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5 mai 2025
International
par l'éditorialiste de seneplus, abdou fall
L’AFGHANISTAN ET NOUS
EXCLUSIF SENEPLUS - Aller dans le sens du renouveau de la pensée politique auquel nous invite Penda Nbow, c'est aussi oser porter un regard sans complaisance sur la faillite criante de l’État postcolonial dans bien des pays de l’Afrique francophone
Pour avoir globalement manqué l'occasion d'une évaluation objective des lourdes tendances d’une histoire en marche accélérée, on se retrouve brutalement devant des phénomènes sociopolitiques inédits, rebelles au contrôle des États, autant à l’échelle des pays qu'au niveau multilatéral.
Des voix se sont pourtant élevées depuis longtemps pour alerter sur les risques d’impasses politiques auxquelles allaient inévitablement conduire les modes de gouvernance dans la plupart de nos pays, manifestement inadaptés aux réalités et exigences de notre époque.
De puissantes forces politico-économiques exercent partout une domination sans limites et qui restent sourds à tous les appels en faveur d’une gouvernance novatrice prenant en compte la profonde aspiration des nations à la souveraineté, et des peuples à la liberté et à la justice.
La fin de la guerre froide avec l’éclatement du bloc communiste de l’Europe de l’Est a consacré l’émergence d’un monde unipolaire, ultralibéral, où les forces du marché règnent en maîtres absolus sur l’économie et la politique, réduisant presque à néant le rôle des États.
Les inégalités se creusent au sein des nations et entre les nations alors que rien n’est entrepris pour mettre un terme au « primat de la force sur le droit », selon la juste formule de l’avocat et homme politique Babacar Niang qui en a fait le combat de toute une vie.
Et à force d’indifférence et d'arrogance dans le rapport aux citoyens, les logiques de défiance et de confrontation prospèrent en retour sous nos yeux pétrifiés, prenant la forme d’idéologies populistes ou radicales de tous bords, y compris islamistes.
Dans notre pays, la relation entre le politique et le religieux constitue une belle exception remarquable à bien des égards ; elle se distingue par un vivre-ensemble apaisé, d’une part entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel, et d’autre part entre les différentes communautés confessionnelles. L’œcuménisme sénégalais a en effet marqué le monde par son originalité, comme modèle achevé de tolérance religieuse. Néanmoins, on aurait tort d'ignorer la menace globale d’un radicalisme religieux incarné par des groupes de plus en plus actifs partout à travers le monde et dopés par la victoire des Talibans qui font aujourd’hui l’actualité en Afghanistan où des groupes en armes, sous la bannière d’un islamisme politique, se sont emparés du pouvoir d’État avec toutes les peurs et questionnements que cela engendre.
Dans ce contexte, le Professeur Penda Mbow a bien raison d’interpeller « l’intelligentsia sénégalaise » et « les porteurs d'une pensée politique » dans nos pays, car notre islam culturel vécu à la fois dans son intensité spirituelle et comme art de vivre mérite bien d’être rappelé, protégé, consolidé et partagé.
Aller dans le sens du renouveau de la pensée politique auquel nous invite le Professeur Penda Mbow, c'est aussi oser porter un regard lucide et sans complaisance sur la faillite de plus en plus criante de l’État postcolonial dans bien des pays de l’Afrique francophone. Notre région du Sahel, en plus de ses vulnérabilités environnementales qui en font l’une des régions les plus exposées aux chocs climatiques, est en proie à des conflits meurtriers avec des groupes terroristes qui ne font aucun mystère de leur détermination à tirer profit de la dynamique de victoire de leurs alliés afghans pour engager des offensives décisives sur les pays du Sahel où ils exercent déjà leur souveraineté sur d’importantes parties de certains territoires.
Devra-t-on attendre que « les événements nous tombent comme des tuiles sur la tête pour réagir ? », comme l'écrivait le Professeur Cheikh Anta Diop dans les années 70-80 ? Ou devra-t-on anticiper la menace en lançant un débat public sérieux sur des stratégies de défense collective qui préserve la paix et la stabilité qui sont les conditions premières de notre développement ? Des questions inévitables.
Les récents événements en Afghanistan doivent nous interpeller, car ils peuvent constituer un puissant facteur d’accélération dans notre prise de conscience collective.
Envisager le renouveau de la pensée politique dans cette perspective peut donner lieu à des mises à jour qui seraient en effet du plus grand intérêt dans les grands débats sur les recompositions politiques en cours à l’échelle internationale.
L’occident devra apprendre à se remettre en question en acceptant de se défaire de cette étrange idée selon laquelle sa vision du monde doit être la référence universelle.
En effet, les évolutions contemporaines de l’occident sont le fruit d’une trajectoire historique singulière en matière culturelle et sociale. S’attacher à en faire des normes universelles apparaît comme un pur fantasme, et la communauté internationale a le devoir de garantir le respect des droits des nations à disposer d'elles-mêmes dans leurs choix sociétaux fondamentaux tant que les États ne les exercent pas en violation des droits de minorités ou des femmes et des enfants qui restent des catégories très vulnérables dans la plupart de nos sociétés.
Il serait également inacceptable que sous prétexte de libre exercice de choix religieux, les femmes soient ravalées au rang de sous-citoyennes condamnées à l’asservissement et la servilité. De fait, une conscience universelle et une autorité morale doivent s'exercer pour le respect strict partout des droits humains fondamentaux consacrés par la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen.
Ce sont là des débats de fond sur lesquels des consensus sont à négocier à l’échelle de la gouvernance mondiale où se pose de façon fondamentale la question de la réhabilitation du multilatéralisme sur des bases conformes à la nouvelle configuration de la géopolitique mondiale.
