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29 avril 2025
Diaspora
Par Madiambal DIAGNE
PRÉSIDENT FAYE, FAITES COMME WADE EN 2000
Il faut prendre garde à ne pas écouter des apprentis-sorciers qui préconisent de mettre en place le budget par ordonnance. Il appartient ainsi au chef de l'État d’engager le dialogue pour sauver les meubles
Le 8 avril 2024, à peine le nouveau régime installé, j’avais indiqué, dans une chronique intitulée «Nul n’a le droit de miser sur l’échec de Diomaye Faye», que les «risques et écueils sur la route du nouveau gouvernement sont nombreux» et que le nouveau régime allait «vivre cent premiers jours d’enfer». C’était peut-être un truisme, mais nous estimions qu’il revenait aux autorités politiques de l’Etat d’avoir l’intelligence d’instaurer le dialogue, la concertation pour passer le cap, jusqu’à la mise en place d’une nouvelle Assemblée nationale. Sans cela, «des tensions de divers ordres pourront naître de cette situation et leur exacerbation ne manquerait pas d’avoir des conséquences fâcheuses pour la stabilité du pays. C’est ainsi qu’il urge de s’engager à aider le nouveau régime à sortir la tête de l’eau, pour lui éviter de sombrer. L’échec de Bassirou Diomaye Faye sera fatal à tout le monde».
Je redis aujourd’hui la même chose. Seulement, il incombe, plus que jamais, au président de la République d’avoir l’initiative de l’apaisement. Il faut situer cependant les responsabilités car s’il y a une tension sur la scène politique, jusqu’à menacer le fonctionnement régulier des institutions, c’est de la faute exclusive du Premier ministre Ousmane Sonko, qui verse dans des provocations puériles. Il a insulté, menacé tout le monde. Il n’a pas respecté ses adversaires, encore moins l’institution judiciaire qu’il semble vouloir ravaler à une situation de vassale du gouvernement, ou le Parlement qu’il snobe. Son opposition a voulu jouer le jeu, il faut le dire, encore une fois, mais le Premier ministre s’est montré buté en plaçant son ego au-dessus des intérêts supérieurs de la Nation. Il a refusé de s’acquitter de son devoir de procéder à une Déclaration de politique générale (Dpg) et se soumettre au jeu politique et démocratique. Son alibi d’une imperfection du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale n’en n’était véritablement pas un.
En effet, dès que le président Faye a obtenu de la majorité parlementaire un dialogue et une concertation pour adapter le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, afin de satisfaire à ce caprice de son Premier ministre, des voix autorisées se sont élevées pour dire que Ousmane Sonko ne se présentera pas devant cette Assemblée nationale. Lui-même l’a dit. Le gouvernement a joué de subterfuges et de manœuvres dilatoires sur le processus de promulgation de la loi modifiant le Règlement intérieur, pendant que le Premier ministre annonce la dissolution fatale de l’Assemblée nationale pour le 12 septembre 2024. Cela ne trompait personne et couvre de ridicule l’Exécutif. Il est heureux que le Président Bassirou Diomaye Faye ait pris, une nouvelle fois, l’initiative pour trouver un arrangement avec l’Assemblée nationale. On annonce ainsi que le Premier ministre fera sa Dpg le 13 septembre 2024, devant cette Assemblée nationale qui est loin de lui être acquise. Il sera dans la même posture que Moustapha Niasse, le 20 juillet 2000. Le Premier ministre qu’il était, nommé par le Président Abdoulaye Wade, faisait face à un Hémicycle largement dominé par des députés du Parti socialiste. Du reste, il ne saurait être envisageable que cette nouvelle date, proposée par le président de la République et acceptée par l’Assemblée nationale, ne soit un leurre. On a vu Waly Diouf Bodian insinuer que le Premier ministre n’y sera pas. Si c’est le cas, la crédibilité du président de la République en prendrait un sacré coup.
Deux petits mois de plus pour sauver le Sénégal de l’ingouvernabilité
Qu’on s’entende bien, le chef de l’Etat déroule son agenda politique et institutionnel de manière discrétionnaire. Il a besoin de chercher, au plus vite, une majorité parlementaire. Il aura la latitude, à partir du 12 septembre 2024, de prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale. Seulement, il devrait se garder de le faire dans la précipitation. Le pays a assurément besoin que certaines diligences soient satisfaites, avant de retourner en campagne électorale. Autrement, il court de graves risques d’ingouvernabilité, et pour cause. Il urge de chasser tous les nuages qui s’accumulent au-dessus des relations avec les partenaires au développement, notamment le Fonds monétaire international (Fmi). Le Sénégal a raté ses échéances du mois de juillet dernier avec le Fmi, induisant un non-décaissement de la somme de 230 milliards de francs Cfa. Un autre décaissement en faveur du Sénégal, de 169 milliards, est prévu pour le mois de décembre 2024. Ces sommes sont indispensables pour le budget de l’Etat. Le ministre des Finances et du budget, Cheikh Diba, a fait un déplacement éclair à Washington, sans réussir à débloquer la situation. Au-delà des explications exigées par le Fmi sur les conditions de l’organisation, au début du mois de juin 2024, d’une opération d’Eurobonds, le Sénégal se trouve dans l’impossibilité de satisfaire à certains prérequis comme l’adoption d’une Loi de finances rectificative (Lfr) pour ajuster le budget de l’Etat. Dans le calendrier convenu avec le Fmi, la Lfr devait être examinée en juillet 2024. Le manque de sincérité du budget en cours d’exécution est un secret de polichinelle. Les petites querelles entre le Premier ministre et l’Assemblée nationale ont beaucoup pesé sur cette carence du gouvernement. De toute façon, le gouvernement n’a même pas encore adopté en Conseil des ministres un projet de Loi de finances rectificative. C’est dire que si l’Assemblée nationale se trouve dissoute, avant d’avoir fini de voter une Lfr, cette question, pomme de discorde majeure avec nos partenaires, ne sera pas réglée d’ici la fin de l’exercice budgétaire au 31 décembre 2024. En conséquence, la gestion budgétaire souffrira de lacunes, d’anachronismes et de carences qui vont rattraper l’exercice 2025.
