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3 mai 2025
Développement
par Mamadou Diagna Ndiaye
JE ME MÉFIE DE TOUTES LES MOUCHES QUI VOLENT
Sur la dette, s’opposer les uns les autres, c'est rendre service aux partisans de l’Afrique éternellement infantile. La construction intellectuelle du ministre Wadagni est sympathique mais ne répond pas aux besoins d’urgence du Covid-19 !
« La dette divise l’Afrique » ! tel est l’intitulé d’un article de Jeune Afrique, repris le 24 Avril 2020 par le journal Sud quotidien. Ce titre aux atours quelque peu racoleurs ne laisse pas indifférent. Comment le serait-il ?
Il met en scène l’actuel ministre de l’Economie et des Finances du Bénin, M. Romuald Wadagni qui s’est invité, sans doute, à bon droit dans le débat sur le traitement à faire de la dette africaine sous l’angle de la pandémie du Covid-19.
Ce débat est salutaire, il est même souhaitable, mais pour être utile, il doit être assujetti à l’exigence de rigueur, de responsabilité et de cohérence. Quelle que puisse être la singularité du moment, nul ne peut faire l’impasse sur la nécessité d’un choc des idées au sein de l’élite africaine sur la définition des termes d’un avenir commun. S’il faut en convenir, ce débat, pour être audible n’a pas besoin d’une tonalité disruptive.
Dans la forme, le ministre Wadagni, au moment où l’Afrique adopte une position salutaire de mise en commun des ressources et des énergies pour penser et mettre en œuvre une solution africaine, préfère demander la validation de ses vues par le FMI, ignorant les espaces d’échanges offerts par l’UEMOA, la CEDEAO et même l’Union Africaine.
Il est légitime de se demander pourquoi le Bénin et son ministre préfèrent la tribune de JA et l’écoute du FMI aux truffes de l’UEMOA, de la CEDEAO et de l’UA pour approfondir les réponses de l’Afrique à une crise sans précédent, que tous les experts prédisent comme la plus grave de son histoire postcoloniale.
Je me méfie beaucoup de toutes les mouches qui volent et que l’on prend pour des idées nouvelles.
S’il est prouvé que monsieur Wadagni s’est prononcé avec l’assentiment de son président, on peut déduire par lien de causalité, l’illustration d’une démarche politique officiellement assumée en cohérence avec les propos du président Talon en novembre 2019, annonçant comme par effraction, à la place du président Alassane Ouattara, président en exercice du Conseil des chefs d’Etat de l’UEMOA, la décision des chefs d’Etat de cette organisation, de retirer une part des réserves de change de l’union dans les livres du trésor français.
Dans le fond, la tribune de M. Wadagni attaque une partie de l’initiative des dirigeants du FMI et de la Banque Mondiale qui ont demandé au G7, au G20, au Comité Monétaire et financier international des Gouverneurs du FMI et au Comité conjoint des Gouverneurs de la BM et du FMI pour le transfert net de ressources aux pays en développement, le moratoire sur la dette pour les pays IDA, pendant une période limitée en 2020 (1er mai à fin 2020 avec possibilité d’une éventuelle prolongation). Paradoxalement, une bonne partie de son argumentaire appelle ces mêmes instances à la rescousse pour trouver des mécanismes alternatifs d’aide à l’Afrique.
Le ministre invoque, pour justifier son désaccord avec l’annulation de la dette, l’effet de mémoire pour l’accès futur des pays africains à d’autres financements des créanciers affectés par cette annulation, citant l’effet qu’aurait produit l’annulation des dettes dans le cadre de l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) et de l’IADM (Initiative pour l’Annulation de la Dette Multilatérale) au début des années 2000. Il ignore, peut-être à dessein, i) que beaucoup de pays bénéficiaires des PPTE et de l’IADM ont bien eu accès ultérieurement aux marchés des capitaux (au moins deux pays membres de l’UEMOA, dont le Bénin est membre ont levé des ressources sur les marchés de capitaux), ii) un principe économique de base qui a conduit le législateur américain, et peut être d’autres législateurs, à définir deux types de défaut ou faillites (bankruptcy) : la faillite / liquidation et la faillite qui protège une parties des actifs permettant à l’entité défaillante de se restructurer.
Ce débat n’est pas neuf. Il a mobilisé beaucoup d’expertises et de réflexions à des moments phares du processus de développement socio-économique du continent africain. La problématique de la dette ressemble à un serpent de mer, objet de posologies différentes. Trop d’envolées rhétoriques empêchent parfois d’en prendre la bonne mesure. Il faut le regretter.
Autre voix africaine, Mme Louise Mushikiwabo, Secrétaire Générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) s’est prononcée dans le sens que proposent le G20 et le Club de Paris mais avec deux nuances à savoir, d’une part l’extension du gel sur le paiement de la dette à tous les pays africains, d’autre part l’extension de la période jusqu’à la fin de l’année 2021.
Mme Mushikiwabo comme M. Wadagni reconnaissent la situation extraordinaire que vit l’Afrique avec cette crise, qui a créé des besoins nouveaux et provoqué une baisse de ressources. Tout le débat doit tourner autour de la question de trouver des ressources pour prendre en charge ces besoins nouveaux, préparer l’avenir tout en continuant d’assumer les besoins existentiels du moment.
Comme réponse à la crise, le FMI a triplé l'accès aux ressources de la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (PRGT), mobilisé des ressources supplémentaires pour financer cette augmentation et créer le Fonds d'assistance et de riposte aux catastrophes (CCRT) pour apporter environ US$ 18 milliards aux pays africains en 2020. Le Royaume Uni, le Japon, l'Allemagne, les Pays-Bas Singapour et la Chine ont contribué au CCRT et le Japon, la France, le Royaume Uni, le Canada, l'Australie ont promis US$11,7 milliards sur les US$17 milliards recherchés par la FMI pour la PRGT.
Autre instrument, la ligne de précaution et de liquidité à court terme du FMI existe pour les pays émergents ayant de bons fondamentaux. Le Maroc s'en est prévalu et a tiré US$ 3 milliards le 7 avril dernier.
Dans la panoplie des instruments actuellement disponibles auprès du FMI, figurent également d’autres mécanismes de financement d’urgence pour aider les pays membres à faire face à la crise découlant de la Pandémie de COVID-19.
C’est à ce titre que le Sénégal, sous la houlette du ministre des Finances Diallo, vient de bénéficier d’un décaissement de 442 millions de dollars au titre de la Facilité de Crédit Rapide (147,4 millions de dollars) et de l’Instrument de Financement Rapide (294,7 millions de dollars), approuvé par le Conseil d’Administration du Fond le 13 avril 2020 pour appuyer le gouvernement dans ses efforts pour contenir la propagation de la pandémie et en atténuer les impacts économiques et sociaux, en répondant à ses besoins urgents de financement de la balance de paiement.
Comme de façon prémonitoire, dans une interview que j’avais accordée au journal l’Observateur du Groupe Futur Média, le mercredi 26 décembre 2012, j’évoquais l’instrument de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) comme un parachute anticrise déployé par le FMI, un instrument financier apportant des liquidités mobilisables immédiatement en cas de besoin de financement de la balance des paiements, destiné aux pays dont les paramètres économiques fondamentaux sont sains et la politique économique bien conçue, mais qui font face à une vulnérabilité liée à la dégradation de la conjoncture internationale et aux chocs exogènes.
La ligne de précaution préconisée par Wadagni veut s'inspirer du mécanisme européen de stabilité (qui n'a pas empêché la pénible agonie de la Grèce), et demande de concentrer les efforts des PTF pour un investissement massif pour réduire le gap en infrastructures de base ! Ce mécanisme rachèterait les dettes des pays surendettés ! Cette construction intellectuelle est bien sympathique mais ne répond pas aux besoins d’urgence de Covid-19 !
Comme les « pundits » de 2009 qui annonçaient l'hyperinflation qui devait naître des injections massives de liquidités par la banque centrale (notamment la FED) et qui aujourd'hui n'ont toujours pas reconnu leurs erreurs, les prix étant restés stables dix ans plus tard, le ministre Wadagni récite le catéchisme des conséquences de la faillite qui ferment l'accès aux marchés et propose des réponses qui reposent sur l'appel à la générosité des partenaires.
Le mérite du président Sall, c’est d’avoir impulsé la réflexion sur la dette africaine, en en proposant carrément l’annulation, et d’orienter une position, qui aujourd’hui, a trouvé un écho favorable auprès des 13 pays membres de la CEDEAO, lors du sommet extraordinaire tenu le 23 avril 2020, en visioconférence, qui s’est clairement prononcé pour l’annulation totale de la dette africaine en vue faire face à la pandémie de coronavirus et à ses conséquences sur le plan économique et social.
Que le G20 et le Club de Paris qui regroupe les créanciers publics aient réagi le 15 avril 2020 par une décision alternative de suspension du remboursement du service de la dette des pays les plus pauvres, n’est que légitime contreproposition venant des groupes de créanciers.
Ces différentes mesures préconisées par les Institutions de Bretton Woods et d’autres « amis » de l’Afrique sont-elles la solution, la voie d’une bonne réponse durable ? Il est permis d’en douter. C’est la question que les africains, individus comme gouvernants, doivent continuer à se poser. S’opposer les uns les autres est le meilleur service que les africains peuvent rendre aux partisans de l’Afrique éternellement infantile et dépendante.
En ces temps obscurs dominés par une pandémie sans précédent par sa sévérité et par l’ampleur du basculement qu’elle induit, en semblant mettre en cause les fondements de notre civilisation, c’est une opportunité qui s’offre à l’Afrique de consacrer son énergie de définir des perspectives novatrices pour enfin, être « maitresse » de son destin pour emprunter ce propos à la pensée cartésienne.
NOUS ¨PEINONS A STABILISER DANS LA DURÉE CERTAINS SECTEURS
Cheikh Diop rappelle à ses camarades syndicaux leur responsabilité de mettre un terme à la «situation lamentable» que vit le mouvement syndical sénégalais,
Le Covid-19 impose sa loi et dicte la conduite à tenir même au mouvement syndical à l’occasion de la Fête internationale du travail célébrée ce vendredi et qui sera marquée par l’absence de défilés des Centrales, meetings et de la cérémonie officielle de remise des Cahiers de doléances au chef de l’Etat. Dans cet entretien, Cheikh Diop, Secrétaire général de la Cnts-Fc, fait état de l’impact négatif de la pandémie sur quasiment tous les secteurs de l’Economie nationale. M. Diop rappelle à ses camarades syndicaux leur responsabilité de mettre un terme à la «situation lamentable» que vit le mouvement syndical sénégalais, dénonce la crise au quotidien national Le Soleil et constate les difficultés du monde du travail à stabiliser durablement certains secteurs stratégiques de l’Economie nationale et de l’Administration.
La Fête du travail sera célébrée cette année dans un contexte particulier : la pandémie du Covid-19 qui sévit dans notre pays. Comment analysez-vous les effets du Covid-19 sur le monde du travail ?
Il est encore tôt pour faire une évaluation fiable de l’impact de la pandémie sur le monde du travail. D’emblée, les effets de la pandémie du Covid-19 s’avèrent très paralysants pour l’économie planétaire et l’activité travail en particulier. La Fête internationale du travail, le 1er mai de cette année, coïncide avec la survenance dans un contexte de crise sanitaire mondiale sans précédent des effets marquants de la pandémie du Covid-19.
Déjà l’impact très négatif de la pandémie se fait sentir dans toutes les économies des pays de la planète. Ici au Sénégal, les secteurs les plus impactés, commencent à battre de l’aile, y compris le secteur informel qui est un pilier essentiel pour notre économie. En moins de trois mois de crise, tous les secteurs sont déjà impactés, y compris même le secteur du pétrole censé être économiquement stable. Là, les Pme-Pmi constituées à cent pour cent du capital privé national sont pratiquement à terre.
Exceptionnellement, à cause du coronavirus, il n’y aura pas de défilés, de meetings encore moins de cérémonie officielle de remise des Cahiers de doléances cette année. Qu’est-ce que cela vous inspire comme réflexion ?
La Coalition des centrales syndicales du Sénégal, composée de la Cnts, de la Cnts/Fc, de l’Unsas, de la Csa et de l’Udts, a décidé de ne pas célébrer la fête du 1er mai de cette année comme nous avions l’habitude de le faire à cause de la pandémie du Covid19. Après avoir participé au Force Covid-19 pour un montant de dix millions, les centrales membres de la coalition appellent les travailleurs à poursuivre plus que jamais la lutte contre la pandémie.
En plus de cette contribution collective, la Cnts/Fc avait auparavant remis au ministère de la Santé, un lot de matériels de protection des personnels soignants pour une valeur de deux millions et un autre lot d’une valeur de sept cent mille destiné au personnel de santé et aux populations de Saldé dans l’île à Morphil. Depuis des centaines d’années, la Fête du 1er mai a toujours été un moment fort dans la lutte syndicale. A cause de la pandémie du coronavirus, nous renonçons au dépôt traditionnel des Cahiers de doléances, mais nous avons décidé d’élaborer, dans le cadre de la coalition, notre Cahier de doléances partagées par les centrales membres de la coalition.
Ce cahier sera transmis à l’autorité par voie administrative, parce qu’il n’y aura pas de cérémonie de remise de Cahiers de doléances, comme d’habitude. Pour marquer cet important événement de l’histoire du mouvement syndical international, nous avons également décidé, dans le cadre de la coalition, de publier le manifeste du 1er mai 2020. Nous sommes en train d’envisager toutes formes de célébration «on line» de cet événement historique.
A la Cnts/Fc, nous allons voir comment livrer un message aux travailleurs et sous quelle forme. Nous avons déjà pris l’initiative de proposer au chef de l’Etat, à la place de la cérémonie de remise des Cahiers de doléances,
qu’une séance de vidéo-conférence soit organisée avec les leaders des syndicats, dont le Synpics, qui ont droit à la parole lors des cérémonies traditionnelles de remise des Cahiers de doléances. Cette séance de vidéo-conférence aurait permis au monde du travail sénégalais de sentir le 1er mai et au chef de l’Etat de booster l’ardeur des travailleurs dans le combat contre la pandémie.
Que l’on nous comprenne bien, il ne s’agit pas pour nous de faire de cette proposition un moment de poser des revendications, au contraire nous avons été le premier à demander à toutes les organisations syndicales en lutte, de renoncer volontairement aux plans d’actions et à toutes les formes de lutte syndicale dans la période, pour faire face avec les autorités et les populations au coronavirus.
Quelle évaluation faitesvous de la satisfaction ou non des doléances remises au chef de l’Etat, lors de la Fête du travail de l’année dernière ?
Les Cahiers de doléances de 2019 ont fait l’objet de plusieurs rencontres avec le ministère du Travail et avec tous les ministères concernés par ces mêmes doléances, selon chaque secteur, sa tutelle, avec l’assistance de la tutelle technique (département du Travail), à chaque rencontre sectorielle. Ces travaux font l’objet d’un rapport qui résume les avancées notées dans certains secteurs, ainsi que les améliorations de notre cadre de dialogue social, de quelques accordscadres, sectoriels ou transversaux, qui sont déjà conclus, et la révision de la Convention collective nationale interprofessionnelle.
Le Pacte national de stabilité sociale et d’émergence économique a aussi été évalué. Il faut noter, cependant, la récurrence de quelques revendications qui peinent à trouver des réponses satisfaisantes. Il s’agit, entre autres, de ce que j’appelle le passif social que traversent beaucoup de secteurs : les extravailleurs de la Sias dans le secteur du nettoiement, le plan social de l’ex-Sncf dans le transport, certains accords et engagements dans les secteurs sociaux de l’éducation, de la santé et de la justice. Dans ce lot, le système de rémunération des agents de la Fonction publique, qui tarde à être discuté et la situation des Techniciens supérieurs de santé, qui n’est toujours pas régularisée, demeurent parmi les plus pressants. Dans ce lot, il y a les décisions de justice favorables aux travailleurs concernés qui peinent à être exécutées, le cas, entre autres, des ex-travailleurs de Wari.
Dans un contexte de développement du Covid-19 dans le pays, quelles pourraient être les principales préoccupations d’un leader syndical comme vous ?
Nous considérons l’action syndicale comme partie intégrante des préoccupations des populations et que notre action s’inscrit dans celle du Peuple, dès lors la seule revendication qui vaille, c’est de gagner solidairement avec le Peuple la guerre contre la pandémie du coronavirus. En temps de guerre, la seule et unique revendication c’est la paix. La paix ici, c’est de bouter hors de nos frontières et même hors des frontières terrestres le Covid-19. Quand on revisite l’histoire, on se rend compte que le mouvement syndical a toujours été en première ligne dans les combats et préoccupations majeurs des peuples.
Pour ne citer qu’un seul exemple : pendant la colonisation des peuples africains, les leaders du mouvement syndical se sont engagés au point de prendre la direction de luttes politiques pour l’Indépendance. Dans beaucoup de pays en Afrique, les chefs d’Etat qui ont fait accéder leur pays à l’indépendance étaient des syndicalistes. Je peux citer, entre autres, Ahmed Sékou Touré de la Guinée Conakry, Maurice Yaméogo de la Haute Volta, Félix Houphouët-Boigny de la Côte d’Ivoire, on a tendance à oublier qu’il fut le Secrétaire général du Syndicat des planteurs (cannes, café, cacao)…
Mon ambition en tant que leader syndical, c’est de porter haut le flambeau allumé par nos prédécesseurs leaders du mouvement syndical africain. Au-delà des frontières et des continents, la pandémie du coronavirus rappelle avec force à l’humanité tout entière, la nécessité d’instaurer un nouveau contrat social que nous, militants de l’équité, de la justice et du progrès social, avons toujours réclamé.
L’humanité doit se doter d’une nouvelle conscience sociale pour garantir sa stabilité. Cette crise sanitaire mondiale pose la problématique d’un Nouvel ordre social mondial, qui passe par ce nouveau contrat social visant à renforcer la gouvernance environnementale, le développement communautaire et la justice sociale.
C’est à se demander en fin de compte si le Covid-19 n’offre, aux forces du progrès (politiques, sociales) de par le monde, l’occasion d’asseoir une large coalition devant déboucher sur une nouvelle ère de justice sociale. En tout état de cause, l’opportunité doit être saisie pour aller vers un monde plus humain.
Vous avez été parmi l’un des premiers dirigeants syndicaux à approuver la première ordonnance prise par le président de la République, dans le cadre de la Loi d’habilitation, qui interdit tout licenciement, durant le temps de la crise sanitaire du Covid-19, sauf en cas de faute lourde. Estce que depuis la publication de cette ordonnance, vous avez constaté qu’il y a eu des employeurs qui ont outrepassé cette décision ?
Nous avons eu écho de certains cas pour lesquels nous n’avons pas encore été saisis, il s’agit de travailleurs licenciés à la Satrec. Par contre au niveau du Soleil, nous attendons de voir l’évolution de la situation qui est en train d’être gérée par de bonnes volontés, pour amener le Directeur général à de meilleurs sentiments.
Si cette médiation entamée par le Secrétaire général du Synpics s’avère concluante tant mieux, le cas échéant, nous (Cnts/Fc) allons nous impliquer pour porter la lutte avec nos camarades de l’Intersyndicale du Soleil et avec le Synpics. Ce qui se passe dans cet établissement public, censé respecter en premier les instructions du chef de l’Etat, est inacceptable.
Des licenciements arbitraires dans la période, des stigmatisations de travailleurs supposés (à tort) malades du Covid-19 et des demandes d’explications tous azimuts pour des retards de quelques minutes au moment où les travailleurs éprouvent d’énormes difficultés de transport pour se rendre au travail.
Comment appréciez-vous les autres mesures présidentielles à caractère social pour faire face au coronavirus ?
La situation pour le monde du travail aurait été catastrophique, si le chef de l’Etat n’avait pas mis en place un plan d’urgence de résilience économique et sociale que nous saluons. Les travailleurs apprécient hautement la première ordonnance de sauvegarde des emplois qu’il a prise dans le cadre de la Loi d’habilitation qu’il a fait voter par l’Assemblée nationale. Au-delà des mesures de sauvegarde de l’emploi, le plan d’urgence de résilience économique et sociale matérialisé par la création du fonds de riposte et de solidarité contre les effets du coronavirus pour un montant prévisionnel de mille milliards.
