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5 mai 2025
International
GREENPEACE PROVOQUE LA COLÈRE DU GOUVERNEMENT
Le ministère des Pêches juge "totalement infondées" les allégations contenues dans un rapport de l’ONG, lui reprochant d’avoir déclaré que des licences de pêche ont été octroyées à des navires étrangers par le Sénégal
Le ministère sénégalais des Pêches et de l’Economie maritime juge "totalement infondées" les allégations contenues dans un rapport de l’organisation non gouvernementale Greenpeace, lui reprochant d’avoir déclaré que des licences de pêche ont été octroyées à des navires étrangers par le Sénégal, et des d’usines de farine de poisson installées dans le pays.
"Le ministère des Pêches et de l’Economie maritime a découvert, ce samedi 10 octobre 2020, par voie de presse, un rapport de Greenpeace intitulé ‘Mal de mer’, dans lequel ladite ONG dénonce de supposées licences qui seraient octroyées à des navires étrangers, l’installation d’usines de farine de poisson", écrit le ministère dans un communiqué parvenu mardi à l’APS.
Le rapport de Greenpeace "fait état d’activités de pêche INN (pêche illicite, non déclarée et non réglementée) dans les eaux territoriales du Sénégal", selon le ministère.
"Les allégations totalement infondées contenues dans ledit rapport sont d’autant plus surprenantes qu’à plusieurs reprises, par voie de communiqués officiels, de contributions dans la presse, d’émissions de radio et de télévisions, etc., le ministère des Pêches et de l’Economie maritime a toujours apporté des éclairages, des précisions et des démentis, à chaque fois que cela s’imposait, à l’endroit des acteurs, de l’opinion publique nationale et internationale", argue le département ministériel.
Il affirme avoir discuté de la pêche au Sénégal avec les professionnels du secteur et les organisations qui s’y intéressent, dont Greenpeace, laquelle, selon le texte, a été reçue en audience par le ministre des Pêches et de l’Economie maritime, Alioune Ndoye, le 5 mai 2020.
M. Ndoye et ses collaborateurs dénoncent le soutien "sans faille" qu’apporte l’organisation de protection de l’environnement à "certains industriels" de la pêche et "l’acharnement" de ces derniers à son encontre.
Selon eux, Greenpeace est allée "jusqu’à signer la quasi-totalité des communiqués (…) publiés" par les industriels en question, "au risque de porter atteinte à sa crédibilité".
Le ministère des Pêches et de l’Economie maritime "n’entend donner aucun crédit à un rapport qui n’est qu’une reprise [des] allégations erronées et toujours officiellement démenties de certains privilégiés de la pêche industrielle".
"Aucun navire battant pavillon étranger ne peut, en l’état actuel de la réglementation sénégalaise, obtenir une licence de pêche au Sénégal si ce n’est sur la base d’un accord de pêche. Or, le Sénégal n’a d’accord de pêche qu’avec l’Union européenne, la Gambie, le Cap-Vert, la Mauritanie, la Guinée-Bissau et le Liberia", précise le ministère.
"La Chine n’ayant pas signé [un] accord de pêche avec le Sénégal, aucune licence ne peut dès lors être accordée à un bateau battant pavillon chinois. Tous les bateaux d’origine chinoise, espagnole, française, grecque (…) détenteurs [d’une] licence de pêche au Sénégal appartiennent à des sociétés reconnues, par acte notarié, de droit sénégalais", arguent Alioune Ndoye et ses collaborateurs.
Ils font valoir que ces navires sont "sénégalisés" suivant une procédure rigoureusement encadrée par la loi.
"Tel a d’ailleurs été le cas, s’agissant des licences accordées, sur la base d’une procédure enclenchée depuis 2017, à des navires dénommés Fu Yuan Yu appartenant à la société FT2, établie au port [de Dakar] depuis plusieurs dizaines d’années et connue de tous les acteurs pour son apport très déterminant dans le développement du secteur", soutient le ministère des Pêches et de l’Economie maritime.
En ce qui concerne la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, "Greenpeace semble incriminer huit navires de pêche industrielle ayant participé à des activités douteuses au cours de la période dite observée".
Le ministère fait "noter que le Sénégal, à travers la direction de la protection et de la surveillance des pêches, soutenue dans sa mission par la Marine nationale, l’armée de l’air (…) dispose d’outils performants de surveillance active et passive des eaux sous sa juridiction", argue le communiqué.
C’est ce qui a valu au Sénégal d’être désigné en 2016, par le département d’Etat américain, "champion des océans", et de figurer en 2017 "dans le carré des pays membres d’Interpol chargés d’orienter la lutte contre la criminalité dans le secteur de la pêche".
"S’agissant des usines de farine et d’huile de poisson, il est à noter qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit leur implantation au Sénégal. C’est le département (le ministère des Pêches) qui, à la suite de larges concertations tenues en 2019, a décidé de geler la délivrance de nouvelles autorisations préalables".
"Il n’a, dès lors, jamais été question d’une quelconque fermeture des unités en activité. Ces dernières doivent cependant se limiter à n’utiliser que les déchets et rebuts de poisson à titre principal et, accessoirement, les invendus, le cas échéant. Aucune possibilité ne peut (…) leur être offerte au Sénégal, présentement, d’utiliser du poisson frais pour alimenter leurs activités", précise le ministère des Pêches et de l’Economie maritime.
Il fait part de son "engagement inébranlable à œuvrer pour la préservation et la gestion durable de cette ressource nationale, conformément aux orientations stratégiques contenues dans la lettre de politique sectorielle et dans le strict respect des lois et règlements" du pays.
Le ministère promet de continuer "à agir et à interagir avec les acteurs de la pêche artisanale et industrielle", dans le "dialogue permanent" et la "fermeté".
par Khadim Ndiaye
LIRE CHEIKH ANTA DIOP AUJOURD’HUI
EXCLUSIF SENEPLUS -Tout ce qui tend à vous figer dans le passé est mauvais – La non transmission du savoir et l’absence de sa démocratisation est source de régression - S’insurger contre les tentatives de repli identitaire – Dépasser la conscience tribale
Les chercheurs qui étudient minutieusement la production intellectuelle de Cheikh Anta Diop savent qu’on ne peut pas prendre prétexte de ses écrits ou de ses dires pour injurier, manifester du racisme et appeler à la division des Africains sur une base ethnique ou confessionnelle. Le rappeler est toujours utile, surtout en ces moments où des « forces obscures » malveillantes, tentent de semer des graines de haine et de dissension dans des consciences africaines non encore bien formées.
Produit d’une éducation qui accorde une place importante à la rectitude morale et à la bonne conduite, Diop abhorrait les injures. Il avait l’habitude de dire que la rigueur n’est ni la grossièreté ni la trivialité : « Dëgg boo ko booleek saaga day wàññi doole ja » (une vérité devient fragile si elle est injurieuse). Son œuvre est également une offensive résolue et constante contre le racisme d’où qu’il vienne - Orient, Occident, Afrique - et sous toutes ses formes : scientifique, culturelle, institutionnelle, etc. Il a sa vie durant, travaillé à démontrer l’unité de l’espèce humaine. Une humanité qui a une origine monogénétique africaine. Une thèse aujourd’hui largement confirmée par la science et qu’il a opposée avec force arguments aux théories polycentristes qui faisaient rage à son époque. Pour lui, nous devons tous aspirer « au triomphe de la notion d’espèce humaine dans les esprits et dans les consciences, de sorte que l’histoire particulière de telle ou telle race s’efface devant celle de l’homme tout court. » Ce préalable effectué nous permettra alors, comme il le disait, de « décrire, en termes généraux qui ne tiendront plus compte des singularités accidentelles devenues sans intérêt, les étapes significatives de la conquête : de la civilisation par l’homme, par l’espèce humaine tout entière ».
L’allié le plus sûr de l’Africain, qui doit clouer au pilori tout interlocuteur malveillant, est la quête permanente du savoir mise au service d’une lutte constante pour la libération de toutes les énergies créatrices des peuples du continent. L’Africain doit simplement, écrivait Cheikh Anta Diop, « être capable de ressaisir la continuité de son passé historique national, de tirer de celui-ci le bénéfice moral nécessaire pour reconquérir sa place dans le monde moderne, sans verser dans les excès d'un nazisme à rebours ». En 1981, Diop fait une communication intitulée « L’unité d’origine de l'espèce humaine » au colloque organisé par l’Unesco sur le thème « Racisme, science et pseudo-science » où il rappelle ce qui doit être l’objectif ultime, à savoir « rééduquer notre perception de l'être humain, pour qu’elle se détache de l'apparence raciale et se polarise sur l’humain débarrassé de toutes coordonnées ethniques. » Son ancien camarade, Secrétaire général adjoint de son parti, Dr Moustapha Diallo, qui a eu le privilège d'assister à ses derniers instants sur terre, a rappelé, après son décès, son désir profond qui était de « redonner à l'Humanité plongée dans l'égoïsme et la vanité, le sens de l’amour qui l'animait à un niveau rarement atteint ».