Des pas qualitatifs importants devront aussi être franchis dans la voie de l’unité politique dans notre sous-région et sur le continent, afin de faire émerger de nouveaux modèles de développement et de démocratie plus adaptée à nos réalités et aux nouvelles attentes citoyennes, si nous désirons réellement être de la partie dans les recompositions majeures en cours.
Pour faire face aux défis sécuritaires, sanitaires, climatiques et de développement, je suis convaincu que les solutions africaines durables seront collectives ou ne seront pas.
Mes fraternelles félicitations madame la ministre.
Merci de m’avoir donné l'occasion de partager avec le public ces quelques réflexions que m'inspire votre appel.
Au menu de Point USA cette semaine : les États-Unis et la situation politique chaotique à Kaboul, les cinq destinations à visiter après la pandémie, la contribution de Billie Eilish au retour du microsillon
- Édition spéciale Afghanistan : La chute de Kaboul et le chaos qu’elle a entrainée était-elle évitable ? Quel prix politique pour Joe Biden ?
- Discussion avec notre panel et le témoignage d’Alain Leca, président de l’association des anciens combattants français de Washington, qui a effectué deux séjours en Afghanistan.
- Une fois la pandémie terminée, ou aimeriez-vous aller ?
Notre équipe vous donne ses 5 destinations favorites.
- Rubrique variétés : Comment la chanteuse Billie Eilish contribué au retour du microsillon ?
Nouvelle édition de Point USA, une émission hebdomadaire qui s’adresse plus particulièrement à un public francophone et francophile, avec pour objectif de discuter en français de l’actualité américaine en compagnie de René Lake, analyste politique et directeur de presse, Dennis Beaver, avocat et chroniqueur juridique à Bakersfield, en Californie, Herman Cohen, ancien secrétaire d’Etat adjoint américain et avec la légende du monde radiophonique Georges Collinet. La présentation et la production sont assurées par Claude Porsella et la réalisation et le montage par Serge Ndjemba.
par l'éditorialiste de seneplus, demba ndiaye
LE CHAOS
EXCLUSIF SENEPLUS - Ils sont prompts à disloquer un pays, mais crient à l’envahissement des damnés afghans. La fameuse communauté internationale a trouvé un nouvel anesthésiant idéologique pour masquer sa déculottée afghane
Chaos ? Le mot est devenu viral depuis la débâcle de Kaboul, la fuite du président-marionnette avec, semble-t-il, plus de 149 (?) millions de dollars et la victoire sans (presque) coup férir des Talibans. La fameuse et fumeuse communauté internationale a trouvé un nouvel anesthésiant idéologique pour masquer sa déculottée afghane : Chaos ! En réalité, depuis une vingtaine d’années (21e siècle), les va-en guerre au pouvoir et les lobbies militaro-industriels n’ont fait que semer le chaos et la mort aux quatre coins de la planète, avec comme bandoulière idéologique « l’instauration de la démocratie, la chasse aux dictateurs, la défense des droits de l’homme... ».
Il y a une hypocrisie insupportable qu’on distille depuis dix jours dans l’esprit des populations du monde entier : le chaos serait le fait des Talibans, vainqueurs suite à une guerre de résistance de 20 ans contre la plus grande coalition militaro-politico-idéologique depuis des décennies. Le chaos qu’on montre à coups d’images en boucle se trouve uniquement à l’aéroport de Kaboul et nulle part dans le reste du pays.
C’est le chaos d’une débâcle militaire des États-Unis et de leurs alliés occidentaux. C’est celui d’une faillite des services de renseignements américains et leurs alliés qui ont, semble-t-il, sous-estimé les Talibans et surestimé la capacité de résistance de leurs alliés corrompus de Kaboul, claquemurés dans leur havre de zone verte...
Le chaos, c’est celui de la débandade de leurs collabos civils et militaires qui ont, vingt ans durant, vécu en sangsues parasitaires, des subsides de la planche à dollars que Washington et ses obligés alliés déversaient dans les villes, Kaboul notamment, comme prix d’une soumission.
Ce chaos est celui d’une trahison : celle des vaincus américains et leurs alliés qui ont voulu fuir Kaboul en abandonnant leurs laqués d’hier comme de vulgaires serpillières usées qu’on jette. Comme ils ont abandonné armes, chars et autres archives qui pourraient demain révéler des secrets gênants. Ces quelques centaines de candidats à l’exil qu’on exhibe comme justificatifs de la barbarie annoncée des Talibans. Comme le matraquage du chaos de l’aéroport ne semble pas fonctionner, on exhibe quelques femmes qui « manifestent contre le retour de la burqa » (comme si elle avait disparu du pays durant les 20 ans du règne des différents fantoches installés par Washington) ; on met en scène (et en selle), quelques barbus perdus quelques coins du sud profond du pays, qui réclament des armes. On est en train de mettre en place ce qui pourrait être demain « les forces de résistance » aux barbares Talibans. Et qu’il faut soutenir...
Le « chaos afghan » n’est que le dernier avatar des aventures criminelles des intérêts coalisés de marchands d’armes et d’illusions démocratiques et de libération forcée (parce qu’importée) des femmes...
Chaos et crimes. Tels sont les bienfaits que les guerres « libératrices » de la « communauté économique internationale » des forts ont déversé dans plusieurs zones du monde. Sans apporter, ni liberté, ni démocratie, ni paix. Mais chaos, morts, crimes et déstabilisations. Et ils n’apprennent rien ces gens-là et nous les soumis économiques et idéologiques, avons gobé ces foutaises et été complices de toutes ces aventures criminelles.
