L'HISTOIRE DE L'AFRIQUE A ÉTÉ ÉCRITE SUR LA BASE DE PRÉJUGÉS
Pendant très longtemps, l’Afrique a été considérée comme un continent sans histoire, rappelle le philosophe Souleymane Bachir Diagne. Pourtant, le cours du monde ne peut se penser sans le rôle que l’Afrique y a joué et y joue encore

Pendant très longtemps, l’Afrique a été considérée comme un continent sans histoire, rappelle le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, professeur de français à l’Institut d’études africaines de l’université Columbia. Pourtant, le cours du monde ne peut se penser sans le rôle que l’Afrique y a joué et y joue encore. Entretien extrait de L'Atlas des Afriques, un hors-série de La Vie et du Monde, disponible en kiosque ou à commander en ligne.
L’Afrique habite nos imaginaires mais son histoire reste méconnue. Ce récit passionnant court de l’aube de l’humanité au XXIe siècle et fait revivre les pharaons noirs, les richissimes royaumes médiévaux, les temps tragiques de l’esclavage et de la colonisation, l’enthousiasme des indépendances... jusqu’à s’arrêter sur les grands enjeux d’une Afrique émergente qui retrouve peu à peu sa place dans le monde. Servi par une cartographie inédite, cet atlas met enfin en lumière, par-delà les clichés, ce continent devenu incontournable. 12,00€, en vente en kiosque ou à commander sur notre boutique.
Au regard de l’histoire ancienne, diriez-vous qu’il existe une ou plusieurs Afriques ?
Une telle durée de plusieurs millénaires signifie une extrême diversité dans les temporalités comme dans les espaces et conduit à penser qu’il y a effectivement plusieurs Afriques. Mais il ne faut pas perdre de vue la dimension continentale de cette longue chronologie. L’histoire de l’Afrique a trop souvent été fragmentée et écrite sur la base de nombreux préjugés, européens principalement. La civilisation égyptienne, par exemple, était jugée trop brillante pour appartenir au continent africain. Elle en a donc été détachée. Cette vivisection de l’histoire africaine a aussi coupé le continent en deux : l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord ou, en termes raciaux, « l’Afrique noire » et « l’Afrique blanche ».
La tradition principalement orale des sociétés africaines participe-t-elle de la moins bonne connaissance de leur histoire ancienne ?
Chaque type de source en histoire pose ses propres problèmes et défis. Pour le continent africain, la tradition orale est essentielle. Elle est la mémoire humaine, celle des récits et des témoignages. Reconstituer les principes sur lesquels reposait l’empire du Mali dans l’Ouest africain demande, par exemple, de confronter plusieurs récits de griots. Dans cette approche du « calcul des témoignages », on évalue, soupèse et recoupe les propos recueillis, puis, comme mesure de leur crédibilité, on les croise avec des sources archéologiques et d’anthropologie linguistique. Car chaque langue est une archive, chaque langue est porteuse d’une histoire. Grâce à ces différentes sources, les historiens africains et les africanistes accèdent à une vision de plus en plus précise de l’histoire du continent.
Le caractère périssable de certaines architectures a-t-il contribué à la « dissolution » des traces ?
Par définition, les matériaux périssables constituent des traces plus difficiles à retrouver que des constructions en pierre, comme les ruines de Grand Zimbabwe, par exemple. La plupart des sociétés africaines ont utilisé des matériaux comme le banco (terre crue) qui correspondaient à leur cosmologie et à leur philosophie de la vie. Comme s’il ne s’agissait pas de construire un édifice qui défie le temps mais de bâtir, avec du vivant, une œuvre sur laquelle il est alors nécessaire de toujours revenir. Avec l’islamisation de l’Afrique de l’Ouest, à partir du XIe siècle, les mosquées en matériaux périssables se sont multipliées. La grande mosquée de Djenné au Mali a ainsi connu des altérations et a été reconstruite à plusieurs reprises. Les poutres visibles sur ses façades maintiennent dans le bâtiment lui-même des moyens de l’escalader et d’effectuer des replâtrages périodiques.
La période des grands empires africains a été tardivement étudiée. Comment expliquez-vous ce retard ?
L’histoire écrite de l’Afrique est une discipline jeune pour des raisons évidentes de temporalité. Celle racontée par les griots, dans les chroniques du monde arabe ou encore aux XVe et XVIe siècles, est évidemment ancienne, mais les premiers livres sur l’histoire de ces régions sont marqués par la colonisation. Ils en étaient la justification même : l’Europe apportait à l’Afrique « la » et « sa » civilisation. Or, pour apporter une civilisation à une région, mieux vaut déclarer qu’elle n’en a pas. Pendant très longtemps, l’Afrique a été considérée comme un continent sans histoire. L’étude en était laissée aux seuls ethnologues spécialistes des peuples primitifs. C’est pourquoi l’écriture moderne de l’histoire de l’Afrique (connaissances, fouilles archéologiques, etc.) a pris du retard.
On ignore souvent qu’au Moyen Âge l’Afrique a été l’un des moteurs du commerce intercontinental, pour l’or notamment...
Oui, le continent a très longtemps joué un rôle primordial dans les échanges commerciaux. S’agissant de l’or, par exemple, l’un des événements les plus considérables de l’histoire africaine est le pèlerinage à La Mecque de Mansa Moussa, souverain de l’empire du Mali (dont la richesse est fondée sur l’or), en 1324. Il avait emmené avec lui une telle quantité d’or que le cours du métal s’effondra en Égypte !
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