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28 avril 2025
Diaspora
par Oumar Ndiaye
QUELLE NOUVELLE POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU SÉNÉGAL ?
Le Sénégal et le Cap Vert avec des trajectoires politiques et démocratiques similaires marquées par des alternances récurrentes et fréquentes, peuvent être les fers de lance d’une nouvelle renaissance ouest-africaine et même africaine
Allier la démocratie et l’économie dans une approche souverainiste , panafricaniste et internationaliste
À chaque changement de régime, les politiques intérieures comme extérieures sont scrutées pour savoir dans quelle direction un pays sera dirigé et drivé. La politique étrangère d’un pays est marquée par des constantes et des variables. Celle du Sénégal, ces deux dernières décennies , a été caractérisé par les constantes du bon voisinage ouest africain avec le président Wade et surtout théorisé par le président Sall par sa métaphore du « craton ouest africain » en référence à cette structure géologique de notre espace géographique sous régionale. Il y a sous Macky et Wade, comme constante, la consolidation de nos partenariats traditionnels (Maroc, France, Usa, Arabie Saoudite, etc). Il y a aussi et surtout la diversification de nos partenariats avec d’autres pays comme la Chine, la Turquie, l’Inde , le Brésil, Émirats Arabes Unis, etc, entamée par Wade et poursuivie et prolongée par Macky Sall jusqu’à faire du Sénégal , un pivot et une place de choix dans ce qui est appelé le Global South. S’agissant des variables, elles n’ont pas trop évolué sinon que cette ouverture vers d’autres partenaires. Ce qui permet de donner une direction ou encore des indications de ce que sera la politique extérieure d’un dirigeant à la quête du pouvoir, c’est dans doute son programme de gouvernance ou encore son projet de société.
La nouvelle équipe dirigeante du Sénégal a ainsi un programme qu’ils ont présenté aux électeurs, même si cette exercice dans notre démocratie est réservé à une certaine élite sachant lire et surtout comprendre les enjeux.
Connu pour leur approche souverainiste, nationaliste et panafricaniste, les nouveaux tenants du pouvoir au Sénégal dont la plupart viennent de l’ex parti Pastef, n’ont pas, à proprement parlé, penser une politique étrangère qui prend en compte la place et la dimension du Sénégal dans le monde. Dans le document qu’ils ont partagé, juste quelques lignes, sur 84 pages, sont réservées à ce qu’ils appellent : « Pour une véritable intégration sous régionale et africaine » avec entre autres des vœux pieux et radieux toujours déclarés et déclamés sous le vocable de la CEDEAO des peuples avec des reformes envisagées : « Nous porterons une initiative de réforme de la CEDEAO à travers le renforcement du Parlement de la Communauté, de la Cour de justice de la Communauté et une atténuation de la prépondérance de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement ». Il n’en demeure pas moins que la CEDEAO est une Communauté économique régionale (CER) que partagent 15 pays. Dans cette organisation, l’Article 9 du Traité qui parle de la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement des États Membres qui est l'institution suprême, dispose que : « Sauf dispositions contraires du présent Traité ou d'un protocole, les décisions de la Conférence sont prises, selon les matières, à l'unanimité, par consensus, à la majorité des deux tiers des États Membres ».
Donc quelque soit la volonté d’un pays, la valeur et la teneur de ses propositions, il sera difficile de les faire adopter dans une organisation qui traverse une crise conjoncturelle avec des contingences politiques et des divergences linguistiques. La CEDEAO qui, nous le rappellons, malgré les reproches qui lui sont faits, est l’une des meilleures sinon la meilleure Communauté économique régionale d’Afrique eu égard de plusieurs facteurs comme ces 17 % de commerce intrarégional (au-dessus de beaucoup d’autres organisations régionales) ; une libre circulation des personnes et des biens, même si les tracasseries persistent ; un attrait économique certain, etc.
La vision panafricaniste reste aussi présente et prégnante dans ce document programme avec cette phrase : « Nous renforcerons les missions diplomatiques du Sénégal dans les pays africains par la construction d’ambassades à la mesure du rayonnement international du Sénégal et l’affectation d’ambassadeurs et de diplomates expérimentés ». A voir si ce ne sera pas en contradiction avec cette volonté de réduire le train de vie de l’Etat tant chantée lors de la période de conquête du pouvoir, vu que l’élargissement de la carte diplomatique aura un coût même si le rayonnement international d’un pays n’a pas de prix.
A défaut d’avoir suffisamment d’éléments qui indiquent la direction que va prendre la politique extérieure d’un nouveau président, sa première visite officielle à l’étranger est aussi illustrative du sentier que sa diplomatie va prendre et le chantier à construire dans ce domaine. Si d’habitude, sous Wade et Macky, un pays de la sous-région et la France ont été les premières destinations, pour Bassirou Diomaye Faye, vu l’approche panafricaniste déclinée dans son programme, il est sûr qu’il se rendra en premier dans un État ouest-africain. Ce qui sera une continuité du craton cher au géologue Macky Sall. A ce niveau, nous estimons que le Cap Vert peut être un choix judicieux et aussi audacieux pour le premier déplacement du président Faye. Ce pays insulaire dont nous sommes le seul voisin immédiat, est à une heure de vol de Dakar. En plus de partager avec nous l’océan Atlantique, il est, comme le Sénégal, l’un des rares pays de notre espace ouest africain à de ne pas subir de Coup d’Etat. Cette longue tradition démocratique et de transmission pacifique du pouvoir du Sénégal et le Cap Vert doit être une phare qui illumine l’espace ouest africain assombri par des ruptures de l’ordre institutionnel qui ne font qu’occasionner un recul de la démocratie. Avec l’expérience ajoutée de nos deux pays, l’Afrique de l’Ouest peut être une terre où l’accession au pouvoir par les urnes serait une règle et non une exception.
Il sera ainsi facile d’opérer les changements souhaités à la CEDEAO qui par manque de moyens de coercition et de correction n’a pas pu juguler cette propension de conservation du pouvoir par les urnes avec les troisièmes mandats et sa conquête par les armes avec les Coups d’Etat. Depuis les années 90, l’Afrique de l’Ouest a traversé des crises majeures avec en toile de fond, la question de la démocratie. Lors de cette période, la plus grande menace venait des pays dits du Mano River (Libéria, Sierra Leone, Guinée) avec des rébellions sanglantes et des coups d’État à répétition. Ces pays ont pu sortir la tête de l’eau et amorcer une vague de démocratisation qui est en train de faire son chemin malgré quelques houles. Il y a eu aussi, depuis le début des années 2000, le terrorisme djihadiste qui est en train de consumer certains États ouest-africains. Aujourd’hui les crises ont changé de fusil d’épaules pour ne plus provenir des armes mais plutôt des urnes.
Il nous faut donc une stabilité institutionnelle dans tous les pays ouest africains afin de faire face à tous les défis sécuritaires, humanitaires, climatiques et économiques qui se posent avec avec acuité et dont la résolution ne sera pas sans difficultés.
Nos deux pays, le Sénégal et le Cap Vert, partagent surtout un espace maritime qui peut et va être prochainement un pivot de notre économie avec l’exploitation des hydrocarbures. Même si nous partegons avec la Mauritanie un des nos plus grands gisements de gaz, Grande Tortue Ahmeyim (GTA), il reste toujours dans notre bassin sédimentaire des poches pas encore explorées et qui pourraient être proches des côtes Cap-verdiennes. Sans ajouter que le Sénégal abrite depuis des siècles une diaspora cap-verdienne qui s’est totalement intégrée avec dans ses bagages son patrimoine culturel surtout musical que nous avons aussi adopté.
Dans le domaine sécuritaire, la mer est devenue un espace criminogène et le terreau fertile de plusieurs trafics (drogue, migrants, piraterie maritime). Il s’y ajoute qu’après leur implantation dans la zone continentale, les groupes terroristes visent le littoral c’est-à-dire la mer comme leur nouvel espace de projection. D’où l’importance de développer et de densifier notre coopération avec le Cap Vert avec qui beaucoup de choses nous lient : de la démocratie à l’économie.
