VIDEOQUAND LE PRÉTOIRE L'EMPORTE SUR LE PERCHOIR
"Politiquement raison, juridiquement tort" : c'est ainsi que Mounirou Sy résume la décision du Conseil constitutionnel sur la loi interprétative d'amnistie. La majorité parlementaire ne permet pas de s'affranchir des principes constitutionnels

Dans une décision rendue le 23 avril 2025, le Conseil constitutionnel a annulé l'article premier de la loi interprétative relative à l'amnistie votée en 2024, vidant ainsi cette loi controversée de sa substance. Cette décision, qui fait couler beaucoup d'encre dans le pays, marque un tournant significatif dans les relations entre le pouvoir politique et l'autorité judiciaire.
Selon le professeur Minirou Sy, maître de conférences à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, interrogé sur la chaîne TFM, cette décision est "une source de satisfaction" après des années où "on était habitué à une incompétence saisonnière du Conseil constitutionnel sur des questions qui touchaient le cœur de la vie politique".
Le Conseil constitutionnel a requalifié la loi dite "interprétative" en loi "modificatrice", estimant qu'elle innovait en tentant de rétrécir le champ d'application de la loi d'amnistie initiale. "Le juge constitutionnel ne se limite plus à l'idée de trancher mais fait office de pédagogie", analyse le professeur Sy, qui souligne un "revirement" par rapport à la décision initiale sur la loi d'amnistie.
En effet, alors qu'il avait précédemment reconnu au législateur "la plénitude de ses pouvoirs" concernant l'amnistie, le Conseil constitutionnel "a circonscrit le périmètre d'action du législateur" en lui rappelant qu'il ne peut pas aller au-delà des textes de droit international, notamment concernant la torture, les actes inhumains et dégradants.
Pour les victimes des événements politiques couverts par la loi d'amnistie, cette décision ouvre la voie à des recours civils. "Les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux autorités administratives et juridictionnelles", rappelle l'universitaire. Si l'amnistie éteint l'action publique, elle ne remet pas en cause le droit à réparation des victimes. Une personne dont le commerce aurait été vandalisé pourra ainsi demander réparation devant un juge civil.
Le professeur Sy écarte toute possibilité d'annuler complètement la loi d'amnistie de 2024, celle-ci étant déjà promulguée. Une abrogation n'aurait d'effet que pour l'avenir et ne résoudrait pas les problèmes actuels.
Cette décision constitue, selon l'expert, un signal fort envoyé par le Conseil constitutionnel au monde politique : "Vous avez politiquement raison parce que vous détenez la majorité à l'hémicycle, mais juridiquement tort parce que vous avez violé la Constitution." Le professeur estime que "le peuple a maintenant quelqu'un qui veille pour ses droits, à savoir le juge constitutionnel", évoquant la notion de "démocratie continue" où "lorsque le peuple perd la démocratie à l'Assemblée nationale, il peut l'atteindre devant le Conseil constitutionnel".
Quant au débat sur la transformation du Conseil constitutionnel en Cour constitutionnelle, le spécialiste le considère comme purement "terminologique", l'essentiel étant de "renforcer les prérogatives de la juridiction constitutionnelle", quelle que soit son appellation.