Mais la situation la plus grave qui guette le Sénégal est le risque que le budget pour 2025 ne soit pas adopté dans les délais, c’est-à-dire avant le 31 décembre 2024. Ce serait une situation inédite. Le Sénégal n’a jamais connu un tel cas de figure et fait appréhender les conséquences néfastes pour la viabilité économique et financière du pays. Le principe budgétaire est de consommer à chaque mois le 12ème des crédits votés du budget précédent. En d’autres termes, le régime Diomaye-Sonko se coltinera encore le budget laissé par le régime de Macky Sall et qui avait été voté, faut-il le rappeler, en décembre 2023. Ce sera du surplace, aucun changement d’orientation des politiques publiques préconisé par le nouveau régime ne sera donc opérationnel. De surcroît, tous les projets en cours de réalisation seront arrêtés net. Il semble alors irresponsable qu’avec désinvolture, des responsables politiques claironnent qu’il n’y aurait pas péril en la demeure, si un nouveau budget n’est pas voté dans les délais. Cela traduit une ignorance sidérante des modes de fonctionnement de l’Etat. Une telle situation participerait à détériorer davantage les relations avec les partenaires techniques et financiers. Le Sénégal ne peut s’offrir le luxe de n’en faire qu’à sa tête. Il est d’ailleurs à se demander si réellement le gouvernement est prêt à déposer un nouveau projet de budget. Le nouveau budget devait, depuis le mois d’août dernier, faire l’objet d’arbitrages techniques et politiques, et le projet devait être soumis et adopté en Conseil des ministres pour être sur le bureau de l’Assemblée nationale le 15 septembre, pour la session dite budgétaire qui s’ouvre le 1er octobre. D’après ce que l’on sait, rien de tout cela ne sera fait !
Le président Diomaye Faye doit reprendre l’initiative
Des crises politiques surviennent dans tous les pays démocratiques. Aux Etats-Unis par exemple, il arrive des querelles qui empêchent l’adoption, dans les délais, du budget fédéral, provoquant un «shutdown», c’est-à-dire l’arrêt des activités fédérales non essentielles. Mais à chaque fois, le dialogue est engagé pour trouver des compromis et passer le mauvais cap dans un délai très court. Le «shutdown», jamais encore connu en France, est aujourd’hui le cas redouté et cela mobilise les énergies pour l’éviter, d’où les difficiles tractations pour la formation du gouvernement de Michel Barnier. La préoccupation majeure, pour ne pas dire le casse-tête du Président Macron, est de faire adopter un budget pour l’année 2025. En Allemagne, le Chancelier Olaf Scholz a été obligé de négocier un compromis, épilogue d’un long conflit parlementaire, pour sauver le budget 2025 car la perspective d’un blocage budgétaire porterait un coup «à la stabilité de l’Allemagne». Il ne viendrait à l’esprit d’aucun homme politique responsable de se mettre devant les populations pour leur dire, les doigts dans le nez, que «ce n’est pas grave s’il n’y a pas de budget ; on va se débrouiller jusqu’à ce qu’on puisse installer une nouvelle Assemblée nationale». Il faut prendre garde à ne pas écouter des apprentis-sorciers qui préconisent de mettre en place le budget par ordonnance. Il est clair que les partenaires étrangers, qui financent pour plus de 46% le budget national et que le nouveau gouvernement a déjà bien du mal à faire suivre, rechigneront à financer un budget qui n’aura pas l’onction de la représentation nationale. Il ne faut pas rêver, on ne peut pas se passer, dans notre ordonnancement institutionnel, du rôle et des missions de l’Assemblée nationale. Quelle que puisse être, du reste, sa piètre qualité !
L’outil du dialogue et de la discussion, mais dans le respect, avait permis à Moustapha Niasse et Abdoulaye Wade de faire adopter deux Lfr au courant de l’année 2000 et mieux, un budget pour l’année 2001 leur avait été voté «sans débats». Il appartient ainsi au président Faye d’engager le dialogue pour sauver les meubles Sénégal. La seule concession sera sans doute de laisser l’Assemblée nationale encore en place pour deux petits mois. La majorité parlementaire se montre jusqu’ici conciliante en concédant au président Faye de procéder à la modification du règlement intérieur et de changer la date du 11 septembre 2024 initialement retenue par sa «Conférence des présidents» pour adopter la date proposée par le président de la République. Au demeurant, cette majorité semble parfaitement comprendre que la dissolution de l’institution s’avère inévitable. Un «gentlemen’s agreement» doit être possible. Le nouveau régime a fort besoin de régler ces questions latentes pour pouvoir dérouler sa politique sans encombre pour les années à venir. Même l’opposition, qui espère, à l’issue d’élections législatives anticipées, obtenir une majorité pour cohabiter avec le président Faye, aura besoin, le cas échéant, de ne pas hériter d’un pays en ruine. Ce dialogue et ces discussions ne sauront aucunement empêcher la poursuite de la politique nécessaire et normale de reddition des comptes. Le dialogue avec l’opposition n’avait pas empêché le régime Wade de mener sa politique de reddition des comptes.
Une fois de plus, le 8 avril 2024, j’alertais : «Le président Bassirou Diomaye Faye sera bien obligé, avant de prononcer la dissolution, d’attendre au moins jusqu’au mois de décembre 2024, afin de laisser passer la session budgétaire.»
Sans doute qu’on ne m’écoutera pas, car il y a beaucoup de vents contraires, mais le Sénégal doit être placé au-dessus de nos petits égos !
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COMPTE À REBOURS POUR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Le Sénégal tout entier retient son souffle. Les prochaines 72 heures s'annoncent cruciales pour l'avenir institutionnel du pays. Entre DPG et dissolution potentielle, le suspense est à son comble
Le ministre du Travail et des Relations avec les Institutions, Yankhoba Diémé, a jeté un pavé dans la mare politique ce dimanche 8 septembre 2024. Invité de l'émission "Objection " sur Sud FM, il a laissé planer un doute considérable sur l'avenir immédiat de l'Assemblée nationale.