Nous osons espérer que ces deux pays dans l’espace ouest-africain, le Sénégal et le Cap Vert avec des trajectoires politiques et démocratiques similaires marquées par des alternances récurrentes et fréquentes, peuvent être les fers de lance d’une nouvelle renaissance ouest-africaine et même africaine.
Oumar Ndiaye est journaliste, diplômé en Relations internationales et études de sécurité.
LE SÉNÉGAL DE SENGHOR À SONKO, UNE GESTION PARADOXALE DE L'ÈRE POSTCOLONIALE
Nous assistons à l’ouverture de la troisième République, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia
Gaston Kelman et Jemal M Taleb |
Publication 07/04/2024
Le Sénégal ne laisse aucun Africain indifférent parce qu’il s’est toujours présenté comme un modèle unique. Unique, il l’a été dans l’approche mémorielle de l’histoire de l’Afrique. En effet, avec la porte de non-retour de l’île de Gorée, on a le mémorial qui a su imposer à tous les présidents américains de s’incliner devant le drame de la traite négrière. On se serait attendu à ce que chaque côte africaine ait le sien. Le Sénégal l’a fait. L’honneur est sauf. Un jour peut-être… Un jour qui sait… Les autres comprendront que les âmes des déportés attendent cela de nous pour devenir respectables au pays des ombres. Après le mémorial pour l’histoire, la bien nommée Statue de la Renaissance dont l’espérance de vie est plus que millénaire, pointe le doigt vers un avenir radieux et offre au continent qui en manque cruellement, une trace de notre génération pour la postérité.
Mais le Sénégal est aussi unique dans sa gestion paradoxale de l’ère postcoloniale, mélange d’une aliénation outrancière à l’Occident et du plus bel espoir de changement. En effet, la gouvernance des nations africaines postcoloniales s’inscrit sur quelques axes majeurs. Les frontières entre ces axes ne sont pas étanches. Nous allons nous contenter d’en illustrer trois ici, parce qu’ils comportent des des éléments assez forts non perceptibles à première vue. Tous ces axes sont des suites bien logiques d’une histoire unique, celle de l’Afrique et de l’Afrique francophone en particulier, faite de violence, de soumission, d’humiliation, d’aliénation, de traumatisme. Il y a au cœur de tout cela, cette difficulté de la France à comprendre que le monde évolue, même l’Afrique. Puis on voit poindre quelque chose comme une aube nouvelle au pays des énigmatique Signares.
Premier axe : le temps des coups d’état.
Le coup d’état est un mode assez répandu d’accès au pouvoir en Afrique. C’était le modèle le plus logique. Le colon avait fait signer des accords iniques par des dirigeants dont il avait organisé l’accession au pouvoir. Si quelqu’un ne correspondait pas ou plus à son modèle, il le faisait déposer par un plus docile. Tenus par la peur, les dirigeants espéraient ne pas devoir assister à la destruction programmée de leur pays comme ce fut le cas pour la Guinée, parce que Sékou Touré avait osé dire non au plan unilatéral de la France sur son pays.
Un autre aspect justifiait le coup d’état. Le colon a usé de la violence comme seul modèle d’exercice de pouvoir sur les indigènes. Le gouverneur venu d’un pays démocratique n’était pas élu par ceux qu’il dirigeait. Il leur était imposé par la force et exerçait cette force sur eux comme unique outil de gouvernance. C’est donc le seul modèle de dévolution et de conservation de pouvoir que le dirigeant africain connaissait.
Il convient de noter que le coup d’état n’est pas mort. Il reprend même de la vigueur. Pourtant, le concept a très fortement évolué. Jadis, c’est l’Occident qui fomentait des coups d’état pour mettre des dirigeants à sa solde. Il n’a d’ailleurs pas abandonné cet axe. Mais aujourd’hui, les coups d’état sont aussi organisés localement pour déposer les dirigeants que l’on juge trop à la solde de l’Occident.
Deuxième axe : la tentation dynastique.
Il y a quelques années, le coauteur de ce texte, Gaston Kelman, publiait un article intitulé « La tentation dynastique ». Il soutenait que c’était le modèle de gouvernance le plus conforme aux aspirations des humains. C’est celui dont on trouve la trace dans tous les peuples non acéphales. En Occident, il était déjà en cours pendant la période de barbarie médiévale. On le retrouve à la renaissance et il assure le développement de l’Occident. La démocratie inventée cinq siècles avant l’ère chrétienne ne séduit personne et n’a absolument pas ébranlé ce modèle qui allait de pair avec la monarchie. C’est quand il a achevé son développement avec ce système aux contours clairs – je suis le chef et je lègue le pouvoir à mon fils – que l’Occident a mis en place ce fourre-tout qui a pour nom « démocratie » dont on ne trouve pas une application identique dans deux pays. Ici, on a recours à la votation-référendum, ailleurs la démocratie est dite représentative, avec une élection par les individus ou par les grands électeurs, au scrutin uninominal ou de type proportionnelle, elle même totale ou partielle. Et après avoir démocratiquement élu ses représentants, le peuple est obligé de descendre dans la rue tous les jours pour se faire entendre, pour faire respecter ses droits, parce que quelques lobbies n’en font qu’à leur tête et se paient la sienne.
La tentation dynastique est logique dans les nations en construction comme les nations africaines ou les… Etats-Unis d’Amérique. Qui peut imaginer que Georges W. Bush aurait été président si son père ne l’avait été avant lui ! Hilary Clinton aurait-elle rêvé de la Maison blanche si elle ne l’avait connue à travers son Bill ! On sait que Barack Obama y a pensé – et peut-être y pense encore – pour sa Michelle et que les Kennedy un instant ont été convaincus qu’ils allaient se céder le bail les uns après les autres, par ordre d’aînesse sur plusieurs générations. En Occident et en France en particulier, les présidents de la république créent souvent une véritable cour familiale autour d’eux.
Fort logiquement, le modèle dynastique a le vent en poupe en Afrique. Il ne s’agit point d’approuver ou de désapprouver. Personne ne se félicitait des coups d’état. Ils étaient logiques parce que le dominant ne voulait pas lâcher le dominé. Le modèle dynastique qui s’insinue dans le paysage africain charrie toute la panoplie de personnages qui va avec, le dauphin, le régent et même Brutus. Parfois elle prend des formes qui pourraient échapper aux statistiques. Sur une vieille photo en noir et blanc des années 1960/1970 (à voir en illustration 2), on voit divers personnages. Ce qui les caractérise, c’est qu’ils ont tous exercé le pouvoir suprême et continuent à se léguer le palais présidentiel. Il y a la Jomo Kenyatta, premier président du Kenya (1964/1978) qui tient un gamin de cinq ans par la main. On y voit Daniel Arap Moï qui sera le deuxième président (1978/2002) et Mwaï Kibaki (2002/2013) qui sera le troisième. L’enfant que Jomo tient en main, c’est son fils Uhuru, qui avait été élu en 2013.
Point n’est besoin de faire l’inventaire de la situation actuelle. Les cas sont nombreux. On a – ou on a eu – au pouvoir des régences, des Brutus et des dauphins. Il paraît que le président camerounais, un modèle assez exceptionnel de longévité, caresserait le rêve – ou y serait poussé par la courtisanerie – de voir son fils Franck lui succéder.
L’axe majeur : les nervis de l’Occident et de la France en particulier.
L’Afrique est secouée par des mouvements de révolte. On a l’impression d’assister au deuxième acte des indépendances. Ces mouvements sont-ils identiques partout ? Ce qui est certain, ils sont tous placés sous un commun dénominateur, le sentiment anti français. C’est ce bel euphémisme qu’ont choisi les médias hexagonaux. Mais hélas, la situation est bien plus explosive, beaucoup plus préoccupante qu’un pâle sentiment. Il s’agit de la haine suscitée et entretenue par l’arrogance des gouvernants français, leur autisme face aux évolutions en Afrique. Cette situation est décriée même par certains élus et inconditionnels de la France. Cette situation a créé un sentiment de ras-le-bol qui frise l’asphyxie au sein de la jeunesse.
Il existe sur le continent des dirigeants que l’on considère à la solde de la France. Ils seraient plus là pour les intérêts du maître que pour le développement de leur pays. Ce sentiment a été renforcé récemment par le soutien que ces dirigeants on apporté à l’Eco, cette monnaie que l’on a proposé pour remplacer le CFA.