Diop n’a jamais incité au racisme envers les Blancs, les Jaunes, les Sémites, etc. L’État fédéral d’Afrique qu’il a appelé de ses vœux doit englober toutes les parties du continent y compris l’Afrique du Nord, une fois que nous aurons éliminé, disait-il, les difficultés de nature subjective - c'est-à-dire savoir si les Africains du Nord et Subsahariens veulent réellement se fédérer, et les difficultés de nature objective, à savoir la nature égoïste de certains régimes politiques terrifiés à l'idée d'un État continental. Il a d’ailleurs participé au Colloque afro-arabe sur la libération et le développement de 1976 à Khartoum au Soudan et, en 1978, il évoque, dans son journal politique, les liens de parenté très anciens entre Arabe et Noir – le premier est un métis du second – et la « dynamique unitaire » qui doit prévaloir sur les préjugés hérités de l’Histoire : « J’ai montré dans « Nations nègres » et dans « Antériorité des civilisations noires », toute la parenté biologique et culturelle entre l’Arabe et l’Africain noir, parenté très ancienne qui remonte à la fin du Vème millénaire av. J.C. et au début du IVème siècle, à la naissance du monde sémitique. J'ai approfondi la même idée dans « Parenté génétique de l'égyptien pharaonique et des langues africaines », dans le cadre d'un chapitre intitulé « Processus de sémitisation ». Cette parente antérieure à l’Islam et qui rejette aujourd'hui à l'arrière-plan de la vie sociale tous les préjugés hérités de l'histoire des derniers siècles, réapparaîtra un jour au premier plan et est un facteur non négligeable dans une dynamique unitaire du continent. À ces raisons historiques s'ajoutent donc des raisons présentes qui tiennent à la nature complémentaire de nos économies dans la perspective d'un épuisement prochain des hydrocarbures terrestres. »
Réprouvant toute injustice, il a également appelé au soutien de tous les mouvements de libération dans le monde (Vietnam, Algérie, Guinée, etc.) en lutte contre l’impérialisme. Un soutien qui figure en bonne place dans le programme du Front National Sénégalais (FNS) de 1964 et dans celui du Rassemblement National Démocratique (RND) de 1976. Cheikh Anta Diop s’est aussi insurgé contre les tentatives de repli identitaire, ethnique, des uns pour l'exclusion politique des autres. Dans un entretien accordé en 1976 à Carlos Moore, il déplore toute instrumentalisation de l’ethnie à des fins politiques en Afrique : « Personnellement, dit-il, si on me donnait le choix d’organiser un parti politique selon des critères ethniques ou de rester complètement à l’écart de la politique, je n’hésiterais pas à choisir ce dernier. Partout où cela se fait en Afrique, je considère que c'est une erreur. Il est possible que certains pays en soient encore à ce stade. Cependant, j'espère que tout sera fait pour dépasser cette étape le plus rapidement possible car rien de positif ne peut en résulter. » Dans son ouvrage Antériorité des civilisations nègres, il insiste sur l’importance du « passage de la conscience tribale à la conscience nationale, partout où cela est nécessaire, en Afrique », et le 22 juin 1977, en conférence de presse, il se démarque de toute affiliation ethnocentriste et affirme, en sa qualité de Premier Secrétaire Général de son parti, que « le R.N.D. n'est pas le parti de telle ou telle communauté. C'est le parti des masses sénégalaises ».
En ce qui concerne la religion, certaines personnes qui se réclament de lui aujourd’hui, aux desseins obscurs et animées par un esprit de dissension, pervertissent ses propos et les utilisent pour dénigrer la foi d’honnêtes gens. Comme pour l’ethnie, Cheikh Anta Diop invite toujours au respect de la liberté religieuse et au dépassement des clivages pour se conformer au seul but qui doit unir : la libération du continent africain. Il considère la foi religieuse comme une question délicate car engageant la « personnalité entière » de l’individu. Au moment où les pays africains s’acheminaient, sans véritable élan unitaire, vers le recouvrement de leur liberté confisquée, il a appelé à une cessation de toute critique religieuse, génératrice de colère et de rancœur : « Tout Africain sérieux qui veut être efficace dans son pays à l'heure actuelle évitera de se livrer à des critiques religieuses ». Propos inscrits dans son livre Nations nègres et culture, où il indique également que son œuvre « ne fait aucune allusion à la véracité de la religion musulmane ou chrétienne » et qu’il serait malhonnête de le lire « avec l’intention secrète d’y trouver un seul mot permettant de le jeter en criant au blasphème ». De même, quand il invite à renouveler l’expérience menée par Alain René sur le christianisme, il précise que c’est « non dans un but critique ou de dénigrement, mais pour mieux mettre en évidence les racines égyptiennes des religions révélées, et du christianisme en particulier ».
Pour Diop, l’Afrique se fera avec tous ses enfants, qu’ils soient adhérents des religions dites révélées ou adeptes des croyances traditionnelles. En 1952, au moment où peu d’Africains avaient osé parler d’indépendance, il invite dans son article « Vers une idéologie politique africaine » tous les fils d’Afrique sans distinction de religion, « depuis le citadin…jusqu’au paysan, depuis le Musulman jusqu’au Chrétien en passant par les disciples des religions paléonigritiques », à réaliser l’indépendance véritable. Celle-ci revêt, selon lui, « un but sacré, même du point de vue religieux : lutter pour l’atteindre est conforme à l’enseignement du Coran, du Christianisme et au progrès de l’humanité ». C’est d’ailleurs dans un souci de respect des croyances, qu’il est marqué au point 7 du programme de son parti rédigé en 1976, l’importance de « garantir en particulier la liberté religieuse et interdire de l’État toute immixtion dans la vie intérieure des cultes ».
Ayant grandi dans un milieu pieux, ses relations avec les dignitaires religieux étaient empreintes de déférence. Au début des années 50, en marge de son initiative pour le reboisement, il rencontre quasiment tous les grands religieux du Sénégal. L’allocution pointue sur l’importance de l’environnement et sur les dangers de la sécheresse faite devant le khalife Serigne Babacar Sy de Tivaouane et ses fils, marque les esprits par le haut degré d’érudition démontré. Cheikh Anta Diop écrira plus tard dans son ouvrage l’Afrique noire précoloniale que le marabout Cheikh Tidiane Sy, présent à cette rencontre, est un des « plus versés dans le domaine des connaissances ». Il rend visite également au religieux Serigne Bassirou Mbacké, père de l’actuel khalife des Mourides, et mentionne qu’il est « selon toutes probabilités, le marabout le plus initié aux mouvements scientifiques modernes. Il ressortait de notre conversation de l'été 1950 que le domaine de la physique atomique ne lui est pas étranger. » Que dire de sa relation avec le marabout Cheikh Mbacké dont son fils-aîné porte le nom ? En plus d’être son cousin, ce dernier a été un soutien précieux, financier et moral dans les périodes de vaches maigres, notamment quand, du fait de ses activités politiques en France, on lui coupe sa bourse d’études. Lorsque Cheikh Mbacké quitte ce monde, le 11 mars 1978, le journal Taxaw du RND, lui rend un hommage vibrant. C’est également un Taxaw « ému » qui annonce les condoléances attristées de Cheikh Anta Diop et de ses partisans, lors du décès, le 6 août 1978, du « Guide spirituel » des Chrétiens, Paul VI. Diop était donc un humaniste respectueux des croyances et dont le maître mot était « unité », à tel point que le vocable wolof « Jàppoo » (se prendre par la main, être uni) figure dans la devise de son parti politique.
Son humanisme n’est cependant pas naïf. Son souhait, c’est de voir éclore, au-delà même de l’Afrique, « l’ère d’une humanité véritable », mais il sait intimement que certains États et individus malveillants cherchent constamment à « effacer » d’autres de la planète. Nous ne sommes pas encore, dit-il, à l’aube de la socialisation des consciences humaines à l’échelle de la planète, car « bien des forces obscures existent encore, très vigoureuses, il faudra encore longtemps compter avec elles. Plus que jamais il faut être vigilant ». Un minimum de précautions est donc nécessaire, « jusqu’à ce que tout le monde joue le même jeu ».
Ces forces obscures opèrent même sur le terrain religieux. Diop, en géopoliticien averti, invite les Africains à se méfier de ces États qui, sous le prétexte de la religion, cherchent en réalité, à être influents politiquement, culturellement et économiquement en Afrique. En 1955, dans son article « Alerte sous les tropiques », il met en garde contre ces « puissances » qui considèrent l’Afrique comme leur terrain d’expansion en ayant recours à la religion et à des intermédiaires religieux. Il s’agit pour les Africains de scruter clairement les intentions des uns et des autres et de mettre à nu les « ambitions expansionnistes masquées grotesquement sous un voile religieux ». Les événements lui donnent raison. Les rivalités religieuses et les logiques d’influence de beaucoup d’États se jouent aujourd’hui en Afrique.