L’Irak de Saddam Hussein fut le premier laboratoire des crimes de masses et d’assassinats ciblés légalisés par la « communauté internationale ». Ils tuèrent Saddam, mais n’apportèrent pas la paix promise. Toujours pas. Ils assassinèrent Saddam, mais sont incapables depuis de stabiliser le pays. Il est coupé en deux.
Puis, ils assassinèrent Khaddafi et disloquèrent la Libye qui depuis est coupée en deux et devenue le plus grand cimetière à ciel ouvert pour toutes les victimes de leurs guerres. Ils squattent Tripoli emmuré dans sa zone verte. Le reste du pays (et des richesses) est « géré » par les militaires du général Aftar et les centaines de milices surgies des cendres de l’État libyen.
Ils auraient fait pareil en Syrie si la Russie n’avait pas déployé son parapluie militaire. Entre superpuissances, on se connaît et se comprend. Les frontières sont bien délimitées et les lignes bien tracées. S’ils échouèrent à charcuter le pays comme les pays cités plus haut, ils déclenchèrent malgré (?) eux, la plus grande migration humaine depuis plus d’un demi-siècle. Déjà, ils paniquent à l’idée (quelle horreur !) que les milliers de fuyards des barbares Talibans n’aient la mauvaise idée de vouloir rejoindre les havres occidentaux par grappes incontrôlables.
Ils sont très prompts à disloquer un pays, mais crient à l’envahissement des damnés afghans ! Déjà, chaque dirigeant occidental se prépare à se bunkeriser, à sous-traiter la gestion prochaine des flux migratoires afghans alors que ceux de Syrie et de Libye continuent de mourir dans l’océan en voulant s’échapper des geôles libyennes.
Le chaos est une politique de destruction systématique de pays, d’États, et d’assassinats ciblés de dirigeants élus ou de chefs de guerre.
Ils ont assassiné Ben Laden, « responsable des attentats » du 11 septembre 2001, mais ils n’ont pas écrasé ses « protecteurs ». Aujourd’hui, face à leur débâcle et débandade, ils expliquent qu’ils étaient partis tuer Ben Laden et non conquérir l’Afghanistan. Et donc, ils ramènent les Généraux au pays. La queue entre les jambes.
Le chaos, c’est la conséquence de la politique criminelle de « après moi le déluge » ! Mais (heureusement ?) dans ce concert d’indignation et de cris d’orfraies de criminels qui crient aux criminels, il y a les voix d’une « realpolitik » qui assume les contradictions du monde. La Russie et la Chine (demain l’Iran et le Pakistan ?) refusent de hurler avec les loups assassins et comptent juger sur pièces.
Les conditions du retrait américain sont humiliantes. On ne fait pas une guerre au terrorisme, on lui oppose une lutte. Dans nos pays, le terreau est fertile pour l'extrémisme. C’est ce que nous vivons au Mali - ENTRETIEN AVEC RENÉ LAKE
Propos recueillis par Falilou Faye |
Publication 21/08/2021
L’analyste politique et expert en relations internationales, René Lake, analyse dans cet entretien les événements en cours à Kaboul et leurs implications pour la lutte contre le terrorisme dans un contexte d’expansion progressive de l’extrémisme en Afrique et dans le monde.
Les Talibans qui avaient lancé l’offensive en mai dernier, à la faveur du début du retrait des troupes américaines, sont aux portes de Kaboul. Quelle lecture cefaites-vous de cette nouvelle situation en Afghanistan ?
René Lake : En fait les Talibans ont pris le contrôle du pays à l’exception de l’aéroport qui est toujours sous le contrôle miliaire américain. Il y a encore une semaine, l’objectif militaire américain était celui de la protection et du contrôle de leur ambassade et de l’aéroport. Ce week-end, les Américains ont entièrement évacués l’ambassade. Après une guerre, la plus longue de son histoire, qui a emporté plusieurs milliers de vies américaines et plusieurs dizaines de milliers de vies afghanes, qui a couté $300 millions de dollars par jour pendant 20 ans, l’Amérique est aujourd’hui réduite au contrôle de l’aéroport pour permettre l’évacuation de ses citoyens et de quelques alliés dans une atmosphère de total chaos. Selon une étude de la Brown University, la guerre a coûté aux contribuables américains, $2260 milliards soit environ l’actuel budget annuel du Sénégal cumulé pendant plus de deux siècles et demi. Au final, les Talibans reviennent aux affaires peut-être plus puissants que jamais et l’Amérique essuie non seulement une défaite politique mais les conditions de son retrait sont humiliantes comme l’étaient celles du départ de Saighon en 1975, à la fin de la guerre du Vietnam. Il est difficile de ne pas se dire, tout ça pour ça !
Cette nouvelle situation peut-elle faire boule de neige dans les autres pays confrontés à des menaces djihadistes ?
René Lake : Cette situation confirme les leçons historiques évidentes à tirer de la lutte contre le terrorisme. La guerre contre le terrorisme n’est pas une guerre conventionnelle, classique qui se gagne par la force militaire uniquement. C’est une guerre asymétrique. De nombreux stratégistes vont jusqu’à dire que l’on ne peut pas faire la guerre contre le terrorisme mais plutôt lutter contre le terrorisme. C’est une autre manière de dire que l’approche et les moyens à mettre en œuvre pour cette lutte ne peuvent pas se limiter à un envahissement militaire et à l’expression d’une force armée nettement supérieure à tous points de vue. Il ne s’agit pas d’un jeu de nombres mais d’un jeu de volonté, d’engagement qualitatif. Au-delà de l’erreur stratégique américaine qui a transformé une vaste opération militaire de contre-espionnage en opération contre-insurrectionnelle, il est essentiel de s’interroger sur la réalité de la gouvernance en Afghanistan. Si l’on considère qu’en grande partie, le désastre afghan est lié à l’incapacité des gouvernements successifs de Kaboul à mettre en œuvre un projet de bonne gouvernance populaire. Oui on peut dès maintenant imaginer comment cette situation peut faire boule de neige, comme vous dites. La corruption endémique, la prédation à large échelle, les abus de pouvoir, l’absence de transparence dans la gestion, l’iniquité du système judiciaire, etc. tout cela a fortement participé à l’absence de soutien populaire du régime d’Ashraf Ghani et à son effondrement face à des forces radicales et fondamentalistes qui elles présentent une offre politique alternative à une population désabusée. Oui, dans nos pays, où les problèmes de gouvernance sont au centre de la tragédie collective de la misère, le terreau est fertile pour les extrémismes les plus dangereux. C’est bien cela que nous vivons déjà depuis plusieurs années au Mali.