Ce fonds destiné à l’achat de vivres pour l’aide alimentaire d’urgence et pour un soutien aux entreprises privées nationales, sont des mesures salutaires de haute portée. A présent, la situation des entreprises recommande la mise en œuvre rapide des mesures d’accompagnement, qui doivent être renforcées par le règlement intégral et sans délai de la dette intérieure due au secteur privé tout entier, sans quoi, tous les efforts déployés pour soutenir l’économie à travers l’entreprise risquent d’être anéantis, et ce serait malheureux.
On sent de plus en plus la Cnts-Fc proche des travailleurs en appuyant par-ci leurs revendications et parlà leur lutte. Vous êtes souvent vu en première ligne sur le front syndical. Qu’est-ce qui explique cette posture en dehors de votre devoir naturel de défendre les intérêts matériels et moraux des travailleurs ?
Pour mieux comprendre cette posture de la Cnts/Fc, il faut remonter à ses origines, aux convictions qui fondent sa création. Depuis Mai 68, la plupart des peuples africains aspirent à la liberté et à la démocratie comme mode de gouvernance des peuples. Le Sénégal qui n’était pas en reste, avait vu naître des courants politiques et syndicaux.
Tout jeune, je m’engage avec un groupe d’amis dans le militantisme politique d’abord dans les cercles d’études maoïstes, puis nous avions choisi de militer comme membre fondateur du Rnd du Pr Cheikh Anta Diop. Cheikh Anta, lui-même, avait insisté pour que je sois membre de la commission sociale que dirigeait Me Babacar Niang et qui avait les charges, entre autres, de guider le parti dans ses recommandations syndicales aux militants qui avaient choisi de s’engager dans la lutte syndicale.
C’est une longue histoire qui a fini par faire basculer le militant politique que j’étais, pour avoir participé à la création de trois partis politiques comme membre fondateur (le Rnd, le Plp, la Cds), dans la lutte syndicale. Des années après, j’ai compris que Cheikh Anta, ce visionnaire, avait vu en moi un syndicaliste en herbe. J’ai surtout compris, vu la configuration de la classe syndicale, la tournure que prennent les luttes syndicales, de positionnement surtout, que pour être un bon dirigeant syndical, il faut être un bon militant formé idéologiquement.
Votre question m’amène à constater avec vous que la formation politique que m’ont inculqué Cheikh Anta et Mbaye Niang m’a beaucoup servi dans ma mission de syndicaliste. Car, je considère que l’adversité et la rivalité n’ont pas de place dans l’accomplissement de ma mission qui dépasse le champ des seuls militants du cadre syndical auquel j’appartiens.
Je considère aussi que la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs, c’est la définition la plus étriquée de la mission syndicale. Pour le courant syndical que nous représentons ; notre action s’inscrit dans celle du Peuple et nos préoccupations intègrent celles des populations. La Cnts/Fc se veut un cadre de lutte exclusivement réservé aux travailleurs sans distinction d’appartenance et nous avons l’ambition d’apporter au mouvement syndical sénégalais, un nouveau souffle syndical pour de nouvelles conquêtes sociales.
Avec le temps, il semble que la Cnts-Fc s’est agrandie, étalant ses excroissances dans des secteurs que votre centrale syndicale n’aurait jamais eu à prospecter dans le passé. Comment êtes-vous arrivé à vous redéployer stratégiquement dans le landerneau syndical ?
De sa création en 2002 à nos jours, pour asseoir cette vision syndicale que j’ai décrite plus haut, la Cnts/Fc a connu des crises de croissance successives, créées par les camarades qui avaient du mal à s’adapter ou à s’approprier la ligne de notre courant syndical. Deux centrales syndicales sont issues des flancs de la Cnts/Fc et des groupes nous ont quittés pour d’autres horizons, ce qui est tout à fait normal. C’est comme disent les Marxistes : «Dans le train de la Révolution à chaque gare descendent ceux qui se sentent à l’étroit dans ses larges wagons.»
Au terme de ces crises de croissance qui ont occasionné le départ des inaptes à notre ligne, il ne nous restait plus qu’à organiser la massification de notre confédération. Le Conseil central du 1re octobre 2016 fut organisé sous le thème : «Remobilisation des forces syndicales pour l’aboutissement des revendications.» A l’issue de nos travaux, les maux qui gangrènent l’efficacité de l’action syndicale au Sénégal ont été diagnostiqués et des orientations dégagées. Il s’agit essentiellement de la dispersion des forces syndicales, la désorganisation des luttes et la désunion des entités qui fondent le syndicalisme.
Toutes les conditions sont réunies pour verser littéralement dans le corporatisme. Le mouvement syndical est différent du corporatisme, il repose sur des fondements idéologiques et sur des valeurs de solidarité, d’équité et de justice. Pour rappel, le mouvement syndical repose sur deux entités : le mouvement ouvrier et l’élite intellectuelle engagée. Ce sont ces deux entités qui ont posé les fondements idéologiques du syndicalisme. A titre d’exemple, la première Internationale ouvrière a été créée le 28 septembre 1864 à Londres sous l’impulsion de Karl Marx qui a rédigé de sa propre main, le Manifeste.
En juillet 1889, la création de la 2ème Internationale ouvrière encadrée par Friedrich Engels aux côtés des Socialistes français Jean Jaurès, Léon Blum et Jules Guesde. Il en est de même pour la 3ème Internationale ouvrière avec l’encadrement de Lénine en 1917 après la Révolution bolchevique. Depuis ce Conseil central, mandat nous a été donné de nous investir pour la réorganisation des luttes et pour la réunification des entités du syndicalisme et de ses forces dispersées.
Ce mandat nous a amenés à rencontrer toutes les organisations syndicales d’élite qui étaient en marge du mouvement ouvrier, regroupé pour l’essentiel dans les centrales syndicales. Certaines comme le Siens (Syndicat des inspectrices et inspecteurs de l’éducation), le Syndicat démocratique des travailleurs de la santé et du secteur social, le Syndicat des techniciens supérieurs de santé, entres autres.
D’autres organisations de l’élite intellectuelle, qui ne peuvent s’affilier pour cause de statuts ou pour toute autre raison, gardent quand même de bonnes relations de partenariat avec la Cnts/Fc. Il fallait également joindre l’acte à la parole, et c’est ça qui explique la présence de la Cnts/Fc sur le terrain de la lutte pour soutenir tous les secteurs en lutte et être aux côtés de tout travailleur dans le besoin d’encadrement syndical.
Certains syndicats de divers secteurs d’activités ont eu à voter et faire voter pour la Cnts-Fc lors des dernières élections de représentativité. Qu’est-ce qui rend si attractive votre centrale syndicale ?
C’est justement l’exécution correcte du mandat dévolu par ce fameux conseil central du 1er octobre 2016 qui est en train de se concrétiser. A cela s’ajoute notre ferme volonté d’apporter un nouveau souffle syndical pour de nouvelles conquêtes sociales.
Nous pensons que nous avons l’obligation de renverser la tendance des luttes syndicales pour des revendications de restitution, que nous menons depuis des dizaines d’années, autour d’accords signés et d’engagements pris qui ne sont pas respectés et autour d’un lourd passif social concernant parfois des ex-travailleurs qui ne sont plus de ce monde.
Nous constatons parfois des luttes syndicales qui nous opposent entre nous, c’est incroyable. Il est de la responsabilité de toute la classe syndicale de prendre à bras-le-corps cette situation lamentable du mouvement syndical. Pour ce qui nous concerne, nous essayons chaque jour d’en assumer notre part de responsabilité.
Le régime actuel a toujours prôné le dialogue social, allant même jusqu’à mettre sur pied le Haut conseil du dialogue social (Hcds). Quel est l’impact du travail de cette structure dans la régulation du fonctionnement du monde du travail ?
Je salue l’engagement et la détermination de madame la présidente du Hcds. Elle maîtrise bien les questions de dialogue social, elle est même en phase de devenir une icône du monde du travail. Notre pays ne devait pas avoir de problème de dialogue social, la qualité des relations professionnelles que notre dialogue social devrait générer impacterait positivement sur l’économie et la rentabilité.
Nous avons organisé la première Conférence sociale sous le régime du Président Macky Sall. Au terme de ces assises, on a signé le premier Pacte national de stabilité sociale et d’émergence économique et mis en place le Hcds. Nous avons organisé, pour la deuxième fois, des élections de représentativité. Pour autant, nous peinons toujours à stabiliser dans la durée certains secteurs stratégiques de notre économie et de notre administration et, cela, malgré les efforts déployés par la présidente du Hcds et son institution.
Le vrai problème, à mon avis, c’est le passif social. Tant qu’on ne se retrouve pas pour définir le passif et mettre sur la table tous ses aspects dans tous les secteurs, avec la ferme volonté de part et d’autre d’y apporter des solutions, nous continuerons à tourner en rond. Trouver des solutions au passif social requiert à la fois la ferme volonté des décideurs d’apporter, de trouver des solutions, et la souplesse des partenaires sociaux d’accepter un échéancier au terme duquel, tout le passif sera vidé et nous tournons définitivement la page du dialogue social de restitutions pour nous consacrer à un dialogue social de conquête, porteur de progrès.
MULTIPLE PHOTOS
UN CONFINEMENT TOTAL EST À EXCLURE
Cela entraînerait une récession économique de -9,9% par rapport au PIB de 2019 - Le secteur informel subirait une perte de revenu de 594 milliards - RAPPORT D'UN GROUPE D'UNIVERSITAIRES SUR LE CONFINEMENT AU SÉNÉGAL
Ralentissemennt de l'activité économique avec pour corollaire, une chute drastique des recettes, paupérisation des couches vulnérables... La mise en place d'un confinement intégral de la population, ne serait-ce que pour une courte durée - un mois - aurait des conséquences dramatiques pour l'ensemble des acteurs de l'activité économique du pays. C'est la conclusion à laquelle est parvenu le GRI-COVID19-ARCES, un groupe de recherche interdisciplinaire de l'Ucad qui a planché sur le sujet.
Le fruit de leur travail chiffres à l'appui, dont SenePlus vous livre ci-dessous l'intégralité, est subdivisé en trois thèmes qui dissèque tour à tour, la pertinence médicale du confinement, son impact sur l'économie, les stratégies alternatives, ainsi que les couches susceptibles d'en pâtir.
Les infographies explicatives du rapport sont en illustration de cet article.
RAPPORT DU GROUPE DE RECHERCHE INTERDISCIPLINAIRE GRI-COVID19-ARCES SUR LE CONFINEMENT TOTAL AU SENEGAL
Professeurs membres du GRI-COVID19-ARCES
M. Serigne Omar SARR, pharmacien, FMPO, UCAD, Coordonnateur
M. Amath NDIAYE, économiste, FASEG, UCAD
M. Mbaye Thioub, médecin, FMPO, UCAD
M. Pape Ibnou NDIAYE, biologiste, FST, UCAD
M. Tidiane NDOYE, socio-Antropologue de la santé, FLSH, UCAD
Le confinement total est une stratégie de lutte contre une épidémie dont l’objectif est de ralentir la transmission de l’agent pathogène responsable de la maladie. Elle vise essentiellement à restreindre les contacts humains et à limiter les déplacements. Elle arrive au troisième stade de lutte après l’échec des mesures barrières, d’hygiène des mains et de distanciation sociale. Elle a été utilisée en Chine avec des résultats jugés satisfaisants.
Mais est-ce à dire que cette stratégie est pertinente pour un pays comme le Sénégal ? Le modèle de la Chine ou des pays du Nord peut-il être reproduit en Afrique en général ou au Sénégal en particulier ? La réponse à ces questions est loin d’être évidente. Pour y arriver, il est nécessaire d’analyser les différentes variables qui entrent en jeu et dont la confrontation peut aboutir à une prise de décision objective.
L’expérience de plusieurs pays asiatiques – dont la Corée du Sud, Taiwan, Singapour –, qui ont réussi à endiguer l’épidémie sans aller jusqu’à un confinement total de la population confirme la réussite de l’approche de large dépistage. Après l’Asie, le cas allemand confirme le succès du dépistage massif.
Au Sénégal, et en Afrique la cinétique de l’épidémie est beaucoup plus modérée qu’ailleurs. Le confinement général tant galvaudé au Sénégal obéirait-il à une logique purement médicale ?
Où se trouve la nécessité de ralentir une cinétique qui est déjà très lente avec un système de santé qui n’a jamais été débordé ?
De plus, ses effets collatéraux néfastes sur le système hospitalier pourraient à terme entrainer une mortalité hors COVID19 plus importante que celle liée au Coronavirus.
Enfin, le confinement total pourrait ralentir l’installation de l’immunisation collective de la population qui est absolument nécessaire en l’absence d’un traitement clairement identifié pour l’instant.
Au vu de toutes ces données, un confinement total nous parait non pertinent dans la situation actuelle.
Nous préconisons d’alléger certaines mesures de restriction collectives et de promouvoir rigoureusement les mesures barrières individuelles qui peuvent être efficaces et suffisantes si elles sont bien suivies. En particulier, il nous semble sage de généraliser le port de masques barrières de qualité avec une bonne communication ciblée sur leur fonction et leur bon usage, et aussi d’évaluer de façon dynamique leur impact ainsi que celui des autres mesures de lutte entreprises jusqu’ici. Aussi conviendrait-il de mieux protéger les groupes à risque notamment les personnes âgées et porteuses de comorbidités avec un système de confinement adapté à leur situation, le pic épidémique étant prévu entre mi-mai et début juin 2020 après modélisation.
Par ailleurs, la stratégie du dépistage massif accompagné de la généralisation du port du masque semble plus efficace. En effet, du fait d’un dépistage plus massif, l’Allemagne a 20% de plus de cas confirmés en densité que la France (267 par million d’habitants contre 216) au total. Si on élargit la comparaison aux pays asiatiques que sont la Corée du Sud, Taiwan et Singapour ayant pratiqué un large dépistage, la France présente une densité de décès 14 fois supérieure à la moyenne (16,4 vs 1,2 par million d’habitants).
Touchée de plein fouet par la pandémie de coronavirus, l’économie sénégalaise, qui espérait réaliser un taux de croissance de 6,8% à la fin de cette année, pourrait en faire seulement 3%.
Le Tourisme, les transports aériens, l’hôtellerie et la restauration sont les branches les plus affectées. Les transferts des émigrés sénégalais sont en chute et plus de risques vont peser sur les investissements étrangers. Par ailleurs, des conséquences sociales graves vont affecter le secteur informel qui représente 96,4% des emplois. Compte tenu de sa place dans l’économie et de son caractère précaire, le secteur informel risque de générer un chômage massif et plus de pauvreté, lesquels vont favoriser la propagation de pathologies diverses.
Outre les craintes inhérentes à l'effondrement de l'économie nationale, le sort des couches sociales vulnérables suscite des inquiétudes majeures, à l'idée d'un confinement total du pays.
D’après nos estimations, en cas de confinement total au Sénégal, l’année 2020 connaitrait une récession économique de -9,9% par rapport au PIB de 2019, c’est-à-dire 1485 milliards de baisse du produit intérieur brut. A titre de comparaison la Banque de France prévoit, pour l’économie française, une récession de -1,5% par quinzaine de confinement, ce qui correspond à -3% pour un mois mais avec un taux d’activité de 32% ; et pour l’année 2020 une récession de - 9% est prévue.
Le Sénégal dans un scénario de confinement total d’un mois, d’après nos estimations se retrouverait à -9,9% de récession avec un taux d’activité de 33,64%. La perte fiscale serait de 297 milliards ou 7,4% du budget 2020. Le secteur informel subirait une perte de revenu de 594 milliards. Le coût économique total d’un mois de confinement total pour le Sénégal serait supérieur à 2485 milliards CFA (16,56% du PIB) et aurait son corollaire en termes de chômeurs, d’augmentation de la pauvreté et d’instabilité sociale et politique.
En revanche, une stratégie alternative de dépistage serait plus efficiente. En effet, le coût de dépistage s’élève à un peu plus de de 310 milliards de francs CFA soit presque 5 fois inférieur au coût fiscal d’un mois de confinement. Mais cela représente un coût 8 fois inférieur au coût économique total d’un mois de confinement.
Si le dépistage massif est accompagné de la généralisation du port du masque, nous obtenons un coût économique plus faible. En effet, si les masques sont produits localement et destinés à la population de plus de 5 ans, la valeur de la production sera de 34 milliards 560 millions de CFA. Si l’on déduit ce montant du coût du dépistage, nous aurons un coût économique final de 275 milliards 460 millions de CFA pour l’économie ; ce qui représente un coût 9 fois inférieur au coût économique total d’un mois de confinement.
Les mesures de résilience économique et sociale arrêtées par le gouvernement pour un budget de 1000 milliards CFA dans l’ensemble vont dans le bon sens mais il convient de dire que le secteur informel et le secteur agro-sylvo-pastoral doivent mériter une attention particulière. D’une part parce qu’ils contribuent pour près de 50% au PIB et d’autre part parce qu’ils regroupent 95% des emplois.
Compte tenu des capacités financières limitées de l’Etat, la banque centrale doit monter au créneau pour entrainer le système financier dans une nouvelle dynamique de crédit à l’économie.
Cette crise appelle à un changement de paradigme de la politique économique. L’urgence c’est la transformation sur place des produits de base. Elle est la voie salutaire pour enclencher un développement endogène et durable qui réduirait notre vulnérabilité aux chocs externes.
La stratégie d’industrialisation doit être basée sur la capacitation des petites unités de production de biens permettant la satisfaction des besoins essentiels des populations. Elle est transposable dans tous les autres pays africains et pour cette raison, elle doit être pensée dans un cadre régional.
Ensuite, en plus de l’industrialisation, il faut aussi accroître l’investissement dans la gestion des risques et dans la protection sociale.
INTRODUCTION
Dans le but de formaliser et valoriser les nombreuses réflexions de certains résidents de la deuxième Cité des Enseignants du Supérieur de Mermoz (ARCES), et apporter une contribution scientifique à la riposte contre le COVID-19, il a été mis sur pied un groupe de recherche interdisciplinaire dénommé GRI-COVID19-ARCES. La coordination de ce groupe de travail électronique s’est faite :
-en créant un groupe whatsapp ouvert à tout volontaire à la date du 30 mars 2020 (GRI-COVID19-ARCES);
-une plateforme de travail électronique slack ouvert à tout volontaire à la date du 31 mars 2020 (gri-covid19-arces.slack.com);
-en partageant une note d’information avec tous les résidents le 31 mars 2020;
-en informant M. le Recteur de l’UCAD à la date du 02 avril 2020 ;
-en informant M. le MESRI via le DGRI à la date du 10 avril 2020;
-en créant trois sous-groupes de travail :
Médical-biomédical,
Economie,
Sociologie-communication-histoire-droit.
Le présent rapport intérimaire porte essentiellement sur le confinement. D’autres rapports suivront sur le diagnostic, les traitements et d’autres aspects de la maladie. Il comporte trois thèmes :
Confinement total au Sénégal : est-ce une stratégie médicalement pertinente ?
Analyse économique du confinement et des stratégies alternatives
Catégories de métiers menacées par le confinement ? Quelles stratégies de protection sociale ?
CONFINEMENT TOTAL AU SENEGAL : EST-CE UNE STRATEGIE MEDICALEMENT PERTINENTE ?
Le confinement total est une stratégie de lutte contre une épidémie dont l’objectif est de ralentir la transmission de l’agent pathogène responsable de la maladie. Elle vise essentiellement à restreindre les contacts humains et à limiter les déplacements. Elle arrive au troisième stade de lutte après l’échec des mesures barrières, d’hygiène des mains et de distanciation sociale. Elle a été utilisée en Chine pour la première fois avec des résultats jugés satisfaisants.
Il parait pertinent de s’interroger sur le timing idéal de ce confinement total: doit-on le mettre en œuvre tôt avant la flambée de l’épidémie ou attendre le début de la saturation du système ? Doit-il être mis en œuvre quand on a encore la carte du port généralisé de masques barrières à jouer?