La colère a franchi un cran avec la levée de bouclier de la CEDAO contre le coup d’état au Niger. La lecture que le continent a fait de la position de la CDEAO était qu’elle obéissait à la France qui gigotait dans des positionnements ubuesques, d’un comique troupier. Certains de ces présidents vont jusqu’à dire qu’ils doivent tout à la France et que leurs pays vivent sous perfusion grâce à l’aide au développement. L’obstination de la France à s’appuyer sur ces nervis, plutôt que de concevoir un autre système de relations avec l’Afrique, voilà le carburant du ressentiment de la jeunesse africaine. Et parmi cette jeunesse, on compte le nouveau pouvoir du Sénégal.
Le Sénégal, un cas à part.
Puis il y a le Sénégal qui apparaît au départ comme la terre de l’aliénation et de l’adaptation simiesque au modèle occidental, et français en particulier. Paradoxalement au fil de l’évolution de la gouvernance de ce pays, on observe un mouvement ascendant, comme irrésistible, espoir de désaliénation. Avec l’avènement du nouveau pouvoir, nous avons réparti l’ère post coloniale du Sénégal en trois républiques.
1. Senghor et la république de l’aliénation.
Qu’est-ce qui a pu pousser ce Sérère dans cet inattendu degré d’aliénation pour un intellectuel ! En effet, l’on conçoit fort bien que le traumatisme de l’impérialisme pousse le dominé à se croire inférieur. Mais dans toutes les situations, l’essence de l’intellectuel est de prêcher la libération, ce bien vers lequel aspire tout individu. Et du temps de la lutte pour la libération, on n’imaginait pas un intellectuel digne de ce nom qui ne soit pas « engagé ». L’engagement était le signe distinctif de l’intellectuel colonisé et toutes les dissertations de français tournaient autour de ce thème.
Des compagnons de route de Senghor qui ont connu la même histoire (Mamadou Dia le colonisé) ou même des situations plus complexes (Césaire, descendant d’esclave et colonisé) ont eu des discours plus libres, plus engagés. On n’oubliera pas Le discours sur le colonialisme de Césaire et son cri selon lequel, le malheur de l’Afrique c’est d’avoir rencontré la France. On n’oubliera pas non plus le Cahier d’un retour au pays natal, véritable manifeste de la libération et de la grandeur future de l’Afrique qu’il voit « multiple et une, verticale dans sa tumultueuse péripétie, avec ses bourrelets et ses nodules, un peu à part, mais à portée du siècle comme un cœur de réserve ».
Senghor ne voit l’Afrique que sous la tutelle de la France. Il est dans une allégeance assumée, revendiquée, professée. Il veut y embarquer le Sénégal et toute l’Afrique qui pour lui est «attachée à la France par le nombril». Le plaidoyer du premier président par rapport à la langue française est tout simplement inqualifiable. Le Français, cet outil merveilleux qu’il aurait trouvé dans les décombres du colonialisme, il voudrait l’ériger en trésor africain, dont les langues maternelles occuperaient désormais la même place que le basque ou l’occitan. La fascination de Senghor par rapport à la langue française – et l’allégeance à la France qu’elle reflète – est sans borne. « Le français, offre une variété de timbres dont on peut tirer tous les effets : de la douceur des alizés la nuit sur les hautes palmes, à la fulgurance de la foudre sur la tête des baobabs_ ». Désormais, après avoir fait verdir les chênes et rougir les vignes, la poésie française sifflera sur la cime des palmiers et des baobabs d’Afrique. On a l’impression que pour lui, son sérère natal, le wolof, le bambara, la langue de Servantes ou celle de Dante ne peuvent pas exprimer la poésie. En un mot, c’est la France et la colonisation qui ont créé l’Afrique. La France elle-même n’en demandait pas tant.
On a de la peine a penser qu’un intellectuel, de surcroit président d’un état, ignore que les deux fondements d’une nation sont justement le territoire et la langue ; que comme le lui opposera Sembene Ousmane, «on ne décolonisera pas l’Afrique avec les langues étrangères». Justement, Senghor ne demande pas la décolonisation de l’Afrique, mais son effacement et sa dissolution dans la francophonie. Vous avez dit francophonie ! On lui offre généreusement d’avoir été le créateur de cette supposée unité culturelle. On lui offre une place à l’Académie française et un peu partout, on pense au timeo danaos_ du grand prêtre troyen Laocoon. Après le poète qui voudrait assujettir le culture africaine à la francophonie, l’homme politique va défendre les intérêts de la France et pour atteindre cet objectif, rien ne va l’arrêter.
Même pas son compagnon de route, Mamadou Dia. Avec le père de la Négritude, il fonde en 1948 le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS). Les rôles sont repartis. Senghor sera président de la république et lui Président du conseil des ministres dès 1956. C’est lui qui signera quatre ans plus tard les accords d’indépendance du Sénégal. Le modèle de gouvernement est un régime parlementaire bicéphale où les deux hommes se partagent le pouvoir exécutif. Senghor président de la République et gardien de la Constitution, a une fonction de représentation, surtout au niveau international. Mamadou Dia élabore la politique intérieure et économique du pays. Plus radical que Senghor, il veut rompre le vis-à-vis avec la France en diversifiant les partenaires. Pour Senghor c’est non-négociable. Il organise le renversement de Dia pour sauvegarder les intérêts de la France et le condamnera à la prison à perpétuité dont il purgera douze années.
En quoi la position du poète président est-elle exceptionnelle ? L’Afrique a connu et connaît encore des dirigeants assujettis. Mais chez les uns et les autres, on sent plus la peur que la conviction. Il y a parfois aussi des aliénés naïfs qui pensent que l’aide de l’occident leur est nécessaire. Avec Senghor, nous sommes en présence du complexe du dominé qui n’arrive pas à se libérer de l’emprise du maître. L’aliénation de Senghor est unique. Il n’a pas peur de la France, il l’aime. Il lui est dévoué. Il est convaincu qu’elle est supérieure et que l’Afrique doit l’accepter et s’arrimer à elle, faire partie comme au temps jadis, de l’empire colonial, de la même façon que la Martinique ou Wallis et Futuna.
L’ère de l’aliénation Senghorienne se terminera avec l’appendice Abdou Diouf, roi fainéant, qui récoltera lui aussi pour services rendus, une retraite dorée au sommet de l’organisation de la… francophonie.
Abdoulaye Wade le bâtisseur ou la deuxième république.
Après l’intermède Diouf, un géant de l’Afrique contemporaine prend le pouvoir au Sénégal. C’est aussi un ancien et permanent opposant à Senghor. Abdoulaye Wade arrive au pouvoir à la faveur de la démocratie, ce canevas de la culture occidentale supposé universel et panacée du développement. C’est occidental, donc c’est excellent pour cette annexe de l’Occident que le Sénégal a toujours rêvé d’être. Les longues années de l’opposition, et l’indéniable intelligence de Gorgui, cet homme plein d’ambition pour son pays, vont faire le reste. L’homme est un prince bâtisseur. Il ne veut rien de moins que de changer la face du Sénégal. Il ouvre des chantiers pharaoniques dans l’urbanisme et les infrastructures. La puissance symbolique de certaines de ses réalisations est inégalée. La statue de la Renaissance est la première merveille de l’Afrique contemporaine et les monuments qu’il envisage de bâtir sous le nom des sept merveilles sont une ambition de grand homme.
Abdoulaye Wade va solliciter un troisième mandat pour terminer l’œuvre engagée. Il ne l’aura pas. Si Senghor a réussi à positionner son dauphin, Wade sera éjecté par le sien, Brutus Macky Sall. L’homme mènera une campagne farouche contre son ancien mentor pour soutenir contre vents et marrées cette nouveauté qu’est la limitation des mandats. Le Sénégal y tient mordicus, car ce doit être un indicateur des sociétés civilisées. Le discours le plus courant de Dakar à l’époque était le suivant. « Wade est excellent. On n’aura pas mieux, mais il a fait ses deux mandats, il doit partir ».
