PAKOUR, CE VILLAGE OU PEULS CHRETIENS ET MUSULMANS COHABITENT
Les tensions d’ordre religieux sont fréquentes et sont à la base d’attentats, d’attaques et d’exclusions de toutes sortes commis par des Chrétiens, Musulmans ou Juifs au nom de la religion.

Les tensions d’ordre religieux sont fréquentes et sont à la base d’attentats, d’attaques et d’exclusions de toutes sortes commis par des Chrétiens, Musulmans ou Juifs au nom de la religion. Des gens de différentes convictions religieuses se combattent tout le temps. Des minorités sont persécutées partout à travers le monde. Même le Sénégal, connu pour être un exemple de dialogue entre les religions, a parfois connu de petites frictions confessionnelles. au moment où ont lieu ces déchirements, on découvre avec étonnement qu’il existe une contrée où la religion est presque reléguée au second plan. Pakour est un bourg chef-lieu de communauté rurale, situé à 65 kilomètres de Vélingara (région de Kolda). Dans ce village, la première curiosité qu’on y remarque est qu’il existe une communauté peulh chrétienne, majoritaire dans le village. a la découverte d’une contrée exemple de coexistence religieuse presque harmonieuse.
Aïssatou attend depuis plus d’une heure sous un ciel de plomb. Le soleil très haut perché au zénith darde ses rayons sur le village de Maréwé. « Tu vas à Pakour ? Attendons, peut-être que tu auras la chance de voir un véhicule qui y va. Cette route mène directement à Pakour », fait savoir la dame au visiteur. Au détour d’une piste chaotique de 65 kilomètres à l’est de la ville de Vélingara, on arrive enfin devant un panneau à l’entrée d’un village pas comme les autres. Il y est inscrit en gros caractères : Pakour. Une localité aussi appelée Pathiana.
Pakour est un gros village à la forme triangulaire subdivisé en quatre zones : Pakour Balang, Pakour Bouré, Pakour Kaorané Lalang et Pakour Maodé. Le bourg est essentiellement habité par de Peulhs chrétiens. Pakour Maodé est la plus grande et la plus vieille entité de ce gros village où habitent les Peulhs chrétiens. Elle compte 266 habitants répartis en vingt-deux familles. Quinze foyers sont chrétiens et les sept restants musulmans.
Tout le village parle la langue Pulaar. Les habitants sont éleveurs et/ou cultivateurs. L’élevage et l’agriculture, en plus d’être leurs occupations quotidiennes, constituent leurs principales sources de revenus. L’école qui se trouve dans le carré de la communauté chrétienne y est implantée depuis des décennies. Tous les jeunes de ce village, contrairement à ceux des contrées voisines, parlent français avec un assez bon niveau.
A l’opposé de cette école qui fonctionne très bien, les « daaras » (écoles coraniques) sont presque vides. Mais Chrétiens et Musulmans sont tous à l’école française. La croix de Jésus autour du cou, Jean Baptiste Baldé, un bouquin en main, lit la bible. « Nous avons tout le temps cette croix autour de nos cous », confie le jeune homme. La vingtaine passée, ce chrétien de père et de mère est en classe de première.
Dès l’entrée de Pakour Maodé, on aperçoit les enfants avec des croix autour du cou. Olivier fait partie de ceux qui affichent leur appartenance religieuse. Il porte un tee-shirt vert et la croix comme pendentif. Agé de sept ans, il était à côté de sa maman Ndella Mané, qui est de l’ethnie Balante, et de son père peulh, Nicolas Boiro. Son témoignage rejoint celui de Jean Baptiste Baldé. « C’est le curé qui me l’a donnée et mon papa m’a ordonné de ne jamais l’enlever », confie le petit à propos de son crucifix. S’agissant des prénoms, ils sont nombreux et se rapportent au christianisme. On peut citer entre autres Kizito, François, Hélène, Laurent, Thérèse, Raphael, Béatrice, Marie, Elisabeth, Georges, Valérie, Benoit, Roger, Lazare, etc. En revanche, il n’y a que deux noms de familles dans ce village : Boiro et Baldé. Les premiers habitants du village étaient des animistes.
A Pakour Maodé, il est difficile de voir les chrétiens, particulièrement les plus jeunes, sans une bible. « Nous lisons tout le temps le Nouveau Testament et la Bible. On ne s’en sépare pas », dixit Jean Baptiste. Gilbert, vingt ans, qui a adhéré il y a quatre ans, quant à lui, indique qu’il se sert de ces ouvrages comme « guides vers Dieu ». Selon lui, ce sont ces livres saints qui lui permettent de ne pas se perdre et d’être sur le droit chemin. François Boiro, la cinquantaine révolue, dit la même chose que nos jeunes interlocuteurs. « Je ne reste pas un jour sans lire des passages de la Bible. Et chaque matin, quand je me lève de mon lit, la première chose que je fais est de prier», révèle-t-il. Sa femme Mayo Prudence Diao, l’imite. « Au petit matin, quand je me lève de mon lit, je remercie Dieu et notre messie ».