Exceptés quelques appels au calme, pourquoi la communauté internationale est restée muette face à cette situation ?
René Lake : Non, je ne pense que la communauté internationale soit restée muette face aux images de chaos que nous voyons depuis quelques jours à Kaboul où la situation est dramatique. Avec le retour des Talibans aux affaires, non seulement il y a eu plusieurs réactions à travers le monde, mais j’ai aussi noté que de nombreuses organisations internationales anticipent sur le sort peu enviable que vont subir les femmes en particulier. Quoique l’on puisse dire, ces 20 dernières années ont permis une véritable révolution progressiste pour les femmes afghanes notamment dans l’accès à l’éducation mais aussi dans l’entreprenariat économique et l’assumation de responsabilités importantes à tous les échelons de l’État. Le retour des Talibans va certainement remettre tout cela en cause même si l’un de leur porte-parole vient d’annoncer que les femmes seront autorisées à se former contrairement à ce qui s’est passé il y a plus de deux décennies quand ils étaient aux affaires avant l’intervention américaine.
Le Mali risque-t-il de subir le même sort que l’Afghanistan si les troupes étrangères se retiraient du pays ?
René Lake : Votre question revient à se demander si la chute de Kaboul, la capitale du grand « cimetière des empires », est une alerte pour le Sahel. Tout dépend de l’analyse que l’on fait des interventions étrangères dans nos pays. Si vous faites allusion ici, en particulier, à l’intervention française au Mali, je vous signale qu’elle n’est pas populaire. La présence américaine en Afghanistan n’était pas non plus populaire. Vous savez, comme souvent, les envahisseurs dans leurs alliances locales favorisent les partenaires qui font dans la servilité. Au finish, cela se retourne contre les deux entités : les alliés locaux qui sont dans la mauvaise gouvernance et ne bénéficient pas du soutien de leurs populations et les étrangers qui eux sont perçus comme des prédateurs et des donneurs d’ordre qui n’ont pas l’intérêt du pays en tête. Une bonne gouvernance au bénéficie exclusif des populations de nos pays, c’est cela le meilleur rempart contre le terrorisme.
Si jamais le Mali s’écroule, le Sénégal est-il menacé ?
René Lake : Oui c’est une évidence, il me semble. Non seulement le Sénégal mais aussi une bonne partie de l’ensemble du Sahel et même au-delà. On peut déjà considérer que l’État malien s’est écroulé depuis un bon moment. Encore une fois, la bonne gouvernance axée sur les intérêts du pays et de ses populations est la meilleure des garanties contre les risques terroristes. La servilité, l’impopularité, l’inefficacité et l’incompétence des gouvernants sont autant d’opportunités que les terroristes savent saisir dès que les conditions sont propices à une expédition.
par l'éditorialiste de seneplus, penda mbow
DE LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFLEXION STRATÉGIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - On attribue aux Américains, un destin de dirigeants de ce monde. Sont-ils encore prêts à l’assumer ? La carte du monde est en train de se redessiner. L’intelligentsia sénégalaise a une responsabilité devant l’histoire
Tous les trois nous incitent à la réflexion, mais surtout, ils démontrent encore une fois, les possibilités d’un leadership intellectuel en tant qu’héritiers de « Présence Africaine ». L’intelligentsia sénégalaise a une responsabilité devant l’histoire. La carte du monde est en train de se redessiner sous nos yeux. Sans trop vite aller en besogne et proclamer la fin de l‘hégémonie occidentale, il faut reconnaître tout de même que nous sommes rentrés dans une période de compétition des civilisations et parfois de façon violente. Personne n’en maîtrise l’issue. On ne sait pas encore quelles en seront les conséquences puisqu’il y a une imbrication de plusieurs aspects de la crise : démographique, sanitaire, climatique, de la criminalité…on dirait que l’humanité va déserter notre univers.
Les Américains ? On leur attribue un destin de dirigeants de ce monde. Sont-ils encore prêts à l’assumer ? Depuis la Deuxième Guerre mondiale, leurs troupes sont stationnées à Avène dans le Frioul en Italie et en Allemagne pour rappeler à l’Europe leur part dans la défaite du spectre nazi.
Au moins, on peut reconnaître une chose aux Américains : leur capacité d’anticipation, leur contrôle et leur maîtrise de la circulation des idées, mais aussi de la nécessité d’avoir une cartographie précise de ce que représente l’Amérique aux yeux des autres. Une information juste et vraie permet de faire les meilleurs choix. Nous avions assisté, il y a quelques années, à Carnegie Endowment for International Peace, à la présentation d’une étude dirigée par Thomas Carothers sur « Pourquoi le monde déteste les États-Unis ?», sur la position morale du pays dans le monde. Comme écrit Julia Sweigh (Courrier international du 16 août 2006), « ne nous y trompons pas, l’anti-américanisme n’est pas seulement le fruit d’une colère contre George W Bush, il plonge ses racines dans une antipathie accumulée durant des décennies. » Grâce à la critique et l’autocritique, les États-Unis s’en sortent toujours renforcés.