Que retiendrons-nous du règne appenditiel de Macky Sall ? Qu’il a poursuivi vaille que vaille quelques chantiers de Wade ; qu’il a construit un TER trop utile mais trop coûteux, ou qu’il se félicitait de l’amour que la France a toujours manifesté pour le Sénégalais, puisque les soldats sénégalais avaient le dessert et les autres rien. Peut-être on retiendra aussi cet alignement caricatural et attristant à l’option dictée par Paris sur les coups d’état qui secouent le Sahel. Mais on retiendra surtout sa volonté farouche de ne pas s’appliquer la limitation de mandats. Et tout y est passé, l’interprétation très opportuniste des textes constitutionnels, le harcèlement et l’emprisonnement arbitraire des opposants, la répression sanglante des soulèvements populaires…
Bassirou Diamoye Faye et la rupture de la troisième république.
Une image a fait le tour de la planète. Un jeune homme arpente une plateforme, une femme à sa droite, une femme à sa gauche. Cet jeune homme, c’est le nouveau président du Sénégal le soir de son élection. Et ces deux jeunes dames, ce sont ses épouses. Nous sommes au Sénégal, un pays africain où la polygamie est autorisée. Nous sommes en présence de Bassirou Diamoye Diakhar Faye, le tout nouveau président de la république et de deux jeunes dames, en beauté, en grâce et au port altier. On écrirait une encyclopédie en plusieurs volumes pour analyser la puissance de cette image. En Afrique, beaucoup de présidents ont plusieurs épouses. Mais la pensée unique leur interdit d’assumer leur culture. La même pensée unique ici vante parfois son charme et l’appelle affectueusement « poly amour ». Alors, ces présidents et hauts responsables tartuffent à qui mieux-mieux et laissent leurs épouses dans l’ombre. Le jeune président assume. Mais ce n’est pas tout.
Le jeune homme qui parade avec ses deux épouses n’est pas celui qui était prévu à cette place. En fait, le père de cette aventure se nomme Ousmane Sonko, l’homme a abattre du régime Sall. Il aurait pu mettre le Sénégal à feu et à sang. Il a choisi une voie inédite. Puisqu’il est l’homme a abattre, puisqu’il ne cherche pas le pouvoir mais le bien du Sénégal, il trouve parmi ses compagnons celui que le magnat Sall ne pourra pas récuser. Et comme l’équipe est porteuse d’une vision et que nous sommes au Sénégal où on ne court pas derrière un messie mais derrière un programme de changement, le choix du parti est plébiscité par le peuple. On a connu des situations en Afrique où des candidats demandaient le boycott des élections présidentielles quand ils ne pouvaient pas se présenter ou celui des autres scrutins pour qu’il n’y ait pas un conseiller municipal de leur parti, encore moins un maire ou un député qui pourraient leur faire de l’ombre.
Quelle que soit la suite que ce gouvernement donnera à son aventure, nous assistons à une authentique révolution dans le modèle de gestion du pouvoir en Afrique. Nous assistons à l’ouverture de la troisième république, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia.
Tout le monde peut se revendiquer de Mamadou Dia puisque l’aliénation senghorienne ne fait plus recette. Le baptême d’un bâtiment ou d’une rue en son nom, c’est bon à prendre. Mais l’ancien président du Conseil posait l’autonomie de son pays par rapport à la France comme un impératif. Depuis son éviction, aucun président sénégalais, même pas Abdoulaye Wade, n’a osé relever le défi, viser ce niveau d’émancipation mentale. C’est donc à ce rendez-vous avec l’histoire que l’on attend de cette équipe de jeunes au profil de baba cool. Elle aussi revendique l’héritage de Dia. Le discours de campagne allait dans ce sens. Ousmane Sonko et ses camarades ont martelé leur exigence : que la France nous laisse tranquille comme les autres anciennes puissances coloniales le font pour leurs anciennes colonies. Les premiers gestes de la nouvelle équipe sont prometteurs et portent une puissance symbolique novatrice. Et en filigrane, on croit entendre comme ces mots d’Aimé Césaire quand il hurle aux autres, accommodez-vous de moi, je ne m’accommoderai point de vous.
Gaston Kelman est écrivain.
Jemal M Taleb est avocat au barreau de Paris, Diamantis & Partners.
LA DÉPOUILLE DE BOUN DIONNE ARRIVE MARDI
Auparavant, après la toilette rituelle musulmane, une cérémonie de recueillement suivie de la levée du corps est prévue le lundi 8 avril 202 à 14 heures 30 à la chambre funéraire de l’hôpital Pitié Salpêtrière à Paris
La dépouille de l’ancien premier ministre et candidat à la dernière élection présidentielle, Mahammad Boun Abdallah Dionne (22 septembre 1959-05 avril 2024), décédé vendredi dernier à Paris des suites d’une maladie, arrive au Sénégal le mardi 9 avril 2024 prochain par vol HC 404 de la compagnie aérienne nationale « Air Sénégal ». L’annonce est Christophe Lever du service Assistance Funéraire de l’hôpital Pitié Salpêtrière où il était interné.
Auparavant, après la toilette rituelle musulmane, une cérémonie de recueillement suivie de la levée du corps est prévue le lundi 8 avril 202 à 14 heures 30 à la chambre funéraire de l’hôpital. L’inhumation de l’ancien Premier ministre est prévue à Gossas, sa terre natale.
Agé de 65 ans à son décès, l’informaticien de formation diplômé de l’université Pierre-Mendès de Grenoble fut un fervent Talibé de Serigne Touba Khadimou Rassoul RTA. Après avoir passé cinq ans à la Primature pour devenir ensuite le Secrétaire général de la Présidence de la République, le défunt a été par la suite Président du conseil d’administration (Pca) de la Bicis après le rachat de « BNP Paribas » par feu Pathé Dionne.
L’ancien responsable de l’Alliance pour la république et de la coalition « Bennoo Bokk Yaakaar » s’était démarqué de la mouvance présidentielle pour aller à la conquête du pouvoir sous sa propre bannière pour la dernière élection présidentielle. Le candidat à la présidentielle et leader de la « coalition Dionne 2024 », qui devrait voter au centre Samba Youmba de Gossas (région de Fatick), n’a pas pu finalement effectuer son devoir civique le dimanche 24 mars 2024, 1er tour du scrutin présidentiel. Pour cause ? Ratrappé par un état de santé dégradant, il a été évacué en France pour une meilleure prise en charge. Son évacuation sanitaire à bord d’un avion médicalisé de la compagnie Airlec médical a été rendue possible par le président sortant, Macky Sall.
LE JOUR OÙ PAUL BIYA A FRÔLÉ LA CHUTE
Le 6 avril 1984, Biya a échappé de peu à une tentative de putsch orchestrée par des officiers de la garde républicaine. Cet épisode survenu il y a tout juste quarante ans, continue d'influencer la stratégie de maintien au pouvoir du président camerounais
(SenePlus) - Le 6 avril 1984, le Cameroun a retenu son souffle. Ce jour-là, le président Paul Biya a échappé de peu à une tentative de coup d'État orchestrée par des officiers de la garde républicaine. Cet épisode dramatique, survenu il y a tout juste quarante ans, a profondément marqué le chef de l'État et continue d'influencer sa stratégie de maintien au pouvoir, selon le récit publié dans les colonnes de Jeune Afrique.
D'après le magazine panafricain, Paul Biya se doutait depuis quelques jours qu'un putsch se préparait. Il en avait été prévenu par son directeur de cabinet Philippe Mataga, à qui il avait demandé de régler la situation discrètement. La veille des événements, par prudence, le président avait éloigné sa femme Jeanne-Irène et son fils Franck de la capitale Yaoundé à bord d'un hélicoptère piloté par le capitaine Joseph Feutcheu.
Mais le 6 avril, les putschistes, des officiers de la Garde républicaine originaires du nord du Cameroun et bénéficiant du soutien de l'ancien président Ahmadou Ahidjo, ont pris le contrôle de points névralgiques de la ville. Ils ont notamment arrêté et emprisonné le directeur de la Sûreté nationale Martin Mbarga Nguélé. Refusant de croire à l'ampleur du complot, Paul Biya s'est réfugié dans le bunker du palais présidentiel.