Tous les dimanches matin, à l’heure de la prière, on constate une forte affluence à l’église. Ils sont, en moyenne, quatre-vingts à cent fidèles, des tout-petits, des jeunes et des adultes à envahir le lieu de culte. Tous sont profondément absorbés par la solennité du moment. « Vous avez vu le nombre de personnes. C’est comme ça tous les dimanches. Nos fidèles viennent en masse à la messe » se réjouit François.
Le chef de quartier de Pakour, Sathio Boiro, un musulman âgé de 70 ans, confirme le degré de religiosité de ses parents Peulhs chrétiens. « Ces gens portent avec ferveur leur religion. Ils ne négligent pas leurs prières. Les dimanches matin, le village est presque vide quand ils partent à la mission », confie-t-il. Son frère Léon qui, lui, est chrétien, est assis à ses côtés. Cet homme à la barbe blanche, vêtu d’un boubou de couleur bleue et des sandales laissant apparaître ses pieds poussiéreux, pense que quelle que soit la religion que l’on pratique, on a l’obligation de respecter ses préceptes.
A en croire les époux Boiro, la religion les aide beaucoup à surmonter les problèmes qu’ils rencontrent dans la vie. « Depuis que je me suis convertie au christianisme, Dieu me préserve de beaucoup d’obstacles. J’arrive à m’en sortir, car, à chaque fois qu’un problème me préoccupe, je fais appel à Dieu à travers les Enseignements de la Bible », confesse Mayo Diao, la femme de François. Quant à Mariama Baldé, une jeune fille de 16 ans, déjà grande avec ses 1m78, elle s’étonne de la ferveur de ces Peulhs chrétiens de Pakour Maodé. « Les dimanches matin, j’aperçois des gens qui sortent de l’église la croix autour du cou. Je sais qu’ils sont très attachés à leur religion », s’exclame-t-elle en haussant les épaules, la main à la bouche, en signe d’étonnement.
Le curé Martin Ngom révèle que, dans leurs enseignements, ils font tout pour que les fidèles restent attachés à la religion. Pendant ce temps, les musulmans ne semblent accorder aucune importance à leur religion. C’est à peine s’ils y pensent. La pratique reste très irrégulière chez certains et absente chez d’autres. D’où cette triste remarque de Mariama Baldé : « Ces chrétiens prennent d’assaut chaque dimanche leur lieu de culte, contrairement aux musulmans qui ne font pas le nombre les vendredis. Et puis, à vrai dire, ici, les musulmans, surtout les jeunes, ne respectent pas les prières », se désole-t-elle.
L’imam Thierno Boubacar conforte cette version et parle de « négligence » des musulmans à l’égard de leur religion. A Pakour, vous ne verrez pas un musulman lire le Saint Coran. Si ce n’est chez le marabout avec ses quelques fidèles talibés. « Notre grand malheur est qu’on manque d’écoles coraniques et aussi de parents qui ont une maitrise du Coran et qui ne négligent pas non plus les préceptes de l’Islam », se désole Amédine Baldé, un musulman de trente ans, assis à côté de sa femme qui prépare le repas. Il poursuit : « Cette négligence, surtout des parents, est plus grave, car on peut ne pas apprendre tout le contenu du Coran mais au moins on peut essayer d’éduquer les enfants à connaitre les piliers de l’Islam.
De là, ils ne seront pas détournés facilement. Mes enfants sont à l’école française, mais, après leur retour à la maison, ils partent le soir apprendre le Coran chez le marabout », explique l’homme juste au moment où ses trois enfants reviennent de la brousse. « Ils étaient partis surveiller le troupeau de leur grand-père », renseigne-t-il.
A quelques mètres de la demeure d’Amédine Baldé, se trouve une autre famille musulmane. Des dames d’une trentaine d’années sont là en train de piler du mil et de préparer du couscous pour le repas du soir. L’une d’elles est vêtue d’un boubou bleu, elle est de teint clair, avec un tatouage buccal (presque toutes les femmes de ce village en ont). « Je suis musulmane comme toutes celles qui sont là et nous essayons de pratiquer notre religion comme il le faut », fait-elle savoir. Au moment où elle parle, le muezzin appelle à la prière de 17 h. Cependant aucune d’entre elles ne se lève pour prier. « Parfois on ne prie pas, à cause des occupations », se justifie Halimatou Diao, le pilon à la main. Une attitude presque impensable chez les chrétiens qui se retrouvent tous à l’église à chaque fois qu’il y a prière ou une quelconque manifestation liée à la religion. Ce qui, en définitive, ajouté aux moyens dont disposent les curés, explique le dynamisme du christianisme dans le village et surtout ses nombreux recrutements parmi les fidèles musulmans.