Si on remet les choses dans leur contexte, le confinement total a essentiellement pour objectif spécifique d’éviter la saturation des structures hospitalières lorsque l’afflux trop massif de patients ne peut plus être absorbé par l’offre de soins disponible pendant la même période. Elle ralentit, endigue l’épidémie mais ne l’arrête pas. Cela explique sa mise en œuvre seulement après l’échec des mesures moins lourdes.
En Chine le confinement a permis d’endiguer la maladie en deux mois et de reprendre progressivement les activités stratégiques dans le pays.
Mais est-ce à dire que cette stratégie est pertinente pour un pays comme le Sénégal ? Le modèle de la Chine ou des pays du Nord peut-il être reproduit en Afrique en général ou au Sénégal en particulier ? La réponse à ces questions est loin d’être évidente. Pour y arriver il est nécessaire d’analyser les différentes variables qui entrent en jeu et dont la confrontation peut aboutir à une prise de décision objective.
La cinétique de l’épidémie au Sénégal
Le Sénégal a enregistré son premier cas de coronavirus le 02 Mars 2020 et compte à ce jour (27 avril 2020) 736 cas dont 284 guéris et 09 décès (patients âgés de plus de 60 ans avec des comorbidités) après 55 jours d’épidémie. La communication du ministère ne permet pas de connaitre la proportion de cas sévères enregistrés. Cette communication suit le même format que celui des média occidentaux annonçant sans discrimination un nombre brut de décès au quotidien. Aucune identification ou récit précis n’est fait autour des victimes comme on le voit souvent en cas d’attentat. Frédéric Keck, directeur de recherches au Laboratoire d’anthropologie sociale (CNRS) faisait remarquer récemment l’absence totale de récits autour des morts du coronavirus.
Les chiffres notés au Sénégal, par ailleurs identiques à ceux de la majorité des pays de l’Afrique subsaharienne ne sont en aucune façon comparables aux chiffres du reste du monde (Europe et Amérique du Nord). Et bien qu’il faille corréler ces chiffres à la disponibilité des tests en Afrique, la mortalité elle, reste un élément objectif et ne peut souffrir d’aucune sous-estimation. La saturation des systèmes de santé, d’ailleurs prévue par l’OMS et tous les observateurs internationaux, n’est observée nulle part en Afrique. Evidemment nous sommes d’accord que le nombre de cas est largement sous-estimé, évidemment que le dépistage est insuffisant mais aujourd’hui nous avons le recul nécessaire pour affirmer que cette pandémie a incontestablement un profil diffèrent en Afrique. Les raisons sont sans doute multiples mais il parait évident que la jeunesse de notre population est le facteur déterminant. D’autres facteurs pourraient entrer en jeu mais des études plus objectives permettront de les mettre en évidence. Parmi ceux-ci, il paraît pertinent de citer l’immunité à médiation cellulaire conférée par la vaccination au BCG notamment. Une évolution lente de la maladie favoriserait aussi l’immunité de groupe tant souhaitée qui nécessite d’atteindre un certain niveau de prévalence. En effet, le pic de l’infection serait prévu vers mi-mai et fin juin (Ndiaye B. et al., 2020).
Les caractéristiques du système de santé au Sénégal
Au Sénégal l’organisation du système de santé est de type pyramidal avec une hiérarchisation de l’offre de soins allant des cases de santé aux hôpitaux de niveau 4. Cependant cette organisation est plutôt théorique car les patients arrivent très souvent directement à l’hôpital sans passer par les structures de niveau inférieur. De plus la pérennité des soins c’est à dire la disponibilité de l’offre 24 h / 24 n’est assurée quasiment que dans les hôpitaux. La médecine de famille est quasiment inexistante. Les soins pré-hospitaliers (SAMU, SOS) ne sont pas encore bien installés et leur coût les rend difficilement accessible à une partie importante des sénégalais. Ainsi la grande majorité des patients qui viennent à l’hôpital en urgence sont amenés par des taxis.
Impact du confinement sur l’accès aux soins
Conséquence de l’organisation de notre système sanitaire, un confinement va nécessairement limiter l’accès aux soins, notamment les patients qui se présentent en situation d’urgence. De plus beaucoup d’hôpitaux notamment à Dakar traitent des patients atteints de Covid 19 alimentant ainsi la peur chez la population qui ne viendra à l’hôpital que contrainte et forcée. Par conséquent nous risquons une surmortalité et une morbidité supplémentaire pour les pathologies autres que le COVID 19. La réduction des activités programmées notamment les consultations et les chirurgies pourrait renforcer ces craintes.
Aussi, les changements d’horaires de travail de certaines officines de pharmacie tenant compte des difficultés de mobilité de certaines catégories d’employés, contribue dans une certaine mesure à retarder l’accessibilité géographique aux médicaments et autres produits de santé en cas d’urgence.
Impact du confinement sur la mobilité des soignants
La raréfaction des moyens de transports va rendre plus difficile l’accès des soignants aux structures hospitalières. En effet la grande majorité des personnels de soins emprunte les transports en commun pour aller à leurs lieux de travail. Ces problèmes de mobilité imposeront nécessairement des modifications des plannings de travail qui n’obéiront plus à des impératifs purement médicaux. Toutes ces difficultés cumulées seront responsables d’une fatigue surajoutée toujours délétère à la bonne marche des soins.
Impact du confinement sur les pathologies liées à la sédentarité
Le confinement pourrait être à l’origine d’une sédentarité plus importante au-delà d’une certaine durée. L’absence d’activité physique régulière pourrait déséquilibrer des pathologies comme le diabète ou entrainer l’augmentation des pathologies cardio-vasculaires.
Impact du confinement sur l’immunité collective au COVID
Les infections virales confèrent après une certaine durée une immunité collective. L’installation de cette immunité nécessite une circulation du virus chez une proportion assez importante de la population. Le confinement en ralentissant la transmission de la maladie va également entraver cette immunité collective et par conséquent favoriser une pérennisation de l’épidémie.
Impact du confinement sur la contamination du COVID-19
Il convient de souligner que les tests numériques réalisés ci-dessous, doivent être compris sous forme d'hypothèses. Si rien n'est fait à temps, il pourrait être possible de tomber sur les prévisions ci-dessous (pic atteint en mi-Mai 2020, Figure 1). Il urge d'organiser des actions minimales pour atténuer fortement les dommages causés par le COVID19 au Sénégal.
Conclusions et recommandations
Plusieurs analyses scientifiques ont montré que la propagation du virus obéit à un modèle presque constant dans tous les pays.
Au Sénégal, et en Afrique la cinétique de l’épidémie est beaucoup plus modérée qu’ailleurs. Le confinement général tant galvaudé au Sénégal obéirait-il à une logique purement médicale ?
Un confinement, a pour objectif de ralentir la transmission de la maladie. Mais où est la nécessité de ralentir une cinétique qui est déjà très lente avec un système de santé qui n’a jamais été débordé ?
De plus ses effets collatéraux néfastes sur le système hospitalier pourraient à terme entrainer une mortalité hors Covid plus importante que celle liée au Coronavirus.
Enfin le confinement pourrait ralentir l’installation de l’immunité collective qui est absolument nécessaire en l’absence de traitement clairement identifié.
Au vu de toutes ces données un confinement total nous parait non pertinent dans la situation actuelle.
Nous préconisons d’alléger avec intelligence et de façon concertée certaines mesures de restriction collectives et de promouvoir rigoureusement les mesures barrières individuelles qui peuvent être efficaces et suffisantes. En particulier, il nous semble sage de rendre disponible des masques barrières de qualité avec une bonne communication sur leur bon usage et d’évaluer leur impact ainsi que celui des autres mesures de lutte entreprises jusqu’ici.
Cependant, nous recommandons de protéger les groupes à risque notamment les personnes âgées et porteuses de comorbidités avec un système de confinement adapté à leur situation.
Faudrait-il utiliser le ressort de la peur ou de l’émotion pour faire adhérer aux prochaines mesures? La peur pourra faire modifier les comportements à court terme mais à long terme, cela peut être contre-productif car personne ne peut vivre constamment dans la peur. Et au bout d’un moment, le risque est que s’élaborent des contre-récits qui, pour juguler la peur, peuvent déboucher sur des comportements peu rationnels comme le souligne Jocelyn Raude (EHESP).
Enfin, il convient de rappeler que l’acceptation des mesures de santé publique et leur mise en œuvre, implique que la population soit convaincue de leur efficacité et puisse en supporter les effets indésirables inévitables.
ANALYSE ECONOMIQUE DU CONFINEMENT ET DES STRATEGIES
ALTERNATIVES
Le confinement de plus de la moitié de la population mondiale met l’économie mondiale à l’arrêt. Après la Chine, l'Europe et les Etats-Unis sont frappés de plein fouet par des chutes d'activité de 15% à 40% du PIB, les plongeant dans une crise inédite (Challenges). La plupart des économistes estiment que la crise du coronavirus COVID 19 sera plus dévastatrice que celle de 2008 surnommée la Grande Récession. Selon Bruno le Maire, le ministre de l’économie et des finances de la France, le choc est si violent qu’il faut plutôt le rapprocher de l’impact d’une guerre mondiale ou la Grande Dépression de 1929.
Dans le cadre de ce travail multidisciplinaire, nous voulons mettre en relief les coûts économiques liés aux différentes stratégies de lutte contre la pandémie du Covid 19. Il s’agit au bout de l’analyse d’indiquer la stratégie la plus efficiente pour l’économie du Sénégal.
Nous commencerons par regarder les expériences de confinement total à travers le monde, puis nous analyserons l’impact économique de la crise sanitaire sur l’économie du Sénégal avant d’évaluer ex ante le coût économique d’un confinement total au Sénégal. Enfin, nous conclurons et donnerons nos recommandations de politique économique.
Impacts économiques des Expériences Récentes de Confinement Total
Les expériences de confinement total ont transformé la crise sanitaire en crise économique aussi
bien dans les pays les plus développés que dans les pays émergents et moins avancés.
Chine
Etant le premier pays touché par la pandémie, les mesures radicales de confinement ont pesé indéniablement sur l’activité économique chinoise paralysant un peu plus la deuxième économie de la planète au risque de ralentir la croissance mondiale. Les statistiques du Bureau National de la Statistique chinois disponibles donnent une idée de l’impact de la crise sur ce pays. La valeur ajoutée dans l’industrie et les services (hors administrations) ont enregistré une baisse impressionnante de 13 % sur la période janvier-février par rapport à janvier-février 2019. Comme la croissance était auparavant de 6%, le décrochage du niveau de la valeur ajoutée est de l’ordre de 20%. Tenant compte du fait que la production des administrations publiques n’a probablement pas beaucoup baissé - dans le secteur de la santé, elle a même dû progresser fortement - on peut estimer que la contraction du PIB chinois au 1er trimestre 2020, par rapport au dernier trimestre de 2019, a été de 10% à 15%. En moyenne, une baisse trimestrielle de 13% se traduirait par une baisse de 9% en comparaison avec le 1er trimestre 2019. En supposant que le retour à une activité normale prenne six mois et soit suivi d’une croissance soutenue, le PIB chinois pourrait baisser d’environ 3% en 2020 avant de rebondir au-dessus de sa tendance en 2021 (Eric Chaney).
La fermeture de la plupart des entreprises et usines ont paralysé les chaînes de production à travers le pays. Wuhan et la province du Hubei, placés sous quarantaine, sont des centres névralgiques industriels (automobile, acier, télécoms). Les industries les plus susceptibles d’être immédiatement affectées sont la chimie, le textile, l’aéronautique, l’automobile, l’électronique et l’électrique, les hôtels et restaurants, selon Euler Hermes. La plupart des prévisionnistes s'attendent à ce que la croissance du PIB de la Chine au premier trimestre 2020 baisse de 1% à 2% par rapport au taux de croissance annuel de 6% qui prévalait avant l'apparition du virus.
D’un point de vue fiscal, Pékin pourrait augmenter ses dépenses publiques de 2,7 points de PIB que ce qui est déjà prévu en 2020, selon Euler Hermes. "Ces politiques budgétaires et monétaires peuvent atténuer l’impact économique de l’épidémie, notamment en évitant la faillite de nombreuses entreprises".
Dans l’union européenne nous pouvons analyser ces conséquences sur l’économie des trois pays les plus touchés par la crise sanitaire à savoir l’Italie l’Espagne et la France.
Italie
En Italie, le pays le plus touché en Europe par la crise du coronavirus, les mesures de confinement ont porté un coup dur sur l’économie Italienne.
Selon les chiffres de l'Institut national des statistiques Italien (Istat), même si le gouvernement italien arrive à enrayer cette crise avant le mois de mai, les pertes pourraient tout de même s'élever à 220 milliards d’euros cette année, et 55 milliards supplémentaires en 2021.
Si initialement les prévisions anticipaient une perte de PIB entre 1 % et 3 % au premier semestre par rapport à fin 2019, la situation actuelle en Italie est désormais celle d’un « LOCKDOWN » complet et la baisse est estimée à 8 %. (EDOARDO SECCHI).
L’Italie risque de vivre sa quatrième récession en douze ans. Selon les estimations du Fonds monétaire international, la dette publique devrait augmenter jusqu’à atteindre 137 % du PIB et le déficit sera de 2,6%.
Actuellement, environ 3 millions de personnes ne travaillent pas, soit 13,2% du total des salariés. Parmi eux, environ un million sont des travailleurs indépendants qui risquent de payer cette crise au prix fort, c’est-à-dire d’assister à la faillite de leurs entreprises.
Après Italie la deuxième économie de l’UE touchée par la pandémie poussant le gouvernement à prendre des mesures drastiques de confinement est l’Espagne.
Espagne
L’Espagne est désormais le deuxième pays en Europe le plus touché par la pandémie. Une situation qui a poussé le gouvernement à renforcer les mesures de confinement de la population, avec la suspension de la production de biens et services non essentiels.
Ces mesures de confinement total auront de lourdes conséquences sur l'économie espagnole. Près de 60% du système productif est concerné par ces mesures dont l'impact dépendra de la durée du confinement.
Dans un scénario optimiste avec une reprise des activités non essentielles à partir du 12 avril, la perte en termes de PIB serait de 3,6%. Or, la probabilité d'un déconfinement graduel commence à se confirmer, ce qui pourrait faire porter le coût de cette crise à près de 8,5 points de PIB pour 2020, qui se traduirait par une contraction de la consommation de près de 10% et de l'investissement de 8,3%.
Afin d’en limiter l’impact, au cours de ces dernières semaines, le gouvernement a multiplié les mesures de soutien. Un effort budgétaire de 10 points de PIB a été fait, dont près des deux tiers prennent la forme de garanties publiques de prêts aux entreprises. Elles sont accompagnées de mesures de préservation de l’emploi (élargissement du dispositif de chômage partiel et soutien aux indépendants et PME) et de mesures sociales (moratoire sur les hypothèques et les loyers) équivalentes à 3,3 points de PIB ce qui porterait le déficit public à 5,9% en 2020. Mais cette estimation ne prend pas en compte la baisse des recettes budgétaires inhérentes à la contraction de l’activité. Elle pourrait creuser davantage le déséquilibre des finances publiques jusqu’à -10% du PIB.
France
Selon Xavier Timbeau, directeur principal de l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE), la France va perdre entre 2 et 3% de son produit intérieur brut annuel par mois de confinement, soit entre 45 et 70 milliards d’euros. Donc si, dans un scénario très pessimiste, ça devait durer 6 mois c’est 10 et 15% du PIB annuel qui sera perdu.
Les enquêtes de conjoncture de mars 2020 de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) montrent une lourde chute du climat des affaires résultant de la pandémie du coronavirus. Les climats des affaires sont présentés par secteurs et au niveau global dans le Point de conjoncture du 26 mars.
Au niveau global, le climat des affaires perd 10 points. Il s’agit de la plus forte baisse mensuelle de l’indicateur depuis le début de la série (1980). L’indicateur du climat de l’emploi connaît également sa plus forte chute depuis le début de la série (1991). Il perd 9 points. D’après les projections des économistes du laboratoire de recherches rattaché à Sciences-Po Paris, plus de 5,7 millions de salariés, soit 21% de l'emploi salarié, pourraient se retrouver au chômage partiel. Le 27 Mars, la ministre du Travail Muriel Pénicaud a précisé que plus de 220000 entreprises avaient eu recours à ce dispositif pour environ 2,2 millions de salariés. Pour faire face au marasme, le gouvernement incite les entreprises à recourir à ce type de mesure pour éviter les licenciements massifs et faciliter la reprise.
Le coût estimé pour les finances publiques serait d'environ 12,7 milliards d'euros et la perte de cotisations sociales est estimée à 8,7 milliards d'euros. Au total, l'enveloppe budgétaire pourrait dépasser les 20 milliards d’euros. L’exécutif pourrait rapidement revoir ses prévisions à la hausse.
D’un autre coté les estimations de l’INSEE montrent que la perte d’activité économique est actuellement estimée à 35 % par rapport à une situation « normale » et le ministère de l’Économie annonce une récession de 9% pour 2020.
Dans les pays émergents et les pays moins avancés, le confinement total a été plus dévastateur sur le plan économique et social.
Afrique du Sud
Après avoir instauré le confinement total, le pays risque de payer un coût économique et social très élevé. Non seulement le confinement reste inefficace dans les townships où les populations vivent entassées mais ces dernières ont du mal à le respecter.
La banque centrale sud-africaine a annoncé que le pays, déjà en récession, subirait probablement une contraction de son PIB de l’ordre de 6,1% en 2020. D’après ses premières estimations, la nation pourrait perdre au moins 370 000 emplois cette année, alors que le chômage officiel frôle déjà les 30 %. Les prévisions du FMI quant à elles s’attendent à une récession économique de 5,8% en 2020.
Nigeria
Le Nigeria, riche en pétrole, a été frappé par la chute de la demande d'énergie déclenchée par le blocage mondial contre COVID-19. Ce pays de près de 200 millions d'habitants, compte un grand nombre de personnes vivant sous le seuil d'extrême pauvreté (plus de 87 millions en 2018). Le secteur informel contribue à 65 pour cent de son PIB.
Le gouvernement fédéral a imposé un confinement total dans les États de Lagos et d’Ogun ainsi qu'à Abuja (qui comptent le plus grand nombre de cas de coronavirus combinés). Le confinement a été bafoué par les populations qui ne pouvaient pas rester sans subvenir à leurs pressants besoins quotidiens et du fait que l’aide de l’Etat était largement insuffisante. La situation est d'autant plus inquiétante que la faim et la criminalité semblent se diffuser dans tous les quartiers de ces mégapoles.
Le Fonds monétaire international a annoncé que l'économie devrait reculer de 3,4% en 2020 et que la plus grande économie d'Afrique pourrait faire face à une récession qui durerait jusqu'en 2021. Et le taux de chômage du pays, déjà à 23 pour cent, devrait grimper encore plus haut. (Transcript of Sub-Saharan Africa Regional Economic Outlook Press Briefing, April 2020 April 15, 2020)
Asie du Sud
Un rapport de la Banque mondiale (Press release April 12, 2020) a également averti que les pays d'Asie du Sud, dont le Pakistan, l'Inde, le Bangladesh et l'Afghanistan, étaient sur le point de connaître leurs pires performances économiques depuis des décennies au lendemain de la pandémie.
Dans un contexte très évolutif et incertain, le rapport anticipe un repli de la croissance régionale situé dans une fourchette allant de 1,8 à 2,8 % en 2020, alors que les précédentes prévisions tablaient il y a six mois sur un taux de 6,3 %. Il s’agirait là de la pire performance enregistrée par l’Asie du Sud depuis 40 ans, tous les pays connaissant un ralentissement temporaire.
Si les confinements décrétés à l’échelon national devaient se prolonger et se durcir, les auteurs redoutent un scénario du pire, avec un taux de croissance régional négatif en 2020.
Ce sont les Maldives qui vont souffrir le plus avec l'effondrement des revenus du tourisme qui risque de provoquer une contraction du PIB de 13 %, alors que celui de l'Afghanistan risque de se contracter de 5,9 % et celui du Pakistan de 2,2 %.
L'Inde, dont l'année fiscale débute le 1er avril, devrait enregistrer un PIB de 1,5-2,8 %, contre 4,8-5,0 % pour l'année qu'elle vient d'achever.
