AMADOU MAHTAR MBOW, LE TRESOR HUMAIN
Bés bi revient sur le parcours de cette personnalité emblématique, enseignant, homme politique et premier Noir Directeur général de l’Unesco.

Une bibliothèque s’est éteinte avec le rappel à Dieu du professeur Amadou Mahtar Mbow. C’est un pan de l’histoire du Sénégal qui s’effondre. Bés bi revient sur le parcours de cette personnalité emblématique, enseignant, homme politique et premier Noir Directeur général de l’Unesco.
Il a marqué l’Afrique et le monde de son empreinte. Visionnaire, résistant, profondément humaniste et proche de la nature d’un des fils les plus illustres du pays, Amadou Mahtar Mbow a tiré sa révérence hier. Que de pluies d’hommages pour l’ancien instituteur du village de Sénoudebou, dans le département de Bakel dans les années 50. Soldat intrépide de l’éducation et de la démocratie, Professeur au collège de Rosso en Mauritanie, Mbow a été directeur général de l’Unesco. Il est présenté comme le concepteur du Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic), du programme international pour le développement de la Communication et de la Panafrican news agency (Pana). Sous Senghor, l’homme a été ministre de l’Education nationale, ministre de la Culture. Né le 20 mars 1921 à Dakar, Amadou Mahtar Mbow grandit à Louga où il entre d’abord à l’école coranique, puis à l’école française grâce à Blaise Diagne. Engagé volontaire dans l’armée à l’âge de 18 ans, il a été soldat durant la seconde guerre mondiale, démobilisé en octobre 1940, puis rappelé à l’activité en janvier 1943, avant d’être à nouveau démobilisé en 1945. Mahtar Mbow poursuit des études d’ingénieur aéronautique en France tout en décidant de passer son baccalauréat en Lettres modernes qui lui ouvre les portes de la Sorbonne. Il y obtient une licence ès-lettres d’enseignement et préside parallèlement l’Association des étudiants de Paris, avant de fonder la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France. De 1951 à 1953, Mbow s’emploie à l’enseignement au collège de Rosso en Mauritanie, avant de revenir au Sénégal où il crée et dirige de 1952 à 1957 le Service de l’Éducation de base. De cette initiative, il se verra nommé chef des missions d’éducation de base de Darou Mousty, Badiana, Sénoudébou puis Gaya. Il enseigne l’Histoire et la Géographie jusqu’en 1966 notamment au lycée Faidherbe de Saint-Louis puis à l’Ecole normale supérieure de Dakar.
Ministre, Unesco, Assises nationales
Outre le poste de ministre de l’Education et de la Culture, qu’il occupera dans sa carrière, Mahtar Mbow sera aussi député et conseiller municipal. À partir de 1966, il siège au Conseil exécutif de l’Unesco comme représentant du Sénégal, avant de devenir Sousdirecteur général pour l’éducation en 1970. Élu directeur général de l’Unesco en 1974, il occupera cette fonction pendant 13 ans. En 2008, âgé de 87 ans, il préside les Assises nationales du Sénégal, grand rassemblement ayant pour but d’aborder les problèmes politiques et sociaux du pays. Amadou Mahtar Mbow est l’auteur de nombreuses publications, dont plusieurs sur les missions de l’Unesco, notamment Aux sources du futur : La problématique mondiale et les missions de l’Unesco, (L’Harmattan, 2011). Il a également contribué aux publications de l’Académie du Royaume du Maroc à travers une trentaine de communications traitant des grands problèmes culturels, politiques, économiques et sociaux du monde, souvent sous un angle africain. Pendant ses années en tant que Directeur général de l’Unesco, Amadou Mahtar Mbow a supervisé le travail du secrétariat pour la Convention du patrimoine mondial. Il a reçu les premières ratifications ayant permis l’entrée en vigueur de la Convention et a connu l’inscription des premiers sites sur la liste du patrimoine mondial en 1978.
Trésor humain
Lors du colloque qui lui était dédié pour fêter ses 100 ans, le sociologue Mouhamadou Lamine Sagna, dans son ouvrage «Amadou Mahtar Mbow, une légende à raconter, entretiens avec un éclaireur du siècle», revenait sur le prestige de son écriture : «Elle me transmettait par ce biais les valeurs de notre société. Ces contes-là suggèrent aussi que nous avons vécu dans des endroits où il y avait tous ces animaux sauvages, qui hélas, aujourd’hui n’existent plus ou sont devenus rares (…). A travers ces récits, elle nous apprenait notre histoire, du point de vue africain.» Et Doudou Diène, juriste et diplomate sénégalais, ancien de l’Unesco de renchérir : «Il a été nourri par ses racines traditionnelles. Pour lui, l’humain est au centre. Le crédo des Sénégalais tient en la phrase suivante : ‘’l’Homme est le remède de l’Homme’’. Au lieu de ‘’l’Homme est un loup pour l’Homme’’ pour l’Occident». Après son rappel à Dieu ce 24 septembre, le journaliste Mademba N’diaye lui a rendu hommage sur X. «Amadou Mahtar Mbow vient de quitter ce monde dont il a été le serviteur toute sa vie. Il fait partie de ceux et celles qui ont mené une vie utile pour le genre humain. A 103 ans, il peut reposer en paix. Que le Firdaws soit sa demeure. Il fut bon celui qui, dans les années 2003, assis à ses côtés dans un bus dans le cadre de la lutte en faveur du retrait des enfants de la rue, me montra du doigt son village ! Ñalaxaar a perdu son Mahtaar et nous toutes et tous, notre boussole ! Repose en paix Patriarche.» Plusieurs ouvrages dont «Le sourcier du futur, un combat pour l’Afrique» co-écrit par Charles Becker et Jeanne Lopis Sylla ont été consacrés au président des Assises nationales du Sénégal que beaucoup d’intellectuels présentent comme «un trésor humain vivant, dont l’œuvre a été marquée par la sacralisation dont il a toujours fait sienne de la République et des institutions démocratiques».