Certains esprits non avertis tentent également de fossiliser la pensée de Cheikh Anta Diop en en faisant une sorte de nostalgie d’un passé figé à un stade semi-ethnographique. Il aurait appelé, disent-ils, à revivre le passé, à retourner même à la religion d’Osiris. Rien n’est plus éloigné de sa pensée. Il avait mis en garde contre ceux qui se satisfont béatement des réalisations de l’Égypte ancienne. Aux jeunes qui l’écoutent lors de la conférence de Niamey de 1984, il alerte contre la fausse compréhension qu’ils peuvent avoir de son œuvre. Tout ce qui tend à vous figer dans le passé est mauvais, leur dit-il. Mon attitude, répétait-il au cours de la conférence, n’est pas une attitude passéiste de quelqu’un qui se délecte du passé. Toute mon activité est tendue vers l’avenir. En mettant la référence sur le passé glorieux, Diop veut simplement indiquer la continuité historique de l’Afrique longtemps niée et l’importance du sentiment commun d'appartenance au même passé culturel et historique qui doit permettre d’assurer la cohésion des Africains. Une fois cet objectif atteint, il deviendrait difficile d’opposer les communautés les unes aux autres. Diop sait en effet que « sans la conscience historique les peuples ne peuvent pas être appelés à̀ de grandes destinées ». Il n’évoque donc le passé que pour mieux situer les Africains dans le futur et non pour les inviter à un retour vers des valeurs pétrifiées : « Loin d’être une délectation sur le passé, un regard vers l’Égypte antique est la meilleure façon de concevoir et bâtir notre futur culturel ».
Une des grandes leçons de l’Histoire, c’est qu’une civilisation qui ne considère que les parties mortes de son passé régresse. Le fait par exemple de ne pas avoir démocratisé le système traditionnel de transmission des connaissances par l’initiation, a été, nous dit Cheikh Anta Diop, une des causes de la régression de l’Égypte. Ce mode initiatique de transmission du savoir constituait à la longue un obstacle du fait qu’il n’était pas diffusé à l’échelle du peuple. C’est une « science gardée jalousement » constate Diop, et qui « n’a jamais pénétré profondément l’esprit du peuple qui recevait un enseignement exotérique ». La raison en est précisément que le savoir « était si précieux aux yeux du prêtre égyptien qu’il préférait le garder et l’étendre seulement à quelques individus privilégiés, plutôt que d’agir comme son disciple grec et de le répandre à l’échelle du peuple pour se faire un nom ». Le succès des Grecs a été de démocratiser le savoir en créant le Lycée et l’Académie. Mais, il n’en était pas toujours ainsi en Grèce antique. Historien des civilisations, Diop analyse la situation de cette partie du monde et observe que le fait de se replier sur des valeurs ancestrales déclinantes y a constitué un facteur bloquant à un moment donné. Il a fallu l’influence heureuse de l’Égypte ancienne pour que les Grecs bâtissent enfin un véritable État : « Le culte des ancêtres aidant, avant d’avoir subi l’influence méridionale, celle de l’Égypte en particulier, les Indo-Européens n’ont pu s’élever à la conception d’un État territorial, groupant plusieurs cités. Leurs croyances religieuses (culte des ancêtres) s’y opposaient. » La même analyse est faite pour l’Afrique noire. Diop constate qu’à un moment donné de l’histoire, les cultes ancestraux se sont sclérosés et ont perdu de leur dynamisme. Il a fallu l’apport d’éléments externes pour qu’un souffle nouveau jaillisse des esprits : « Les religions africaines, plus ou moins oubliées, se sclérosaient, se vidaient de leur contenu spirituel, de leur ancienne métaphysique profonde. Le fatras des formes vides qui en restaient n’était plus de taille à rivaliser avec l’islam sur le plan moral ou rationnel. C’est sur ce dernier plan de la rationalité que la victoire de l’Islam fut éclatante ». Cette libération de la rationalité s’est manifestée, remarque Diop, chez quelqu’un comme Dan Fodio : « Le besoin impérieux de rationalité reflété par les écrits de Dan Fodio était désormais mieux satisfait par l'Islam que par les cultes traditionnels agonisants ». Si cet apport extérieur a prohibé le culte des images, poussant certains, notamment au Soudan, à renier de grandes réalisations du passé, il a néanmoins conduit à des expérimentations nouvelles en mécanique et en thermodynamique notamment au Sénégal, au sein de l’École de Guédé où on « s’intéressa, écrit Diop, aux mathématiques, à la mécanique appliquée, à certains problèmes de thermodynamique (machine à vapeur) et surtout à la mesure exacte du temps, quel que soit l’état du ciel, cette dernière étant liée à la nécessité de prier à l’heure exacte. Cette école, dans les années 30, était en passe de créer un courant scientifique de la même qualité que celui de la Renaissance, à partir d’une documentation strictement arabe, sans influence directe de l’Europe. »
Toutefois, une imbrication des traditions est toujours à l’œuvre, qui débouche sur quelque chose d’inédit. Le monde invisible de l’islam, écrit-il, « se retrouve sous des formes différentes, dans les croyances de l’Africain, au point que celui-ci se sent tout à fait à l’aise dans l’Islam. Certains, même, n’ont pas l’impression d’avoir changé d’horizon métaphysique. » Cette imbrication de traditions confère un sentiment de continuité historique. Ainsi, pour l’Africain de l’empire du Mali ou celui d’Axoum, qui a su bien adapter les apports extérieurs, islam et christianisme ne sont pas vécus comme des éléments exogènes. Africanisées, ces croyances sont intégrées au substrat culturel. Diop le perçoit bien lorsqu’il analyse la situation de l’islam dans les empires médiévaux africains : « Bien avant la colonisation, l’Afrique Noire avait donc accédé à la civilisation. On peut rétorquer que ces foyers de civilisation, pour la plupart, étaient influencés par l’Islam et que ceci n’a rien d’original, de spécifiquement africain. Tous les développements qui précèdent permettent de faire la part des choses. Au surplus l’accent a déjà été mis sur le fait que l’Europe chrétienne n’était pas, à l’époque, plus originale que l’Afrique Noire musulmane ; le latin est resté, jusqu’au XIXe siècle, la langue de la science. »
S’il en est ainsi, c’est que l’historien des civilisations, conscient de l’évolution des choses, sait que le monde est un lieu de production constante de la nouveauté. C’est une réalité continue qui révèle les potentialités des choses. Il est ouvert et est doté d’un caractère créateur. Tout donc n’est pas déjà donné et le futur n’est pas quelque chose de fixé. Il est au contraire libre possibilité. Dans un monde clos, pétrifié, il n’y a pas de place pour la nouveauté et l’initiative : « La nature, écrit Diop, ne passe jamais deux fois par le même point dans son évolution...La nature ne revient pas en arrière pour créer deux fois ou trois fois l’homme ». Elle crée toujours du nouveau. De même, un peuple va de l’avant par intégration d’éléments nouveaux qu’il adapte et qui consolident son être. Pour Cheikh Anta Diop, la fidélité au passé ne consiste pas à reproduire les mêmes choses continuellement et cycliquement, mais à créer des nouvelles, adaptées aux circonstances du moment. Le modernisme, c’est l’intégration d’éléments nouveaux pour, dit-il, « se mettre au niveau des autres peuples, mais qui dit « Intégration d’éléments nouveaux » suppose un milieu intégrant lequel est la société reposant sur un passé, non pas sur sa partie morte, mais sur la partie vivante et forte d’un passé suffisamment étudié pour que tout peuple puisse se reconnaître. » Diop donne l'exemple du bicaméralisme instauré par le royaume de Dahomey et dans lequel femmes et hommes étaient dotés de pouvoirs politiques dans une saine complémentarité. Il nous dit que la seule manière pour nous d'être fidèles à cette tradition, c'est de la restaurer sous des formes nouvelles. La fidélité donc pour lui ne consiste ni à imiter ni à reproduire la même chose, mais à la recomposer en une forme nouvelle, car, écrit-il, en « restaurant [le bicaméralisme] sous une forme moderne, nous restons fidèles au passé démocratique et profondément humain de nos aïeux ». En clair : être fidèle aux ancêtres, c’est créer du nouveau.
Évidemment, une telle conception suppose un monde dynamique et ouvert qui fait du temps un élément très important. S’il apporte la mort (les civilisations meurent, la régression historique est une réalité), le temps est aussi source de création. Il révèle les possibilités cachées de toutes choses. Le temps est le grand créateur, le grand constructeur. Il est indispensable à la réalisation de toutes choses. Aucune croyance ne doit nous ankyloser dans le temps. Diop affirme que l’Africain qui l’a vraiment compris devient un vrai créateur, un Prométhée conscient de son héritage, un acteur porté vers le futur et qui comprend qu’« on ne saurait échapper aux nécessités du moment historique auquel on appartient ». Ce besoin de nouveauté fait que Diop utilise tout au long de sa production intellectuelle des termes et expressions tels que « adapté aux circonstances », « recréer », « rénover », « mieux adapté », « révolution culturelle », « civilisation nouvelle », « rénovation culturelle », etc. Même lorsqu’il propose de donner, légitimement, à des fins de « coexistence pacifique dans le domaine délicat de la religion », les mêmes « armes aux tenants de la religion ancestrale », au cas où les autres grandes religions se transformeraient en volonté d’orientalisation et d’occidentalisation définitive du continent africain, il ajoute aussitôt après que les prêtres doivent toutefois s’employer à créer une « liturgie mieux adaptée » et procéder à un « approfondissement » du dogme ancestral. Il ne demande jamais de reprendre telle quelle une pratique héritée du passé. Diop est contre tout immobilisme car il sait que l’être humain est capable de métamorphoses. À ceux qui seraient tentés de croire que les valeurs même reçues de l’extérieur ont tout apporté une fois pour toutes, il répond que nous ne sommes nullement condamnés à demeurer dans notre état actuel. Interrogé sur l’islam au Sénégal en 1978 dans le magazine Afrique Asie (numéro 155), il affirme que cette religion « est une force qui n'a pas fini de développer toutes ses virtualités, en Afrique noire surtout ». Diop sait en effet qu’en notre sein dorment des potentialités insoupçonnées qui attendent d'être réalisées. Il faut « réveiller le colosse qui dort dans la conscience de chaque Africain ». Les Africains, martelait-il, « doivent sortir de la léthargie, de la somnolence intellectuelle ». Le temps permet à l’homme d’atteindre « son niveau humain véritable, spécifique » en le poussant à réaliser « toutes les possibilités qu’il porte en lui ». À l'échelle des peuples, le temps permet d'effectuer un « saut qualitatif » au cours de l’Histoire. Dès qu’un peuple se libère de ses chaînes, il s'ouvre à une ère de libération. Les pesanteurs ont ceci de particulier quelles instaurent « un manque de confiance en soi et en ses propres possibilités ».