Alors que la date du 13 septembre a été fixée pour la Déclaration de Politique Générale (DPG) du Premier ministre Ousmane Sonko, Diémé a rappelé, non sans une certaine ambiguïté, que le président de la République dispose dès le 12 septembre à minuit de la prérogative constitutionnelle de dissoudre l'Assemblée.
"Le président à la faculté de dissoudre l'Assemblée nationale à partir de 0h le 12. Maintenant, ça, ce sont ses prérogatives régaliennes", a souligné le ministre, laissant entendre que tout reste possible. Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de l'Assemblée intervient dans un contexte déjà tendu, marqué par le rejet d'un projet de loi visant à supprimer le HCCT et le CESE, deux institutions jugées budgétivores par le nouveau régime.
Face à cette incertitude, le Sénégal tout entier retient son souffle. Les prochaines 72 heures s'annoncent cruciales pour l'avenir institutionnel du pays. Entre DPG et dissolution potentielle, le suspense est à son comble. Une chose est sûre : le 13 septembre 2024 marquera, d'une manière ou d'une autre, un tournant dans l'histoire politique nationale.
par l'éditorialiste de seneplus, alymana Bathily
QUELS MODÈLES ÉCONOMQUES POUR LA PRESSE ?
EXCLUSIF SENEPLUS - La stratégie « Wade/Macky » de développement de la presse est inique. Parce qu’illégal, « corruptogène » et gaspilleur. Le régime Diomaye/Sonko aurait trahi ses engagements de rupture s’il n’y avait pas mis fin
Alymana Bathily de SenePlus |
Publication 08/09/2024
Pourquoi donc le refus du régime Diomaye/Sonko d’entériner l’engagement du président Macky Sall, pris à quelques jours de l’élection présidentielle d’effacer les arriérés d’impôts et de taxes des entreprises de presse et sa dénonciation du Fonds d’Appui à la presse enragent tant les patrons de presse ?
Après avoir observé une « journée sans presse » le 13 aout, voici en effet qu’ils attaquent désormais quotidiennement le nouveau gouvernement.
Serait-ce parce que les patrons de presse considèrent que, « la presse n’étant pas une entreprise comme les autres », leurs entreprises doivent obligatoirement être exemptées du paiement des impôts et taxes et même du reversement des cotisations de leurs journalistes et techniciens et qu’ils ont le « droit » de recevoir une « aide » de l’Etat ?
Serait-ce parce que « l’aide » et l’effacement de dettes fiscales sont les deux mamelles du modèle économique dont ils ont toujours dépendu ?
Un « modèle » économique inique : Aide à la presse et amnistie fiscale.
En 2012 déjà, ils ont bénéficié de l’effacement de dettes fiscales représentant 12 milliards de la part du président Abdoulaye Wade.
Ils ont ensuite reçu dès 2013, de la part du président Macky Sall, un autre effacement de leur dette fiscale de 7 milliards 500, couplé à la réduction d’au moins 75% de la redevance de diffusion télévisuelle.
Ils bénéficieront encore d’une exonération de toutes taxes et impôts, pour la période allant du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2021 dans le cadre d’un appui aux entreprises censé répondre au contexte économique post Covid-19.
Pour ce qui est de l’Aide à la presse qui deviendra Fonds d’Appui pour le Développement de la presse, ils la perçoivent depuis 1996 (loi 96-04 du 22 février 1996).
D’un montant de 40 millions par an sous Abdou Diouf, elle sera portée dès 2016 à 600 millions, puis à 700 millions FCFA par Abdoulaye Wade, puis Macky Sall le portera à 1.400 milliards d’abord ensuite à 1.900 milliards FCFA en 2023 avec le supplément d’un « fonds Covid ».
De fait, le modèle de développement de la presse sénégalaise n’est basé qu’accessoirement sur la vente des journaux, l’audience des radios et télévisions et sur la publicité.
Il est plutôt basé sur l’Aide à la presse ou Fonds d’Appui pour le Développement de la presse constamment augmenté, l’effacement régulier de la dette fiscale et l’exonération de taxes et impôts chaque fois que de besoin.
C’est un « modèle » économique inique. Parce qu’illégal, « corruptogène » et gaspilleur.
Le régime Diomaye/Sonko aurait trahi toutes ses professions de foi et tous ses engagements de rupture avec le « système » basé sur l’hyper présidentialisme, la corruption systémique et la gestion gabégique des finances publiques, s’il n’y avait pas mis fin.
Un modèle économique illégal
Ce modèle est illégal parce que l’effacement de dettes fiscales sur simple décision du président de la République constitue une infraction à la loi et à l’orthodoxie administrative.
Le président Abdoulaye Wade ne cachait pas que l’Aide à la presse et l’effacement des dettes fiscales des entreprises de presse étaient des moyens de pression politique.
Il en fera ainsi bénéficier les patrons de presse « amis » au détriment de ceux qu’il considérait comme des « opposants », en dehors de toute considération des critères établis.
Walfdjiri portera ainsi plainte en 2006 pour non-respect des critères d’attribution auprès du Conseil d’Etat qui lui donna raison.
C’est à la veille de l’élection présidentielle par laquelle il sollicitait un troisième mandat controversé que le président Abdoulaye Wade accordera l’amnistie fiscale de 12 milliards de francs CFA.
Le président Macky Sall restera ici comme dans d’autres secteurs de la gouvernance, dans les pas de son maitre tout en utilisant le système avec encore plus de cynisme.
C’est en 2023 au moment où son ambition de briguer un troisième mandat n’était plus caché qu’il porta le montant du Fonds d’Appui au Développement de la Presse à 1.400 milliards ensuite à 1.900 milliards FCFA avec le supplément du « fond Covid ».
Et c’est à la veille de l’élection présidentielle dernière qu’il annonça l’effacement de la dette fiscale des entreprises de presse, d’un montant de 40 milliards de francs CFA.
En outre, tout comme son prédécesseur, il introduisit quantité de barrons voleurs et d’oligarques dans la corporation, distribuant à tour de bras fréquences de radios et de télévisions et permit le blanchissement de la fortune de quelques patrons, fortunes amassées à coup de transactions foncières et immobilières douteuses.