Le deuxième exemple repose sur le fait que les Américains peuvent discuter avec leurs pires ennemis. Pour avancer au début des années 2000 dans les discussions avec certains extrémistes musulmans, le « Wilson center « avait entrepris des études sur « Islam is or not the problem » (cf Bramberg). Et c’est la période où Mahmoud Mamdani apportait sa réponse autour de son livre : « Good muslims, bad muslims. »
Le moment est venu pour nous Africains au moins dans notre frange intellectuelle, afin de ne pas être dévorés par ce monde incertain et son lot d’évènements imprévisibles, de nous organiser autour d’une réflexion stratégique, de créer de solides think tanks, des fondations politiques.
Au Sénégal, nous devons savoir quelle sera la place de notre pays en Afrique et celle de l’Afrique dans le monde. C’est une question de survie !
À ce propos, IDEP, CODESRIA, Forum du Tiers Monde, ont abattu un énorme travail, mais le niveau des bouleversements nous invite à nous organiser autrement. Il s’agit de réinvestir la pensée politique en Afrique, mais surtout de conquérir un nouvel espace pour le Sénégal. Il y a quelques années, Pierre Sané nous invitait à un « Imagine Africa ». Le temps presse !
FUNMILAYO RANSOME-KUTI, UNE YORUBA FIÈRE ET SANS PEUR
Leader politique, elle s'est levée contre les injustices faites aux femmes de sa région avant d'œuvrer à l'indépendance du nigeria. Elle devient un personnage public tout en élevant ses quatre enfants, dont le fameux musicien et chanteur Fela
Funmilayo Ransome-Kuti était la première figure féministe du Nigeria pendant la première moitié du XXe siècle. Leader politique, elle s'est levée contre les injustices faites aux femmes de sa région avant d'œuvrer à l'indépendance de son pays. Mariée à un enseignant et révérend anglican, Funmilayo Ransome-Kuti s'affranchit des conventions de l'époque. Elle devient un personnage public tout en élevant ses quatre enfants, dont le fameux musicien et chanteur Fela.
« Savoir se faire respecter. » Ce slogan résume la vie de Funmilayo Ransome-Kuti. Née en 1900, cette Yoruba est la première fille de la colonie du Nigeria à être scolarisée. Après des études en Angleterre, Funmilayo Ransome-Kuti lance les premières organisations politiques féminines. Pour Nike Ransome-Kuti, sa grand-mère reste un modèle. « Je crois qu'elle était féministe mais pas dans le sens le plus moderne. Vous savez qu'elle était juste une femme et chez le Yoruba, les femmes sont des personnalités très fortes. Ma grand-mère était un personnage fort. Elle était disciplinée, courageuse, forte d'esprit et avec une volonté de fer. Elle était prête à mourir pour ses idées. »
En 2007, le reggaeman sommait Karim Wade de s’expliquer sur l’utilisation de fonds publics et essuyait les foudres de son président de père. Un épisode qui contribua à bâtir la notoriété du chanteur hors de sa Côte d’Ivoire natale. Témoignage
Jeune Afrique |
Benjamin Roger |
Publication 21/08/2021
J’étais au Sénégal en 2007. Je jouais à l’Institut français de Dakar dans le cadre d’un festival de rap. Nous étions en pleine polémique sur Karim Wade, le fils du président Abdoulaye Wade. Il avait été convoqué par l’Assemblée nationale pour s’expliquer sur des travaux qu’il avait faits à Dakar pour le sommet de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), qui devait se tenir l’année suivante, mais il refusait de s’y rendre.
Comme Karim Wade était ministre et qu’il gérait des fonds publics, il me semblait important qu’il rende des comptes. J’ai donc prononcé un petit discours sur scène et j’ai dit qu’il devait s’expliquer devant les députés. Puis j’ai ajouté que si Abdoulaye Wade ne voulait pas que son fils aille à l’Assemblée nationale, qui était à l’époque dirigée par Macky Sall, il aurait fallu le laisser dans son berceau, à la maison, et ne pas le mêler à la politique. J’ai enchainé avec mon titre Quitte le pouvoir et le concert s’est terminé sans encombre.
Rencontre avec Abdoulaye Wade
Ce discours aurait pu rester dans les travées de l’Institut français mais le lendemain, alors que je me préparais à monter dans l’avion pour quitter Dakar, un policier est venu me chercher après le passage des formalités. Il a pris ma carte d’embarquement et mon passeport. Il venait pour m’interpeller, mais il a reçu un coup de fil lui disant qu’il fallait finalement me laisser partir. Je suis donc rentré à Abidjan. Le soir, au journal télévisé de la RTS, il a été annoncé que j’étais désormais interdit de séjour au Sénégal. Cela a duré trois ans.
Dakar, 20 août (APS) - Le Sénégal a reçu, jeudi, de la Turquie 12 tonnes de matériel médical dont 50.000 doses de vaccin contre le Covid-19, a appris l’APS.
‘’Ce sont quelque 12 tonnes de matériel dont 50.000 doses de vaccin que nous venons de réceptionner de la Turquie’’, a tweeté, le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr.
Il a rappelé, à cet égard, que la Turquie est un pays ami avec lequel le Sénégal ‘’nourrit un partenariat de longue date’’
Ces 12 tonnes de matériel dont 50.000 doses de vaccin rentrent dans le cadre de la lutte globale contre la pandémie de Covid-19 dont une troisième vague frappe sévèrement le pays depuis plusieurs semaines.