Diop n’invite donc pas au statisme. Il se projette constamment dans le futur quand il analyse la situation africaine dans le domaine des croyances, de l’économie, de la géopolitique, de la recherche scientifique, de l’alimentation, etc. « Faisons une projection dans le proche avenir et demandons-nous quelle sera la physionomie énergétique du monde, dans 30 à 40 ans, aux confins des années 2010 à 2020 », s’interrogeait-il en 1985 pour entrevoir toutes les possibilités à prendre en compte dans domaine de l’énergie. L’Afrique, disait-il, « peut redevenir un centre d’initiatives et de décisions scientifiques au lieu de croire qu’elle est abandonnée à rester l’appendice, le champ d’expansion économique des pays développés ». Il ne propose donc pas une pensée fossilisée, pétrifiée, qui ne fait pas de place à la nouveauté. C’est une pensée vivante, antiraciste, respectueuse de la liberté religieuse, de la coexistence pacifique entre les croyances et qui tient compte de l’évolution des choses. Ses écrits sont traversés de part en part par une tension constante vers le futur. L’Africain qui l’a compris est celui qui est certes « conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral », mais qui, ayant puisé dans l’héritage intellectuel commun de l’humanité en ne se laissant guider que par les notions d’utilité et d’efficacité, est tendu vers le futur, devient créateur et se retrouve « porteur d'une nouvelle civilisation ». Il existe deux philosophies politiques, ne cessait-il de rappeler, « il y a les peuples ancrés, vautrés dans le présent, le moment fugitif, et les peuples tendus vers le futur pour lesquels tout instant présent est déjà tombé dans le passé. Ceux-ci ont toujours dominé ceux-là dans les temps modernes. Il est temps de vivre le futur pour mieux organiser le présent ».
CELLOU DALEIN DIALLO, L'HOMME QUI VEUT INCARNER L'ALTERNANCE EN GUINÉE
Entré dans l'arène politique après dix ans au gouvernement sous le général Lansana Conté (1984-2008), instruit par ses échecs en 2010 et 2015, il s'est juré de ne plus retenir ses coups contre Condé pour le priver d'un troisième mandat controversé
A chaque étape de sa campagne à travers la Guinée, il pointe sa montre: Cellou Dalein Diallo en est convaincu, son heure est enfin venue, après deux mandats d'Alpha Condé.
Entré dans l'arène politique après dix ans au gouvernement sous le général Lansana Conté (1984-2008), instruit par ses échecs en 2010 et 2015, Cellou Dalein Diallo s'est juré de ne plus retenir ses coups contre Alpha Condé pour le priver d'un troisième mandat controversé.
Frêle et invariablement élégant, dans des costumes classiques ou de grands boubous clairs assortis à des toques brodées, ou en saharienne lorsqu'il fait campagne, cet homme à la voix douce et aux allures de Gandhi ouest-africain se montre posé et courtois en privé.
Mais il se laisse aussi parfois gagner par la ferveur des masses de ses partisans redoutés, totalement acquis à sa cause, qui peuvent former d'impressionnantes marées humaines à Conakry.
Les détracteurs de Cellou Dalein Diallo l'accusent d'être un "pur produit du système Conté" et de s'être enrichi au pouvoir.Mais son camp valorise sa longue expérience de l'Etat.
Membre de l'ethnie peule, considérée comme la première du pays, il est issu d'une famille d'imams du village de Dalein (centre), où il est né.Il aime à rappeler que son grand-père était "le grand érudit Thierno Sadou de Dalein qui avait écrit 35 ouvrages en arabe".
Elevé au village, dans une famille nombreuse - son père avait "quatre femmes et une vingtaine d'enfants" -, il fréquente l'école coranique et l'école française, puis part à Conakry pour y étudier la gestion.
- "Technocrate" -
Cellou Dalein Diallo intègre ensuite la fonction publique, passant par la direction d'une société d'Etat sous le père de l'indépendance, le dictateur Ahmed Sékou Touré (1958-1984).
Sous le régime autoritaire de Lansana Conté, il rejoint la Banque centrale puis l'administration des grands projets à la présidence.
En 1996, il entre au gouvernement en tant que "technocrate", selon ses propres termes, comme ministre des Transports, puis enchaîne les portefeuilles, de l'Equipement jusqu'à la Pêche.
En décembre 2004, le général Conté, malade, le choisit comme Premier ministre, lui offrant l'occasion de développer un vaste réseau de relations internationales.
Après dix ans au gouvernement, M. Diallo connaît une soudaine disgrâce en avril 2006, sur fond de luttes d'influence au sein d'un régime Conté finissant.
En 2007, il prend la tête d'un grand parti d'opposition, l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG).
A la mort de Conté, en décembre 2008, comme la plupart des dirigeants politiques, il prend acte du putsch, sans s'y opposer, pour favoriser une transition apaisée.
Mais la désillusion s'installe vite et le chef de la junte, Moussa Dadis Camara, fait de M. Diallo une de ses cibles.
Le 28 septembre 2009, au moment du massacre de 157 opposants, dont de nombreux militants de l'UDFG, par des militaires au stade de Conakry, il est roué de coups, grièvement blessé, et hospitalisé à Paris.
- "Mandat cadeau" -
En 2010, il paraît en passe d'être élu président dès sa première candidature, avec 43,69 % des voix, loin devant Alpha Condé, l'ancien opposant historique, avec 18,25 % des suffrages.Mais au terme d'un interminable feuilleton, Alpha Condé est proclamé vainqueur du second tour, organisé quatre mois plus tard.
Sous pression, pourtant convaincu de "truquages" massifs, Cellou Dalein Diallo, reconnaît les résultats, pour éviter un bain de sang, selon lui."J'ai donné un mandat cadeau à Alpha Condé", résume-t-il aujourd'hui.
En 2015, il se présente "sans conviction" face à Alpha Condé, facilement réélu lors d'un scrutin entaché de fraudes, selon lui.
Il conclut alors une alliance électorale apparemment "contre-nature" avec Moussa Dadis Camara, inculpé peu après pour son rôle dans le massacre du stade de Conakry.
En 2019, l'UFDG participe activement à la mobilisation contre un éventuel troisième mandat d'Alpha Condé.
Malgré l'adoption en mars 2020, lors d'un referendum boycotté par l'opposition, d'une nouvelle Constitution, invoquée par le pouvoir pour légitimer une nouvelle candidature, Cellou Dalein Diallo se lance en septembre dans la course à l'élection présidentielle.
"L'UFDG a décidé de porter son combat contre le troisième mandat dans les urnes", explique-t-il.
Cette fois, la victoire ne peut plus lui échapper, en raison à la fois du "bilan catastrophique" d'Alpha Condé et d'une vigilance accrue des citoyens face aux risques de fraude, affirme-t-il.
Lui-même avoue en souriant avoir "accumulé beaucoup d'expérience, et surtout de volonté", en particulier celle, "beaucoup plus que par le passé, de gagner et de conserver sa victoire".
LE SÉNÉGAL HONORÉ
Le professeur Serigne Magueye Gueye, titulaire de chirurgie / urologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et Chef de service Urologie à l’Hôpital Général Idrissa Pouye de Grand-Yoff, est le lauréat du Prix Albert Schweitzer, Edition 2020
Le professeur Serigne Magueye Gueye, titulaire de chirurgie / urologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et Chef de service Urologie à l’Hôpital Général Idrissa Pouye de Grand-Yoff, est le lauréat du Prix Albert Schweitzer, Edition 2020. Il devient ainsi le 13e récipiendaire de ce prestigieux prix et le premier en Afrique subsaharienne.
Le Prix Albert Schweitzer récompense un Urologue pour sa contribution remarquable à l’enseignement de l’urologie et à la formation des urologues, particulièrement dans les pays à ressources humaines en santé limitées notamment les pays en développement. Il a été institué en 2004 par la Société internationale d’Urologie (SIU, fondé en 1907) dont la mission est de permettre aux urologues de tous les pays, grâce à la coopération internationale en matière d’éducation et de recherche, d’appliquer les normes les plus élevées de soins urologiques à leurs patients. La SIU est une plateforme internationale majeure pour l'éducation urologique durable et des activités philanthropiques collaboratives visant à améliorer les soins urologiques avec plus de 10 000 membres de plus de 130 pays.