Un modèle économique gaspilleur
L’autre caractéristique du modèle de développement de la presse, qu’on pourrait appeler « modèle Wade/Macky Sall », est qu’il est « gaspilleur ».
De 1996 à nos jours, on aura dépensé au moins 30 milliards, compte non tenu de l’exonération fiscale pour la période allant du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2021.
Le professeur Mor Faye constatait déjà dans une étude de 2015 intitulée « les enjeux de l’information et de la communication au Sénégal »[1], portant sur l’Aide à la presse[2], qu’il s’agit là d’un « gouffre financier ».
Non pas tant en considération de la somme considérée que parce cet argent n’aura eu aucun « impact sur les entreprises de presse du point de vue de leur structuration pour en faire des entreprises viables au sens économique et financier du terme… »
D’autres modèles économiques de la presse plus vertueux et plus efficaces sont possibles
Pourtant des modèles économiques alternatifs, plus vertueux et plus efficaces sont possibles.
Leur mise en œuvre requiert un préalable pourtant : la réorganisation du secteur de la publicité sur lequel ils seront adossés.
Ceci requiert un cadre juridique et réglementaire rénové, prenant en compte notamment l’Internet et les médias sociaux et faisant obligation aux annonceurs de faire appel exclusivement aux médias sénégalais, presse écrite, radios, télévisions et presse en ligne.
Ainsi le marché publicitaire de marque pourrait dépasser allégrement sa valeur de 2018 estimée déjà à 26 milliards FCFA.[3]
Ce marché doit être réservé à la seule presse privée, presse écrite, radios et télévisions commerciales ainsi que radios communautaires (pour un temps d’antenne limité).
La RTS, radios et télévisions, en tant que service public, sera quant à elle financée exclusivement par le public, à travers des subventions par exemple de la Lonase et de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ARTP) en plus de la redevance de la Senelec en vigueur.
La RTS générera des revenus additionnels en produisant et en commercialisant des contenus originaux, sons et vidéos, sur une plateforme en ligne selon le modèle Netflix comme l’a suggéré le Professeur Albert Mendy dans une contribution récente.[4]
La presse écrite, Le Soleil tout comme les titres privés, devront enfin investir l’Internet soit en diffusant exclusivement une édition numérique soit en maintenant une édition papier.
Elle pourrait s’inspirer du modèle français de Mediapart qui fonctionne sur la base d’abonnement soit du modèle américain du New York Times propose l’achat par article en plus d’abonnements.
En outre, le Fonds d’Appui pour le Développement de la presse ne devra plus être partagé entre les patrons de presse mais servir véritablement au développement des entreprises de presse, en servant par exemple de garanties auprès des banques.
Ces modèles économiques ne pourront toutefois fonctionner que si les patrons placent les journalistes et techniciens au cœur de leur projet en leur payant des salaires décents tels que prescrits par la convention collective, en versant régulièrement leurs cotisations sociales et en veillant au fonctionnement démocratique des rédactions, dans le respect notamment des droits des femmes journalistes.
Il s’agit en fin de compte à la fois pour les patrons de presse et pour les pouvoirs publics de promouvoir la viabilité économique des entreprises de presse pour sauvegarder la liberté de la presse et raffermir le pluralisme de l’information.
[4] Comment faire de la RTS un service public de l’audiovisuel fort au Sénégal, Ma Revue de Presse du 24/08/2024 ;
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EL HADJI MALICK SY, L'ÉTOILE DE TIVAOUANE
Érudit visionnaire, il a façonné l'âme du pays en semant les graines de la connaissance et de la spiritualité. Son héritage, plus vivant que jamais, continue d'illuminer les cœurs et les esprits bien au-delà des frontières de Tivaouane
Dans le firmament de l'Islam sénégalais, une étoile brille d'un éclat particulier : El Hadji Malick Sy. Né en 1855, cet homme exceptionnel a transformé le paysage spirituel de l'Afrique de l'Ouest avec la force tranquille de son savoir et la profondeur de sa foi.
Dès sa jeunesse, Malick Sy se distingue par son soif de connaissance. Il sillonne le Sénégal, absorbant la sagesse des maîtres. Mais c'est à Tivaouane qu'il plante les racines de son œuvre monumentale.
Érudit, enseignant, écrivain : Malick Sy endosse tous les rôles avec une grâce qui force l'admiration. Les jambes du fils ? Une armée de disciples, des écoles coraniques essaimées à travers le pays, et des ouvrages qui résonnent encore aujourd'hui dans le cœur des fidèles.
Plus qu'un simple guide religieux, El Hadji Malick Sy incarne l'essence même de l'islam soufi : ouverture, fraternité, générosité. Son amour pour le Prophète Muhammad transpire dans chacun de ses actes, dans chacune de ses paroles.
Parti rejoindre son créateur en 1922, Malick Sy continue pourtant de vivre. Dans les rues de Dakar qui portent son nom, dans les zawiyas où l'on récite ses poèmes, dans les cœurs des Sénégalais qui, chaque année, célèbrent la naissance du Prophète en son honneur.
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LA JUSTICE FRANÇAISE, BRAS ARMÉS DE LA FRANÇAFRIQUE ?
Alors que Mahamat Déby se rapproche de la Russie, le Parquet National Financier sort ses griffes. Une enquête sur les biens mal acquis du président tchadien est lancée, après des années de complaisance vis-à-vis de ce régime dynastique
Le Tchad, longtemps fidèle pion de la France en Afrique, fait aujourd'hui l'objet d'une enquête du Parquet National Financier (PNF) sur les biens mal acquis de son président, Mahamat Déby. Coïncidence ? Pas si sûr.
Alors que le jeune dictateur tchadien flirte ouvertement avec la Russie de Poutine, Paris semble brandir la menace judiciaire comme une épée de Damoclès. Une volte-face surprenante quand on sait que pendant des décennies, la justice française a fermé les yeux sur les exactions du clan Déby.