La Banque mondiale estime en outre que la pandémie aggravera les inégalités dans la région, les populations les plus pauvres n'ayant qu'un accès limité, ou pas d'accès du tout, aux systèmes de santé et aux aides sociales.
En Inde, les mesures de confinement ont eu pour conséquence de mettre au chômage des centaines de milliers de travailleurs migrants, qui n'ont eu d'autre choix que de regagner leur région d'origine, parfois à pied.
Au Pakistan, Le Premier ministre a toutefois noté que le confinement d'un mois a perturbé l'activité économique et que des millions de journaliers ont perdu leurs emplois. Les commerçants ont rejeté l'extension du confinement et ont annoncé la reprise de leurs activités. Ceux du Punjab, la province la plus peuplée du pays, ont demandé la réouverture partielle des entreprises.
Les mesures de confinement ont été prises dans de nombreux pays pour limiter la charge sur le système de santé et en particulier en soins intensifs du fait des caractéristiques particulières du virus COVID-19. Les premières études révèlent que les mesures de confinement paralysent l’économie de ces pays du fait la plupart des activités sont mises à l’arrêt. Du coup si le confinement a eu un impact colossal sur l’économie des pays développés comme la Chine, l’Italie, l’Espagne ou la France et qu’il a été plus dévastateur dans les pays émergents à savoir Afrique du Sud, Nigéria Inde Pakistan, quel en sera le tribut économique dans les pays en développement comme le Sénégal avec des structures socioéconomiques plus vulnérables?
2. Impact économique et social de covid 19 au Sénégal
Bien que relativement épargné par l’épidémie, le continent africain n’en subit pas moins les conséquences économiques notamment du fait de la chute des cours des matières premières et du tourisme international dont des pays comme le Sénégal tirent des revenus substantiels. (Egypte, Kenya).
Touchée de plein fouet par la pandémie de coronavirus, l’économie sénégalaise, qui espérait réaliser un taux de croissance de 6,8% à la fin de cette année, pourrait en faire seulement 3%, a déclaré le président de la République.
2.1 L’économie Sénégalaise entre Ralentissement Et Récession
Elle subit de plein fouet la récession économique de ses principaux partenaires commerciaux que sont l’Europe et la Chine. Par ailleurs ses partenaires commerciaux africains étant durement impactés par la crise mondiale, le Sénégal va voir ses exportations chuter drastiquement.
Au niveau du marché intérieur les restrictions dans la circulation des biens et des personnes et le pessimisme des agents vont doublement affecter l’offre et la demande sur les différents marchés de biens et services. La désorganisation des chaines de valeur et du commerce va non seulement alourdir les coûts de transaction mais elle va aussi contribuer à désorganiser les marchés.
Le Tourisme, les transports aériens, l’hôtellerie et la restauration sont les branches les plus affectées.
Le secteur touristique représente environ 7% du Produit intérieur brut (PIB) sénégalais. La tendance expansionniste du Coronavirus à l'échelle du monde a mis en quarantaine le tourisme mondial, avec des prévisions de pertes en dépenses touristiques estimées par l'Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) à entre 30 et 50 milliards de dollars en 2020, voire beaucoup plus si la crise se prolonge. La France qui est le principal marché pourvoyeur de touristes dans notre pays avec plus de 30% de nos visiteurs, est durement frappée par la pandémie. Elle en est, du reste, réduite à de fortes mesures de confinement. Ces mesures prévalent également dans le reste de l'Europe, en Amérique, en Asie. Tout cela s’est traduit par une récession à incidences socioéconomiques graves (chômage, fermetures temporaires, faillites) dans la branche touristique, notamment dans les domaines du transport aérien (agences de voyage), de la restauration et de l'hôtellerie où le taux de remplissage des hôtels était seulement d'environ 35% avant l'avènement du Covid-19.
Les transferts des émigrés sénégalais en chute :
Les transferts envoyés au Sénégal annuellement par les Sénégalais de la diaspora par le canal des circuits formels sont estimés à plus de 1000 milliards de FCFA et environ 10% du PIB. Cette contribution de taille a pour effet majeur d'améliorer le pouvoir d'achat dans le pays, de booster la consommation des ménages et d'alléger le poids de la demande sociale vis-à-vis de l'Etat.
En effet, au-delà des lendemains incertains qui angoissent en ces temps nos compatriotes établis dans ces pays, suffisants pour les pousser davantage à l'épargne, bon nombre d'entre eux se retrouveront au chômage ou en arrêt de travail temporaire, donc en défaut de revenus. Toutes choses qui auront un effet compressif sur le volume des entrées d'argent à partir de l'extérieur.
Plus de risques sur investissements étrangers :
Les incertitudes et les inquiétudes vis-à-vis de l'avenir, nées de la pandémie, auront aussi pour corolaire le ralentissement de la circulation des capitaux et la diminution des flux mondiaux des Investissements directs étrangers (IDE).
C'est ce que confirme d'ailleurs le rapport du 08 mars 2020 de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED).
Selon le document, la croissance annuelle des IDE devrait être réduite de -5% à -15%. Le rapport prédit une proportionnalité inverse entre le degré de contamination à l'intérieur des Etats et leur attractivité vis-à-vis des IDE pour 2020-2021.
De ce point de vue, le Sénégal ne se trouve pas, pour l'instant, en si mauvaise posture, au regard du nombre de cas de contamination enregistrés à ce jour.
De plus, dans sa perspective de production de pétrole et de gaz à partir des tout prochaines années, le Sénégal s'est inscrit dans une démarche de recherches d'investissements colossaux dans son secteur extractif. Or, les chocs négatifs occasionnés par la crise sanitaire sur la demande mondiale de pétrole et de gaz sont tels que le rythme des IDE dans le secteur de ces hydrocarbures risque de connaître un ralentissement conséquent. (Ahmadou L. Toure 2020).
De la même manière, l'on peut s'inquiéter au sujet de l'accomplissement à temps des engagements financiers obtenus par le Sénégal, à l'occasion du Groupe consultatif de Paris de décembre 2018, auprès des bailleurs internationaux et d'investisseurs privés dans le cadre de la mise en œuvre de la phase 2 (2019-2023) du Plan Sénégal Émergent (PSE).
Des conséquences sociales graves notamment sur le secteur informel
L’emploi informel prédomine dans l’économie sénégalaise. En effet, 96,4% des emplois sont générés par le secteur informel contre 3,6% d’emploi du secteur formel. Ce sont les résultats issus de l’Enquête régionale intégrée sur l’emploi et le secteur informel (Eri-Esi). Selon l’Eri-Esi, le secteur informel non agricole compte 1689 613 chefs d’unités de production informelles et emploie 809606 personnes en 2017, soit 2499219 emplois générés par ledit secteur.
En effet, plus de 99% des emplois agricoles du secteur privé ou de celui des ménages sont informels. Dans les activités non agricoles, les proportions d’emplois informels sont estimées à 97,3% et 99,6% respectivement dans le secteur privé et celui des ménages. L’emploi formel est principalement noté dans le secteur public.
Avec un taux de 75,7%, l’emploi vulnérable affecte plus les femmes que les hommes (58,4%). Contrairement à l’emploi vulnérable, l’emploi précaire est plus présent chez les hommes avec un taux de 30,2% contre 24,3% pour les femmes. Les taux d’emplois vulnérable et précaire sont estimés respectivement à 82,1% et 18,0% en milieu rural, 59,5% et 33% dans les autres milieux urbains et 47,6% et 37,3% à Dakar urbain.
Compte tenu de sa place dans l’économie et de son caractère précaire, le secteur informel risque de générer un chômage massif et plus de pauvreté, lesquels vont favoriser la propagation de pathologies diverses.
3. Hypothèse de Confinement Total au Sénégal
La stratégie du confinement total est adoptée dans plusieurs pays avec des coûts élevés. Nous tenterons d’en évaluer ex-ante le coût au Sénégal et discuter les conditions de sa faisabilité.
3.1 Coûts Economiques et Sociaux du Confinement Total au Sénégal
Outre les craintes inhérentes à l'effondrement de l'économie nationale, le sort des couches sociales vulnérables suscite des inquiétudes majeures, à l'idée d'un confinement total du pays. En effet, pour ce qui est, d'un côté, des différents secteurs de l’économie sénégalaise dont une partie importante subit déjà le contrecoup de la crise sanitaire mondiale, c'est la menace d'un abîme généralisé qui s'opère avec la perspective du confinement : chute de l'activité productive, secteur informel à genoux, aggravation de la baisse du chiffre d'affaires des entreprises en proie déjà au marasme ambiant, pertes colossales de recettes pour l'Etat, chômage massif, arrêts provisoires de travail lourds d'incidences financières dans le public comme dans le privé, faillites à la pelle, raréfaction de l'investissement, recul de l'initiative entrepreneuriale, régression significative de la consommation des ménages, insoutenabilité du service de la dette publique, aggravation du déficit budgétaire, etc.
D'un autre côté, au titre des dommages sociaux, ils pourraient atteindre des proportions à la limite de la famine. Les Sénégalais sont, pour une large part, aux prises avec la pauvreté, obligés de pourvoir chaque jour aux besoins vitaux les plus élémentaires (hygiène, alimentation) au bénéfice de leurs familles souvent nombreuses.
Une vie au jour le jour, lot quotidien d'une majorité de compatriotes dans les villes comme dans les campagnes, dont on peut s'inquiéter à juste titre de leurs capacités de résilience en temps de confinement total. Aussi, il y a le secteur informel qui serait entièrement affecté alors qu'il génère plus de 95% des emplois dans le pays. De l'agriculture au commerce, en passant par l'artisanat, la main d'œuvre, entre autres, les différentes composantes de l'informel seraient mises en berne, avec des pertes insurmontables de revenus conduisant à des conséquences sociales dramatiques en termes de paupérisation, de surendettement et de crise alimentaire.
C’est donc dire que notre système d’interactions sociales, en particulier, la nature fondamentalement informelle du système de production sénégalais pose un risque de taille à la réussite des politiques de confinement et de distanciation sociale. Notre système de production repose en effet sur un complexe écosystème de petits acteurs informels, sur lesquels l’Etat n’a que très peu de visibilité, encore moins de contrôle. Les entreprises individuelles, les entreprises familiales, les autres micro- et nano-entreprises, évoluant dans l’agriculture, l’industrie et les services, constituent plus de 97% de notre outil de production. Ils contribuent au PIB pour au moins 40% et à l’emploi, pour au moins 95%. Ces activités sont souvent très faiblement mécanisées, très peu productives, et à fort contenu de main- d’œuvre. Ce qui fait dire à Pr Ahmadou A. Mbaye (2020) que la promiscuité est leur caractéristique dominante : promiscuité dans les pirogues qui s’adonnent à la pêche artisanale, dans les marchés aux légumes et au poisson, aux abattoirs et autres marchés à ciel ouvert, dans les bus, taxis, et autres systèmes de transport, dans les gargotes et autres dibiteries, dans les unités de transformation de poissons et autres produits primaires. Face à une telle configuration de l’activité productive, toute mesure de distanciation sociale passera forcément par une forte contraction, voire un arrêt total d’une bonne partie des activités productives du pays. Ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de risques.
a) Il y a, en effet, un important risque de perturbation, voire de rupture des chaines de production et de distribution des produits de consommation de masse. Ce qui, en augmenterait les prix, et favoriserait par là-même l’instabilité sociale, en particulier dans les zones urbaines, du fait de la nature sensible des produits concernés.
b) Par ailleurs, les moyens de subsistance de l’écrasante majorité des sénégalais deviennent menacés, si on considère qu’environ seulement 500.000 personnes sont employées dans les institutions publiques et privées formelles et que la quasi-totalité des autres ont des revenus informels, souvent précaires.
c) La réalisation des scénarios a) et b) couplerait pertes de moyens de subsistance et baisse substantielle, voire perte totale de revenus, pour la majorité des sénégalais.
d) La récession sera inévitable dans ce cas de figure. Etant donné que les activités informelles représentent environ 40% du PIB sénégalais, une réduction de la production informelle de moitié, toutes choses étant égales par ailleurs, induirait une baisse du PIB de l’ordre de 20%. Lorsque nous considérons le ralentissement des activités au niveau même du formel (hôtels à l’arrêt, activités aéroportuaires suspendues, restaurants fermés, autres activités au ralenti), il ne serait pas exagéré d’anticiper une très forte réduction du PIB, de l’ordre de 50% ou plus.
e). Ce qui, en retour, priverait l’Etat de ses moyens d’interventions usuels, et mettraient en péril les filets sociaux existants ou annoncés.
f) Enfin la situation de fragilité découlant de cet état de fait serait de nature, si elle n’est pas correctement maitrisée, à culminer vers une situation d’instabilité politique.
Pour toutes ces raisons, analysées et invoquées par le Pr Ahmadou. A. MBaye (2020) les conséquences sociales des nécessaires mesures de confinement qui touchent directement les moyens de subsistance des personnes les plus démunies, doivent être appréhendées et prises en compte dans la prise de décision.
3.2. Scénario de Confinement Total : Estimations des Coûts Economiques
Il s’agit d’estimer ex-ante les coûts économiques d’un confinement total à l’instar de ce qui se passe dans plusieurs pays.
Pour cet exercice de prévision nous utilisons les comptes nationaux du Sénégal de 2017 et 2018. Pour plus de détails nous avons pris les données trimestrielles et la nomenclature en 22 branches.
Hypothèse 1. En cas de confinement, vraisemblablement quelques branches continueraient à fonctionner pour assurer les besoins de base de la population. Dans le cadre du Sénégal nous considérons que les branches suivantes continueraient de fonctionner :
L’eau et l’assainissement
L’électricité
L’Agriculture
La pêche
Et l’élevage
La fabrication des produits agro-alimentaires
Les télécommunications
Le commerce des produits pharmaceutiques, des denrées et du carburant continuerait de fonctionner. Nous supposons que la branche commerce va fonctionner à 50% de ses capacités pour assurer la distribution des produits.
Le transport avec 20% de ses capacités (transport de marchandises)
Les activités financières à 20 % de leurs capacités pour assurer la circulation monétaire et les paiements.
A partir de ces hypothèses nous avons calculé le taux du coût économique qui est égal à 1 – taux d’activité de l’économie. Ce dernier n’est rien d’autre que la part des branches en activité dans le PIB.
Nous nous retrouvons avec un système économique rétréci et constitué de 10 branches sur 22 branches, le reste des branches 12/22 étant à l’arrêt.
D’après nos estimations, un mois de confinement total résulterait en une récession économique de 66,64% du PIB trimestriel c’est-à-dire 2998,8 milliards.
Avec une pression fiscale de 20% l’Etat verra une baisse de ses recettes fiscales pour un montant de 297 milliards sur 1 mois de confinement.
Hypothèse 2. Si le confinement se limite à 1 mois, pour connaitre le taux de croissance annuel nous supposons qu’il y a des effets de rattrapage ou d’ajustement de la dynamique de courte période sur celle de la longue période et que le niveau de la production potentielle ou optimale n’est atteint qu’à la fin du second trimestre. Sur la base des données du PIB trimestriel des comptes nationaux (ANSD 2019) nous avons calculé et trouvé un taux de croissance trimestriel moyen de 2,43 % sur les 2 derniers trimestres.
D’après nos estimations l’année 2020 connaitrait une récession économique de -9,9% par rapport au PIB de 2019 c’est-à-dire 1485 milliards de baisse de PIB. A titre de comparaison la Banque de France prévoit, pour l’économie française, une récession de -1,5% par quinzaine de confinement, ce qui correspond à -3% pour un mois mais avec un taux d’activité de 32% ; et pour l’année 2020 une récession de - 9% est prévue. Le Sénégal dans un scénario de confinement total d’un mois, d’après nos estimations se retrouverait à -9,9% de récession avec un taux d’activité de 33,64%.
La perte fiscale serait de 297 milliards ou 7,4% du budget 2020. Le secteur informel subirait une perte de revenu de 594 milliards.
Le coût économique total d’un mois de confinement total pour le Sénégal serait supérieur à 2485 milliards (16,56% du PIB). Ce coût aura son équivalent en termes de chômeurs, d’augmentation de la pauvreté et d’instabilité sociale et politique.
Un confinement d’un mois qui laisserait fonctionner une dizaine de branches économiques indispensables à l’approvisionnement de la population en produits essentiels se traduirait par une récession économique de dix pour cent du produit intérieur brut. Compte tenu de son coût élevé sur les plans économique, sanitaire et social, des alternatives à la stratégie de confinement total sont à rechercher. Un de ces alternatifs pourrait être l’approche par le dépistage massif.
3.3. Comparaison des coûts économiques d’un mois de confinement aux coûts de dépistage Massif
Nous pensons qu'une détection précoce des patients grâce à des tests précis, suivis d'un isolement, peut faire baisser le taux de mortalité et empêcher le virus de se propager.
L’expérience de plusieurs pays asiatiques – dont la Corée du Sud, Taiwan, Singapour –, qui ont réussi à endiguer l’épidémie sans aller jusqu’à un confinement général de la population confirme la réussite de l’approche de large dépistage. Après l’Asie, le cas allemand confirme le succès du dépistage massif. Le tableau 3 ci-dessous démontre l’impact des tests massifs sur la réduction de la mortalité dans deux situations comparables que sont la France et l’Allemagne. Au 25 mars 2020, le nombre de décès est 8 fois supérieur en densité par million d’habitants en France (16) qu’en Allemagne (2). Le seul jour du 24 mars, le nombre de décès par jour était 9 fois plus élevé en France (3,6) qu’en Allemagne (0,4), en densité par million d’habitants. L’Allemagne réalise environ 4 fois plus de tests que la France avec une capacité journalière de 5000 en France contre 20000 à 25000 en Allemagne.
Du fait d’un dépistage plus massif, l’Allemagne a 20% de plus de cas confirmés en densité que la France (267 par million d’habitants contre 216) au total. A noter que le 1er mars, la France comptait autant de cas confirmés au total que l’Allemagne (130).
Si on élargit la comparaison à 3 pays asiatiques ayant pratiqué un large dépistage (Tableau 4), la France présente une densité de décès 14 fois supérieure à la moyenne (16,4 vs 1,2 par million d’habitants).
Pourquoi tester massivement réduit la mortalité
D’abord, le dépistage massif permet à chaque individu infecté de le savoir avec certitude. Cette connaissance va l’inciter fortement à se confiner avec rigueur et à se soigner. En cas de forme grave, le diagnostic précoce, comme pour toute autre maladie, augmente la probabilité de guérison. Ainsi le dépistage massif présente le double avantage de mieux protéger la collectivité et l’individu.
Ensuite, le dépistage est important pour prendre les dispositions appropriées face à l’évolution de l’épidémie. Il permet aux autorités sanitaires de mieux comprendre la propagation de l’épidémie sur le territoire et de prendre des mesures basées sur des faits précis pour ralentir cette propagation.
A la lecture du Sitrep Numéro 13 du 20 Avril 2020, les informations suivantes se dégagent à savoir Vingt-cinq (25) districts sanitaires ont enregistré des cas, soit une proportion de 32% (25/78). La distribution géographique de cas montre que plus de 96% des cas se concentrent dans six régions : Dakar (236), Diourbel (avec Touba 34 cas), Louga (29), Thiès (26), Tamba (24) et Ziguinchor (13). A partir de ces informations, il est possible de pouvoir agir en connaissance de cause. Il est important à ce stade d’avoir une approche graduelle de la prévention et de la prise en charge en s’appuyant sur le profil épidémiologique. Ainsi on peut calculer le coût de dépistage massif dans ces six régions et le comparer avec le cout d’un mois de confinement. Connaissant le prix du kit de dépistage et le nombre d’habitants dans les zones les plus touchés on peut évaluer le coût. D’après les informations le kit de dépistage coûte aux environ de 40000 francs CFA. Les données sur le nombre d’habitants par région sont issues de la base de données de l’ANSD 2019.
On constate que le coût de dépistage s’élève à un peu plus de de 310 milliards de francs CFA soit presque 5 fois inférieur au coût fiscal d’un mois de confinement. Mais cela représente un coût 8 fois inférieur au coût économique total d’un mois de confinement. A noter que nous sommes dans une hypothèse pessimiste, le dépistage massif probablement sera plus faible et donc aura un coût beaucoup plus faible.