Dans le cadre de l’ONG Institut pour la Formation et la Recherche en Urologie et Santé Familiale qu’il a créée en 2004, il travaille dans le sens d’un accès universel aux soins chirurgicaux dans les zones les plus reculés du continent africain. Il est de tous les combats pour la restauration de la dignité des femmes atteintes de fistules ou victimes de mutilations génitales.
Professeur Serigne Magueye Gueye a été membre des plus importantes associations internationales et sociétés savantes luttant contre le Cancer. Il est actuellement Président du Collège Ouest Africain des Chirurgiens et initiateur du Centre de santé communautaire Aristide Mensah de Yeumbeul dont l’objectif est le rapprochement géographique et économique des soins.
OTAGES AU MALI, UN SUCCÈS DES JIHADISTES AU RETOMBÉES INCALCULABLES
Une certitude : c'est l'alliance jihadiste du Sahel liée à Al-Qaïda qui sort victorieuse de l'échange au Mali de 200 détenus contre quatre otages. Au-delà, bien que les conséquences en soient encore difficiles à discerner
D'abord une certitude: c'est l'alliance jihadiste du Sahel liée à Al-Qaïda qui sort victorieuse de l'échange au Mali de 200 détenus contre quatre otages.Au-delà, bien que les conséquences en soient encore difficiles à discerner, en voici quelques premiers enseignements :
Des photos diffusées depuis samedi, notamment par l'agence mauritanienne Al-Akhbar montrent l'accueil triomphal réservé par le chef touareg malien Iyad Ag Ghaly, qui dirige cette alliance, le "Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans" (GSIM), à plusieurs dizaines de détenus libérés.
Iyad Ag Ghaly, entouré de quelques vétérans du jihadisme au Sahel, les reçoit avec effusion et leur offre un plantureux banquet.Ces photos ont été prises près de la frontière algérienne vendredi, le lendemain de la libération des otages, a affirmé à l'AFP une personnalité de la région de Tessalit (nord-est).
- Combien de détenus ont été libérés et qui sont-ils ?
Sur un organe de communication d'Al-Qaïda, le GSIM se targue d'avoir obtenu en échange des otages - un dirigeant de l'opposition, Soumaïla Cissé, la Française Sophie Pétronin et deux Italiens - "la libération de 200 de ses membres détenus dans les prisons du régime malien".
Mais l'affiliation jihadiste de tous ces ex-détenus, dont le gouvernement n'a pas publiquement confirmé l'élargissement, n'est pas avérée.
Plusieurs listes de personnes libérables en vue de cet échange ont circulé, mais aucune n'a été officiellement publiée.
Si des responsables présumés de certains des attentats les plus meurtriers de ces dernières années au Mali, mais aussi en Côte d'Ivoire ou au Burkina Faso y figurent, beaucoup sont de simples suspects, parfois arrêtés lors de vastes coups de filet.
Des blocages sur la libération de certains prisonniers ont retardé le transfert des otages, a indiqué à l'AFP une source de la Direction générale de la sécurité d'Etat (DGSE) malienne, sans autre précision.
Pour Iyad Ag Ghaly, ces libérations vont "rééquilibrer un peu les forces en faveur de son organisation, qui dépend d'Al-Qaïda", a souligné lundi sur Radio France Internationale (RFI) Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, en particulier face au groupe affilié à l'Etat islamique (EI), désigné en janvier ennemi "prioritaire" de Paris au Sahel.
- Quels engagements ont été pris de part et d'autre?
Aucune des parties ne s'est exprimé sur ce point.
Mais les ex-détenus ne s'attendent certainement à bénéficier d'aucune forme d'immunité, a fortiori puisque la France, acteur militaire majeur sur le terrain, ne semble pas avoir participé directement aux négociations.
Le sort de plusieurs de leurs camarades relâchés dans des conditions similaires pourrait leur servir d'avertissement.
Ainsi, Aliou Mahamane Touré, condamné en août 2017 à dix ans de réclusion puis échangé en février 2019 avec 17 autres prisonniers contre un préfet et un journaliste maliens avait de nouveau été arrêté en novembre par la force française Barkhane.
Et en juillet 2015, l'armée française avait annoncé avoir tué Ali Ag Wadossène, organisateur présumé de l'enlèvement de deux Français et élargi avec trois autres jihadistes contre la libération en décembre 2014 d'un des deux otages, Serge Lazarevic.
"La façon dont les personnes libérées vont se réinsérer ou réintégrer les groupes armés dont elles sont originaires initialement va vraiment être un point absolument clé", résumait sur TV5 Monde Niagalé Bagayoko, présidente du Réseau africain du secteur de la sécurité (ASSN).
Quant au paiement d'une rançon évoqué par de multiples sources, comme toujours, ni le montant ni la réalité n'en sont établis.
- Quel crédit les dirigeants maliens peuvent-ils tirer de la libération des otages ?
Si les autorités de transition peuvent se prévaloir de la finalisation de ce dossier, le président Ibrahim Boubacar Keïta avait engagé les tractations pour la libération de Soumaïla Cissé, enlevé en mars, bien avant son renversement par un putsch le 18 août.
Tout juste arrivé à Bamako, M. Cissé a rapporté être allé, dès le lendemain de l'investiture du président de transition Bah Ndaw, et du vice-président, le colonel Assimi Goïta, le 25 septembre, enregistrer une vidéo à la demande de ses ravisseurs: "Le président a été efficace", a-t-il souligné le soir de sa libération.
Mais Bah Ndaw a de son côté salué "les efforts soutenus du président sortant pour obtenir la libération de ces frères et soeur". "Le pragmatisme de la Transition ainsi que sa décision de capitaliser les avancées dans la négociation ont fait le reste", a conclu M. Ndaw vendredi.
Au-delà de cet échange, de nombreux Maliens et spécialistes se demandent si les canaux de communication établis pour cette négociation pourraient désormais servir à relancer les contacts avec le groupe d'Iyad Ag Ghaly esquissés sous la présidence de M. Keïta.
BATAILLE JUDICIAIRE ENTRE YERIM SOW ET LE BENIN
L’homme d’affaires sénégalais a été spolié d’un hôtel qu’il comptait construire à Cotonou. Il a saisi les juridictions internationales pour rentrer dans ses droits
L’homme d’affaires sénégalais a été spolié d’un hôtel qu’il comptait construire à Cotonou. Il a saisi les juridictions internationales pour rentrer dans ses droits. Et il réfute les accusations du gouvernement béninois.
Depuis plusieurs semaines, les médias et l’opinion publique au Bénin ont largement commenté la destruction de l’hôtel Noom de Cotonou, appartenant au groupe Teyliom du magnat sénégalais, Yérim Sow, par ailleurs propriétaire à Dakar de certains hôtels, dont le plus célèbre est le Radisson Blu. Néanmoins, même dans ce pays, le point de presse du ministre béninois de la Communication, porte-parole du gouvernement, qui justifiait cette démolition, avait été largement relayé par les médias, mais la réplique du groupe Teyliom, n’avait pas semblé accrocher autant d’attention.
Pourtant, le groupe du milliardaire Yérim Sow a tenu à répondre point par point aux accusations portés à son endroit par le représentant de l’Etat béninois. Il est heureux de voir que depuis le mois de juin dernier, lors de l’enclenchement de la procédure de son expropriation, le groupe avait saisi les instances d’arbitrage internationales. On peut ainsi espérer y voir clair dans les semaines à venir, à travers le chassé-croisé d’accusations que se lancent les deux parties.
La partie béninoise indique que l’expropriation du terrain de l’hôtel s’est faite dans le respect des règles. De manière succincte, le Groupe Teyliom s’était vu accorder par bail emphytéotique, en juin 2012, un terrain de 2 ha pour la construction d’un hôtel de grand standing, d’une valeur de 10 milliards de francs Cfa, dans un délai de 30 mois à compter de la signature du contrat de bail. Le représentant du gouvernement de Patrice Talon a affirmé que le groupe Teyliom a pu réaliser des opérations financières sur la base du contrat de bail ainsi obtenu et eu des bénéfices qui n’ont pas été déclarés au fisc béninois. Et en fin de compte, à l’issue du délai accordé pour l’achèvement des travaux, le chantier était loin d’être terminé. Mais les autorités ont été suffisamment patientes à son égard malgré tout. Pourtant, toute patiente a une fin : «Mais en dépit de toutes ces faveurs, le promoteur n’a jamais pu conduire le projet à son terme. Il n’a donc pas mis en valeur le domaine mis à sa disposition. Pendant tout ce temps, le promoteur n’a payé qu’une seule fois les redevances annuelles dues au titre du bail emphytéotique conclu avec l’Etat.
