LA PROXIMITE EST-ELLE MEURTRIERE ?
Plus de deux ans après l’assassinat de l’alors 5ème vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Mme Fatoumata Mactar Ndiaye, par son chauffeur, un crime identique vient d’être commis à Tambacounda, samedi dernier 18 mai.

Plus de deux ans après l’assassinat de l’alors 5ème vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Mme Fatoumata Mactar Ndiaye, par son chauffeur, un crime identique vient d’être commis à Tambacounda, samedi dernier 18 mai. Cette nuit-là, aux environs de 22 heures, la jeune Binta Camara, 23 ans, a été froidement étranglée à mort par Alioune Fall, 33 ans. Le meurtrier présumé est présenté comme un « homme de confiance », plutôt à tout faire, du père de la défunte, Malal Camara. La proximité serait-elle devenue meurtrière ? Le Témoin pose le débat…
Il y a deux ans et demi était assassinée, de manière atroce, à Pikine, Fatoumata Mactar Ndiaye, militante de la première heure de l’Apr. La dame a été tuée par son chauffeur et homme de confiance Samba Sow. C’était en novembre 2016, veille du Grand Magal de Touba. « Membre » de la famille, bénéficiant de la confiance absolue de sa patronne qui le considérait comme son propre fils, Samba Sow s’était introduit ce samedi-là très tôt et sur la pointe des pieds dans la chambre à coucher de la dame. Connaissant les coins et recoins de la maison comme les doigts de ses mains, il savait qu’à cette heure matinale, la maison était déserte d’autant que les autres enfants de Mme Sy Fatoumata Matar Ndiaye étaient en pèlerinage à Touba pour les besoins du Magal. Samba Sow ignorait cependant que l’un des fils de la dame du nom d’Adama Oumar Ba avait renoncé au voyage sur Touba, préférant tenir compagnie à sa maman. Caché dans un coin de la maison, Samba Sow est entré dans la chambre à coucher de sa patronne dès que cette dernière est sortie pour se rendre aux toilettes. À son retour dans la chambre, la défunte Fatoumata Matar Ndiaye a surpris son chauffeur en train de fouiller dans son armoire. Pris la main dans le sac, et pour faire taire la victime, Samba Sow a sorti le couteau qu’il avait par devers lui pour poignarder lâchement sa patronne, l’égorger avant de s’en prendre à son fils qui a accouru lorsqu’il a attendu les cris de sa maman. Ce meurtre crapuleux et odieux avait suscité des débats sur les réseaux sociaux, dans les médias, dans le landerneau politique, bref, dans tout le pays tellement beaucoup n’imaginaient pas qu’un collaborateur aussi proche puisse être sadique et ingrat au point de tuer une patronne qui ne lui refusait rien et qui lui avait même offert, quelques jours plus tôt, une forte somme d’argent pour qu’il se marie
Une proximité meurtrière ! Plus de 2 ans plus tard, un cas similaire noté au quartier Sara Guilèle de Tambacounda.
. Binta Camara tuée par son « frère adoptif ».
Les faits se sont déroulé le samedi 18 mai dernier aux environs de 22 heures. Pape Alioune Fall attend que l’agent préposé à la sécurité sorte de la maison du directeur général de l’Agence de développement local (Adl), pour se pointer sur les lieux. Sur place, il trouve Binta Camara qu’il essaie d’amadouer avant de lui demander des nouvelles de son père. Mais, cette dernière le rejette et commence à crier. Pris de panique, il tente de la maîtriser. Malheureusement, il donne à la victime, qui lui aurait opposé une farouche résistance, un coup fatal à la tempe. Binta rend l’âme. Tout comme Samba Sow, chauffeur et «fils » de Fatoumata Matar Ndiaye, Pape Alioune Fall, était considéré lui aussi par Malal Camara, directeur de l’Agence de développement local, comme son propre « fils ». « Son père (celui de Pape Alioune Fall, Ndlr) avait décidé de me le confier. C’est d’ailleurs ce qui avait poussé ma fille Binta à avoir une affinité avec lui... », s’est tristement confié Malal Camara. Pourquoi une telle barbarie à l’endroit des personnes de « confiance » ? Le sociologue Pr Djiby Diakhaté souligne d’emblée deux constantes. La première est que, selon lui, ce sont des femmes qui ont été agressées. « La deuxième est que ces agressions se sont essentiellement déployées en milieu urbain. Cela veut dire qu’en milieu urbain, le mode d’habitation met l’accent sur le milieu géographique qui n’est pas effectivement une proximité axiologique et affective. Dans les villages, nous avons une proximité affective et une proximité éthique parce qu’on partage les mêmes valeurs. On est aussi parents. Evans Pritchard dit que ‘’chez les négro-africains, on est parent ou on est ennemi’’ », rappelle le professeur Djiby Diakhaté qui pense donc qu’il n’y a pas de problèmes de ce genre dans les vil lages. En effet, confie-t-il, c’est en milieu urbain où la proximité n’est que géographique qu’on assiste à des manifestations de « proximité meurtrière ».