Si le dépistage massif est accompagné de la généralisation du port du masque nous obtenons un coût économique plus faible. En effet, si les masques sont produits localement et destinés à la population de plus de 5 ans, la valeur de la production sera de 34 milliards 560 millions de CFA. Si l’on déduit ce montant du coût du dépistage, nous aurons un coût économique final de 275 milliards 460 millions de CFA pour l’économie ; ce qui représente un coût 9 fois inférieur au coût économique total d’un mois de confinement.
En plus il faut noter que les règles de confinement strictes font subir un énorme choc négatif à l’économie. En revanche l’approche de dépistage massif est attrayante, car elle permettrait une reprise progressive des interactions sociales et de l’activité économique pour redémarrer le plus rapidement possible le système économique, une fois l’épidémie maîtrisée.
Si nous prenons l’expérience de la Corée du SUD on constate que son PIB s’est contracté de 1,8% au premier trimestre et l’économie souffre du ralentissement de la demande intérieure, avec un secteur des services qui tourne au ralenti, ce qui engendre de nombreuses pertes d’emploi. Pour autant, selon Hamid Bouchikhi, le choc devrait être de moindre ampleur que dans d’autres pays touchés par le Covid-19 comme la France (3% du PIB).
Conclusion et Recommandations
Les mesures de confinement ont été prises dans de nombreux pays pour limiter la charge sur le système de santé et en particulier en soins intensifs du fait des caractéristiques particulières du virus COVID-19. Les premières études ont révélé que les mesures de confinement paralysent l’économie de ces pays du fait que la plupart des activités sont mises à l’arrêt. Toutefois, notons que les pays qui, comme la Corée du Sud ou l’Allemagne, ont mis en œuvre des stratégies plutôt fondées sur des tests ciblés mais systématiques et massifs, sans recourir au confinement généralisé, sont moins touchés, ce qui pose évidemment la question de la pertinence des mesures de confinement, en comparaison avec les stratégies coréenne et allemande.
D’après nos résultats, pour le Sénégal, la stratégie du dépistage massif accompagnée de la généralisation du port du masque comparée au confinement total est cinq fois moins coûteux pour le budget de l’Etat et huit à neuf fois moins couteux pour l’économie nationale.
Avant d’en arriver à des recommandations de politique économique, il convient de souligner, que dans la période récente, le taux élevé de croissance de l’économie sénégalaise a été plus catalysé par la croissance de la demande intérieure que par celle des exportations. Cependant la production nationale ne couvre que 71% du marché intérieur d’où l’opportunité de profiter du repli des marchés extérieurs pour redynamiser la reconquête du marché intérieur.
Un Programme d’urgence économique et Social
Les mesures de résilience économique et sociale arrêtées par le gouvernement pour un budget de 1000 milliards CFA dans l’ensemble vont dans le bon sens mais il convient de dire que le secteur informel et le secteur agro-sylvo-pastoral doivent mériter une attention particulière. D’une part parce qu’ils contribuent pour près de 50% au PIB et d’autre part parce qu’ils regroupent 95% des emplois.
Compte tenu des risques de pénurie sur les marchés internationaux des produits agricoles, un soutien technique et financier doit être apporté au secteur agro-sylvo-pastoral pour l’aider à surmonter les perturbations des chaines de valeur et à mettre en place dans, le court terme, des plans de production capables de satisfaire la demande intérieure.
Le secteur informel doit impérativement bénéficier de soutien d’urgence en termes d’encadrement administratif, technique et financier pour contribuer davantage à la satisfaction de la demande intérieure et à la reconquête du marché intérieur. C’est aussi une occasion d’envisager sa transition vers le secteur formel à travers une modernisation de ses méthodes de production.
Le secteur agro-sylvo-pastoral et le secteur informel devraient bénéficier de crédits à travers la mise en place de fonds de financement ou de garantie. Pour ce faire, aussi bien les banques que les institutions de microfinance devraient être concernées. Renforcer les fonds alloués au FONGIP donnerait à ce dernier plus de capacités d’intervention auprès des PME/PMI et les entreprises du secteur informel.
Compte tenu des capacités financières limitées de l’Etat, la banque centrale doit monter au créneau pour entrainer le système financier dans une nouvelle dynamique de crédit à l’économie.
Des réponses structurelles pour l’économie sénégalaise
La crise économique qui va succéder à la crise sanitaire actuelle (COVID 19) suscite de grandes inquiétudes dans tous les coins de la planète. Les mesures de confinement adoptées dans la plupart des pays du monde pour ralentir la propagation du virus accélère sa survenance. Pour beaucoup d’experts, si rien n’est fait, elle pourrait avoir une ampleur comparable à celle de la crise de 1929. Pour y faire face, les gouvernements des puissances économiques n’ont pas lésiné sur les moyens. En effet, le monde va engager sa plus forte relance depuis le plan Marshall avec une relance budgétaire mondiale estimée à 5000 milliards de dollars, une baisse importante des taux d’intérêt et une « planche à billets » d’un montant de 4000 milliards du côté de la Réserve Fédérale américaine et 3000 milliards d’euros du côté de la Banque Centrale Européenne (BCE).
S’il est important d’apporter des solutions immédiates pour contenir la pandémie, il n’est pas moins important de réfléchir d’ores et déjà sur les politiques structurelles post-COVID 19 pour mieux préparer notre économie à de pareilles circonstances. Elles devront s’adosser sur une bonne compréhension de la nature de la crise à venir.
Le COVID-19 présente un assemblage de propriétés d’un choc d’offre et de demande
Le modèle d’économie « duale » d’Arthur Lewis décrit bien l’économie sénégalaise. Dans notre système de production, coexistent un secteur formel et informel. Le secteur informel y occupe une place importante.
Dans un tel contexte, les premiers effets économiques de la pandémie de COVID-19 se feront ressentir d’abord dans le secteur informel. Le confinement va se traduire par une contraction de l’offre du secteur informel à travers la rupture des chaines d’approvisionnements, la fermeture des bars restaurants et la baisse des services de transport.
L’offre du secteur informel sera aussi lourdement affectée par les tensions sur les échanges internationaux de biens alimentaires (riz, céréales etc…). Ces tensions sont nourries par les comportements de spéculations de certains pays exportateurs qui font des stocks de denrées alimentaires. Selon le Financial times, la Chine a fait des réserves de farines pour au moins une année. Dans cette même logique, des pays comme l’Argentine, l’Ukraine, la Russie qui nous fournissent respectivement 14,5%, 14,4% et 39,3% de nos importations de blé ont pris des mesures de restriction aux exportations pour sécuriser leurs approvisionnements. De ce point de vue, un mouvement de « repli sur soi » risque de se produire tout au moins en ce qui concerne les produits alimentaires.
De ce point de vue le choc qui va affecter l’économie à travers le secteur informel sera bien un choc d’offre négatif. Les finances publiques vont en pâtir. Il faut s’attendre à une perte des recettes fiscales qui risque de déboucher sur une baisse des revenus de la majeure partie de la population active (cette population active est employée dans le secteur informel et l’administration).
Les pertes de revenus seront exacerbées par une baisse importante des envois des émigrés. Ces transferts représentent 10% du PIB et il est prévu, sous l’hypothèse que le confinement ne dure pas dans le reste du monde (RDM), qu’ils vont subir une baisse de 30% selon les estimations du MEPC. Cette baisse des revenus va affecter négativement la demande. Vu sous cet angle, la crise correspond aussi à un choc de demande négatif.
Pour le moment, les mesures d’urgence prises par l’Etat (paiement des factures d’électricité et d’eau pour les ménages à faible revenu, les transferts directs etc…) cumulées à un maintien des salaires dans l’administration et dans certains secteurs (formels) permettent de maintenir la demande. Cependant si le confinement dure, la poursuite de ces mesures sera remise en cause pour la simple raison que notre Etat n’a pas les moyens de soutenir à moyen terme une telle politique dans un contexte où ses recettes fiscales baissent et ses dépenses augmentent.
La soutenabilité des mesures économiques prises par le gouvernement est subordonnée à la durée de la pandémie
La réaction budgétaire de l’Etat pour traiter immédiatement les difficultés de l’offre sont à saluer. Elle a consisté à des remises partielles de la dette fiscale, des suspensions d’impôts et des délais de paiement de la TVA recouvrée. Également l’objectif de mettre à contribution le secteur bancaire dans le cadre d’un partenariat pour éviter un effondrement du crédit est salutaire.
Cependant jusqu’à quel terme ces mesures peuvent-elles aller ? Du fait de l’incertitude liée à l’évolution et à l’ampleur de la pandémie et ses implications sur les échanges internationaux, jusqu’à quel terme les entreprises dont l’offre dépend des importations (les entreprises de distributions, de conditionnement etc…) peuvent-elles tenir sans avoir une contraction de leur production même si l’Etat continue à les soutenir ? Des inquiétudes peuvent aussi être émises sur la durabilité des mesures de soutien de la demande.
La crise à venir, si la pandémie n’est pas rapidement maitrisée sera plus profonde que celle du moment car nous n’avons pas les ressorts internes nous permettant d’absorber les chocs et de rebondir.
Le COVID-19 doit nous rappeler à un changement de paradigme du point de vue de nos politiques économiques
En toutes choses malheur est bon. En regardant le bon côté des choses, le COVID 19 doit nous rappeler qu’il est grand temps de changer de vision sur la marche économique de notre pays. Ce n’est pas la première ni la dernière fois que la planète connaitra une pandémie alors que les bases sur lesquelles repose notre économie sont fragiles face aux chocs externes.
Cette vulnérabilité continuera tant que l’on ne prenne pas des mesures structurelles face aux défis du développement. C’est pour cela qu’en plus des questions sanitaires et d’éducation, l’industrialisation doit être au cœur de notre vision de développement.
L’urgence c’est la transformation sur place des produits de base. Elle est la voie salutaire pour enclencher un développement endogène et durable qui réduirait notre vulnérabilité aux chocs externes. La stratégie d’industrialisation doit particulièrement viser les secteurs de production de biens permettant la satisfaction des besoins essentiels des populations. Le problème est bien évidemment de pouvoir définir pour chacun des secteurs des techniques de production intensive en main d’œuvre et utilisant peu d’inputs importés. De telles techniques peuvent exister dans les unités de traitement de riz, les huileries, les unités de transformation des céréales, le textile etc…
Une stratégie d’industrialisation basée sur la capacitation des petites unités de production de biens permettant la satisfaction des besoins essentiels des populations peut être une solution salutaire pour réduire la vulnérabilité de notre économie. Elle est transposable dans tous les autres pays africains et pour cette raison, elle doit être pensée dans un cadre régional.
Au-delà de la réponse immédiate à la crise, la pandémie de Covid-19 devrait être l'impulsion qui permettra de maintenir les acquis et d'accélérer la mise en œuvre de mesures attendues depuis longtemps pour placer le monde sur une voie de développement plus durable et rendre l'économie plus résistante aux chocs futurs.
Des efforts de grande ampleur doivent être déployés d’abord pour d’accélérer les investissements à long terme dans des infrastructures résistantes pour le développement durable, par des investissements publics et des incitations pour le secteur privé.
Ensuite en plus de l’industrialisation il faut aussi accroître l’investissement dans la gestion des risques et la préparation et un renforcement de la protection sociale.
Le rapport 2020 du FMI sur le financement du développement durable recommande par ailleurs d’améliorer les cadres réglementaires, par exemple pour décourager les emprunts privés excessifs lorsque la dette n'est pas destinée à des investissements productifs (par opposition à l'augmentation des rendements pour les actionnaires). Mais aussi de renforcer le filet de sécurité financière international et le cadre de viabilité de la dette.
Le degré de dépendance des producteurs nationaux à l'égard des marchés extérieurs devrait permettre aux décideurs de mieux orienter les mesures de soutien et également veiller à une coordination plus efficace des mécanismes de réduction de la vulnérabilité des entreprises et des agents économiques. L'application de ces mesures pourrait viser à protéger l'emploi et les revenus. La résilience aux chocs commerciaux extérieurs pourrait être améliorée en mettant l’accent sur le rôle moteur de la demande intérieure.
Des mesures spécifiques pourraient être prises pour les familles des territoires défavorisés et pour les entreprises rurales, renforçant ainsi la résilience de l’économie collective au niveau des collectivités territoriales.
La pandémie à Covid-19 a fait naître un nouvel ordre économique mondial. Dans cette dynamique, le Sénégal peut jouer sur ses atouts pour juguler les conséquences potentiellement néfastes pour son économie et redevenir un acteur déterminant, au retour à la normale de la situation globale, puisqu'il est doté d'immenses ressources naturelles - gisement de minerais, terres agricoles fertiles, combustibles, etc.
L’histoire nous enseigne, par ailleurs, que pour sortir la Chine de la situation économique dramatique, des années soixante-dix, dans laquelle l’avait plongée la révolution culturelle, Deng Xiaoping avait repris la politique des « quatre modernisations » (agriculture au sens large, industrie, sciences et techniques, défense nationale), introduite par Zhou Enlai dès 1964. En quatre décennies, le centre de gravité du développement économique mondial se situe aujourd'hui vers le pays du président Xi Jinping.
Références
Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie : ERI ESI Rapport final 2019.
Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie : Comptes nationaux du Sénégal 2019.
Pr Ahmadou Aly MBAYE FASEG :
Quel modèle d’allocation des dépenses pour le fonds de riposte et de solidarité contre le Covid 19. Contribution Avril 2020.
Ahmadou Lamine TOURE Economiste, Conseiller des Affaires étrangères :
Le Coronavirus en langage économique pour le Sénégal. www.pressAfrik.com. Avril 2020.
UNECA (2020) : Conférence virtuelle sur l'impact de COVID-19 sur l'Afrique Jeudi, 19 Mars 2020.
CATEGORIES DE METIERS MENACEES PAR LE CONFINEMENT? QUELLES STRATEGIES DE PROTECTION SOCIALE ?
La problématique d’un confinement total est de plus en plus évoquée surtout face aux cas qu’on appelle « communautaires » (je passe sous silence les énormes débats que la notion de communauté soulève depuis toujours chez les sociologues et anthropologues et qui devraient amener à se demander pourquoi cette désignation est utilisée surtout quand on parle de l’Afrique et des africains). Rappelons que la notion de « cas communautaire » est utilisée pour désigner les malades pour lesquels les contacts qui les ont contaminés n’ont pu être retrouvés.
Mais si le confinement total est soulevé – à juste titre - pour régler une question de risque sanitaire, de volonté de juguler une contagion, il n’en demeure pas moins que la question doit être examinée sous tous ses angles puisqu’elle comporte à la fois des implications et des conséquences importantes pour des pays africains avec un accès aux ressources très limité.
Dans cette pandémie, le semi-confinement, le couvre-feu (de 20h00 à 6H00) et les mesures qui vont avec affectent déjà grandement certains secteurs dans un pays où le secteur « informel » domine largement dans les occupations des citoyens. Selon une étude de la Banque mondiale, ce secteur génèrerait 97 % des créations d'emplois. Plusieurs catégories professionnelles y sont frappées de plein fouet dans leurs activités quotidiennes. C’est le cas de celles qui gagnaient leurs ressources grâce à un travail quotidien indépendant et qui sont durement affectées par les mesures d’interdiction et de confinement.
Parmi ces acteurs on peut citer ceux qui s’adonnaient à la cuisine dans les cérémonies à Dakar. L’instauration du couvre-feu, la remise en cause des cérémonies éprouvent durement leurs activités quotidiennes : si les cérémonies ne sont pas organisées, pas de dépense quotidienne pour ces « goorgoorlu » (débrouillards). Dans ce contexte un double risque s’instaure comme le montre un témoignage d’un impacté de ce secteur : « depuis ces mesures, mes activités ne marchent plus. J’en suis arrivé à aller dans les domiciles de mes anciens clients fidèles pour qu’ils m’aident à m’en sortir. Cette épidémie a été tellement brusque ». Tant d’autres exemples pourraient être cités pour montrer à quel point la décision d’un semi-confinement et l’instauration d’un couvre-feu ont été un choc pour ces acteurs de l'économie et de la société sénégalaises.
Dans le même temps, les mesures annoncées de restreindre l’ouverture des marchés (pour ceux qui sont restés ouverts) vont empêcher à plusieurs catégories d’exercer leur travail dans un contexte où elles n’ont aucune prise en charge (indemnités de chômage…), ni accès à une mutuelle de santé. Déjà l’interdiction des marchés hebdomadaires a envoyé plusieurs acteurs à un chômage (arrêt travail ?) qui ne dit pas son nom, ces nouvelles interdictions pourraient y ajouter toutes ces catégories qui gravitent autour des marchés.
Ces mesures – même si elles paraissent pertinentes pour juguler la pandémie - induisent deux difficultés principales :
1) la personne affectée par la précarité ne reste pas chez elle pour trouver les moyens nécessaires à sa survie et celle de sa famille (appliquant ainsi ce qui est appelée distanciation sociale mais qu’il conviendrait plus d’appeler une distanciation physique),
2) elle devient un acteur qui passe de maison en maison s’exposant ainsi à d’éventuelles contagions mais aussi exposant d’autres personnes à la contagion du fait des contacts qui pourraient ne pas respecter les gestes barrières.
Cela pose la question du confinement sur ces catégories d’acteurs où les limites en termes de moyens et d’accès aux revenus sont autant d’entraves au respect d’un confinement. A ces acteurs se pose la question d’un double risque : la prise de risque pour braver les difficultés économiques et les difficultés sanitaires liées au COVID-19. Quelle option alors ?
Un confinement plus ou moins durci en Afrique pose la question de tous ces acteurs précaires qui s’activent autour de secteurs hautement touchés par les interdictions (cérémonies) comme les tailleurs (confection d’habits de cérémonies), traiteurs, cuisiniers (repas de cérémonies), vendeurs de restaurants (gargote…), ouvriers à leur compte, tenants des micro-commerce, etc.
Les aides annoncées par l’Etat pour soulager ces catégories face aux difficultés du COVID-19 devraient donc prendre en compte :
Un profilage optimal de ces catégories pour que les appuis touchent les acteurs qui en ont le plus besoin. Le manque de confiance vis-à-vis d’acteurs politiques qui viseraient d’abord leur clientèle serait un risque pour la paix et la stabilité sociale. Ainsi les mesures de protection sociale (filets sociaux relatifs au COVID-19) devraient opérer un ciblage très rigoureux afin de ne pas laisser en rade les acteurs qui peinent à rester confinés.
Des mesures hardies d’accompagnement devraient être réfléchies pour aider certaines catégories à redémarrer leurs activités après la crise afin que l’économie et la stabilité sociale n’en subissent pas un coup.
CONCLUSION GENERALE
Ce rapport montre clairement que le confinement total ne semble pas être la meilleure stratégie du moment. Il apparait primordial d’améliorer la communication, la sensibilisation des masses populaires afin de susciter leur adhésion à la lutte, la massification du dépistage, le traçage des cas en vue d’un confinement et d’une prise en charge ciblés. Plus que jamais, le respect strict de toutes les mesures barrières édictées jusqu’ici (dont le port de masque) et l’évaluation rigoureuse de leur impact s’impose. Le Sénégal avait une avance sur la maladie mais la tendance s’inverse actuellement. Il faudrait plus de célérité et de pro-activité dans la mise en œuvre des recommandations pertinentes et la diffusion transparente des rapports d’évaluation et d’exploitation des données générées après deux mois de riposte.
Aussi, il semble judicieux de responsabiliser et d’encadrer la jeunesse sénégalaise pleine d’énergie dans la surveillance du strict respect de ces mesures dans chaque commune ou localité du Sénégal, ceci en étroite intelligence avec les forces de défense et de sécurité.
Les prochains rapports de GRI-COVID19 ARCES permettront de faire le point sur l’efficacité voire l’efficience des mesures de lutte mises en œuvre jusqu’ici.
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SKY ARCHITECTES ADAPTE SES ACTIVITÉS A L'HEURE DU COVID-19
La pandémie du #COVID19 bouleverse nos habitudes. Pour une continuité des activités, Sky Architectes s'adapte en réorganisant son calendrier.