C’est dans ces conditions que, face à l’impossibilité manifeste pour le Groupe Teylium de fixer une date crédible pour achever les travaux, et de procéder au règlement des redevances, que l’Etat béninois a été obligé de prendre acte des défaillances ainsi accumulées et de prononcer la résiliation du bail emphytéotique dans les règles prescrites. Par un courrier en date du 28 février 2020, que l’Etat, d’attente lasse, l’a sommé de remettre le domaine loué en l’état et de le libérer.» Le représentant du Bénin ajoutera par ailleurs : «C’est face à l’inaction du promoteur que l’Etat béninois s’est résolu à saisir la justice. Ainsi, en première instance comme en appel, son action visant à obtenir l’expulsion des lieux a été approuvée. Et le promoteur était bien représenté au procès par une pléiade d’avocats. Il convient donc de noter que la démolition en cours n’est pas arbitraire mais qu’elle découle bien d’une décision de justice. Mieux, avant d’engager cette opération, l’Etat a fait procéder à l’expertise de l’immeuble inachevé pour en déterminer le coût à toutes fins utiles.»
Ce à quoi, dans un communiqué de presse, le Groupe Teyliom a apporté une réplique ferme pour affirmer qu’«il est important de rappeler qu’au début de l’année 2020, l’hôtel et ses installations annexes étaient achevés à hauteur de plus de 90%. L’ouverture de l’hôtel au public était prévue dans le courant du mois de septembre 2020. Pour ce faire, plus de 15 milliards de francs Cfa ont été investis depuis 2013, de façon totalement transparente et connue de l’Etat du Bénin, la très large partie provenant des fonds propres du Groupe Teyliom, le solde provenant des partenaires béninois en capital et des bailleurs de fonds, parmi lesquels la Boad et la Nsia Banque Bénin (Ex-Diamond Bank Bénin)». Sur un autre point, les représentants de Teyliom estiment qu’il est «par ailleurs tout aussi mensonger d’affirmer que l’Etat du Bénin a entrepris des démarches amiables en amont de la résiliation du bail en cause. Notre groupe rappelle en effet que les décisions arbitraires de l’Etat du Bénin dans ce dossier ont été brutales, soudaines, unilatérales et n’ont été précédées d’aucune démarche de concertation (démarches pourtant obligatoires aux termes du bail en cause). Bien au contraire, toutes les demandes écrites du Groupe Teyliom visant à l’instauration d’un dialogue sont restées sans réponse». Pour ajouter, comme dans un jeu de ping pong, que «Le Groupe Teyliom reste disponible pour recevoir, de la part porte-parole du Gouvernement Béninois, une quelconque preuve écrite d’une réponse aux nombreux courriers transmis au ministre de l’Economie et des finances ainsi qu’au chef de l’Etat du Bénin dans le cadre d’un règlement amiable de ce qui était à l’époque un différend».
CONTREPOINT : L’assourdissant silence du Sénégal
Au-delà du différend qui ne concerne, après tout qu’un promoteur privé et le gouvernement du pays dans lequel il cherche à investir, on peut noter l’assourdissant silence des autorités politiques du Sénégal. Il est sans doute vrai que, liées au Bénin par différents cadres juridiques et politiques, elles ne peuvent pas se permettre de les mettre dans l’embarras de manière publique. Mais il n’en reste pas moins que l’Etat du Sénégal a le devoir d’assister et de soutenir ses ressortissants à l’étranger, ainsi que leurs propriétés.
Il n’a échappé à personne que le jour où se discutait, sous la présidence du chef de l’Etat Macky Sall, le nouveau plan de relance de l’économie post-Covid 19, un investisseur sénégalais des plus importants, était lésé dans un pays africain. Même en partant du postulat que le groupe de Yérim Sow n’aurait pas tout à fait raison dans l’affaire, il aurait été soulagé de sentir le poids de son pays dans la bataille qu’il engage. Et ce serait aussi le meilleur signal à donner à tous ces entrepreneurs sénégalais qui sont disposés à s’engager dans différents secteurs, et dans différents pays.
par Madiambal Diagne
QUI A PAYÉ LA LIBÉRATION DE SOUMAÏLA CISSÉ ?
On a fourni aux jihadistes des moyens pour frapper à nouveau le Mali et les différents pays de la sous-région et peut-être même des cibles plus lointaines. Il faut bien comprendre que les terroristes vont se prendre à ce jeu assez rentable
Tout le monde est soulagé par la libération, intervenue la semaine dernière, d’otages qui étaient entre les mains de terroristes islamistes dans le Nord du Mali. La France peut s’en féliciter pour avoir réussi à faire libérer Sophie Petronin, qui était présentée comme le dernier otage de nationalité française dans le monde. Tout le Mali s’est réjoui de la libération de Soumaïla Cissé, ancien ministre des finances et challenger politique du Président déchu Ibrahima Boubacar Keïta. L’Italie a vu deux de ses ressortissants (Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccali) libérés à l’occasion, alors que la Suisse, elle, peut malheureusement faire le deuil de l’otage Béatrice Stockly, exécutée froidement par les jihadistes pour, dit-on, avoir refusé d’obtempérer à leurs injonctions. De nombreux pays comme la France, l’Italie, le Niger et la Mauritanie auraient collaboré avec les autorités maliennes pour faire libérer les quatre otages.
Soumaïla Cissé, libéré au prix fort
C’est sans doute un excellent coup politique et diplomatique pour le régime putschiste au Mali, d’avoir fait libérer des otages dont Soumaïla Cissé. Ils ont en effet réussi là où le régime de IBK avait fait montre de toutes ses carences ou de sa mauvaise volonté. C’est de toute façon une libération heureuse, car c’est de notoriété publique à Bamako que tous les opposants au régime de IBK manifestaient une sympathie non dissimulée pour Soumaïla Cissé. Mieux, les putschistes avaient même brandi la prise d’otage de Soumaïla Cissé et l’incapacité pour le régime de IBK de le faire libérer, comme une autre raison pour chasser «le clan IBK» du pouvoir. Tout porte à croire que Soumaïla Cissé sera facilement élu comme le prochain Président du Mali, après la transition convenue, pour une durée de dix-huit mois, entre les putschistes et la Communauté internationale. Il reste aujourd’hui l’homme politique le plus en vue sur la scène malienne.
Seulement, les circonstances de la libération de Soumaïla Cissé vont peser gravement sur le Mali et la sous-région. On peut bien comprendre que pour éviter de faire la fine bouche ou pour ne pas paraître ingrat, Soumaïla Cissé, après sa libération, botte en touche pour refuser l’idée que les circonstances et les conditions de sa libération puissent constituer des germes d’une déstabilisation encore plus grande du Mali. Mais la contrepartie de l’élargissement de plus de deux cents dangereux terroristes qui étaient détenus au Mali et au Niger, laisse un goût amer. Les images des réjouissances des terroristes libérés, avec leur chef Iyad Ag Ghali, qui circulent, ont pu heurter des consciences et susciter la peur. Ces terroristes savourent leur impunité et exultent pour avoir vaincu l’ordre républicain et avoir fait plier tous leurs adversaires. Le Niger a participé au «deal» en acceptant de libérer une dizaine de terroristes détenus dans ses prisons. Les auteurs des attaques de Grand Bassam en Côte d’ivoire ont ainsi été eux aussi libérés. Les autorités maliennes ont accepté, sans aucune difficulté, l’exigence du chef terroriste, Iyad Ag Ghali, pour la libération de Mimi Ould Baba, présumé être le commanditaire de l’attaque à Ouagadougou de l’hôtel Splendid et de la plage de Grand Bassam. Le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire rumineraient leur frustration pour n’avoir pas été consultés pour une telle libération. On devine que les Etats-Unis d’Amérique pourront avoir le même sentiment, eux qui demandaient l’extradition de Mimi Ould Baba chez eux, où il est poursuivi notamment pour l’assassinat d’un citoyen américain, Michael Riddering, lors de l’attaque de l’hôtel Splendid. La justice américaine le poursuit pour avoir «joué un rôle central dans les attentats visant le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire en 2016».
On peut craindre que les jihadistes libérés vont reprendre du service et poursuivre leurs forfaits. Et le plus inquiétant est qu’ils ont reçu, cerise sur le gâteau, de fortes sommes d’argent ! Tout Bamako sait que la libération des otages a été rendue possible, grâce à l’acceptation du versement d’une rançon de plus de 15 millions d’euros. De quoi requinquer, ragaillardir des hordes de terroristes !
Les états d’âme des Usa, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire
On a ainsi fourni aux jihadistes des moyens pour frapper à nouveau le Mali et les différents pays de la sous-région et peut-être même des cibles plus lointaines. Il faut bien comprendre que les terroristes vont se prendre à ce jeu assez rentable. Des dizaines de fonctionnaires, des enseignants, des militaires, des commerçants ou des agents humanitaires africains, restent encore détenus par les terroristes dans le Nord du Mali mais jamais un tel élan international n’a été développé pour faire libérer à tout prix ces otages. La leçon de cette histoire est que les terroristes vont encore cibler davantage les hommes politiques d’envergure. Jusqu’ici les enlèvements ciblés touchaient plus des humanitaires ou des employés de grandes firmes européennes. Le coup Soumaïla Cissé risque de faire des émules. On peut désormais avoir de bonnes raisons de beaucoup craindre pour la sécurité des hommes politiques maliens. Les activités politiques dans la zone septentrionale du Mali leur seront ainsi interdites. La situation d’insécurité dans cette région était bien connue, mais Soumaïla Cissé avait commis une erreur d’appréciation, considérant sans doute que l’adversité, fortement nourrie par les terroristes et les populations, contre le régime de Ibrahim Boubacar Keïta ou même sa popularité dans la région, pourrait lui servir de laisser-passer et montrer à la face du monde qu’il n’y aurait pas pour lui un sanctuaire interdit sur le sol malien. Soumaïla Cissé est de la région, il a été kidnappé dans son propre fief électoral de Niafounké, dans la région de Tombouctou. On retiendra également que la France semble avoir définitivement renoncé au principe ou à la doctrine de ne jamais payer de rançon pour la libération d’otages. Le Président Macron portait en bandoulière la profession de foi de tout mettre en œuvre pour faire libérer le dernier otage français dans le monde. Peut-être aussi que Béatrice Stockly a payé de sa vie l’option irrévocable de la Suisse de ne jamais payer de rançon pour faire libérer des otages.
