas hésité à interpréter le monde à travers un idéal de justice, de dignité, de liberté retrouvées.
Honneur à Alioune Diop auquel Frédéric Grah Mel consacre une très instructive biographie aux Presses Universitaires de Côte d'Ivoire (PUCI) : "Alioune Diop le bâtisseur inconnu du monde noir ".
EN GUINÉE, L'EFFET RÉVÉLATEUR DU CORONAVIRUS
Si le nombre de décès reste faible, la progression rapide du nombre de cas inquiète, souligne les défaillances du système sanitaire, fragilise l’économie quotidienne et cristallise la défiance envers le gouvernement
Si le nombre de décès reste faible en Guinée, la progression rapide du nombre de cas inquiète, souligne les défaillances du système sanitaire, fragilise l’économie quotidienne et cristallise la défiance envers le gouvernement, quatre ans après la fin de l’épidémie d’Ebola.
Front contre front, les yeux lancent des éclairs. On s’empoigne, on s’invective le doigt pointé vers le ciel. On fait mine de s’éloigner avant de revenir à la charge, retenu par les copains. Parmi la cinquantaine de badauds venus mettre leur grain de sel dans ce banal accrochage, deux ont le visage couvert. Les autres portent leur masque au menton, sur le front ou suspendu à l’oreille.
Dix jours après l’entrée en vigueur du port obligatoire de la bavette pour lutter contre la propagation du coronavirus, la mesure est surtout respectée sur les axes contrôlés par la police.
Conakry enregistre officiellement sept décès de coronavirus. Un chiffre dérisoire comparé au paludisme (6 000 à 9 000 morts en 2017, estime l’OMS) mais le nombre de cas monte en flèche et la Guinée figure désormais dans le trio des, pays les plus touchés d’Afrique de l’ouest.
« C’est signe que nous testons les bonnes personnes », explique Bouna Yattassaye qui dirige l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS) depuis que le Dr Sakoba Keïta a été testé positif au Covid-19.
Épidémie sous-estimée
Mais la capacité journalière de 250 tests « ne permet pas d’identifier tous les cas », insiste dans son premier rapport le conseil scientifique. L’ampleur de l’épidémie pourrait être sous-estimée, de même que le nombre décès.
La population, très jeune (77% a moins de 35 ans, selon le PNUD), semble mieux protégée contre les complications, mais d’autres données suscitent l’inquiétude : plusieurs centaines de cas notés « à rechercher » par l’ANSS, des patients « perdus de vue », ni hospitalisés ni confinés, dans la nature.
« La hausse brutale du nombre de cas s’explique aussi par le refus de certains patients d’être pris en charge », poursuit le Dr Yattassaye. Ici, le virus est arrivé par l’élite, voyageuse et réticente à se faire soigner dans son pays. « Des personnes influentes et très sollicitées, ajoute-t-il. Leur chaîne de contamination affiche 82% de positivité. »
Donka, premier hôpital du pays, en rénovation depuis quatre ans, rouvre précipitamment pour accueillir les malades. Il faut creuser des forages pour l’alimenter en eau. Sa directrice Fathou Sikhé Camara est testée positive. Les patients se plaignent des conditions d’accueil et de l’insalubrité des locaux.
« Donka atteint sa capacité maximum », reconnaît le Dr Yattassaye, assurant que la Guinée va « doubler sa capacité en lits » avec l’ouverture de nouveaux centres dans les prochains jours.
Ebola, que reste-t-il ?
Au sortir de la crise Ebola (2 500 morts de 2013 à 2016), le président Alpha Condé avait déclaré que l’épidémie serait « une opportunité pour renforcer [les] capacités hospitalières », promettant la construction d’hôpitaux dans toutes les préfectures. « Une utopie » lance, amer, l’opposant Cellou Dalein Diallo.
« Ebola nous a surtout enseigné à détourner des fonds internationaux », soupire un acteur associatif, sous couvert d’anonymat. « ll ne reste rien des millions déversés sur le pays. » Beaucoup craignent que le « Corona business » succède à « l’Ebola business » alors que la Banque mondiale pointe une « surestimation » de 40 millions de dollars sur la facture d’électricité du plan de relance économique.
Les ONG déplorent le « manque de coordination », des « luttes de pouvoir et des rivalités personnelles » qui ralentiraient la riposte. « La gestion des fonds suscite une guerre entre le ministère de la Santé et l’ANSS », explique un haut cadre du ministère, sous couvert d’anonymat.
Plus optimiste, le Dr Yattassaye dit « capitaliser sur l’expérience acquise », les ONG déjà présentes (MSF, ALIMA) et surtout les centres de traitements des maladies infectieuses à potentiel épidémique (CTPI) de l’intérieur du pays installés au temps d’Ebola. Ces derniers, laissés à l’abandon, sont aujourd’hui en cours de réactivation.
Propagation dans l’intérieur
Les acteurs de la riposte craignent que la maladie suive la trajectoire inverse du virus Ebola en se propageant de la capitale vers les régions les plus reculées qui sont aussi les moins équipées. « C’est probablement déjà le cas », s’inquiète l’un d’eux, soulignant qu’un seul laboratoire réalise actuellement des tests en région.
Malgré les barrages, l’interdiction de quitter Conakry n’est pas respectée, reconnaît le gouvernement dans un communiqué. Une femme testée positive à Conakry a été retrouvée dans la ville de Kankan, à plus de 600km de la capitale.
Quant au concept de distanciation sociale, « c’est presque étranger à notre culture où le contact est essentiel, où toutes les activités quotidiennes se font en commun dans des espaces réduits », explique le sociologue Alpha Amadou Bano Barry.
« Pour les gens, c’est une maladie "d’en haut". Ils ont des priorités plus urgentes comme se nourrir au quotidien », ajoute-t-il. L’inflation, habituelle en période de ramadan, est démultipliée par les restrictions sanitaires. Depuis que le nombre de passagers est limité à trois par véhicule, le prix du transport a doublé. Les mesures d’aide annoncées par le gouvernement tardent à faire sentir leur effet.
Covid-19 et politique
Les acteurs de la riposte redoutent une « triple crise » sanitaire, économique et politique. L’opposition accuse directement le gouvernement d’avoir favorisé la propagation du virus en organisant le double scrutin législatif et référendaire du 22 mars 2020. Le président de la Commission électorale nationale indépendante Me Salif Kébé est décédé du coronavirus deux jours après la proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle, suivi par le secrétaire général du gouvernement.
Depuis l’installation de la nouvelle Assemblée nationale en dépit de l’interdiction des rassemblements, le Front national de défense de la Constitution estime que la trêve sanitaire est rompue. Pour avoir appelé à reprendre les manifestations, l’un de ses membres, Oumar Sylla, est incarcéré à la maison centrale de Conakry qui compte un cas et plusieurs décès suspects. D’autres opposants auraient été transportés vers un camp militaire de Haute-Guinée.
Human Rights Watch pointe la responsabilité présumée des forces de sécurité dans des cas de pillages ou d’abus à la faveur du couvre-feu qui « exacerbent une méfiance déjà profonde envers les autorités, créant un obstacle supplémentaire à la lutte contre le Covid-19 ».
« Avec un tissu social fragilisé, notre crainte est que les mesures sanitaires se retournent contre nous », s’inquiète le Dr Yattassaye. Cette semaine lors d’une rencontre avec le corps médical, le président Alpha Condé, tapant une nouvelle fois du poing sur la table, a exigé que l’épidémie soit maîtrisée « avant la saison des pluies ». Or à l’horizon pointent déjà d’épais nuages.