De l'esclavage moderne aux assassinats d'opposants, en passant par le financement occulte des campagnes électorales françaises, le régime tchadien bénéficiait d'une impunité totale. La France, chantre autoproclamée des droits de l'Homme, préférait alors protéger ses intérêts géostratégiques plutôt que de faire justice.
Aujourd'hui, le réveil soudain du PNF sonne comme une tentative désespérée de l'Élysée de garder la main sur son ancien "meilleur élève" africain. Une manœuvre qui illustre parfaitement les travers de la Françafrique : une justice à géométrie variable, instrumentalisée au gré des intérêts diplomatiques.
Cette affaire pose une question cruciale : la France est-elle prête à sacrifier son image et ses valeurs sur l'autel de son influence en Afrique ?
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LE VISA SCHENGEN, FORTERESSE EUROPEENNE AUX FRAIS DES AFRICAINS
90 euros pour un espoir. 27% de chances d'être rejeté. 56 millions d'euros perdus en 2023. Derrière ces chiffres, le visa Schengen dessine une frontière invisible mais bien réelle entre l'Europe et l'Afrique
L’Europe se barricade, et c’est l’Afrique qui paie la facture. En 2024, le rêve européen coûte plus cher que jamais aux Africains, avec des frais de visa Schengen grimpant à 90 euros. Mais le véritable scandale ? C'est le taux de refus astronomique de 27% pour les demandeurs africains, transformant ces frais non remboursables en une véritable taxe sur l'espoir.
Imaginez : 56,3 millions d'euros ont quitté les poches africaines en 2023, remplissant les caisses européennes pour des visas refusés.
Le système est impitoyable : des dossiers kafkaïens, des frais qui s'accumulent, et au bout du compte, souvent un "non" sec et coûteux. Pour beaucoup d'Africains, ces 90 euros représentent un mois de salaire, parti en fumée sur l'autel de la "forteresse Europe".
Face à cette injustice, une question brûlante se pose : l'Afrique devrait-elle riposter par la réciprocité ? Imposer aux Européens le même parcours du combattant financier et administratif ? Certains y voient une justice poétique, d'autres craignent les répercussions économiques.
Une chose est sûre : le système actuel creuse un fossé d'incompréhension et de ressentiment entre les deux continents.
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LE PORT DE DAKAR, UNE MINE D'OR ROULANTE
Derrière véhicule chaque importé se cache une manne financière pour l'État sénégalais. En modernisant ses procédures, le pays a réussi à transformer un simple flux commercial en une source de revenus colossale
Le Port autonome de Dakar, véritable porte d'entrée du Sénégal, se révèle être une source insoupçonnée de richesses pour le pays. Chaque année, des milliers de véhicules débarquent sur ses quais, transformant le port en un gigantesque parking à ciel ouvert. Mais ne vous y trompez pas, ce ballet incessant de voitures cache une réalité bien plus lucrative.
En effet, la modernisation du processus de dédouanement et d'immatriculation a permis de faire bondir les recettes de l'État. Le guichet unique des véhicules, fleuron de la digitalisation douanière, a permis de collecter la somme astronomique de 109 milliards de francs CFA en seulement un an et demi. Une augmentation fulgurante de 20 milliards par rapport à l'année précédente !
La Direction des Impôts et Domaines n'est pas en reste, avec des recettes issues des mutations de véhicules qui ont presque doublé en quatre ans, passant de 4,8 milliards en 2019 à 7,5 milliards en 2023. Au total, ce sont plus de 30 milliards de francs CFA qui ont été engrangés sur cette période.
Ces chiffres vertigineux montrent à quel point le secteur automobile est devenu un véritable moteur économique pour le Sénégal. Cependant, cette manière financière soulève aussi des questions sur l'avenir du parc automobile national, vieillissant et en urgent besoin de renouvellement. Le pays saura-t-il concilier cette poule aux œufs d'or avec les impératifs de sécurité routière et de protection de l'environnement ?
par Patrick Chamoiseau
KALINAGO ET ARAWAK POUR UNE CITOYENNETÉ TRANSNATIONALE
Ne devrions-nous pas, tous autant que nous sommes, soustraire notre horizon au seul modèle de l’État-nation occidental, à son nationalisme meurtrier, pour y multiplier les rhizomes d’une « nation-relation »
À l’heure où les grandes nations se raidissent dans des levées guerrières, nous pouvons — nous, de la Caraïbe — distinguer un murmure. Celui qui monte de la mer et qui nous invite à une reconnaissance. L’Inde et le Bénin, dans un élan de justice mémorielle, l’ont entendu. Ils offrent une citoyenneté de cœur à ceux que la Traite et la colonisation ont enlevés à leur sol. Une porte inédite s’est ainsi ouverte à ceux d’entre nous qui désirent amplifier leur extension au monde. Que l’on s’en serve ou pas relève d’une stricte éthique individuelle. Mais, nous pouvons globalement en peser l’intention.
Au-delà des choix personnels, ne devrions-nous pas, tous autant que nous sommes, soustraire notre horizon au seul modèle de l’État-nation occidental, à son nationalisme meurtrier, pour y multiplier les rhizomes d’une « nation-relation » ‒ celle que nous avons (Édouard Glissant et moi) évoquée dans bien des manifestes ?
De la source à la ressource
Avec la colonisation, la globalisation capitaliste, les mouvements aléatoires des peuples et des individus, le monde s’est pris de créolisation. Il a réactivé en lui (à haute intensité, à grande échelle et sans frontières) le brassage des diversités humaines et non humaines qui composent le vivant. Ce brassage n’est rien d’autre qu’un principe fondateur, non seulement du vivant lui-même, mais aussi des communautés d’Homo sapiens qui se sont mises en place depuis la nuit des temps. Dès lors, tous les peuples, sociétés et cultures d’aujourd’hui, sont exposés à des mélanges relationnels qui font d’eux des pays culturellement composites… Tous sont, soit nés dans le Divers, soit en devenir imprédictible dans le Divers.