Professeur Djiby Diakhaté : « En milieu urbain, la proximité n’est pas affective et éthique, elle est maléfique »
En ville, souligne le sociologue, la proximité n’est pas affective encore moins éthique. Par conséquent, souligne M. Diakhaté, « l’individualisme se développe et les formes de proximité qui se nouent sont plus artificielles que réelles avec un niveau d’hypocrisie qui peut être très élevé. Alors, ce que nous avons vu dans ces deux cas, ce sont des intentions qui n’ont pas pu être déchiffrées par certains acteurs. Parce que la personne s’est présentée sous un visage qui décline la bonté, l’attention, l’humanisme alors qu’au plus profond d’elle-même elle avait des intentions maléfiques. Ça, c’est surtout la manifestation d’une proximité géographique et territoriale qui n’est pas accompagnée d’une proximité éthique ou affective ». Pour éviter ce genre de situation, le sociologue Djiby Diakhaté pense qu’il faudrait que les familles soient vigilantes, que les groupes soient beaucoup plus regardants et sélectifs aussi dans la construction des relations et des interactions. « Parce qu’établir des liens avec quelqu’un ne doit pas exclure le contrôle. Mais, il faut aussi faire en sorte que « Tonton Saï Saï » ne soit pas intégré dans la famille», conseille le sociologue membre du Cnra (Conseil national de régulation de l’audiovisuel) M. Diakhaté
Bécaye Diarra, commissaire de police : « La proximité est bénéfique à 99 % »
A chaque fois que des cas de meurtre ou d’agressions sordides sont enregistrés dans le pays, la politique sécuritaire de l‘Etat est pointée du doigt. Mais, pour le commissaire Bécaye Diarra, ce sont deux situations particulières. En effet, le commissaire central de Saint-Louis déplore qu’à chaque fois qu’il y a des situations qui sortent de l’ordinaire, on dise qu’il y a absence de sécurité. « C’est vrai qu’on ne peut pas mettre un policier à côté de chaque citoyen, on ne peut pas non plus contrôler chaque personne qui rentre dans une maison surtout s’il s’agit d’une personne habilitée à rentrer en permanence dans cette maison-là. C’est ce qui s’est passé avec les cas de Fatoumata Matar Ndiaye et de Binta Camara. Le présumé auteur, quand il entre dans la maison de l’une ou l’autre, on ne peut pas l’interpeller pour lui demander ce qu’il fait là-bas. Parce que c’est un habitué des lieux. Dans la plupart des cas, cette personne peut venir causer avec la famille sans que l’on sache qu’elle est en train de concocter quelque chose. C’est vrai qu’on indexe souvent les forces de sécurité. Mais est-ce que ces forces de sécurité peuvent réellement faire quelque chose face à des situations très particulières comme celles-là ?», s’interroge le commissaire Diarra.
Poursuivant, l’ancien patron du commissariat de police spécial de Touba rapporte que quand il avait été nommé Calife des musulmans, Abou Bakr avait dit que « désormais je suis responsable de la sécurité des animaux. Si les animaux et les poules sont affamés, c’est moi qui suis le responsable ». Notre interlocuteur dit vouloir juste démontrer que la sécurité est globale. Et le commissaire Bécaye Diarra de soutenir : « Notre rôle, nous, hommes de sécurité, est de prendre toutes les dispositions pour que même la maman qui allaite son enfant chez elle le fasse en toute sécurité ». Cependant, le commissaire Diarra estime que la proximité est bénéfique à 99%. « Le remède de l’homme c’est l’homme. Le cancer de l’homme c’est aussi l’homme. Mais, le remède de l’homme peut être à 99 % alors que son cancer c‘est parfois moins de 5 % », conclut le commissaire Bécaye Diarra de Saint-Louis… Pour dire qu’il ne faut surtout pas partir des meurtres abjects de Fatimata Mactar Ndiaye et Binta Camara pour bannir à jamais les relations de proximité !