La tournure de cette histoire va conforter les terroristes. L’option de la prise de certains types d’otages est lucrative et apporte un gain d’exposition médiatique considérable, sans compter la libération à la clé de contingents de combattants jihadistes arrêtés. Cette pratique va donc continuer de figurer en tête de leur catalogue d’activités lucratives. La prise d’otage rapporterait ainsi mieux aux groupes terroristes que les sordides trafics d’armes ou de drogue. Tout le danger pour la sous-région se trouve avec ce nouveau paradigme. La propagande jihadiste fait feu de tout bois. La bombance a été au rendez-vous de la célébration du retour des terroristes arrêtés et le menu étalé à l’occasion de la «grande cérémonie organisée à l’honneur des ex-prisonniers» renseigne sur le poids de leur porte-monnaie. On voit sur les photos de la fête, Aliou Mahamane Touré alias Abouhammad, ancien chef de la sinistre police islamiste à Gao au moment de l’occupation de cette ville par le Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Aliou Mahamane Touré, qui se présenterait comme un Sénégalais, était tristement célèbre pour avoir dirigé de cruelles séances publiques de lapidation ou d’amputation. Il avait été arrêté en 2013 et condamné en 2017, à plus de dix ans de réclusion criminelle. Il sera libéré, à la suite d’un échange de prisonniers, contre la libération d’un préfet et d’un journaliste maliens. Aliou Mahamane Touré retourna immédiatement à ses activités terroristes et sera arrêté une nouvelle fois en 2019. Il vient ainsi de faire, à nouveau, partie du groupe des terroristes élargis de prison à la faveur de la transaction ayant permis la libération de Soumaïla Cissé.
L’urgence pour le Sénégal de se bunkériser davantage
C’est connu, les terroristes cherchent toujours à frapper le plus durement leur propre pays pour ainsi donner des gages à leurs compagnons. Il reste qu’à la faveur des nombreuses arrestations de présumés terroristes, ces dernières années et leurs procès à Dakar, l’opinion publique a pu en avoir le cœur net sur la présence non négligeable de Sénégalais dans les rangs des différents groupes terroristes, de par le monde, notamment au Mali et au Niger. Nous ne voulions pas nous y tromper, quand dans ces colonnes nous alertions, le 20 mai 2019, sur «le Sénégal, plus que jamais dans le viseur des terroristes». Cette alerte a été réaffirmée le 18 novembre 2019. Il faut dire que les différents services sécuritaires veillent au grain. Cette vigilance, cette prévention pourraient expliquer que le Sénégal soit encore épargné par les attaques terroristes. Touchons du bois ! Il s’y ajoute que les autorités sénégalaises ont voulu anticiper sur la menace terroriste. Le Sénégal a non seulement fourni l’un des plus gros contingents de soldats à la Minusma mais aussi, de nouveaux cantonnements militaires ont été installés dans la zone frontalière avec le Mali et les patrouilles renforcées. La puissance de feu de l’Armée sénégalaise a été fortement augmentée ces quatre dernières années, avec l’acquisition de nouveaux matériels et équipements. Le Sénégal développe une coopération soutenue avec les pays impliqués dans la lutte contre le terrorisme. Le facteur humain semble aussi être important et le Sénégal s’évertue à outiller ses ressources humaines pour juguler toute menace terroriste interne ou transnationale. Il demeure que la déliquescence de l’Etat malien constitue la plus grosse et immédiate menace contre le Sénégal. L’immense territoire malien est hors de contrôle, des groupes lourdement armés s’y déplacent à leur guise et commettent des forfaits, parfois avec la complicité des populations locales. On connaît les graves carences de l’Etat malien, et surtout la vénalité de la classe politique et des responsables militaires et sécuritaires.
LES TEMPS SONT DURS POUR LES PRO-DÉMOCRATE EN AFRIQUE DE L'OUEST
Il ne s'agit pas seulement de la tentation de la présidence à vie prêtée à certains chefs d'Etat. Répression, arrestations : "concernant les droits humains, le recul est partout"
A la suite des Guinéens dimanche, des millions d'Africains de l'Ouest sont appelés à élire leur président d'ici la fin 2020, sous l'oeil inquiet des défenseurs de la démocratie, alarmés par son recul dans une partie du continent autrefois jugée pionnière en la matière.
"Les temps sont difficiles pour nous autres observateurs de la démocratie dans la sous-région", explique Kojo Asante, un responsable du centre de recherche Ghana Center For Democratic Development.
Le Ghana votera le 7 décembre.Guinéens, Ivoiriens, Burkinabé et Nigériens iront aussi aux urnes d'ici la fin de l'année
Après plusieurs alternances pacifiques, le Ghana est cité en exemple, en dépit de sujets de préoccupation comme les agressions de journalistes.Ailleurs l'image est bien plus sombre.
Elle s'est obscurcie avec le putsch qui a eu raison au Mali du président élu Ibrahim Boubacar Keita le 18 août, sans effusion de sang.
Cette pratique, répandue sous des formes brutales dans la seconde moitié du 20e siècle après les indépendances, a cédé la place à des coups d'État "beaucoup plus sophistiqués, plus propres et cosmétiques", constate le centre d'études Afrikajom dans un rapport récent: "coups d'Etat électoraux" ou "coups d'Etat constitutionnels" menés non par les armes, mais par la fraude et les révisions de la loi fondamentale.
Il ne s'agit pas seulement de la tentation de la présidence à vie prêtée à certains chefs d'Etat.Répression, arrestations: "concernant les droits humains, le recul est partout", déplore Afrikajom.
En Guinée et en Côte d'Ivoire, les présidents sortants tirent argument du changement de Constitution pour briguer un troisième mandat, causant une contestation qui a fait de nombreux morts et ajoutant leur nom à la longue liste des dirigeants ayant plié la loi fondamentale à leur ambition depuis 2000.
- Désillusion démocratique -
Au Niger par contraste, le président Mahamadou Issoufou est salué pour sa décision de ne pas se représenter le 22 novembre après deux mandats.
Mais, dans ce pays comme au Burkina, ainsi que chez le géant nigérian et au Mali, la propagation des agissements jihadistes et des violences intercommunautaires alarment les défenseurs des droits et la communauté internationale.
Les récents acquis au Liberia et en Sierra Leone après les guerres civiles jusqu'au début des années 2000, en Gambie ou en Guinée-Bissau demeurent fragiles.Le président sénégalais Macky Sall n'a pas fait taire les spéculations sur un troisième mandat.
"On observe sur plusieurs aspects un recul démocratique en Afrique de l'Ouest", déplore Mathias Hounkpé, politologue pour la fondation Open Society en Afrique de l'Ouest (OSIWA).
"Dans les pays francophones particulièrement, on observe un durcissement des textes encadrant la création de partis, être candidat aux élections est de plus en plus difficile, comme en Côte d'Ivoire ou au Bénin", regrette-t-il.
Alan Doss, ancien haut responsable de l'ONU dans différents pays africains, note pour l'Africa Center for Strategic Studies un "désenchantement démocratique", né de déceptions causées par les promesses électorales non tenues, la persistance de la corruption, de l'impunité et de la mauvaise gouvernance.
Les raisons invoquées sont multiples: difficultés économiques, pression démographique, défaillance des contre-pouvoirs institutionnels, perte d'influence des médiateurs traditionnels, crise du multilatéralisme, affaiblissement des modèles américain ou britannique et montée en puissance de pays comme la Chine ou la Turquie...
Les grandes institutions régionales, la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et l'Union africaine (UA), "devraient jouer un rôle beaucoup plus important, un rôle de médiation", plaide Arsène Brice Bado, un responsable du Centre de recherche et d'action pour la paix d'Abidjan, "car il est difficile de trouver des médiateurs internes en Côte d'Ivoire".
Or, le diagnostic des limites de la Cédéao et de l'UA est largement partagé.
- Motifs d'espoir -
La Cédéao est la proie de ses dissensions.Elle n'a pas fait barrage aux menées des présidents guinéen et ivoirien.Son insistance sur le retour à l'ordre constitutionnel au Mali, à rebours du soutien populaire aux putschistes, a été dénoncée comme une volonté de perpétuer des systèmes discrédités, traduisant la crainte de certains présidents pour leur propre sort.