Hélas, les imaginaires humains (dans leurs absolus communautaires antagonistes) ont tendance à oublier ce rapport organique à la diversité. Les multiplicités intérieures (post-coloniales, accélérées, soudainement agissantes) affolent les imaginaires restés monolithiques. Un incertain identitaire ébranle les anciennes illusions, tant du bord des coloniaux attardés que de celui des décoloniaux énervés. Pourtant, la santé mentale de notre époque consiste à simplement accepter la loi diverselle du vivant. Ce qui revient pour chacun à accepter toutes ses origines, sans en omettre une seule. À les envisager une à une, nullement comme cicatrices à conjurer, mais comme des sources vives qui deviennent des ressources, et qui irriguent ainsi la profondeur et l’étendue de nos présences au monde. C’est le défi de notre temps.
Désapparition
Ici, dans notre archipel caribéen, chaque volcan élève une stèle aux peuples premiers génocidés. Avant l’arrivée des Européens, cette zone accueillait près de deux millions de natifs – sociétés Taïnos, sociétés Kalinagos. En quelques décennies, victimes de maladies, de massacres, et de toutes qualités d’asservissements, elles se sont retrouvées gisantes, éparpillées de par les îles, en quelques milliers de survivants. Cet effondrement constitue un impensable conceptuel. Les vagues y font frémir les silences, les cris et les soupirs, de ceux qui sont venus d’eux-mêmes, et de ceux que l’on a charroyés pour le besoin des colonisations. C’est l’écume de ces vagues qui distille un intranquille murmure, habité de mille sources, virtuel de mille ressources.
Hélas, dans ce chaos génésique, les descendants des Arawaks et des Kalinagos, ne sont plus que des sources négligées, et donc, en ce qui concerne notre devenir à nous caribéens, des ressources potentielles abimées. À l’heureuse du bonheur, leurs formidables équations culturelles n’ont pas pris disparaître malgré le génocide ; elles ont seulement désapparu, nourrissant par en-bas, mais nourrissant malement, ce que nous sommes maintenant. Il est temps de les reconnaître. Il est temps de nous ouvrir en eux, de les ouvrir en nous – non en ombres folkloriques, mais en citoyens d’office, sujets trans-nationaux, de notre grande Caraïbe qu’ils savaient, de toute éternité, concevoir dans une continuité de terre, de ciel, de mer, d’aller-virer et de balans du vent.
Blason
Alors, tenons cette poétique : ouvrir nos pays ; permettre à ces filles et ces fils de l’horizon premier, de circuler sans chaînes, de s’enraciner comme bon leur semble dans chacune de nos terres, sans accrocs ni barrières. Offrons-leur (et offrons-nous dans le même temps) un moment de justice historique, un éclat d’élégance mémorielle : le blason d’une vision hospitalière du monde.
Cette citoyenneté-en-étendue serait une réparation symbolique du génocide inaugural. Elle leur rétablirait une présence plénière parmi nous, laquelle deviendrait la trame incontestable de notre espace commun. La Caraïbe pourrait ainsi déserter sa chimère d’insularités éclatées, sans mouvement d’ensemble autre que celui, absurdement capitaliste, d’une liturgie économique. Elle pourrait ouvrir la ronde d’une rythmique de jazz où chaque île-pays s’amplifierait des échos et des richesses des autres ; où chaque citoyen improviserait en lui toutes les histoires, toutes les mémoires, toutes les souffrances, mais aussi toutes les beautés de ce qui constitue la gamme géographique la plus créole et la plus musicale du monde.
Nations-relation
Nous, du pays-Martinique, avons encore à nous débarrasser des vyé zombis mentaux qui nous lient aux abrutissements de l’outremer français. Riches d’une souveraineté optimale, maîtrisant nos interdépendances avec la France, avec l’Europe, nous pourrions enfin assumer nos en-communs de destin avec la Caraïbe. Et kisa de plus beau, de plus juste, de plus vrai, que d’amorcer cette utopie refondatrice en reconnaissant Kalinagos et Arawaks comme fils ainés — inaliénables, légaux et légitimes ! — de notre bel archipel ? Kisa de plus exaltant que de les retrouver libres de le parcourir, de l’habiter au vent, de l’enchanter des sillons de leurs chants, de leurs récits, des kanawas pacifiques de leurs vies ?
Voici une des beautés que cette citoyenneté va engendrer : la Caraïbe s’élèvera en une belle offrande de complexité historique, patrimoniale, mémorielle, de géopolitique démiurge, de solidarité généreuse, et pour tout dire : de Relation. La référence à cette poétique de la Relation d’Édouard Glissant est ici obidjoule. Le poète proposait une gourmandise du monde où les rapports entre les peuples, les cultures, les territoires et les individus, ne seraient plus de dominations ou d’exclusives souveraines. Elles s’agenceraient dans l’interaction horizontale des différences, et de ces surgissements qui naissent sans fin de leurs rencontres. Cette vision récuse les cadres usés des vieux États-nations, le plus souvent moisis sur des verticales du pouvoir et de l’identité. Elle nous offre une partition polyrythmique pour improviser ensemble une mélodie d’alliances plus fluides, plus inclusives de nos appartenances. Danser ça ! auraient admis les répondeurs.
Donc : ni outremer, ni empire, ni fédération, ni confédération, ni zone de libre-échange…, mais l’inouï d’une catégorie juridique nouvelle : l’ouvert d’un archipel-relationnel qu’il nous revient d’imaginer. Chaque descendant des Arawaks et des Kalinagos pourra y retrouver sa terre-mer-archipel, sa voix originelle, sa voie caribéenne, y libérer son devenir dans tous nos devenirs. Il ne s’agit plus de seulement réparer les crimes du passé, mais ‒ sans pathos, sans haine, et sans rien oublier ‒ d’agencer une présence caribéenne où chaque source s’étincelle dans les autres, où les jouvences de l’un viennent compenser les vieillissements de l’autre, où chaque célébration relationnelle acquise, exalte le diversel fondal-natal de nos humanités. C’est un Faire-caraïbe ! auraient crié les répondeurs.