Pendant quelques heures, l'issue du coup d'État a semblé incertaine. Mais les partisans du président ont finalement réussi à reprendre la main, notamment grâce au général Pierre Semengue. "J'ai fait mon travail. Reprenez le vôtre", a-t-il lancé à Paul Biya en le sortant de sa cachette. Immédiatement, ce dernier a dissous la Garde républicaine et ordonné des enquêtes.
Du 27 au 30 avril, un tribunal militaire a condamné à mort 35 putschistes, exécutés quelques jours plus tard. Ahmadou Ahidjo, instigateur présumé du coup d'État depuis l'étranger, a également écopé de la peine capitale par contumace. Cet épisode a durablement changé le visage du Cameroun et marqué le règne de Paul Biya, qui n'a depuis cessé de resserrer son emprise sur le pays.
LES FÉMINISTES DÉNONCENT UNE CLAQUE POUR L'ÉGALITÉ
Le choix d’enlever le terme “femme” du ministère nous amène à penser que le statu quo sera maintenu. Il n’est pas concevable de parler d’un approfondissement du processus démocratique sans que la participation de la moitié de la société soit effective
Le Réseau des féministes du Sénégal déplore, dans un communiqué daté du 6 avril 2024, la faible représentation des femmes dans le nouveau gouvernement, en contradiction avec les engagements du Sénégal pour l'égalité et la parité :
"C’est avec consternation que nous avons reçu l’annonce de la composition du gouvernement ce 5 Avril 2024. Une composition ne nommant que 4 femmes sur une liste de 25 ministres et 5 secrétaires d’Etat. Les femmes ne représentent donc que 13,33% dans ce gouvernement dit de rupture, d’inclusion et d’équité.
Un gouvernement paritaire était effectivement possible, attendu et souhaité surtout venant d’un régime qui dit vouloir travailler pour plus de justice sociale. Nous constituons la moitié de la population du Sénégal. Ce poids démographique ne se reflète pas dans la représentation des femmes aux instances et processus de prise de décision. Rappelons que le Sénégal a ratifié, sans réserve, le Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Maputo). Depuis 2001, la Constitution sénégalaise reconnaît que « les hommes et les femmes sont égaux en droit ». Ces instruments garantissent l’accès équitable des hommes et des femmes à la prise de décision et à l’exercice des responsabilités civiques et politiques.
Par ailleurs, nous constatons également le changement d’appellation du ministère de la Femme, de la Famille, de l’Equité et du Développement communautaire en ministère de la Famille et des solidarités. Le choix d’enlever le terme “femme” du ministère nous amène à penser que le statu quo sera maintenu, que des compromis seront faits avec nos droits. Cela ne présage ni d’un engagement clair pour l’équité et l’égalité ni d’une réelle prise en compte de nos besoins spécifiques. Nous espérons qu’avec le décret portant répartition des services de l’Etat, la direction de l’équité et de l’égalité de genre demeurera.
La nécessité d’une amélioration tant qualitative que quantitative de la participation des femmes au niveau gouvernemental se pose avec acuité. Il se pose d’autant plus qu’il n’est pas concevable de parler d’un approfondissement du processus démocratique sans que la participation de la moitié de la société soit effective et croissante. Nous nous attendions à des mesures claires pour la concrétisation de nos droits et non pas à la mise en place d’un dispositif qui va contribuer à la marginalisation de nos voix des femmes."
par Ndongo Samba Sylla
SORTIR DU SYSTÈME DETTE : FAYE-SONKO FACE AU LEGS DE L’ÉMERGENCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Près de 18 milliards de dollars, soit environ 11 000 milliards de francs CFA devront être payés aux créanciers du Sénégal en 2024-2029. Dans ce contexte, tenir ses promesses sur les plans social et économique sera une gageure
L’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, président fraîchement élu, et de son ami et mentor, Ousmane Sonko, nouveau Premier ministre, charrie les espoirs de la majorité des Sénégalais. La jeunesse, en particulier, a consenti de lourds sacrifices pour la réalisation de l’alternance politique. Elle attend avec impatience des ruptures majeures qui pourront accélérer les transformations économiques sans lesquelles chômage, sous-emploi, marginalisation et précarité continueront d’obérer son avenir.
Le duo Faye-Sonko a pu bénéficier de la confiance de nos compatriotes pour avoir articulé un discours et un programme en résonance avec les préoccupations des jeunes et des segments les plus vulnérables et avec les demandes de bonne gestion et de transparence publique. Les ambitions louables et la vision socioéconomique progressiste de leur mouvement devront cependant composer avec le bilan financier « salé » de l’« émergence » qui a été promise par le régime précédent.
Si Macky Sall peut se prévaloir d’avoir obtenu durant ses deux mandats un taux annuel moyen de croissance économique supérieur à ceux observés pour ses prédécesseurs, cela est dû notamment au fait qu’il a bénéficié d’un contexte international plus favorable (ce dont témoignent les performances assez similaires de quelques pays voisins) et qu’il ne s’est pas privé de recourir activement à l’endettement extérieur. En 2012, Macky Sall a hérité d’un stock de dette publique extérieure (public and publicly guaranteed) de 4,2 milliards de dollars, soit 23,7 % du Produit Intérieur Brut (PIB), qu’il a porté à 14,5 milliards de dollars en 2022, soit 52,5 % du PIB, selon les données de la Banque mondiale.
Certes, au regard des perspectives de croissance économique associées à l’exploitation du pétrole et du gaz, le ratio entre le stock de dette publique et le PIB pourrait diminuer, se diront certains, pour se rassurer. Mais ce raisonnement ne serait pas tout à fait approprié, notamment parce que le ratio dette publique/PIB est un indicateur pratiquement inutile, quand bien même il serait fort prisé.
Les gouvernements souverains sur le plan monétaire (qui ne s’endettent que dans leur propre monnaie et qui évoluent en changes flottants) n’ont pas de contrainte de solvabilité tandis que ceux dont la souveraineté monétaire est moindre peuvent faire défaut à tout moment. En 2022, le gouvernement du Pérou était endetté en monnaie étrangère et pour partie en monnaie nationale. Il a fait défaut avec un ratio dette sur PIB de l’ordre de 33,4 % tandis que le gouvernement japonais, avec un ratio d’endettement de 254 %, cette même année, ne peut jamais faire défaut, du fait de sa souveraineté monétaire.
En matière de solvabilité extérieure, le taux de croissance économique agrégé est moins important que l’évolution des revenus extérieurs, notamment la croissance des revenus d’exportation contrôlés par le gouvernement. Parce que la dette extérieure est payée en devises fortes. Si vous avez par exemple un service de la dette de 100 dollars, le fait de pouvoir taxer votre économie pour obtenir l’équivalent en monnaie nationale de cette somme (aspect budgétaire) ne résout pas votre problème (le paiement en dollar). Si les 100 dollars ne sont pas disponibles dans le système financier domestique, la dette extérieure ne pourra pas être honorée.
Entre 2010 et 2021, le ratio entre le stock de dette extérieure et les recettes d’exportation s’est empiré, passant de 136 % à 466 %. Sur la même période, la part du service de la dette dans les revenus d’exportation a bondi de 5 % à 28 %. En d’autres termes, l’évolution de l’endettement extérieur a été beaucoup plus rapide que celle des revenus d’exportation.
L’un des péchés économiques des plans d’« émergence » au Sénégal, comme sur le reste du continent, a été de stimuler des dynamiques d’endettement en monnaie étrangère qui n’ont ni vraiment dopé leurs exportations ni permis de réduire relativement leurs factures d’importations (par le biais de leur substitution avec la production locale). S’il en a ainsi été, c’est parce que les plans d’« émergence » ont souvent consisté à prendre des dettes en devises fortes pour financer des projets d’infrastructures exécutés par des entreprises étrangères.
Le problème est le suivant : ces projets ont beau être très rentables, pour la plupart ils ne génèrent que de la monnaie nationale, pas des dollars ou des devises fortes. C’est-à-dire que ces projets, financés en devises fortes, ne peuvent pas se rembourser d’eux-mêmes en devises fortes. Pour payer le service de la dette extérieure qui leur est associé, et également permettre la conversion en devises fortes puis le rapatriement des profits et des dividendes obtenus en monnaie nationale par les entreprises étrangères, les gouvernements doivent compter sur les sources traditionnelles de revenus extérieurs et/ou sur de nouveaux emprunts en monnaie étrangère.