SenePlus publie ci-dessous, les nominations prononcées au Conseil des ministres du 29 avril 2020.
"Au titre des mesures individuelles, le Président de la République a pris les décisions suivantes :
Monsieur Lat DIOP, Administrateur civil Principal, est nommé, Directeur général de la LONASE, en remplacement de Monsieur Amadou Samba KANE.
Monsieur Babacar BA, Administrateur civil est nommé, Secrétaire général de l’Agence de la Sécurité de Proximité (ASP), en remplacement de Monsieur Boubacar Traoré."
LES CLASSES D'EXAMEN ROUVRENT LE 2 JUIN
S’agissant de l’Enseignement supérieur, il est recommandé aux académies, de réfléchir sur les modalités de reprise globale des enseignements dans la période du 02 au 14 juin 2020 - COMMUNIQUÉ DU CONSEIL DES MINISTRES
SenePlus publie ci-dessous, le communiqué du Conseil des ministres du 29 avril 2020.
"Le Conseil des ministres s’est tenu le mercredi 29 avril 2020 en visioconférence, sous la présidence du Chef de l’Etat, son Excellence, Monsieur Macky SALL.
Le Chef de l’Etat a, en ce début du mois béni de Ramadan, adressé ses chaleureuses félicitations et souhaiter ses meilleurs vœux à la Oumah Islamique. Il a saisi cette période de ferveur religieuse et de solidarité pour prier, avec l’ensemble de la Nation, pour la consolidation d’un Sénégal prospère dans la paix, la santé et le bien-être des populations.
Le Président de la République a informé le Conseil avoir participé, le lundi 27 avril, en visioconférence, au Sommet extraordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), à l’effet de valider le Plan de Riposte communautaire face à la pandémie du COVID-19.
Le Chef de l’Etat, revenant sur la stratégie nationale de lutte contre le COVID-19, a souligné l’impératif d’accroître la vigilance collective et d’asseoir le sens civique des populations, afin d’assurer l’appropriation optimale et l’efficacité de la stratégie de lutte déployée depuis le 02 mars 2020. Il a, à ce titre, demandé au Gouvernement de renforcer la mobilisation efficace de l’ensemble services de l’Etat et des personnels de santé, ainsi que la mise en œuvre d’une communication de proximité efficiente et adaptée.
Le Président de la République, face à la multiplication de comportements à risque a requis, l’application de nouvelles mesures plus coercitives au niveau des transports interurbains, des lieux de commerce et espaces publics.
Il a, par ailleurs, invité le Ministre de la Famille, avec le soutien du Ministre de l’Intérieur et du Ministre de la Santé et de l’Action sociale, à dérouler, sur l’ensemble du territoire national, un dispositif spécial de protection sociale des enfants en situation difficile.
Le Chef de l’Etat, au sujet du soutien stratégique de l’Etat aux entreprises à travers les mécanismes du FORCE COVID - 19, a rappelé aux membres du Gouvernement l’urgence d’intensifier l’exécution des mesures administratives, financières, fiscales et sociales, sans précédent, initiées par l’Etat. Il a, à cet effet, demandé au Ministre de l’Economie et du Plan, en rapport avec les ministres impliqués, l’APIX et les organisations patronales, de définir une feuille de route intégrant des actions consensuelles chiffrées, afin de préserver les emplois et de relancer durablement l’activité économique nationale.
Le Président de la République, évoquant la fête internationale du travail, a saisi l’occasion du Conseil pour adresser ses chaleureuses félicitations, ses encouragements et son soutien permanent aux vaillants travailleurs, dont la contribution dynamique à la prospérité nationale et à la stabilité sociale du Sénégal reste exemplaire. Il a en outre salué la décision historique des centrales syndicales de ne pas présenter cette année de cahier de doléances et de sursoir à toutes les festivités. Il a particulièrement félicité les syndicats pour leur engagement patriotique remarquable dans la lutte contre le COVID-19.
Le Chef de l’Etat a invité, dans cet élan, le Ministre du Travail et du Dialogue social, à œuvrer avec le Patronat et les membres du Gouvernement, à la finalisation du Pacte de Stabilité sociale et d’Emergence économique (PSSEE), symbole du nouveau contrat social sur la période 2020-2025.
Le Président de la République a, enfin, insisté sur l’importance primordiale qu’il accorde à l’élargissement notable de l’accès à la formation professionnelle pour promouvoir l’emploi. Il a rappelé sa décision d’allouer, depuis 2019, l’intégralité de la Contribution Forfaitaire à la Charge de l’Employeur (CFCE) au Fonds de Financement de la Formation Professionnelle et Technique (3FPT).
Le Président de la République a, ainsi, demandé au Ministre de l’Emploi, de la Formation professionnelle et de l’Artisanat, d’accélérer la construction des 15 centres de formation professionnelle et technique prévus cette année, ainsi que l’aménagement et la construction du site de recasement des mécaniciens.
Au titre des Communications :
Le Ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la République a fait une communication sur le suivi des directives présidentielles, notamment de l’état d’avancement du TER.
Le Ministre des Finances et du Budget a fait une communication sur la mobilisation des ressources du FORCE COVID-19.
Le Ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur a fait une communication sur la situation de l’assistance à nos compatriotes dans la diaspora.
Le Ministre en charge de la Solidarité nationale a fait le point sur le démarrage de la distribution de l’aide alimentaire d’urgence.
Le Ministre de la Santé et de l’Action sociale a fait une communication sur la situation de la pandémie du COVID-19.
Le Ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural a fait une communication sur la préparation de la campagne agricole 2020-2021.
Le Ministre de de l’Eau et de l’Assainissement a fait le point sur les mesures prises pour lutter contre les inondations.
Le Ministre des Pêches et de l’Economie maritime a fait le point sur la délivrance des licences de pêche au Sénégal.
Les Ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle ont fait des communications sur la reprise des enseignements. Le Conseil a arrêté la date de reprise des cours, à compter du 02 juin 2020 pour les élèves en classe d’examen. S’agissant de l’Enseignement supérieur, le Conseil a recommandé aux académies, de réfléchir sur les modalités de reprise globale des enseignements dans la période du 02 au 14 juin 2020.
Le Ministre de la Culture et de la Communication a fait le point sur les fonds d’aide à la presse et à la culture dans le cadre du COVID-19.
Le Ministre du Travail et du Dialogue social a fait une communication sur la célébration de la fête internationale du travail de cette année.
Le Ministre en charge du Suivi du Plan Sénégal Emergent a fait le point sur les avancées et la mise en œuvre des réformes.
Au titre des textes législatifs et réglementaires, le Conseil a examiné et adopté :
- le projet de loi relative aux modalités d’exercice par l’Etat de ses pouvoirs de police en mer ;
- le projet d’ordonnance portant aménagement des sanctions relatives aux violations des dispositions prises pour lutter contre le COVOD-19 dans le secteur des transports terrestres.
Au titre des mesures individuelles, le Président de la République a pris les décisions suivantes :
Monsieur Lat DIOP, Administrateur civil Principal, est nommé, Directeur général de la LONASE, en remplacement de Monsieur Amadou Samba KANE.
Monsieur Babacar BA, Administrateur civil est nommé, Secrétaire général de l’Agence de la Sécurité de Proximité (ASP), en remplacement de Monsieur Boubacar Traoré."
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"TIRONS QUELQUE CHOSE DE POSITIF DE CE DÉSORDRE UNIVERSEL"
Le prix Nobel de littérature nigérian, Wole Soyinka, revient sur la lettre qu'il a cosignée avec 100 autres intellectuels d’Afrique et de la diaspora, pour une rupture dans la gouvernance en Afrique
C’est une parole rare que nous vous proposons d’écouter. Celle du prix Nobel de littérature nigérian Wole Soyinka. Il vient de cosigner avec 100 intellectuels d’Afrique et de la diaspora une lettre ouverte aux gouvernants africains en temps du Covid-19. Une lettre dans laquelle les dirigeants sont appelés à gouverner enfin avec compassion et à voir cette crise comme une opportunité pour un changement radical de direction... Extrait de ce grand entretien.
RFI : Pourquoi en pleine pandémie y a-t-il urgence à faire passer ce message collectif des intellectuels africains aux dirigeants du continent ?
Wole Soyinka : Vous posez une immense question. Pour moi, c’est le moment de rappeler nos dirigeants à l’ordre, pour leur dire « faisons en sorte que tout cela ne soit pas encore un gâchis, tirons quelque chose de positif de ce désordre universel ». Dans cette lettre qu’on m’a envoyée, j’ai immédiatement reconnu les mêmes inquiétudes dans le contexte de cette épidémie universelle, qui pose un défi très spécifique au continent africain, comme on le voit aujourd’hui.
C’est une « tempête tectonique », dites-vous, qui devrait pousser les dirigeants du continent a un « changement radical de direction » à « gouverner enfin avec compassion » 60 ans après les indépendances africaines comment réinventer d’autres manier de gouverner « à l’africaine » ou d’autres manière de faire propre à chaque pays du continent ?
Je ne vais pas utiliser l’expression « façon de faire africaine », car c’est une expression toujours sujette à débat. Cette expression a été corrompue par de nombreux dirigeants. Quelqu’un comme Mobutu avait sa « façon de faire africaine », vous voyez ? Idi Amin aussi avait sa « façon africaine ». Ils sont nombreux sur le continent africain… Regardez-les, tous citeront toujours une « façon africaine » de faire les choses. Mais cela va plus loin que ça. Il faut explorer les possibilités que nous offrent toutes nos façons de vivre que nous avons totalement négligées : une manière de vivre en communauté, la capacité de dire « d’accord pour aller jusqu’à un certain point mais pas plus loin », un vrai sens de la responsabilité vis-à-vis de son voisinage, en tant que membre d’une communauté. Ce sont des manières de faire spécifiques qui existent, mais qui ont été négligées et corrompues, et parfois délibérément récupérées par les dirigeants africains, simplement pour rester au pouvoir.
Pour moi, cette lettre veut signifier à ces dirigeants : Pourriez-vous, juste, un moment, oublier le pouvoir et penser au peuple ? Cesser de penser aux prochaines élections et réfléchir plutôt à ce qui est vraiment essentiel pour que l’humanité, sur notre continent africain, soit un pilier de notre conception globale du monde ? Regardez ce qui se passe en ce moment avec Museveni, qu’on a glorifié à une époque comme un leader révolutionnaire, conscient du risque d’abus de pouvoir, conscient de l’humanité de son peuple. Il est devenu encore un autre tyran, comme Mugabe ; il persécute des artistes comme Bobi Wine, il tue, simplement pour rester au pouvoir.
Est ce que vous iriez jusqu’à dire que cette épidémie fait office de révélateur de certaines erreurs de développement du passé ?
Tenez, regardez mon Nigeria, regardez ce que mon pays gagne avec le pétrole. Et regardez nos infrastructures : demandez-vous combien d’hôpitaux nous avons, combien d’infrastructures ? Combien d’installations nous pourrions faire réquisitionner par l’État et convertir en centres de quarantaine… En termes d’infrastructures, nous sommes l’un des États les plus pauvres de la planète. Pourquoi en sommes-nous là ? C’est sur cela que porte notre lettre ouverte. Nous disons : au moins à partir d’aujourd’hui, maintenant que les conséquences de cette terrible négligence sont flagrantes, qu’allez-vous enfin faire de ça ? Voulez-vous saisir cette opportunité pour réfléchir à notre pleine et entière existence en tant que peuple, et à votre existence à vous en particulier, en tant que dirigeant sur le continent africain… un continent qui porte une histoire d’esclavage, de colonisation, de néo-colonisation, d’exploitation sans fin ? Et si cet évènement était le moment de vous poser, pour enfin réfléchir, et vous demander si vous n’avez pas trahi votre propre peuple, trahi votre propre humanité ?
Mais ce que révèle cette épidémie ne concerne pas que les dirigeants africains, rappelons qu’à l’élection de Donald Trump vous aviez vous-même, Wole Soyinka déchiré votre carte verte, votre permis de résident permanent aux États-Unis… un geste fort que vous ne regrettez pas j’imagine ?
Pour moi ce n’était pas un problème, (rires) pas du tout ! Mais vous voyez, il a prouvé qu’il était encore pire que ce que je pensais, bien, bien pire ! Pouvez-vous imaginer en ce moment n’importe quel autre dirigeant annoncer qu’il va retirer ses fonds d’une organisation internationale dédiée à l’éradication d’une épidémie comme celle d’aujourd’hui, et qui vise plus généralement au bien-être des êtres humains ? Je me demande parfois : Trump est-il vraiment un être humain ? Est-ce qu’il fait partie de votre humanité et de la mienne ? Cet homme, je ne sais pas de quelle planète il vient.
► Wole Soyinka était aussi l’invité de Caroline Lachowsky dans Autour de la Questionce mercredi.
par Abdou Latif Coulibaly
RÉPONSE À EMMANUEL DESFOURNEAUX
EXCLUSIF SENEPLUS - La vocation première de la fonction de Macky Sall n’est pas de porter le renouveau de l’Afrique - Il n’a pas non plus à porter la rupture historique pour tout un continent
Abdou Latif Coulibaly répond à notre éditorialiste Emmanuel Desfourneaux qui, à travers son texte intitulé "Pour un nouvel ordre politique sénégalais", analyse les différentes postures du président Macky Sall, à l'aune de cette crise du coronavirus.
« Macky Sall peut-il incarner le renouveau africain et la rupture historique ? »
La réponse à cette interrogation que vous posez d’emblée coule de source : la vocation première de la fonction de Macky Sall n’est pas de porter le renouveau de l’Afrique. Il n’a pas non plus à porter la rupture historique pour tout un continent. L’intéressé ne revendique pas, non plus, une telle mission. Il reste convaincu que les Sénégalais l’ont d’abord élu pour assurer un leadership politique marquant, lui permettant de prendre en charge les exigences de son peuple. Il est tout aussi conscient qu’il doit, dans cet esprit, continuer de marquer d’une empreinte positive et remarquable, comme cela a été le cas depuis notre indépendance, toutes les dynamiques économiques, diplomatiques et autres qui feront que l’Afrique sera toujours bien et positivement présente dans le concert des nations du monde.
Le renouveau global de ce contient sera la synergie de tous les renouveaux émanant des différentes nations et des convergences majeures réussies dans le cadre de l’Union Africaine (UA). A défaut, ce renouveau et la rupture historique tant souhaités ne seront jamais. L’Afrique est diverse et multiple. Il n’y a pas qu’une seule Afrique ! Autre précision nécessaire, vous dites : « Chaque pays possède son mythe fondateur. En France, c’est son nouvel ordre politique issu de la révolution française. Aux États-Unis d’Amérique, c’est l’esprit pionnier avec la conquête de l’ouest. Et au Sénégal ? C’est d’après moi, la Renaissance africaine consacrant le {paradigme sacré de l’égale dignité de tous les peuples et de toutes les cultures} ». C’est votre liberté de porter votre choix sur la Renaissance Africaine - même si elle reste encore une aspiration légitime parlant à peu de Sénégalais -, pour nous laisser croire qu’elle devrait constituer notre mythe fondateur. Vous n’y avez pas échappé, cette prétention dont certains ont souvent fait montre, aujourd’hui comme hier, pour faire des choix à notre place. C’est pour cela, pour ma part, que je ne vois pas autre mythe fondateur pour le Sénégal que son indépendance, marquée par cette date symbole du 4 avril, consacrant notre accession à la souveraineté nationale et à la liberté à laquelle tout peuple devrait prétendre.
Ces deux précisions faites, je souhaiterais dire à l’endroit d’Emmanuel Desfourneaux qui a publié un article intéressant sur le Sénégal et son président dans le site SenePlus (27/04/2020), qu’expliquer une situation n’est pas nécessairement la dénoncer. Je n’ai pas dénoncé le libéralisme, j’ai plutôt relevé, pour m’en désoler, le caractère outrancier du néolibéralisme, son caractère sauvage, diront d’autres. Je l’ai fait pour expliquer ses effets pervers sur la situation sanitaire de l’ensemble des pays luttant contre cette pandémie du Covid-19. Un des chantres les plus marquants du néolibéralisme dans le monde actuel, en l’occurrence, le président Emmanuel Macron, mettait en lumière dans une des nombreuses adresses qu’il a faites à son peuple, depuis l’avènement de la pandémie du Covid-19 chez lui, en déclarant : « Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ", ajoutant que "Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond à d'autres, est une folie." C’est dans ces mots du chef de l’Etat français que se trouvent les tares du libéralisme forcené dont j’ai parlé. Ces tares ne sont pas la substance, ni l’essentiel même du libéralisme économique. Ç’en est qu’une vile et dangereuse perversion. Le président Macky Sall, dans son mémorable adresse à la Nation, le 03 avril 2020, à la veille de la célébration du 60ème anniversaire de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, soulignait avec force la nécessité, désormais, de promouvoir un développement à visage humain et à redéfinir les priorités « (…) La tourmente qui secoue le monde a fini de révéler au grand jour la fragilité de tous les pays et leurs vulnérabilités communes. Alors, il est temps de repenser l’ordre des priorités. (…) . Il est temps de travailler ensemble à l’avènement d’un nouvel ordre mondial qui met l’humain et l’humanité au cœur des relations internationales », dit-il, sachant que ces relations internationales sont placées sous le signe du capitalisme libéral outrancier. Dans un tweet du 03 avril 2020, il disait ceci : « Au demeurant, cette crise doit aussi nous faire réfléchir sur nos limité et vulnérabilité ». Le 22 du même mois, il soutenait par le même canal que : « La crise mondiale que nous traversons doit nous permettre de faire émerger de nouveaux systèmes de production et de consommation plus respectueux de notre environnement. Préservons notre planète pour les générations futures ». L’amalgame sciemment entretenu est frappant quand vous écrivez : « Même si le Covid-19 revêt un caractère de force majeure selon Abdou Latif Coulibaly, il n’en demeure pas moins vrai que la part de responsabilité des politiques est indiscutable. Ils ont largement profité du système qu’ils ont beau jeu de dénoncer aujourd’hui ! Tous les investissements de la phase 1 et 2 du PSE ont été rendus possibles par « l’idéologie libérale forcenée » (Latif Coulibaly) à laquelle de surcroît l’APR appartient ! ». Je suis loin d’être la seule personne au monde à dire que le Covid-19 et la pandémie qu’il a provoquée constituent des cas de force majeure. La diffusion et la propagation vertigineuse de la maladie qui a attaqué et fait plier les systèmes de santé les plus vigoureux du monde, ont été aggravées par la structuration de la mondialisation et l’organisation des marchés qui en découlent. Dire cela n’est pas dénoncer le libéralisme. Il s’agit là de constater simplement les effets pervers d’un néolibéralisme triomphant et ravageur.
Devons-nous encore demander la permission pour débattre de la problématique de la dette publique de l’Afrique, selon notre point de vue ? J’en ai parfois le sentiment, surtout quand je lis sous votre plume ce qui suit : « pourquoi toujours attendre une crise pour refonder les priorités des priorités, en particulier en faveur de l’économie de vie dédiée au bien-être humain (J. Attali), concept semblable à celui de l’économie réelle de Macky Sall ? » Je comprends bien ce que Jacques Attali dit et votre référence qui est en fait, traduisant la marque d’une paresse intellectuelle, car elle ne démontre nullement la pertinence de votre propos. Celle-ci met au contraire en évidence la faiblesse du raisonnement par le raccourci schématique sous l’aspect duquel il se présente. Vous savez comme moi, que toute crise dans la quasi-totalité des circonstances où elle survient, est souvent un révélateur marquant d’une défaillance ou d’un manquement. Manquements et défaillances qui ne sont, hélas, observables et palpables qu’après sa survenance. Sans l’apparition de la crise, on n’aurait certainement pas pu en prendre connaissance ou conscience. Il ne s’agit en rien d’attendre une crise pour opérer des changements. Le cas échéant, il s’agirait plutôt d’une attitude de sagesse relevant d’un simple bon sens. Le drame, ce n’est pas de vivre une crise qui, de surcroît, relève d’un cas de force majeure. Le drame serait d’opposer à la crise, de l‘irresponsabilité, en se montrant incapables de comprendre les leçons qu’elle enseigne, afin d’en tirer toutes les conséquences. Contrairement à ce que vous semblez dire, constater un cas de force majeure qui est hors du contrôle des humains n’est pas ignorer et encore moins absoudre des responsabilités en cause dans la gestion de cette crise ou dans l’organisation des services et secteurs de l’Etat qui devraient aider à la résoudre. Aussi, comme toujours, devons-nous en Afrique recevoir à la moindre occasion des leçons de tout le monde. Et celles venant en particulier de personnes parées de bonnes intentions, entre autres, activistes, africanistes « généreux », que sais-je encore, tous trop confortablement engoncés dans des certitudes totalement détachées des réalités que nous vivons sur ce continent. Non évidemment !