Une nouvelle cheffe des Kalinago de la Dominique vient d’être élue. Il s’agit de Mme Anette-Thomas Sandford. S’il nous fallait lui formuler un hommage, ce serait cette adresse ouverte, destinée à toutes les organisations officielles et entités civiles qui envisagent une autre Caraïbe 1 . Y souscrire sublimerait nos solidarités. La mettre en œuvre désignerait au monde une manière de transcender l’héritage terrifiant des méfaits coloniaux et des folies de la Traite. La proclamer esquisserait surtout un joli pas de tango vers l’idée des « nations-relation » — celles qui sont à venir, celles qui se verront tissées de souverainetés intimes poussées à l’optimal ; celles qui augureront d’une citoyenneté neuve, joyeuse, post-capitaliste, planétaire, poétique et nomade. C’est l’horizon de notre Faire-pays ! auraient hélé les répondeurs.
1 – Association des États de la Caraïbes (A.E.C.), Organisation des États de la Caraïbe orientale (O.E.C.O.), Communauté des Caraïbes (CARICOM), Système d’intégration Centraméricain (SICA), Alliance Bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), à l’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR)…etc.
L'HÉRITAGE MAOÏSTE DANS LA POLITIQUE SÉNÉGALAISE
Du Petit Livre rouge aux hautes sphères de l'État, toute une génération de politiciens et d'intellectuels a été façonnée par ce mouvement radical. Aujourd'hui encore, des figures comme Madièye Mbodj témoignent de cette empreinte durable
(SenePlus) - Dans les coulisses du pouvoir sénégalais, une tendance discrète mais persistante se dessine : la présence d'anciens maoïstes dans les hautes sphères de l'État. Ce phénomène, peu connu du grand public, témoigne de l'influence durable d'un mouvement qui a marqué toute une génération d'intellectuels et de politiciens.
Comme le rapporte Le Monde, "c'est une règle non écrite de la vie politique sénégalaise. Depuis deux décennies, on trouve toujours un ancien maoïste dans les hautes sphères du pouvoir." Cette réalité se vérifie encore aujourd'hui, avec la présence de Madièye Mbodj, un "mao" historique, comme conseiller du nouveau président Bassirou Diomaye Faye.
L'influence maoïste au Sénégal remonte aux années 1970, une période marquée par l'effervescence intellectuelle et politique dans le monde entier. Dans un Sénégal alors dirigé par Léopold Sédar Senghor, les idées marxistes gagnent du terrain parmi la jeunesse. Cependant, c'est la pensée de Mao Zedong qui trouve un écho particulier auprès des jeunes sénégalais.
Mamadou "Mao" Wane, sociologue et figure emblématique de ce mouvement, raconte : "Issa Samb alias 'Joe Ouakam', l'un des plus célèbres artistes contemporains sénégalais décédé en 2017, ramenait secrètement de Mauritanie des exemplaires du livre en traversant le fleuve entre les deux pays." Cette anecdote illustre le caractère clandestin et risqué de l'engagement maoïste à l'époque, la simple possession du Petit Livre rouge pouvant entraîner des ennuis avec la police.
Malgré ces risques, le mouvement attire de nombreux jeunes, séduits par ses activités culturelles et son approche intellectuelle. El Hadj Kassé, ancien maoïste devenu écrivain et conseiller politique, explique : "Chaque militant devait être 'rouge et technicien'. Nous lisions de l'économie, des sciences dures, des traités d'ingénierie… Nous traduisions en wolof des textes pointus pour les lire dans des groupes ouvriers…"
Cette formation rigoureuse a contribué à façonner une génération de penseurs et d'acteurs politiques. Parmi eux, on trouve des figures comme Omar Blondin Diop, intellectuel brillant et figure subversive, dont la mort en détention en 1973 reste entourée de mystère.
L'influence du mouvement maoïste au Sénégal ne s'est pas limitée à la sphère politique. Il a également joué un rôle précurseur dans plusieurs domaines. Comme le souligne Le Monde, "l'organisation féministe pionnière Yewwu Yewi ('Prendre conscience et se libérer' en wolof) naît de leurs rangs dans les années 1980." De plus, les anciens maoïstes continuent d'animer les débats sur les orientations économiques et le développement du pays, à l'image de l'économiste Demba Moussa Dembele, critique du franc CFA.
Le mouvement maoïste a également joué un rôle crucial dans la transition démocratique du Sénégal. Un ancien ministre, cité anonymement par Le Monde, affirme : "Les maoïstes ont été des acteurs importants de la transition démocratique. À la fin des années 1970, certains ont rejoint l'organisation panafricaniste dirigée par Cheikh Anta Diop, le Rassemblement national démocratique, qui a participé à exercer une pression sur le président Senghor afin que le Sénégal accède au multipartisme."
Cette influence s'est poursuivie dans les années 2000, lorsque Landing Savané, leader du parti maoïste And Jëf, a soutenu la candidature d'Abdoulaye Wade, contribuant ainsi à la première alternance politique du pays.
Aujourd'hui, si les anciens maoïstes ont emprunté des chemins politiques divergents, beaucoup gardent des liens forts. El Hadj Kassé souligne : "Il y a de l'estime, du respect entre nous malgré les divergences, du fait de cette époque partagée."
L'héritage maoïste dans la politique sénégalaise contemporaine soulève des questions intéressantes sur l'évolution des idéologies et leur adaptation aux réalités du pouvoir. Comme le note un ancien militant cité par Le Monde : "Les anciens révolutionnaires étaient nombreux au gouvernement lors du rétablissement des relations entre la Chine et le Sénégal en 2005. [...] Quand il rencontre un communiste chinois, il le comprend vite, il connaît cette culture."
Cette connaissance approfondie de la culture politique chinoise pourrait-elle jouer un rôle dans les relations sino-sénégalaises actuelles ? Bien que ce facteur ne soit pas déterminant, il ajoute une dimension intéressante à l'analyse des dynamiques politiques et diplomatiques entre les deux pays.