Quand la plupart des projets financés par l’emprunt étranger ont ce type de profil, il suffit d’un choc négatif sur les sources traditionnelles de revenus (baisse des prix des matières premières) ou d’une hausse des taux d’intérêt sur les marchés financiers internationaux pour qu’une crise de dette souveraine pointe son nez.
Alors que les paiements cumulés au titre du service de la dette extérieure ont atteint 7,8 milliards de dollars entre 2012 et 2023, le duo Faye-Sonko fera face entre 2024 et 2029, c’est-à-dire d’ici à la prochaine élection présidentielle, à un service de la dette publique extérieure de l’ordre de 11,6 milliards de dollars. Jamais, auparavant, dans l’histoire du pays, un gouvernement n’aura été confronté à une charge de la dette aussi importante en termes absolus et en un temps aussi court. De 1960 à 2017, le service annuel de la dette publique extérieure n’a jamais dépassé 300 millions de dollars. Depuis 2021, le cap du milliard de dollars a été franchi et a continué d’augmenter. Si le service de la dette intérieure est pris en compte, c’est près de 18 milliards de dollars, soit environ 11 000 milliards de francs CFA qui devront être payés aux créanciers du Sénégal durant la période 2024-2029. De telles sommes représentent une ponction importante à la fois sur les finances publiques et les ressources du pays.
Avec la Côte d’Ivoire et le Bénin, le Sénégal fait partie des rares pays africains pour lesquels le montant du service de la dette attendu pour la période 2024-2029 est supérieur au cumul du service de la dette observé pour la période 2012-2023. La responsabilité du système CFA dans l’endettement extérieur chronique des pays membres n’est pas difficile à établir. L’absence de financements adéquats, notamment en ce qui concerne les secteurs agricole et industriel, décourage la production intérieure. La surévaluation du taux de change pénalise les exportations, rend la production locale peu compétitive et facilite les importations. Ce qui crée une situation de déficit permanent de la balance commerciale et plus généralement de perte chronique de devises dans les transactions courantes.
Dans la plupart des pays du Sud, les déficits prolongés de la balance courante entraînent souvent une dévaluation/dépréciation de leur taux de change. Dans le cas des pays de l’UEMOA, le maintien des déficits extérieurs et de la parité fixe vis-à-vis de l’euro n’a été possible qu’à la condition de renforcer la dépendance financière extérieure (dettes en monnaie étrangère et investissements directs étrangers). Nulle surprise dès lors que dans tous ces pays la croissance économique ait pour carburant le capital étranger et qu’elle soit « extravertie ».
À côté d’une dette extérieure de plus en plus pesante, il faut tenir compte des passifs contingents – c’est-à-dire des engagements financiers qu’un État prévoit d’honorer au cas où un scénario non désirable se produit – qui sont légion dans les contrats de partenariat public privé (PPP) signés par le régime précédent et qui sont de véritables bombes à retardement budgétaires.
Par ailleurs, les rapatriements de profits et de dividendes sont censés augmenter considérablement avec l’entrée du Sénégal dans l’économie pétro-gazière, selon les projections du FMI (décembre 2023). Dans la balance des paiements, les « revenus primaires » renvoient aux intérêts sur la dette extérieure, aux profits et dividendes rapatriés et aux rémunérations des travailleurs expatriés.
En 2022, les revenus primaires transférés depuis le Sénégal s’élevaient à 944 milliards de francs CFA dont 323 milliards au titre des intérêts sur la dette publique. En 2028, ils devraient atteindre 1159 milliards de francs CFA (dont 428 milliards pour les intérêts sur la dette publique). Cette exportation du surplus économique constitue ce que les économistes du développement appelaient « sous-développement ». À l’ère néolibérale, le même phénomène est qualifié d’ « émergence » du fait de l’illusion créée par le constat de taux de croissance économique élevés !
Dans un tel contexte, tenir ses promesses sur les plans social et économique sera d’autant plus une gageure que les dispositions du budget 2024 ajoutent quelques difficultés supplémentaires. Ce dernier a été présenté d’une manière qui exclut du calcul des dépenses et du déficit publics des amortissements d’un montant de 1248 milliards de francs CFA devant être refinancés. Il prévoit notamment une réduction de moitié des subventions à l’énergie et une élimination graduelle de celles portant sur les produits alimentaires. Si ces mesures sont conformes avec les exigences des bailleurs de fonds qui réclament un « retour à l’orthodoxie budgétaire », elles sont cependant en porte-à-faux avec l’engagement du nouveau gouvernement de soulager les ménages par rapport à la cherté de la vie.
En marge du « système » politicien, le duo Faye-Sonko devra faire face à un adversaire plus coriace : le séculaire « système dette », c’est-à-dire les conditions qui maintiennent les pays du Sud dans un schéma structurel de dépendance financière et de crises économiques récurrentes.
Outre la nécessité d’une gestion transparente et rationnelle des ressources publiques, il faudra un plus grand contrôle technique et fiscal sur les secteurs exportateurs, un modèle économique davantage orienté sur l’élargissement des marchés intérieurs ainsi que la souveraineté monétaire, un pilier nécessaire, quoique non suffisant, pour s’extirper graduellement du « système dette ».
Texte Collectif
PLAIDOYER POUR LA SAUVEGARDE DU PATRIMOINE SENGHORIEN
La bibliothèque personnelle de Léopold Sédar Senghor, reflet de ses lectures et de ses relations intellectuelles, sera dispersée aux enchères à Caen en avril 2024, risquant de voir disperser un pan de l'histoire littéraire africaine
Le 16 avril 2024 à l’hôtel des ventes de Caen en France, est programmée la vente d’« une – grande – partie de la bibliothèque personnelle » (pas moins de 304 lots composés d’un à plusieurs ouvrages) du premier président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. En regardant à la loupe ces ouvrages, l’on découvre avec stupeur que seront vendus entre autres : l’exemplaire du prodigieux Discours sur le colonialisme de l’ami Aimé Césaire dédié à « ce vieux Léopold Sédar Senghor, (…) parce que je suis sûr que malgré les appartenances politiques, il déteste le colonialisme, destructeur de culture, de finesse [sic] et de civilisations », des ouvrages du poète Aragon, également adressés à Ginette Eboué son épouse, ou encore l’exemplaire d’un ouvrage déterminant dans la construction de sa pensée, Ainsi parla l’oncle de l’Haïtien Jean-Price Mars, qui rend « un fervent hommage d’admiration au grand poète noir » …. Ces ouvrages sont dédiés au poète, au député, au Président de la République ou encore à l’ami Senghor. Sans viser l’exhaustivité, évoquons aussi les ouvrages d’Ousmane Sembène, d’Ousmane Socé Diop, de Birago Diop, de Fily Dabo Sissoko ou encore de Joseph
Zobel, de Paul Niger, de Léon-Gontran Damas et de Richard Wright…. Ils disent autant sur les lectures de Senghor que sur ses relations avec les auteurs et le réseau amical, politique et intellectuel qu’il a tissé et dans lequel il s’insère. Ajoutons enfin des ouvrages de son ami René Maran, le premier Goncourt noir avec Batouala. En première page du livre Les Pionniers de l’Empire, Maran désigne Senghor comme « l’une des gloires de la race à laquelle je suis fier d’appartenir ». Camille Maran avait d’ailleurs eu la généreuse et visionnaire idée en son temps de donner à celui qui venait d’être élu président de la République du Sénégal une partie importante de la bibliothèque et des archives de son époux : le fonds René Maran est à la disposition des étudiants et des chercheurs à la Bibliothèque Centrale de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il y existe aussi un fonds Senghor que pourraient enrichir ces ouvrages. Dans le cas contraire, c’est tout un pan de l’histoire littéraire sénégalaise, ouest-africaine et afro-américaine qui risque d’être dispersé à travers l’éclatement promis de cette bibliothèque de la négritude inédite et unique.