En lisant votre texte, j’ai noté cette interrogation : « comment en quelques jours Macky Sall est-il passé de l’allégorie de la main tendue à l’Occident au titre de l’annulation de la dette à celle du demi-dieu panafricain avec le Covid-organics ? La première réponse qui me vient à l’esprit, est d’ordre ontologique de l’être complexe du politique sénégalais : tourmenté existentiellement entre l’infiniment français et l’infiniment africain. Cette explication d’inspiration pascalienne du déséquilibre politique, trait caractéristique de la vie politique sénégalaise depuis 60 ans, est une réalité constante de la présidence salliste. Rappelez-vous la controverse sur les desserts des tirailleurs ! ».
Soyons plus justes dans la critique, si nous la voulons constructive. S’endetter, pour venir ensuite, en tenant compte de circonstances particulières et exceptionnelles, demander que le remboursement de cette dette soit reconsidéré, voire effacer n’est en aucune manière assimilable à l’allégorie à laquelle vous faites allusion. Sous ce rapport, je m’interroge pour savoir quel rapport cohérent faut-il établir entre la demande d’effacement de la dette publique africaine et l’entretien que le président Macky Sall a eu avec son homologue malgache, au sujet du traitement appelé Covid-organics qui est trouvé par les chercheurs de Madagascar ? Aucun rapport à notre avis. Le sophisme de la réponse trahit quelque part une totale vacuité du raisonnement. Ç’en est ainsi quand l’auteur s’interroge : « comment en quelques jours Macky Sall est-il passé de l’allégorie de la main tendue à l’Occident au titre de l’annulation de la dette à celle du demi-dieu panafricain avec le Covid-organics ? » Pour étayer une envie folle de dénier à Macky Sall tout droit de réclamer un effacement de dette, vous lui opposez ceci : « Sans doute Macky Sall manœuvre-t-il autant en faveur de l’annulation du service de la dette publique pour la faire supprimer à moindre coût ; elle a doublé au Sénégal depuis 2013 et son niveau élevé a poussé le FMI fin 2019 à obtenir l’augmentation de l’électricité (…). ». Votre raccourci est trop simpliste. Voilà ce qui me paraît plus juste d’écrire : En septembre 2015, le Comité national de la dette mentionnait que l’encours de la dette publique du Sénégal était à 3.076,2 milliards de francs à la fin de 2012. Cette dette est passée à 3.341,7 milliards en 2013 et à 4.112,9 en 2014. Cette tendance haussière s’est poursuivie en 2015 avec 4.597,6 milliards de francs et au premier trimestre 2016 avec un encours qui se situe à 4.745,3 milliards de francs, explique la Direction de la dette publique.
En effet, de 7.505,1 en 2019, l'encours de la dette est projeté à 8.076,6 en 2020. De même, la charge financière de la dette établie à 364,80 milliards FCFA contre 273,19 en 2019, est en hausse de 91,61 milliards FCFA. Il faut toutefois ajouter à ces remarques d’autres données qui éclairent davantage. En 2013, année de référence de votre texte, la valeur du produit intérieur brut courant était évaluée à 16,05 milliards de dollars américains, avec une croissance de l’économie atteignant à peine 3%. Quand cette dette a été doublée, ce même produit intérieur courant a atteint 24,12 milliards de dollars américains. Avec en prime un taux de croissance de l’économie oscillant (2015-2019) entre 6 et 7,6%. Les efforts réalisés dans le cadre de la gestion budgétaire, mais surtout les investissements faits grâce au produit de la dette, ont permis au cours de cette période de sortir le Sénégal du lot des vingt cinq économies les moins avancées au monde. Pourquoi omettre de souligner que l’augmentation ou plutôt le doublement de la dette du pays a servi et bien servi les intérêts économiques du de la nation ? Comme nous le constatons ensemble, les réalités économiques sont plus complexes que ne laissent apparaître la formule lapidaire et le raccourci avec lesquels vous avez abordé la question de la dette, pour tenter de disqualifier la demande du Sénégal. Dès lors, pourquoi le Sénégal serait-il moins digne et moins respectable que l’Allemagne, quand ce pays après avoir plongé le monde dans la plus grande catastrophe mondiale, la seconde guerre mondiale, a demandé et obtenu l’effacement de sa dette constituée après la défaite de 1945. Après avoir causé les pires crimes à l’humanité, ce pays a obtenu l’effacement de sa dette ? Il en était ainsi parce que, selon le professeur Éric Toussaint : « les puissances occidentales ont voulu après la seconde guerre mondiale éviter de faire peser sur l’Allemagne le poids de remboursements insoutenables car elles ont considéré qu’ils avaient favorisé l’accession du régime nazi au pouvoir ». Selon le même auteur, Éric Toussaint : « Après la seconde guerre mondiale, de multiples conditions ont été réunies pour permettre à l’Allemagne de l’Ouest de se développer rapidement en permettant la reconstruction de son appareil industriel ».
Pour en revenir aux méfaits du néolibéralisme outrancier et déshumanisant, je voudrais souligner avec l’auteur sud-coréen Chang qui, dans son ouvrage intitulé (Kicking Away the Ladder), explique que : « les politiques néolibérales, connues sous le vocable de (consensus de Washington), outre de les empêcher de se développer, comportent des périls multiformes. Elles sont en effet source d’insécurité et d’incertitudes car dans une situation de pénurie (…) ». Comment ne pas admettre que cette crainte prophétique suggérée par le livre de Chang, s’est aujourd’hui matérialisée avec les décisions unilatérales de restriction d’exportation de pays du Nord, dont dépend une partie de l’humanité pour disposer de nourriture et de médicaments. Chang indique que les pays riches sont montés sur le sommet du monde, en appliquant des politiques volontaristes interventionnistes et protectionnistes faites d’Etat acteur qui impulse aussi bien l’offre que la demande. Ainsi, les pays riches n’ont pas utilisé les préceptes libéraux au moment où ils étaient dans les stades de sous-développement. Les pauvres eux n’ont, depuis le début des années 80, eu de cesse d’ouvrir leurs marchés, de privatiser leurs économies, de promouvoir la concurrence et surtout de réduire l’instrument budgétaire. Ils sont soumis à l’application du dogme washingtonien qui les oblige à adopter les politiques de concurrence et de libéralisation faute de quoi, ils s’exposent à la sanction des guichets du FMI et de la Banque Mondiale. Cette anomalie qui structure les relations économiques internationales justifie et donne une totale légitimité à la demande d’effacement de la dette publique de l’Afrique et une réduction de sa dette commerciale. Il n’échappe à personne que le fardeau de la dette constitue une menace pour la stabilité de l’Afrique et présente de graves implications pour la paix et la sécurité dans le monde. C’est cela qu’il faut impérativement repensé. Le Prix Nobel nigérian, Wole Soyinka a raison quand il dit dans une interview accordée à RFI (mercredi 29 avril 2020 :« On ne comprendrait pas si l’Afrique n’apprend rien et ne fait rien à la suite de ce désordre universel ».
Abdou Latif Coulibaly est ministre, porte-parole de la présidence de la République du Sénégal
LA CHRONIQUE HEBDO D'ELGAS
AMINATA AIDARA, ÉPARPILLÉE FAÇON PUZZLE
EXCLUSIF SENEPLUS - Elle est arrivée sur la scène littéraire avec "Je suis quelqu’un", publié en 2018, aux éditions Gallimard. Roman patchwork qui dit autant de l’autrice que des sentiments inhérents au particulier et à l’universel - INVENTAIRE DES IDOLES
Ecrivaine, journaliste et docteure en littérature, Aminata Aidara, sénégalo-italienne, est arrivée sur la scène littéraire avec un livre remarqué, Je suis quelqu’un, publié en 2018, aux éditions Gallimard. Roman d’une famille à la poursuite d’un secret qui met en scène plusieurs continents, plusieurs émotions, plusieurs voix, plusieurs identités. Un roman patchwork qui dit autant de l’autrice, que de l’époque, des sentiments inhérents au particulier et à l’universel. Echange et portrait.
« Le roman accompagne la vie, c'est une vie potentielle qui marche à côté de la nôtre, en nous fournissant des béquilles pour mieux faire face à notre existence. Ce que j'attends d'un roman, que je le lise ou l'écrive, c'est une évasion réaliste, un possible à côté du réel. » C’est dit. Elle campe le décor elle-même. Les mots sont simples et limpides. Touchent à l’essentiel, s’enracinent dans le vécu, sans perdre d’une certaine forme de gracilité. Où est-on ? Dans un livre ou dans une interview ? Qui parle, est-on tenté de se demander ? Estelle, l’héroïne de son roman, Je suis quelqu’un, texte très remarqué à sa sortie, ou elle-même, Aminata Aidara, son autrice aux identités multiples, entre la Lombardie, le Piémont, le Sénégal, la France ? Le long de la lecture de l’ouvrage comme de son témoignage, les lignes sont brouillées ; la complémentarité est évidente. C’est à se perdre dans un labyrinthe qui a tout du puzzle. Il faut le démêler d’abord, le rassembler ensuite, pour entendre dans la même voix, tant d’histoires différentes et espérer, espérer seulement, repérer la vérité d’un parcours.
Puzzle romanesque
Un parcours qui change radicalement car la vie d’Aminata Aidara prend un virage en 2018 ; un roman, bien reçu, et le tourbillon des lumières qui s’en suit. Les invitations aux salons, les rencontres, l’ivresse des projecteurs, des signatures et des admirateurs, la résidence d’écriture à la fondation Facim, entre autres : la séquence est intense. Rétrospectivement, elle pose des mots sur cet enchainement heureux, ersatz de gloire, le fameux « soleil des immortels » : « l’année qui a suivi la publication de mon livre a été dense, émotionnellement très intense. C'est une naissance et une mort à la fois, le début et la fin de quelque chose : lucidité et naïveté se battent pour leur survie réciproque ». Loin en effet de la vie plus feutrée, plus insatisfaite d’Estelle, son avatar d’une trentaine d’année qui donne au roman sa voix et ses émotions. Comment vivre cette effervescence nouvelle ? Les mots pour répondre sont aussi pesés : « on est exposé à l'impact de ce qu'on inventait dans l'obscurité de son intimité, et qui se retrouve sous la lumière chirurgicale de l'extérieur ». Dans un texte singulier par la pluralité des voix, des « je », c’est au cœur de l’énigme familial que l’on suit une galerie de personnages à la poursuite d’un secret, noué autour d’une disparition. Pourquoi ce livre qui emprunte presque au théâtre la pluralité des scènes, des types de discours, tout en maintenant l’ensemble autour d’un noyau commun ? « C'est la solitude qui a laissé l'espace nécessaire à la naissance de ces personnages…La décision de passer à la forme romanesque a donc été dictée par la quantité de dialogues, de vécus qui se sont imposés à moi. »
Roman du voyage, de l’identité, de l’altérité, de la fragilité, Je suis quelqu’un est surtout un bric-à-brac, où l’on retrouve le cousin Mansour, bavard et maniaque avec ses mails, le journal étonnant de la mère Penda, les refrains d’Estelle sur elle-même introduit par « je suis qu’un qui »… qui cristallisent la première partie du texte, les messages vocaux de l’environnement amical, le mystère d’Éric…Toutes ces voix cohabitent, liées, au risque parfois de la disharmonie de l’ensemble, à laquelle on échappe de justesse. De toutes ces voix, domine celle d’Estelle, jeune femme tourmentée, en proie à un mal être et à un manque, qui erre de squats en incertitudes, mais pleine d’émotions à offrir au cœur de ses questionnements. Aminata Aidara a-t-elle donné elle-même l’essentiel de la matière du personnage ? Elle louvoie ! De ses personnages, elle dit ceci, en figure presque maternelle couvant ses enfants : « la réalité c'est que quelque part je les aime tous ». Et Estelle, insiste-t-on pour fissurer la bienveillance philosophique ? « Mansour serait plutôt mon véritable alter-égo, car il emprunte beaucoup de pages aux journaux intimes de mon adolescence. Estelle, pour sa part, dérive son expérience en partie de la mienne et en partie de celles de personnes que j'ai côtoyées. » On y est presque, Estelle c’est d’une certaine façon elle-même, consent-elle, expression de « la colère qu’elle avale tous les jours, l'insatisfaction qu’elle évite d'exprimer, la chair de poule qu’elle anesthésie ». De Penda, figure de la mère de la patience, de l’endurance, elle dit aussi se projeter : « Penda est également cette force que je guette, cette résilience que j'admire, cette patience que j'espère, plus tard, avoir ». L’écrivaine fait corps avec ses personnages et dans le chœur, de leurs réflexions, on entend l’art romanesque de l’écriture simple, à dessein naïve, musicale. Tous les personnages semblent être des bouts d’elle-même, et des autres, dans un roman ancré dans le vécu, pour lequel la fiction étend juste la perspective du réel.
Puzzle des critiques
Des atouts que la critique n’a pas manqué de souligner. Le veilleur et critique Lareus Gangoueus l’a écrit enthousiaste, en fendant pour une fois la tempérance très élégante de ses jugements : « un des plus beaux textes que j’ai savouré ces derniers mois […] Une œuvre magnifique ». Même tonalité chez Véronique Petetin, qui a recensé nombre de livres pour la revue Etudes, elle aussi conquise par « cette autrice à suivre » », entre autres relayeurs du livre. Le choix de la douceur pour traiter d’un enfant disparu dans la famille, avec la lenteur de l’intrigue à se déployer, peut parfois questionner sur le choix de la dire, la violence. N’empêche, sans se réclamer de Milan Kundera, théoricien du roman, Aminata Aidara, a assimilé une des conditions du roman actuel : le surplomb poétique qui refuse de juger : tout un art ou un équilibrisme ! Les initiés gloseront à loisirs pour savoir ce que doit être un « roman », sans doute vainement. L’écriture de la jeune femme n’est pas nerveuse, les mots n’explosent pas, la langue n’est pas particulièrement pointue ; tout est tenu, voire retenu, et des mots chantonnant poétiquement, sourd clairement une émotion. L’effet est naturel, car elle polisse son texte et argumente ses choix. Un texte qui esquive les épines du sujet riche de la migration, de l’identité, de la famille serait-on tenté de poser comme question ? Non, développe-t-elle : « est-ce pour autant dépolitiser leurs propos ou leurs actions ? Je n’en suis pas certaine. Le langage poétique que j'ai employé pour dire la douceur aussi bien que la violence n'est pas volontaire, si volontaire signifie choisi, mais c'est juste le mien. » On pourrait parfois s’agacer de ce que l’espièglerie que l’on perçoit, le grain de folie qui parsème le texte, n’enrichisse davantage pas la palette avec une l’ironie plus mordante, des variations, une expression plus vive, une langue aussi plus travaillée comme on le perçoit dans l’introduction, mais cela est bien marginal car la copie rendue est pleine et séduisante. Le style n’est pas une obsession chez elle, on se retrouve même sous le sceau que Dany Laferrière sur la supériorité de l’émotion sur la doctrine quand elle avance ceci : « je suis plus attentive à l'histoire qu'au style, parce que j'estime être une conteuse, une narratrice d'histoires de vie. Une belle prose, pour moi, ne vaut pas la puissance d'un sentiment, d'une volonté. » Cela ferme presque le ban d’un choix artistique clairement énoncé, auquel on ne peut rien opposer de valable sans passer pour un chipoteur. Sous la sagesse de la plume, la puissance des évocations se passe d’effets supplémentaires.
Un puzzle intellectuel
Un tel discours sur le roman, son art, sa propre quête, montre l’épaisseur de sa cuirasse. Aminata Aidara n’est pas seulement romancière, justement. Les Textes, elle les connaît pour les avoir fréquentés, comme critique, comme universitaire et comme simple lectrice. De quoi avoir une approche globale. De l’éventail de casquettes, celle de journaliste a contribué à la mettre en avant comme passeur, bien avant la consécration littéraire. A l’automne 2017, assise au premier rang de la première édition des universités de la rentrée de Présence Africaine (URPA), c’est en journaliste de la revue culturelle Africultures qu’elle suit consciencieusement les échanges. Stylo à la main, carnet sur les genoux, face à la scène, elle ne manque rien des conférences qui s’enchainent lors de cet évènement inédit de la programmation de la vieille maison d’édition afro-diasporique. A Paris, lieu désormais sanctuaire des ébullitions intellectuelles postcoloniales, avec son toit ouvert, l’ambiance est plutôt studieuse. La presse a timidement fait acte de présence : pour RFI, Tirthankar Chanda, l’historique de la maison est là ; pour Africultures, c’est, elle, Aminata Aidara qui consigne les échanges, pour la revue phare de la diaspora africaine en proie à des difficultés financières. De l’évènement, elle fera un long compte rendu, fidèle, appliqué, enthousiaste. Elle a intégré la revue en 2016, avant que la maison, en grande difficulté, ne s’enlise. Immanquable donc pour elle, au premier rang des discussions littéraires sur l’identité, de se former, d’affûter son regard. Cette carrière de journaliste la conduit aussi sur le plateau de TV5, où elle chronique quelques livres. Celle qu’Elara Bertho, chercheure en littérature, qualifie de « plus belle femme de Paris » présente bien à l’écran et capte la lumière. Quelques apparitions puis s’en va, pourtant, l’expérience télé est courte. Elle a gardé un attachement à la Revue où elle participe encore, bénévolement, aux hors-séries, dont un récemment sur le décentrement et la décolonisation. Ce thème, présent en filigrane dans son livre, elle l’explore alors par curiosité intellectuelle et déclic. Elle cite dans les moments fondateurs : la lecture de De la Postocolonie d’Achille Mbembe et Les Damnés de la terre de Frantz Fanon. Livres précurseurs de la prise de conscience sur la nécessité de la décolonisation et ses mécanismes entremêlées. « Le courant décolonial est important, à mes yeux, comme un rappel pour tous les moments de la vie où nous avons la tentation de nous accommoder du miroir social et du récit historique qui nous sont livrés », abonde-t-elle. Une jonction toute trouvée avec ses études de thèse qui la conduiront à soutenir un doctorat de littérature : Exister à bout de plume. Un recueil de nouvelles migrantes au prisme de l'anthropologie littéraire.