L’arrivée de ces 12 tonnes de matériel médical avait été annoncée, le 10 août dernier, par le président de la République.
’’J’ai eu un entretien ce jour avec le Président Recep Tayyip Erdogan. Je lui ai exprimé notre solidarité au peuple turc suite aux incendies qui affectent la Turquie. Il m’a assuré du soutien de la Turquie dans la lutte anti Covid avec l’envoi de 12 tonnes de matériel médical’’, avait tweeté Macky Sall.
Depuis l’apparition du premier cas sur son territoire, le 2 mars 2020, le Sénégal a officiellement déclaré 71.628 cas positifs de Covid-19. Parmi les personnes ayant contracté le virus, 56.331 ont recouvré la santé, 1.648 sont décédées et 13.648 autres sont encore sous traitement.
Sur le front de la vaccination, 1.131.827 personnes ont été vaccinées depuis le lancement officiel de la campagne sur l’étendue du territoire national, en février dernier.
par l'éditorialiste de seneplus, alymana bathily
LA DÉBÂCLE DE L’AFGHANISTAN, UN MESSAGE AU MONDE ET À L’AFRIQUE
EXCLUSIF ENEPLUS - Est-il possible à présent de modérer l’impérialisme américain ? Les opéreations militaires étrangères n’auront d’autres effets que d’entretenir la corruption de régimes oligarchiques, de déstructurer les armées nationales
Alymana Bathily de SenePlus |
Publication 20/08/2021
Après la chute de Saigon en 1975 au bout de 15 ans d’engagement des États-Unis d’Amérique, avec jusqu’à un demi-million d’hommes, 141 milliards de dollars pour soutenir leur allié sud-vietnamien et plus de 56 000 Américains morts, voici donc que Kaboul se rend aux Talibans.
Après une guerre de 20 ans livrée par une armée de 500 000 hommes, organisée, entraînée, équipée et encadrée par l’armée américaine et ses alliés, dont la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, un corps expéditionnaire qui s’est élevé jusqu’à 110 000 soldats et un investissement de 822 milliards de dollars. Après 111 000 morts au sein de la population civile, 45 000 au sein des forces armées afghanes, 3 500 au sein des troupes étrangères coalisées, dont 2 218 au sein des forces américaines.
On imagine le niveau de dévastation du pays, l’ampleur des déplacements de population, de perturbation de la vie économique et sociale...
Le message au monde
Le président américain Gérald Ford a eu ces mots mémorables le 23 avril 1975, alors que les combattants du Front national de libération faisaient jonction avec l’armée du nord du Vietnam et fonçaient sur Saigon et que l’ambassade US fuyait dans le chaos : « Nous pouvons aider les autres à s’aider eux-mêmes... Mais le destin d’hommes et de femmes responsables, à travers le monde, reposent entre leurs propres mains pas entre les nôtres... »
Il arrivait à ce constat après 15 ans de bombardements intensifs, après deux millions de victimes dans la population, un usage intensif de gaz toxique qui a affecté des millions de gens à vie et contaminé l’environnement pour longtemps.
Les USA ont-ils compris enfin qu’ils n’ont ni la morale ni la loi internationale pour eux quand ils tentent militairement d’influer sur la vie et le cours des États et des nations ? Et qu’en plus, ils n’ont pas les capacités physiques et militaires de la faire ? Qu’une armée étrangère ne peut plus intervenir pour changer le cours de l’histoire d’un pays, de n’importe quel pays ?
Rien de moins sûr !
Si le président Biden annonce dans le même discours le retrait de ses troupes d’Afghanistan et son engagement dans la lutte contre le Covid-19 et pour relever les défis du réchauffement climatique, ceci ne présage nullement de la fin des interventions militaires US à travers le monde.
Il faut d’abord convenir que c’est le bellicisme des USA qui a, sinon suscité, du moins nourri le terrorisme, en particulier le terrorisme islamiste. Il faut se rappeler de l’intense activité semi-clandestine menée par la CIA et orchestrée par les médias mainstream du monde entier, qui a couvert une aide multiforme aux Talibans présentés alors comme le dernier rempart du monde libre face au communisme de l’Union soviétique. On sait maintenant que c’était en fait faire le lit d’un extrémisme islamo fasciste qui allait vite conduire au 11 septembre 2001.
Faut-il rappeler que la destruction du régime de Saddam Hussein et l’humiliation que les peuples d’Irak ont subie sont pour quelque chose dans l’éclosion de Daesh ?
On sait par ailleurs que c’est l’intervention de l’OTAN permise par le gouvernement américain de Barack Obama qui, en détruisant la Libye de Mouammar Kadhafi, a ouvert la voie aux hordes de fondamentalistes islamistes qui terrorisent aujourd’hui tous les pays du Sahel dont ils mettront bientôt à bas les États. Est-il possible à présent de modérer l’impérialisme américain ?
Il faut en tous cas en appeler aux forces progressistes du monde entier, et notamment celles à l’intérieur des États-Unis, pour faire pression sur le pouvoir américain, exécutif et Congrès confondus, afin de mettre un frein au bellicisme de l’oligarchie américaine.
Il faut en appeler aux États du monde entier pour œuvrer ensemble à l’ONU et dans toutes les instances internationales appropriées afin de contrer toute manœuvre des USA et de leurs alliés pour intervenir militairement dans les affaires intérieures d’autres pays.
Le message à l’Afrique.
La débâcle américaine et l’effondrement du régime de Kaboul face aux Talibans envoient un message sans ambiguïté aux oligarques africains du Sahel : les opérations militaires françaises, Barkhane ou autres, même renforcées par d’autres troupes et avec le meilleur équipement militaire, ne pourront contenir longtemps encore l’offensive djihadiste.