Cette vente intervient à peine quelques mois après l’annonce de celle des cadeaux diplomatiques, décorations militaires et autres bijoux personnels de Senghor, en octobre 2023, vente à laquelle l’État du Sénégal est parvenu à sursoir, après avoir racheté l’ensemble des lots, désormais conservés au Musée des
Civilisations Noires à Dakar. La commissaire-priseuse Me Solène Lainé avait elle-même convenu, non sans une pointe d’enthousiasme, « qu’on ne voit jamais ce type de vente aux enchères » (cité dans l’article du parisien du 20 octobre 2023, Bertrand Fizel, « Des objets rares ayant appartenu à Léopold Sédar Senghor aux enchères à Caen »).
La dispersion du patrimoine senghorien entre la France et le Sénégal principalement, mais aussi en Allemagne et aux Etats-Unis, relève de la géographie senghorienne. Dans le cadre des activités de notre groupe, près d’une trentaine de fonds d’archives de/sur Senghor, plus ou moins importants en termes de volume, a été identifiée. Or la majeure partie est inaccessible au public sénégalais. Une grande part des photographies, objets, œuvres d’art, archives (correspondances, manuscrits et autres papiers de Senghor allant des années 1950 à 2001), est en effet conservée dans la maison familiale de Verson en Normandie, qui est conformément aux vœux de Léopold Sédar Senghor et de son épouse, propriété de la municipalité depuis juillet 2022, avec tous les biens qui la composent.
Il est temps que les Sénégalais puissent librement accéder à ce patrimoine, sans avoir à parcourir la moitié du globe et à affronter des services consulaires peu généreux et accueillants. A l’heure où le tout récemment investi 5ème président du Sénégal Bassirou Diomaye Diakhar Faye parle avec force de la nécessité pour le Sénégal de recouvrer pleinement sa souveraineté, le Groupe international de recherche Léopold Sédar Senghor (UCAD/ENS) souhaite attirer l’attention sur l’urgente nécessité de préserver et de valoriser le patrimoine du premier président du Sénégal et poète Léopold Sédar Senghor. À travers les traces qu’il a laissées et qu’il nous a léguées, c’est toute une partie de l’histoire et du patrimoine sénégalais qui apparaît et qui risque à nouveau de disparaître.
Pour le Groupe de recherche international Léopold Sédar Senghor
(Université Cheikh Anta Diop de Dakar/École normale supérieure (France))
Pr Mamadou Ba (Lettres Modernes, UCAD)
Dr Edoardo Cagnan (ITEM, CRNS/ENS)
Coline Desportes (Doctorante en Histoire de l’art, EHESS)
Dr. Alioune Diaw (Lettres modernes, UCAD)
Dr Mohamed Lat Diop (EBAD, UCAD)
Pr. Babacar Mbaye Diop (Philosophie, UCAD)
Dr Laura Gauthier-Blasi (Littérature, Université d’Alcala)
Maëlle Gélin (doctorante en Histoire, Sciences Po Paris)
Dr Sébastien Heiniger (ITEM, CRNS/ENS)
Dr. Céline Labrune Badiane (ITEM, CRNS/ENS)
Pr Amadou Ly (Lettres modernes, UCAD)
Dr. Claire Riffard (ITEM, CRNS/ENS)
Pr Felwine Sarr (Romance studies, Duke)
Dr. Serigne Seye (Lettres modernes, UCAD)
Dr Mouhamadou Moustapha Sow (Histoire, UCAD)
Pr. Cheikh Thiam (Etudes africaines, Amherst College)
par Aminata Dia
UN GOUVERNEMENT DE RUPTURE ? PAS POUR LES FEMMES
EXCLUSIF SENEPLUS - Cette équipe cristallise un système patriarcal bien ancré. Aucun changement systémique, pour reprendre les mots du président, ne peut s’opérer de manière durable sans une gouvernance inclusive et équitable
Ça y est ! La liste tant attendue des membres du gouvernement du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko est tombée ce vendredi 5 avril 2024 : 25 ministres et 5 Secrétaires d’État. Si l’on y rajoute le Premier ministre Ousmane Sonko, le ministre Directeur de Cabinet du président de la République Mary Teuw Niane et le Secrétaire général du gouvernement Mohamed Al Aminou Lô, le décompte s’élève à 33 personnes. Nombre de ministres femme : 04, à savoir un dixième (si l’on rajoute dans le décompte le président de la République) des personnes représentées.
Selon le dernier rapport de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), la population résidente au Sénégal, recensée en 2023, est de 18 032 473 habitants, dont 8 900 614 femmes (49,4%) et 9 131 859 hommes (50,6%). Les femmes représentent donc près de la moitié de la population sénégalaise, mais ne sont représentées qu’à hauteur d’un dixième dans le gouvernement qui a pour but de les servir et de répondre à leurs attentes.
Certains s’offusquent qu’on puisse s’en offusquer. "Après tout, où est le problème ? L’essentiel n’est-il pas d’avoir un gouvernement avec des personnes compétentes et vertueuses ? Pourquoi s’attarder sur des futilités ? À l’heure de la cohésion sociale, à quoi ça sert de critiquer la faible représentation des femmes ? L’idée n’est pas de mettre des femmes pour mettre des femmes et remplir des quotas ou de s’attarder sur des questions de parité et de féminisme - Ces questions de toute façon ne sont pas de chez nous ni de notre culture". D’autres encore diront, d’accord, il y a une sous-représentation des femmes, mais le gouvernement a été mis en place pour répondre aux attentes des Sénégalais et pour se focaliser sur des priorités bien établies. Là, encore, en quoi la représentation de près de la moitié de la population est prioritaire ?
Mon cœur a mal, honnêtement, d’avoir à tout simplement écrire et expliquer en quoi cette faible représentation est problématique. L’enjeu n’est pas “de donner des postes aux femmes” mais de comprendre qu’aucun changement systémique, pour reprendre les mots de notre cher président, ne peut s’opérer de manière durable sans une gouvernance inclusive et équitable. Alors, j’anticipe sur la question : “en quoi un gouvernement sans les femmes n’est pas inclusif et équitable” ? En quelques points :
Les questions de genre ne sont pas l’apanage des femmes, mais un sujet transversal qui touche à tous les secteurs d’activité : les défis économiques, sécuritaires, numériques, migratoires, sanitaires, éducatifs, agricoles, pour ne citer que ces quelques exemples sont intersectionnels. Intersectionnel veut dire qu’ils touchent aussi bien les hommes que les femmes, mais de diverses manières. Les exemples sont pléthores, mais j’en citerai deux. Le premier : les défis auxquels sont confrontés les jeunes filles en termes de scolarisation et d’accès aux études supérieures sont différents de ceux des jeunes garçons. Bien que la scolarisation des enfants dans leur ensemble doive être promu, il est essentiel d’avoir un regard genre qui permette d’identifier les barrières spécifiques auxquelles sont confrontées les jeunes filles (être refusé le droit à la scolarisation au profit du garçon dans la maison, les lourdeurs des tâches ménagères, les mariages/grossesses précoces, les questions de sécurité qui s’appliquent différemment, les règles douloureuses, etc.) afin d’établir des programmes adaptés à leurs besoins. Le deuxième concerne les femmes agricultrices qui rencontrent, elles aussi, des challenges différents que ceux rencontrés par les hommes agriculteurs (l’accès à la terre et au financement est très différent pour les hommes et les femmes, surtout en milieu rural sans compter les différences dans la gestion des revenus). Il ne s’agit pas de se focaliser uniquement sur les défis des femmes, mais de comprendre que n’importe quelle politique publique, et ce, dans n’importe quel secteur, a des implications genre. Sans la prise en compte de cette question, les programmes établis ne seront pas adaptés aux besoins spécifiques des personnes à qui elles sont destinées, qu’elles soient hommes ou femmes.
Les femmes ne sont pas un groupe monolithique : la suppression du ministère de la Femme et sa transformation en ministère de la Famille et des solidarités est problématique. Elle pose une question centrale : la confusion entre les questions de genre et d’équité sociale et les questions familiales. Les deux sont liées et s’entrecoupent, mais elles sont différentes et se doivent d’être différenciées. Le rôle de la femme ne se limite pas à la cellule familiale et même au sein de cette celle familiale, les prérogatives données par le droit sénégalais aux hommes et aux femmes doivent être revisitées. Par exemple, la question de l’autorisation de sortie de territoire que les mères doivent faire signer par le père de leur enfant avant de pouvoir voyager avec ce dernier (qu’il soit leur conjoint légal ou pas) montre l’importance de penser les questions d’équité et de justice sociale en profondeur.