Elle pense ainsi son objet, et sur les thèmes actuels de l’universel, en débat entre le Nord et le sud, les épistémologies du Sud, elle abat aussi ses cartes. Les références sont riches. Pour l’amoureuse des lettres qui ne s’est entichée quasiment que d’écrivaines dont Emily Dickinson, Mariama Bâ, Toni Morrison, Maryse Condé, Simone de Beauvoir, curieusement, dans le champ purement des idées tendance « afro », elle cite Sartre, Souleymane Bachir Diagne, Albert Memmi, Kwame Anthony Appiah, mais dans le lot émerge Seyla Benhabib, qui vient diversifier l’offre. Elle ajoute encore pour les références : « les lectures de sociologues tels qu'Abdelmalek Sayad ou Pierre Bourdieu pendant mes études ont confirmé mon ressenti concernant le fait que les trajectoires individuelles et familiales incorporent les effets de l'histoire sociale et politique avec toutes les typologies de domination qui les caractérisent. » Pour le dire simplement, son universalisme est horizontal, riche des autres. Ce fondement de l’altérité est presque un défi voire un pari tant son puzzle n’est pas uniquement romanesque, mais une métaphore de sa vie. Elle en développe même une fibre humaniste, qui entre en résonance avec la pandémie actuelle qui a lourdement impacté sa Lombardie et où vivent encore ses grands-parents. Sur ce sujet, en pensant par exemple aux établissements pour personnes âgées et dépendantes, elle élabore un début de réflexion bien plus globale sur une potentielle prévention à explorer : « au niveau juridique cela pourrait se traduire dans l'idée que l'enfance et la vieillesse doivent être protégées vis-à-vis des structures collectives qui n'assurent pas l'encouragement, l'affection et tout simplement l'humanité nécessaire à des tranches d'âge si vulnérables. »
Puzzle identitaire et linguistique
C’est à Brescia, ville multiculturelle à la forte population immigrée de Lombardie, dans les années 80, qu’Aminata voit le jour. Son père est sénégalais et porte un patronyme à lignée prophétique. Les Aidara (Haidara, ou encore Aïdara) dynastie maraboutique, étendent partout en Afrique la réputation de piété. Sa mère est italienne. Le coin où elle grandit est raciste et bigot. Cette Italie la pousse à affiner ses désirs d’ailleurs. Un évènement dramatique, la mort d’un de ses meilleurs amis, accélère alors la quête d’évasion. A l’orée de ses 20 ans, elle quitte la Lombardie pour le Piémont, pour ses études. Le voyage et la poésie s’installent comme catharsis. Sa famille, éparpillée entre les continents, fait d’elle une nomade effective et une sédentaire affective, qui emprunte et pioche dans différentes sources. Elle lui transmet plusieurs valeurs, celles du père commerçant de carrelage, musulman, attaché à la valeur de la réussite, ce culte chez beaucoup d’immigrés qui connaissent la valeur de l’effort. Le patriarche insiste sur la nécessité de ne pas se laisser « définir par les autres ». Sa mère, dont elle narre les anecdotes précises, comme cet attachement à la douceur éternelle de l’enfance qu’elle la presse de garder vive. De quoi garder un amour du pluriel, de sa langue première l’italien, dans laquelle elle a écrit son premier recueil de nouvelle La ragazza dal cuore di carta (en français La Fille au cœur du papier, Macchione editore, 2014), un texte primé. Aujourd’hui encore, pour celle qui parle anglais, écrit en français, l’italien est la première langue, celle des berceuses, celle du lait maternel, des premiers textes. Elle aime les nouvelles, ce genre qu’elle prise, malgré les dédains du marché littéraire pour ces jets courts. De cet héritage multiple, elle fait un bon mix, et imprime dans ce terreau, sa propre vision. Petite, Aminata Aidara rêvait de musique, d’écriture, et de puériculture. Le bilan d’étape n’est pas si mal si on fait les comptes : elle est écrivaine saluée, chanteuse informelle qui déclame à tue-tête Piaff, Brel et qui aime Sona Jobarteh et en fait profiter de petites audiences, en attendant les plus grandes ? Depuis quelques mois, elle s’occupe de son petit garçon venu ponctuer le tourbillon d’une année folle. A peu de choses près, le destin n’a pas été très vilain avec elle.
Puzzle pour faire Quelqu’un
Au puzzle final manquent deux pièces essentielles : celles de métisse et de femme. A l’heure où l’afroféminisme s’épanouit, quelle part accorder à la place des femmes, à leurs luttes ? Le métissage donne-t-il un privilège ou condamne-t-il à l’inconfort de l’écartèlement permanent ? Elle pourrait sans doute dégainer son roman, exhiber fièrement Penda et Estelle, comme figures féministes, qui se suffisent à elles-mêmes. « Je me sens proche aussi bien des féministes sénégalaises que des Afroféministes européennes ou afro-américaines », avance-t-elle tout en confiant encore réfléchir sur le sujet du métissage sans encore trouver de réponses même si elle prête à ses multiples appartenances, l’origine d’une lecture plurielle du monde : « C'est peut-être mon métissage culturel qui m'amène à regarder la chose de plusieurs perspectives ? On veut bien le croire, tant elle donne des gages. Une chose est sûre et elle l’affirme : « le patriarcat sénégalais, je l'ai toujours très mal vécu. Il y en a un aussi en Italie, et dès mon plus jeune âge, j'ai manifesté des signes d'agacement pour l'un comme pour l'autre. » De tous ces puzzles qui se superposent, on réussit finalement, à faire quelqu’un, d’à la fois différent mais si commun. En Afrique, on s’amuse à dire d’un type c’est « un quelqu’un », s’il pèse, en mène large, l’histoire ne dit pas si Aminata Aidara, en donnant ce titre à son premier roman, joue malicieusement sur les deux registres : le vœu de gloire ou/et de modestie. On ne saura jamais. « Je suis quelqu'un qui écrit, et il se trouve que je suis une femme, métisse, et que j'ai décidé de faire de ces conditions des prismes orientant ma matière littéraire », lit-on au milieu de l’entretien, comme au début, on ne saurait l’attribuer cette devise engageante : Estelle ou Aminata ? L’histoire d’un dédoublement permanant qui exauce le vœu autant stendhalien que celui de Zola à propos du roman, le « miroir » pour l’un et « l’intuition dans les interstices du réel pour l’autre ».
Entretien pour la revue Roape avec le directeur de l'IDEA, Adebayo Olukoshi, sur la contribution de l’économiste malawite et ancien directeur du CODESRIA décédé en mars dernier, à la pensée sur le développement en Afrique et au-delà
Rama Salla Dieng a interviewé pour ROAPE, Adebayo Olukoshi sur la vie et l'œuvre de l’économiste Thandika Mkandawire. Une plongée dans la contribution du malawite décédé en mars dernier, à façonner la pensée sur le développement en Afrique et au-delà. SenePlus reproduit l'intégralité de l'entretien publié en anglais sur roape.net en version française.
Le 9 avril 2020, j'ai eu le privilège d'interroger le professeur Adebayo Olukoshi, directeur Afrique et Asie occidentale de l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (IDEA International) à propos de Thandika Mkandawire. L'entrevue a également été l’occasion de retrouver un ancien patron à moi, car j'ai travaillé avec le professeur Olukoshi lorsqu'il était directeur de l' IDEP (Institut africain de développement économique et de planification) et il a contribué à mon développement intellectuel entre 2010 et 2015.
Rama Salla Dieng : Comment, quand et où avez-vous rencontré Thandika Mkandawire pour la première fois ?
Adebayo Olukoshi : En 1983, le CODESRIA (le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique) organisait une conférence sur la crise économique que connaissent alors les pays africains à l'Université Ahmadu Bello de Zaria, au Nigéria. C'était la première fois que j'entendais parler de Thandika Mkandawire. Cadman Atta Mills qui dirigeait la délégation du CODESRIA, avait mentionné son nom lors des débats. Le CODESRIA était l'un des principaux instituts de recherche en sciences sociales du continent et, inévitablement, j’ai pris contact avec eux. La conférence était une réflexion sur la nature structurelle de la crise économique dans les pays africains suite aux mesures d'austérité recommandées par les institutions financières internationales (IFI), et comment ces Etats pourraient diversifier leurs économies. Les questions qui se posaient alors étaient de savoir si la crise était un accroc temporaire dû à l'assaut néolibéral ou une crise à long terme.
Après mon doctorat à Leeds et mon retour au Nigéria, j'ai été invité à faire partie d'un réseau mis en place par le CODESRIA, d'abord sur un projet concernant les mouvements sociaux en Afrique coordonné par Mahmood Mamdani, Ernest Wamba Dia Wamba et Jacques Depelchin. Plus tard, le CODESRIA a organisé une conférence panafricaine au Novotel de Dakar sur l'ajustement structurel en Afrique. Selon moi, la présentation de Thandika Mkandawire sur les politiques d'ajustement structurel (PAS) en Afrique et leur rôle dans l'agenda néolibéral plus globalement, contenaient deux idées frappantes. Premièrement, son introduction était éclairante et pas simplement protocolaire, comme c’est le cas pour de telles présentations, en particulier au Nigéria. Thandika a fait des commentaires très substantiels dans ses mots d’ouverture à propos des raisons pour lesquelles nous devions mobiliser la pensée africaine sur la question des PAS et comment nous pourrions interroger les trajectoires actuelles et influencer les futures orientations politiques. Il a été au cœur du sujet. Deuxièmement, bien qu'étant alors le Secrétaire exécutif du CODESRIA, il est resté avec tous les participants invités tout au long de la conférence et a présenté son propre document [Thandika était Secrétaire exécutif de 1985 à 1996]. Il a souligné que la réflexion sur les PAS était une bataille de politique et de pouvoir. Par conséquent, c'était stimulant et inspirant qu'il nous ait demandé des commentaires après sa présentation. J'ai fait une présentation à cette conférence après celle de Thandika.
De retour à Lagos, j'ai reçu un appel téléphonique de lui me demandant de mettre en place un comité interne d'examen par les pairs afin d'aider à publier les documents de la conférence. Cela deviendra plus tard notre livre édité sur La politique de l'ajustement structurel en Afrique : entre libéralisation et oppression, publié en 1995 par le CODESRIA. Ce fut le début de notre association intellectuelle et de notre amitié.
Comment décririez-vous Thandika en tant que personne ?
Thandika était polyvalent, pluridisciplinaire et avait une large connaissance de divers sujets. Il n'y avait pratiquement pas de sujet, académique ou non, sur lequel Thandika n'avait aucune idée à offrir. Il a beaucoup lu sur des thématiques variées dans différentes parties du monde. Il avait la capacité de glaner des informations de différentes sources et d'apporter une perspective interprétative et analytique unique sur les questions relatives au développement économique dans le monde.
Thandika était à la fois, un érudit sérieux et un compagnon sociable. Une anecdote disait au CODESRIA qu’il fallait prévoir une parade pour s’échapper au cas où vous envisagiez de passer la soirée avec Thandika parce qu'il était si engageant.
Il a abordé un large éventail de sujets, notamment la musique (de Kora à Youssou Ndour ou Baaba Maal), l'histoire, l'agriculture et les arts. Je me souviens être allé me coucher à 5 ou 6 heures du matin après avoir dîné avec lui alors que j'avais une présentation à faire quelques heures plus tard. Au CODESRIA, nous nous sommes toujours demandé comment il pouvait gérer toutes ses responsabilités et être toujours à l'heure.
Selon vous, quelles sont les trois contributions intellectuelles les plus importantes de Thandika à la réflexion sur le développement en Afrique et sur l'Afrique ?
Premièrement, Thandika était d'avis qu'un regard multidisciplinaire était nécessaire pour comprendre la trajectoire de développement du continent africain. Pour autant, il nous a également indiqué que nous devions être forts dans notre propre discipline et la maîtriser à fond avant d’élargir notre domaine de compétence. La multidisciplinarité n'était pas un raccourci pour éviter la rigueur dans l'analyse, mais impliquait de tirer des enseignements afin de confronter les interprétations étroites des réalités africaines.
Deuxièmement, Thandika insistait sur le fait que les intellectuels africains ne devaient laisser à personne la théorisation du développement du continent. C'était quelque chose qu'il n'était tout simplement pas prêt à accepter. Il a par ailleurs toujours insisté sur le fait d’investir le champ de la théorie sans être dogmatique afin de pouvoir apporter des perspectives uniques au développement du continent africain. Cela devait être fait sans stigmatiser et dénigrer le continent. Cela se reflète dans le néo-patrimonialisme, la corruption ou la crise de la littérature sur le développement à laquelle il s'est opposé. Cela nous a ouvert les yeux. En outre, il a recommandé d’aller au-delà de la simple observation superficielle des événements sociaux et économiques, en essayant de comprendre la logique des facteurs en jeu.
Troisièmement, il a toujours souligné l'importance d'historiciser le développement et il a toujours essayé d'analyser les phénomènes de développement dans une perspective historique. Ce qu'il a fait dans son propre travail. Par exemple, la Banque mondiale et le FMI ont décrit les années 1960 et 1970 comme les décennies perdues pour le développement en Afrique, selon la pensée dominante. Thandika a montré chiffres à l’appui, que la période d'ajustement structurel était en réalité une décennie perduepour l'Afrique, un détour du processus de développement. Juste après les indépendances, la plupart des États africains s'en sortaient très bien car les dirigeants, malgré leurs idéologies, étaient investis dans la théorie et la pratique vers le développement. Hélas, avec les politiques d’ajustement structurel, la plupart d'entre eux ont abdiqué au profit des expérimentations des institutions de Bretton Woods qu'ils ont ensuite contestées. C'était son postulat de départ à propos du débat sur l'état développementaliste. Il n'a jamais cédé à l'idée d'une impossibilité de développement pour les États africains. Par conséquent, cela n'a jamais vraiment été une question de faisabilité ni de la fausse dichotomie entre les nations en développement et ceux démocratiques (comme c'était le cas dans la plupart des États du Sud-Est asiatique). L'autoritarisme n'a jamais été une voie viable et, en fait, l'Afrique a été «condamnée à la démocratie, dans tous les sens», disait-il.
Dans quelle mesure pensez-vous que sa pensée a influencé la politique de développement en Afrique ?
Thandika a influencé directement et indirectement l'orientation de la politique économique sur le continent. Dans le premier cas, il a été personnellement invité à participer à de nombreuses séances de réflexion politique, par exemple par Thabo Mbeki en Afrique du Sud, Meles Zenawi en Éthiopie. Et indirectement, il avait une énorme audience intellectuelle, et beaucoup de ces dirigeants convaincus par sa pensée théorique ont essayé de l'appliquer tout en concevant des politiques gouvernementales clés dans toute l'Afrique.
Après environ 16 ans au CODESRIA, il a rejoint l'Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD) et a révolutionné son programme de recherche sur les politiques. Il a replacé le social au centre de l'élaboration des politiques (en particulier à travers la planification du développement), en s'inspirant des perspectives comparatives de nombreuses régions du monde, y compris les exemples salutaires des pays scandinaves. Tirant les leçons des nombreuses crises économiques et financières, notamment en Amérique du Sud en 1978-1979, en Asie de l'Est dans les années 90 et de la grande récession, il en est arrivé au fait que disposer d’une politique sociale saine n'était pas incompatible avec de bonnes performances économiques. Au contraire, cela y contribue, faisait-il remarquer.
Y a-t-il une leçon particulière que vous avez apprise de Thandika ?
«Quoi que vous fassiez, faites-le avec énergie, engagement et conviction.» Thandika n'a jamais semblé rebutant. Bien qu'il travaillait dur, il n'était jamais trop sérieux, il était très accessible, donnait son temps aux gens et était toujours souriant. Il n'a jamais détourné les gens de leurs idées. Il rendait tout ce qu’il avait à faire si simple qu’on pourrait croire qu'il évoluait dans une atmosphère de pur plaisir !
En tant que Secrétaire exécutif du CODESRIA, il a bâti une formidable réputation pour l'institut sans jamais donner l'impression d'être dépassé à aucun moment. J'ai eu la chance d'être le secrétaire exécutif après lui, et je lui ai demandé comment il s'en sortait, car le travail semblait impliquer une gestion de crise quotidienne. Il a dit : «Oui, oui, cela vient avec le travail. Quand j'ai demandé : «Comment avez-vous réussi à garder une attitude aussi calme, amicale et avenante tout au long de votre mandat ? Personne n'aurait pu supposer que vous faisiez face à tant de défis. Il a répondu : «Vous devez également comprendre qu'en tant que Secrétaire exécutif, vous êtes appelé à faire preuve de leadership et cela nécessite une maîtrise des défis de manière à encourager les gens plutôt qu’à les décourager. Thandika était un vrai leader.
Quel est votre souvenir préféré de Thandika ?
J'ai tellement de souvenirs de lui dans différents contextes. J’ai des souvenirs de lui en tant que chercheur au Danemark lorsque j'étais au Nordic Africa Institute (NAI) à Uppsala. J'ai aussi un souvenir précis d'un dîner que nous avons eu ensemble à Dakar au début de ma collaboration avec lui au CODESRIA. Nous travaillions alors à l'édition du livre Entre libéralisation et oppression : la politique de l'ajustement structurel en Afrique. Il était très détendu et j'ai découvert une autre facette de l'homme. Il s’était levé en plein et se mit à danser sur sa chanson préférée. J’en étais devenu très timide car je n'aurais pas pu imaginer ce côté-là de lui.
Que ce soit pendant son séjour à LSE ou à l'Université du Cap (Nelson Mandela School of Public Governance), je ne l'ai jamais vu tétaniser par un défi au cours de sa vie.
Comment Thandika a-t-il affecté votre vie ?
La rencontre avec Thandika à l'époque, m'a permis de développer de la confiance en moi. J'ai eu la chance de sortir de l'école d'économie politique radicale Zaria comprenant Tunde Zack-Williams, Yusuf Bangura, feu Yusuf Bala Usman, de jeunes universitaires comme feu Abdul Raufu Mustapha, Jibrin Ibrahim. Cela m'a donné une solide base car cette pensée radicale était comparable à bien des égards à celle de l’école de Dar es Salaam. J'ai également eu le privilège de faire mon doctorat à Leeds qui était la maison de ROAPE. Là, j'ai rencontré Lionel Cliffe, Ray Bush qui était l'un de ses mentors et amis, Morris Szeftel, puis à la Leeds School of Economic and Social Affairs, et au CODESRIA j'ai rencontré Thandika, Archie Mafeje, Shahida Elbaz, Mahmood Mamdani, Issa Shivji, etc. que nous appelions "Grandies du CODESRIA".
De plus, j'ai eu non seulement le privilège d'être co-éditeur avec lui, mais aussi de suivre ses traces au CODESRIA pour maintenir cette institution comme une étoile brillante de la recherche en sciences sociales ; Tout au long du processus, j'ai beaucoup appris de lui. Apprendre à ne pas être doctrinaire, à bien argumenter, à écouter les autres et à s’intéresser à leurs parcours en termes d'influences théoriques.
Lorsque je suis devenu secrétaire exécutif du CODESRIA, Thandika a fait tout son possible pour passer quelques jours avec moi à Dakar afin de se remémorer le parcours de l’institut, son histoire. Vous ne pourriez pas avoir un meilleur mentorat que cela. J'ai été intellectuellement plus sûr de moi après cela, car j'ai profité de sa sagesse et je suis resté en contact avec lui. Il n'a jamais hésité à me donner son avis. Nous sommes tellement plus pauvres maintenant qu'il nous a quittés. Il a assumé ses responsabilités de façon exemplaire. Il était un bâtisseur d'institutions.
Comment honorer sa mémoire ?
Nous devons nous assurer que cette tradition d'érudition critique et engagée que Thandika a représentée tout au long de sa vie reste vivante dans le travail que nous faisons et nous en avons besoin plus que jamais. Certains défis rencontrés dans différents contextes nécessitent une nouvelle génération de chercheurs capables de les relever, en empruntant de sa confiance, ses connaissances, son éthique du travail, son sens de la diligence et son objectif. Sa génération qui a construit le CODESRIA, a compris quelle était sa mission. A présent, votre génération a besoin de découvrir la vôtre et de l'accomplir. Nous devons tous nous demander ce que le CODESRIA devrait signifier pour nous tous aujourd'hui ? Quel type d'organisation et de renforcement institutionnel voulons-nous ? Le CODESRIA doit être préservé, ainsi que tous les écrits de Thandika. Le CODESRIA a de façon exhaustive, compilé sa bibliographie et examine également ses contributions qui ne sont pas dans le domaine public. Je sais qu'il y a beaucoup de savants dans ma génération, dont Jimi Adesina et d'autres, qui travaillent à une pérennisation de son travail. Il a laissé un immense héritage intellectuel à préserver.
Merci beaucoup Professeur, d'avoir pris le temps pour cette conversation avec moi et les inconditionnels de ROAPE. Nous vous sommes reconnaissants.
Rama Salla Dieng est écrivaine, universitaire et activiste sénégalaise, actuellement maîtresse de conférence au Centre d'études africaines de l'Université d'Édimbourg. Elle est l'éditrice de la série Talking Back sur roape.net et membre du groupe de travail éditorial de ROAPE.
Adebayo Olukoshi est ancien directeur de l'Institut africain des Nations Unies pour le développement économique et la planification (IDEP) et présentement directeur du bureau Afrique et Asie occidentale de l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale. Il est également membre du conseil consultatif international de ROAPE.
Cette interview a été traduite par Cheik Farid Akele de SenePlus.