Offensive qui est maintenant partout : en Somalie depuis longtemps, dans tout le Golfe de Guinée, au Nigeria, au Cameroun et au Tchad, mais aussi en Centre Afrique, en RDC, en Ouganda, au Kenya et au Mozambique. Et elle s’étend.
Il est maintenant évident que les opérations militaires étrangères type Barkhane ou G5 au Sahel, même renforcées d’autres contingents européens, comme en rêve le président français, ne pourront pas tenir longtemps. Elles n’auront d’autres effets que d’entretenir la corruption de régimes oligarchiques, de déstructurer les armées nationales, d’aggraver des dissensions sociales et la pauvreté.
Seule une réponse collective du continent pourrait relever le défi. L’Afrique doit se résoudre à prendre en main sa propre sécurité comme le projette l’Union africaine à travers son Conseil Paix et Sécurité depuis plus 20 ans. Elle seule serait capable de faire face à l’offensive terroriste qui l’agresse de toute part, de la Corne de l’Afrique à l’Océan indien.
Il s’agit de mettre enfin en œuvre la Force africaine en attente au niveau des différentes régions du continent, préconisée depuis longtemps par l’Union africaine.
Les pays de la Communauté des États de l’Afrique australe (SADEC) notamment le Botswana, l’Afrique du Sud, le Rwanda et l’Angola qui viennent d’envoyer des contingents au Mozambique pour faire face aux islamistes, viennent de montrer la voie.
Les autres régions du continent doivent suivre rapidement l’exemple de la SADEC.
SURPLOMBER LE COVID-19 AU NOM D’UN COMBAT PERMANENT
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps - C’est pour tenir ferme à l’idéal que j’ai basculé dans un autre registre du langage : la longue chanson dédiée à mon continent dont le destin ne se noue pas forcément aux évolutions d’une crise sanitaire
#SilenceDuTemps - J’avais, lorsque le nouveau Coronavirus avait dévasté nos cœurs en nous arrachant des êtres chers, signé quelques papiers, dont un hommage à Papa Diouf, dirigeant sportif de renommée mondiale. L’horizon incertain dans la grisaille des jours, j’écrivais pour faire face à mes peurs. J’écrivais pour inspecter un certain universel : le temps du monde était subitement dissous dans l’instant identique de son arrêt. Partout, le nouveau Coronavirus avait effacé les frontières et fait voler en éclats les nations pour nous exposer à nos fragilités communes, nos solitudes, nos angoisses. Affaissés, nos repères traditionnels : riches et pauvres, nord et sud, développés et sous-développés. La mort qui rôde rendait vains ces parallélismes. On le sait : rien ne peut être tiré d’un tel universel plutôt mortifère. Dès lors que le même sinistre s’installe sous le sceau d’une pathologie, j’ai pensé que les discours pessimistes ou optimistes n’avaient plus de sens. En revanche, il fallait juste faire face au nom de l’idée de justice qui, elle, depuis des millénaires, est increvable. J’ai préféré alors vivre à l’abri de l’idéal inscrit dans la figure de l’éternité d’un combat, plutôt que dans la croyance d’un après qui bouleverserait tout, surtout pour le continent africain. Pour ma part, une crise sanitaire imposerait plutôt quelques réformes dont on sait qu’elles n’ont pas la vocation de changer le monde. C’est donc pour tenir ferme à l’idéal, au principe affirmatif d’un pari, que j’ai basculé dans un autre registre du langage : la longue chanson dédiée à mon continent dont le destin ne se noue pas forcément aux évolutions d’une crise sanitaire. Il s’agissait, ainsi, de réaffirmer la permanence d’un combat et d’être ferme contre la tristesse des jours de terreur. J’ai plongé alors dans les moments de l’Afrique qui se dresse au-delà de la crise sanitaire. J’ai creusé pour retrouver de grandes voix dont le compagnonnage, lorsque l’incertitude et l’angoisse sont la règle, nous rappelle à notre devoir de vigilance, de lucidité et de courage. C’est donc au cœur de la crise sanitaire que j’ai écrit et publié ce texte mis en scène dans une vidéo réalisée par mon ami Pape Faye et ses équipes.