La représentation des femmes est un enjeu de bonne gouvernance, de paix, de cohésion sociale, de justice et de “rupture” : la norme, c’est la non-représentation des femmes dans les instances de décision. La norme, c’est d’œuvrer au développement de leur pays dans les plus hautes sphères de responsabilité, sans elles autour de la table pour partager leur perspective. La norme, c’est d’attribuer leur succès à leur collaborateur homme ou encore leur respectabilité à leur rôle de mère ou d’épouse. La norme, c’est leur objectivation sur la scène médiatique et publique. La norme, c’est leur demander de se taire, de parler doucement, de bien se tenir, d’être polie, de sourire, de ne surtout pas être en colère, de baisser la tête. La norme, c’est de les violenter verbalement, physiquement, financièrement, moralement, spirituellement, intellectuellement. La norme, c’est le harcèlement sexuel, le non-respect de leur intelligence et le doute sur leurs compétences. La norme, c’est leur demander de fournir 10 fois plus d’efforts pour dix fois moins d’avantage et de reconnaissance. La norme, c’est de leur offrir des fleurs le 8 mars ou de leur organiser des caravanes, mais pas de créer des espaces et des opportunités pour qu’elles-mêmes soient au pouvoir et décident de leur destin. La norme, c’est de tout mettre sur leurs épaules, de les acclamer pour leur courage, de les couvrir de louanges pour leurs sacrifices et leur dévotion à la souffrance jusqu’à ce qu’elles en meurent à petit feu. La norme, c’est de les critiquer lorsque leurs enfants échouent : après tout, “sa liguéyou ndey la — c’est le travail de ta mère”. La norme, c’est s’offusquer que les femmes osent s’offusquer de ne voir que quatre femmes représentées dans ce nouveau gouvernement. La rupture, ça aurait été un gouvernement représentatif et inclusif des femmes, chose que ce premier gouvernement du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye n’a pas fait. Au contraire, il cristallise un système patriarcal bien ancré. Or, gouverner pour la paix sociale, la réconciliation, la justice, la rupture, le changement systémique demande de créer des espaces pour un leadership inclusif. Cela implique que les hommes au pouvoir soient conscients du privilège que leur confère leur identité d’homme dans notre pays afin qu’ils puissent apprendre à se décentrer et à inclure d’autres identités dans le système.
Je finirai par ces mots de ma maman Aminata Dieng Dia : “les nouvelles autorités doivent entendre cette indignation. Il n’y a pas de considération sur le profil ou autres justifications qui tiennent. Ce déséquilibre au niveau ministériel doit être rattrapé par la nomination de femmes gouverneurs et préfets pour conduire les politiques déconcentrées, de femmes comme Directrice Générale de sociétés nationales pour implanter le leadership féminin comme levier de transformation et de production de richesses.”
Pour la rupture et le changement systémique souhaité et annoncé, je prie que ces besoins d’inclusion, de mutualité et de représentation équitable soient entendus pour un Sénégal plus juste et prospère.
par l'éditorialiste de seneplus, ada pouye
DU BALAI !
EXCLUSIF SENEPLUS - La radicalisation politico-intellectuelle a porté ses fruits, mais au prix de centaines de vies, de blessés, de prisonniers et de disparus. Il est temps de promouvoir une décentralisation axée sur les dynamiques sociologiques locales
« La barbarie est toujours possible, cependant s’il y a des peuples qui se laissent arracher des mains la lumière, il y en a d’autres qui l’étouffent eux-mêmes sous leurs pieds ».[1]
La victoire triomphale à l’élection présidentielle du 24 mars 2024, saluée de tous, cache encore bien des secrets. Le mouvement social initié par le Pastef depuis 2019, autour du "Projet", et intensifié pendant les années Covid, a profondément marqué notre démocratie néocoloniale. Cette radicalité décomplexée a redéfini la sociologie politique. L'échec des partis traditionnels, attachés à un modèle occidental dépassé, a ouvert la voie à une jeunesse audacieuse et avide de justice, d'abord dans les universités Gaston Berger et Cheikh Anta Diop, puis dans une organisation réelle, loin des schémas habituels, malheureusement confrontée à une répression sauvage.
Les arrestations massives de jeunes et de maires ont conduit au mouvement F24, une plateforme rassemblant des organisations de la société civile, des partis politiques, des syndicats, des chefs d'entreprise, des défenseurs des droits de l'homme, des mouvements religieux et des figures remarquables, tous unis contre un troisième mandat et l'instrumentalisation politique de la justice. Les réseaux sociaux ont joué un rôle crucial dans cette mobilisation, qui s'inscrit dans la tradition sénégalaise de soutien aux alternances, illustrée notamment par le Forum civil et les coalitions stratégiques électorales en 2000, les Assises nationales, M23 et Y'en a marre en 2012, et plus récemment F24, AAR sunu élections et la diaspora.
Le Sénégal a rarement connu un tel bouillonnement intellectuel, avec une forte implication des universitaires défendant farouchement la Constitution et éclairant les "7 sages". Des pétitions internationales, des tribunes, des panels sous Zoom et des éditoriaux ont amplifié la mobilisation nationale et internationale.
Les mouvements de la société civile ont défendu les droits des citoyens, s'articulant autour des enjeux politiques et sociaux, s'intensifiant dans la lutte pour le contrôle du débat public et la rationalisation de la démocratie participative. Les avocats ont également joué un rôle crucial, soutenant la résistance malgré les dangers.
La méthode de mobilisation sociale, innovante et diversifiée, a été payante, avec des rassemblements, des manifestations, de la désobéissance civile, des grèves, des pétitions et la vente d'articles patriotiques, tous témoignant de la participation massive de toutes les couches de la société. Ce modèle de mobilisation citoyenne est une étude de cas pour la conquête des droits citoyens.
Alain Touraine définit le mouvement social comme une action collective visant un changement social, dépassant la simple contestation pour remettre en cause le pouvoir et sa domination.
Nous avons assisté à une reconfiguration et une agonie du système néocolonial, symbolisées par un conflit permanent et des débats autour de l'orientation sociétale, économique, culturelle et politique. La radicalisation politique et intellectuelle a porté ses fruits, mais au prix de centaines de vies, de blessés, de prisonniers et de disparus.
Il est temps de tourner la page, de balayer les institutions néocoloniales sans légitimité sociétale, de promouvoir une décentralisation basée sur les dynamiques sociologiques locales, de mettre fin à l'administration néo-coloniale, à l'accaparement foncier, à la corruption endémique.
Au travail, citoyens !
Exigeons une gouvernance responsable devant la souveraineté populaire.
Aucun délai ni état de grâce n'est permis.
[1] Alexis de Tocqueville “de la démocratie en Amerique
LE PROGRAMME DU NOUVEL EXÉCUTIF
Protection du pouvoir d'achat, accès à l'emploi des jeunes, souveraineté économique: Ousmane Sonko définit les grands axes sur lesquels devra se concentrer la nouvelle équipe gouvernementale
Le nouveau gouvernement sénégalais dont la composition a été rendue publique, vendredi soir, va travailler sur cinq priorités majeures dont la jeunesse, la vie chère, la justice, a indiqué le Premier ministre Ousmane Sonko.
La nouvelle équipe gouvernementale va s’atteler aux questions de la jeunesse, de l’éducation, de la formation, de l’entreprenariat, et l’emploi des jeunes et des femmes, a-t-il dit.
Le Premier ministre a évoqué ”la lutte contre la vie chère et l’amélioration du pouvoir d’achat des populations”.
A cela s’ajoutent ”la justice, la protection des droits humains, la bonne gouvernance, la transparence, la reddition des comptes et l’amélioration d’un système démocratique et électorale’’.
Selon Ousmane Sonko, le gouvernement aura comme priorité ”la souveraineté économique, l’exploitation optimale des ressources naturelles, la prospérité et le développement endogène et durable du Sénégal”.
Il a également évoqué ”la consolidation de l’unité nationale de la cohésion sociale et territoriale ainsi que le renforcement de la sécurité, de la paix et de la stabilité du pays”.
Le nouveau gouvernement compte 25 ministres et cinq secrétaires d’Etat.