L'opposant guinéen Faya Millimouno, cité dans la presse, a ravalé la Cédéao à un "syndicat des chefs d'Etat".
"C'est extraordinaire que moi qui me suis battu pendant 45 ans (contre les régimes autoritaires guinéens), je sois considéré comme un dictateur antidémocrate", s'indignait récemment le président Alpha Condé."Comment peut-on dire +coup d'Etat+" alors que la nouvelle Constitution a été adoptée par référendum, demandait-il sur Radio France Internationale.
Certains nuancent.Ils invoquent le transfert de pouvoir attendu au Niger, une première depuis longtemps.
L'Afrique de l'Ouest n'est pas l'Afrique centrale qui, avec le Cameroun, la Guinée Equatoriale et la République du Congo, concentre des recordmen du monde de longévité présidentielle en exercice.
Les défenseurs des droits se réjouissent de l'émergence de mouvements citoyens et d'efforts d'émancipation portés par les jeunes ou les femmes.
"Le seul fait que des élections aient lieu et que les parties prenantes (en particulier d'opposition) veuillent faire appliquer les règles et jouer selon les règles, est un motif d'espoir", souligne Samuel Darkwa, un responsable de l'Institute of Economic Affairs, à Accra.
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
LES ÉVADÉS
EXCLUSIF SENEPLUS - Être jeune au Sénégal, c’est subir toutes sortes de frustrations. Se trouver au centre d'une compétition sociale négative - La société sénégalaise neutralise le tempérament créatif et singulier de la jeunesse - NOTES DE TERRAIN
L’information est passée presque inaperçue. Comme une évidence. Comme le ciel est bleu et comme les étoiles brillent la nuit. Plusieurs personnes ont été interceptées par la marine sénégalaise. Des jeunes, des mineurs. Des hommes et des femmes. Ils tentaient de quitter le Sénégal. À bord de deux pirogues de pêche, ils voulaient rallier l’Espagne. Ils étaient 186, entassés dans deux barques. Le communiqué laconique de la Direction de l’information et des relations publiques de l’armée (Dirpa), a été repris par quelques médias, sans susciter le débat. Des compatriotes qui tentent de gagner l’Europe, au prix d'une traversée insensée, ce n’est plus vraiment une surprise.
Ces dernières années, il y a eu moins de candidats à l’immigration. Les côtes sénégalaises sont plus contrôlées. L’Europe, avec l’agence Frontex surveille, jusque dans nos frontières, les probables embarcations de migrants. Elle sous-traite même sa politique migratoire, à des pays africains. Ce qui a permis de baisser de 6 % le nombre de traversées irrégulières en 2019. Mais les tentatives, pour rallier « l’eldorado européen » continuent. Elles ne cesseront pas. Les Etats africains n’y peuvent rien. Pour justifier ces rêves fous d’un paradis chimérique, le sens commun évoque deux raisons. La pauvreté et l’absence de perspectives dans nos pays - ce qui incrimine nos dirigeants. Ou l’irresponsabilité de ces jeunes qui vont affronter les vagues de l’océan, et souvent l’esclavage dans les pays arabes.
C'est vrai, qu'il faut être un peu déraisonnable, pour dépenser des millions, et risquer sa vie. J’ai un ami qui a tenté le voyage, par la mer. Il m’a raconté les peurs qui l’ont accompagné durant son périple. Les vagues énormes, qui se soulèvent la nuit. Le mal de mer. Les crises d’angoisse de certains passagers. La mort, qui rôde, qui essouffle le cœur et la tête. Les prières que l’on ne parvient même plus à prononcer, lorsque la barque est au milieu de nulle part. Il m’a dit, qu’il a beaucoup pleuré. Sa souffrance a duré plusieurs jours. Son voyage était irréfléchi, m'a-t-il confié. Par contre, il a rencontré des gars qui étaient à leur énième essai. Qui ne reculeraient devant rien pour s'échouer en Europe.
L’immigration est une chose naturelle. L’exploration est une nécessité que rien ne peut contenir. Ni les barricades, ni les armées aux frontières. L’humanité a un besoin irrésistible d’aller regarder ce qu’il ne peut pas observer dans son propre environnement. De conquérir les terres lointaines. De contempler la beauté, infinie, du monde. Tout cela est profondément inscrit dans nos gènes. L’Homme est un être qui aspire à voir tous les horizons. Qui a développé la capacité de toujours changer d’imaginaires. D’aller au-delà de ce qu’il perçoit et voit. D’investir le hors-champ. L’Homme est ivre de nouveautés et de rencontres. Ainsi, partir loin, partir ailleurs est une chose tout à fait normale. Comme toutes les jeunesses du monde, la jeunesse africaine ne saurait accepter l’enfermement. Elle a le droit de prendre le large. De découvrir d’autres contrées, d’autres peuples, d’autres saisons. C’est très sain.
Bien sûr, beaucoup d’hommes et de femmes quittent leur patrie, pour fuir la misère et la guerre. Chez lui, le jeune Sud-soudanais a très peu de perspectives d’avenir. Et l’adolescent, de Gao, de Kidal et de Tombouctou est privé de certains de ses droits fondamentaux. Les deux vivent dans des endroits hantés par les conflits. Des hommes, cyniques, obsédés par le pouvoir et la haine, volent leur bonheur. Que reste-t-il à faire, là où il n’y a presque plus aucune émulation, où l'on vit dans une prison à ciel ouvert ? Peut-être s'en aller. Contre vents et marées, affronter le désert et la mer. Au moins, quand on part, par chance, on peut rencontrer des lumières avantageuses.
Mais pourquoi un jeune homme, habitant de Dakar, décide de se jeter à la mer, alors qu’il mange à sa faim, et qu’il n’a jamais entendu le bruit d’une arme ? Ce n’est pas seulement une affaire de misère et d’irresponsabilité. Mon ami, qui a tenté l’aventure, n’est pas pauvre. Il est issu de la petite bourgeoisie sénégalaise, de parents qui sont à l’abri du besoin. Il n’est pas soutien de famille. Il a fait des études universitaires. Il a un capital culturel et économique, plus élevé que la majorité de ses compatriotes. Pourtant, il a décidé de rallier l’Espagne au prix d'un voyage périlleux. S'il a voulu risquer sa vie, ce n'est pas, non plus, parce qu'il fait mieux vivre à Bruxelles, à New York, à Amsterdam, à Biarritz ou à Stockholm. Même si les lampions de la modernité y sont plus éclatants.
Beaucoup de jeunes veulent partir du pays. Selon une enquête de l’Institut fondamental d’Afrique noire, 75 % des jeunes, du Sénégal, souhaitent le quitter. Un jour, un jeune de mon quartier m’a dit : « Si j’avais l’opportunité d’aller en Europe, je ne reviendrai jamais. Je dégueulerai même tout ce que je porte, en moi, du Sénégal. » Lui, non plus, n’est pas au seuil de la misère. Mais il rêve d’une ouverture pour s’en aller. Cela ne veut pas dire qu’il n’aime pas son pays. Ses propos outrageants expriment juste un mal-être. C’est que son bonheur, ses possibilités de choix et d’actions sont limités, au Sénégal. Au-delà de la puvreté, il y a une dimension affective, dans le désir d’exode.
Notre société est encore traditionnelle. Elle impose à sa jeunesse des valeurs liberticides. Les jeunes tentés par l’immigration défient, inconsciemment, une morale excessivement répressive. Être jeune au Sénégal, c’est subir toutes sortes de frustrations. C'est se trouver au centre d'une compétition sociale négative - noon, nawle. Où les ennemis sont partout. Où il faut, tout le temps, montrer patte blanche, car l'oeil social n'est jamais loin. Cette pression sur les jeunes est invivable. La société sénégalaise neutralise le tempérament créatif et singulier de la jeunesse. Comment ne pas rêver de partir, lorsque l'on grandit dans cet environnement ? Pour les jeunes, l’océan et le désert sont des fenêtres, qui soulagent les insatisfactions. Et l’exil agit comme une objection de conscience.
Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
YOUSSOU NDOUR, DE LA MÉDINA À L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE DE SUÈDE
Le chanteur et compositeur sénégalais entre à la prestigieuse Académie royale de Suède, selon l'institution qui annonce l'arrivée de neuf nouveaux membres, quatre suédois et cinq étrangers
Le chanteur et compositeur sénégalais Youssou N'Dour entre à la prestigieuse Académie royale de Suède, selon l'institution qui annonce l'arrivée de neuf nouveaux membres, quatre suédois et cinq étrangers.
La star de la musique sénégalaise s'est réjoui de la nouvelle sur sa page Facebook.
"On ne peut pas mesurer son importance en tant qu'innovateur de la musique ouest-africaine. S'inspirant de la musique traditionnelle, il a développé et créé une forme de musique contemporaine avancée avec le "Super Etoile de Dakar", indique l'Académie royale de musique de Suède sur son site internet.
Quatre membres suédois et cinq membres étrangers ont été élus lors de la dernière réunion de l'académie. Les nouveaux membres suédois sont Johannes Landgren, organiste et professeur d'orgue, Lina Nyberg, chanteuse de jazz et compositrice, Staffan Storm, compositeur et Joakim Svenheden, violoniste.