Afrique
À David Diop Mandessi qui nous montré les chemins de la poésie
La nuit traverse Dakar
flots de vagues nuageuses
échouées au loin des corniches
dans les sombres eaux de l’occident empli de vieux soleils
Doucement éclot le soleil de Gorée
l’aube enveloppe les clameurs océanes
halo de transparence
éclat de vie humide rayonnant
Surgit des abysses bleues
des ombres parties loin
dont les ombres sont toujours là
la pointe de l’Afrique qui hume de ses nasales millénaires
les spectres lointains
les souffles du monde
Surgit des échos de quatre cents ans de viol
mon matin de Cap Vert
bordé de silence
mon matin paré de mots neufs
de mots lueurs dans les allées sombres du temps
mon matin habité
ensorcelé
subjugué
matin debout de l’Afrique rebelle
Je suis cette voix qui rugit au soleil naissant des décisions cruciales
je suis l’Afrique mandésienne
au bout du rêve ample
de nos héritages pluriels
Nos générosités ont été bien défaites
je sais mais nous tenons au songe qui surprend
sentinelles de nos mémoires imparfaites
Je suis cette voix des gésines émancipatrices,
juché sur le toit du temps
je suis l’aube des terres colonisées
des lueurs florales du genre humain
je suis le cri primordial
la promesse initiale
je suis sapiens
je suis birrimien, éthiopien
je suis égyptien, saharien
je suis sahélien, nubien
je suis antique si ancien aux fond des brouillons précambriens
Je suis l’Afrique
au dos rebondi dressé
et au geste de baiser salé debout
humant les écumes des marées éperdues
de son nez épaté
debout
depuis les débris antiques
les éruptions volcaniques
les épreuves pyramidales
debout…
Je suis la clameur aurorale
des saisons de migrations sauvages
je suis l’anté
je suis le pré
je suis l’archéo
le paléo
je suis le commencement
le surgissement
le vagissement
comme les désirs aveugles les nuits de noces
Je suis le survivant des crimes contre l’humanité
debout dans le cœur des traites négrières
dans le cœur des annexions barbares
des apartheids ignares
des néocolonialismes périmés
je suis l’étrange des mondialisations capitalistes
le paria des démocraties inertes
dans le chœur mortuaire de représentations piégées
je suis le rire vivant
sauvage
banania
le sourire incandescent
puissant
qui illumine les poussées populaires
les révoltes atrabilaires
les colères salutaires
Je suis la terre
je suis le nouveau prolétaire
à l’assaut des sanctuaires mortifères
je suis la gueule sinistrée des midis échoués
dans l’abîme de l’Atlantique ensanglanté
dispersés par les vents de sables qui aveuglent les espoirs
anéantis dans les enclaves mortelles de l’Occident barricadé
je suis la sombre dépouille des jeunesses volées mais…
Je suis la vie
je suis la conscience des obstinations sourdes
je suis le petit matin du monde
je suis la furie aveugle des fureurs océanes
je suis le nègre gisant sur les plages
après les longues traversées du désert
de la mer
des enclaves
des lois meurtrières
je suis la jeunesse éclopée du monde
la laideur des marges
je suis la cendre des libertés incendiées
la cendre brûlante qui répand l’odeur âcre de l’égalité de la justice de la liberté
je suis le nègre des îles insurgées
le nègre des récits piétinés
le nègre négro des champs de coton de sucre
sur les routes
dans les caravelles primitives
Je suis le nègre des champs d’arachide
le nègre des plongées minérales
le nègre des refus séculaires
attentif au bout du petit matin à l’éclat ébène de corps tatoués
je suis le nègre aléatoire
le guérillero improbable …
Mais c’est le jour des résurrections
le jour des surrections
des insurrections triomphantes
le jour des noces enflammées
Je suis la force de vie qui monte
qui grimpe vers les altitudes inouïes
je suis l’increvable
l’inoxydable aussi loin
aussi longtemps que je remonte
dans le temps
Je suis l’Afrique des résistances intactes
des mémoires tenaces
je suis Chaka
je suis Samory
je suis Kimpa
je suis Biko
je suis Lumumba
je suis Funmilayo
je suis Mandela
je suis Cabral
je suis Zingha
je suis Machel Samora
je suis Kum’a Mbape
je suis Tamango
je suis Alinsitoye
je suis Louverture
je suis Lamine Senghor
je suis Nder au féminin
Nder en flammes du refus des oppressions
Nder des belles reines poétesses épiques des vers imprescriptibles
« Mourir libres plutôt que vivre soumises »
Dans la fièvre des tranchées de peine et de tendresse
je suis le poète des soleils nocturnes
je suis l’écho au présent de cette puissance stellaire aux noms inédits
moloyse
mandessi
labou tansi
u tamsi
césaire
senghor
damas
depestre
roumain
Et vous poètes invisibles des nuits de clair de lune
dont la voix seule est si clairement audible
conteurs de mes épopées immémoriales
Heureux ceux n’oublient point
qui savent vivre dignement
et connaissent du cœur le dictionnaire des prescriptions
heureux ceux qui écoutent les bruits de fonds de la scène du temps
qui se dressent pour la gloire
sur les chemins escarpés de la justice
heureux ceux qui savent ce qu’est le moment décisif
et montent au front du présent pour sculpter l’avenir selon leur volonté
Heureux les libres systématiques
les égaux du monde nouveau
de l’Afrique scintillante de mots nouveaux
Je sais bien
la vie est parsemée de pistes enchevêtrées
labyrinthes
dédales
sans haltes
je ne sais quel sentier risquer
mon rage me perd mais je défie les horizons ouverts
je sais que l’Afrique est en gésine
fruit des vigueurs tendues
de nos élans éperdus
croiser les indices
au hasard des détours
sur ces chemins qui ne mènent nulle part
je te suivrai alors terre mère
ombre de ton nombre
comptant les pas des surprises jusqu’aux confins de l’espoir
des signes constellés de ta silhouette
Au plus étroit des sentiers toujours tenir aux lueurs à venir
lors même avons-nous scruté la belle étoile
attentifs au ciel si clair
le long des nuits sombres
les symphonies n’éclairaient plus les sillons sinueux de nos rugissements
alors je puiserai au grenier vif les mots rebelles
et tresser le poème de nos combats impératifs
et les mots insoumis à l’assaut des citadelles rances
qui crient les péans égalitaires
des mots clairs
des mots Césaire
des mots Sédar
des mots Tansi
des mots Mandessi
des mots Mongo
des mots Thiong’o
des mots Dépestre
des mots Damas
des mots Fanon
des mots Anta Diop
des mots Soyinka
des mots Afrique pour sûr.
El Hadj Hamidou Kassé est philosophe de formation. Romancier, poète, essayiste, il a exercé en tant que journaliste dans le secteur privé et le service public. Ancien directeur général du Soleil, Kassé a publié, entre autres, Les Mamelles de Thiendella (Grand Prix de la République pour les lettres, 1995), Les Nuits de Salam, Les emblèmes du désir. Dans son élan poétique, il est un chantre de la beauté et de l’espoir.