Par Hamidou ANNE
LE PROJET CONTRE LE NEANT VERBEUX
Ceux qui se prévalent d’un projet de changement «systémique» devraient enfin l’exposer devant la représentation nationale. Au lieu de réduire la discussion politique à une querelle sur la machine à café
La polémique politicienne tente de masquer les vraies questions liées à l’économie et aux pas majeurs franchis par notre pays durant la dernière décennie. Le Sénégal est un pays à bâtir, à transformer en profondeur et à propulser sur la scène internationale comme un modèle de démocratie solide et d’économie conquérante. Dans le livre-bilan publié par l’ancien régime et intitulé «Macky Sall : 12 ans à la tête du Sénégal», une réalité saute aux yeux, relative à la continuité de l’Etat et à la nécessité de poursuivre l’œuvre de transformation économique et sociale dans la paix et la stabilité. A ce sujet, le régime du Président Macky Sall avait esquissé un plan pour continuer les efforts entrepris avec le Pse, articulés dans des projets, des programmes et des financements ambitieux.
Dans l’ouvrage précité, à la partie «Défis et perspectives», il est mis en évidence les projections contenues dans le Programme d’actions prioritaires (Pap3), qui devait prendre le relais du Pap2a dont la conception avait été dictée par la crise du coronavirus et la nécessité de préserver notre pays de la récession. D’ailleurs, notre excellente gestion du Covid-19, de même que notre capacité d’anticipation avaient permis de rendre notre économie résiliente aux chocs.
Le Pap3 dont l’ouvrage décline les différents axes, articule les politiques publiques entre 2024 et 2028. Il met en exergue cinq défis : la construction d’une économie compétitive, inclusive et résiliente ; le développement d’un capital humain de qualité et la capture du dividende démographique ; le renforcement de la résilience des communautés face aux risques de catastrophes ; la consolidation de la gouvernance ; et la promotion d’une Administration publique moderne, transparente et performante.
Dans le Pap3 conçu par les fonctionnaires de l’Etat du Sénégal, que des ignorants appellent «Système», il est prévu une augmentation massive du montant global de financement. Celui-ci est estimé à 27 182 milliards F Cfa contre 14 712 milliards F Cfa pour le Pap2a, soit une augmentation de 84, 8% en valeur relative. Ce volume est réparti ainsi qu’il suit : Public pur : 13 359 milliards F Cfa ; Privé pur : 9215 milliards F Cfa ; Ppp : 4605 milliards F Cfa dont la contrepartie de l’Etat est de 1152 milliards F Cfa.
Le Pap3, dans le cadre d’un paquet de 32 projets et de 22 réformes, a comme ambition une accélération de la croissance économique, avec un taux moyen annuel qui passerait à 7, 7%. L’Indice de développement humain passerait de 0, 51 en 2021 à 0, 59 en 2028. Quant à la pauvreté, elle baisse à 25% en 2028 contre 37, 8% en 2019.
La phase 3 du Pse a également prévu une hausse du Pib par tête, de 845 449, 2 en 2023 à 1 061 452, 6 en 2028. Sur la même période, il est attendu une augmentation significative du taux des exportations par tête qui passerait de 192 092 F Cfa à 417 720 F Cfa, ainsi qu’un accès global à l’électricité qui devrait atteindre les 100% en 2028. Ce chiffre éloquent est obtenu grâce aux efforts massifs déployés dans le cadre de l’électrification rurale.
Le Pap3 est opérationnalisé par un Programme d’investissements prioritaires (Pip) 2024-2026 dont le Parlement est informé et dont les financements sont obtenus. Il s’agit d’un volume d’investissements de 9 434 924 380 771 F Cfa réparti annuellement comme suit : 1 889 271 569 999 en 2024, 3 263 055 708 759 en 2025 et 4 282 597 102 011 en 2026.
Ces investissements reprennent et amplifient les priorités stratégiques de la politique économique du Sénégal déroulée dans le cadre du Pse depuis 2014. Ils concernent l’agriculture et l’industrie, les infrastructures et le désenclavement, l’éducation nationale, surtout l’enseignement technique et professionnel.
Le Pap3 réitère également la politique sociale dont les six marqueurs forts sont renforcés, comme le Pudc et le Programme des bourses de sécurité familiale.
Les dirigeants actuels ont fondé leur discours politique sur la préférence nationale. En moins d’un semestre d’exercice du pouvoir, l’activité économique ralentit à cause des effets combinés de l’acharnement fiscal, du pilotage à vue, de l’incertitude, des menaces et de la perte de confiance. Or, dans le Pap3, l’orientation est claire. Après des investissements publics soutenus pour les deux premiers Pap, il fallait hausser la contribution du secteur privé à hauteur de 46, 6%, à travers des mesures incitatives, une politique agressive de promotion et un cadre juridique réformé. L’ambition du Pap3 est de faire du secteur privé national le véritable moteur de l’industrialisation et de l’émergence.
Ceux qui se prévalent d’un projet de changement «systémique» devraient enfin l’exposer devant la représentation nationale. Ils ont l’obligation d’inscrire dans l’agenda politique national, le débat sur les orientations économiques et sociales au lieu de réduire la discussion politique à une querelle sur le tapis rouge, la machine à café, la salle de sport et les schémas puérils. La brutalité dans les méthodes, le langage ordurier et la vacuité intellectuelle ne sauraient constituer un programme de gouvernement solide et crédible. Ils ne projettent pas non plus une vision à même d’accélérer la cadence de notre économie et de renforcer l’image du Sénégal sur la scène internationale.
L’ancienne majorité a présenté son bilan de douze années et a expliqué sa méthode pour gouverner le pays sur les cinq prochaines années. Elle n’aura pas l’occasion de dérouler le Pap3 conformément au verdict des urnes. Ceux-là qui sont en responsabilité devraient mettre un terme à l’évitement du débat programmatique, quitter le débat sur la vaisselle et l’électroménager, et enfin fixer un cap pour le pays.
Le régime a le droit de provoquer des élections législatives anticipées pour sauver son chef du gouvernement d’un naufrage devant les députés et devant toutes les caméras du monde. Car l’outrance et l’outrage dans une langue au demeurant sommaire sont tout de même assez insuffisants pour tenir lieu de Déclaration de politique générale.
Ma conviction est faite : nous avons le devoir de mettre rapidement un terme à cette farce de mauvais goût par la voie des urnes, en remplaçant le néant verbeux par un véritable projet de transformation économique et sociale du Sénégal.