L’histoire des Peulhs devenus chrétiens à Pakour
Pakour est un village peulh à majorité chrétienne. Ce fait est certes étrange, mais l’histoire du village permet de l’expliquer. Pour résumer, on peut dire que les premiers évêques ont trouvé un terrain vierge et l’ont investi. En fait, les ancêtres de ces Peulhs chrétiens viennent d’un village qui s’appelle Demba Coumba. Il est situé dans le Pakane où est implanté l’actuel Gounass. Ils ont quitté la zone de Médina Gounass pour venir s’installer à Pakour, un an avant la création de Gounass. La raison de leur départ est à chercher dans un différend entre le vieux Samba (le grand père de ces Peulhs chrétiens) et le roi de Médina Pakane. Ce dernier avait, en effet, frappé violemment un des fils du vieux qui faisait partie des hommes vigoureux, gardiens du palais royal d’alors. C’est de là que le patriarche du nom de Samba est allé pour rencontrer le roi afin de lui signifier son mécontentement. Mais il n’a pas pu le voir, car les hommes du roi lui ont fait savoir que ce dernier était sorti.
En réalité, le roi était bel et bien sur place, mais ne voulait pas rencontrer le père de sa victime par peur de son arsenal mystique. De là, le vieux Samba, mécontent et très déçu du roi, quitta cette zone au plus vite avec sa famille pour s’installer à Pakour. En outre, n’eût été ce départ prématuré, le vieux risquait de perdre son bétail. Car il avait plus de deux cents bœufs. Cet incident a eu lieu deux ans après l’arrivée du marabout de Médina Gounass. C’est grâce à ce dernier que la contrée est devenue très célèbre pour ses retraites spirituelles musulmanes. En effet, avant cet exil volontaire vers Pakour, c’est le vieux Samba et ses enfants qui avaient installé le grand marabout en l’aidant à faire ses huttes. Et au moment même où ils quittaient cette zone, il n’y avait que des animistes. Tout le monde, en cette période, ignorait l’Islam et le Christianisme.
La réussite du marabout de Gounass permet donc de mieux comprendre celle de l’Eglise à Pakour. Puisque les deux missions ont eu lieu pratiquement dans la même période sur presque la même étendue du territoire. Arrivé dans la zone de Patchana (Pakour se trouve dans cette zone), le vieux Samba n’y avait trouvé là aussi que des animistes. Avec ses accompagnants, ils se sont alors installés. Pendant tout ce temps, la religion traditionnelle — l’animisme — était la seule à être connue et pratiquée. C’est en 1958 qu’un père missionnaire du nom de Leron est venu de Vélingara pour ouvrir une école à Pakour et une autre dans un village appelé Saré Yéro Bah. Le père Leron, curé de la mission de Vélingara en cette période, avait trouvé qu’il n’y avait pas de religion révélée dans la zone, et que ces Peulhs étaient des animistes. Il faut préciser que dans la zone, il y avait un seul Chrétien du nom de Georges Sagna. C’est ce dernier, en réalité, qui a incité Père Leron à implanter une école afin de christianiser cette population.
Dans cette école, on y enseignait des cours de français et du catéchisme. Le premier enseignant de cette école s’appelait François Badji. C’était en 1958-1959. Les premiers élèves étaient François Boiro, son frère Amadou, etc. François Boiro, Léon Boiro, Nicolas Boiro, Jean Pierre Baldé, François Boiro, Marcel Baldé et feu Bernard Baldé, baptisés à Vélingara en 1964, furent les premiers convertis Peulhs chrétiens. François fut le premier mais dans la même année que les autres. Ainsi donc, les autochtones ont embrassé la première religion qu’ils ont connue. Cette mission enseignait jusqu’à la classe de CE1. Après le cycle, les élèves allaient terminer leurs études à Vélingara. C’est à la mission de cette ville qu’ils se faisaient baptiser. Toutefois, ceux dont les parents sont musulmans reprennent le chemin de l’islam à leur retour à Pakour. C’est le cas de Maodo Baldé, adjoint au président de la communauté rurale de Pakour. M. Baldé, ne reconnait la paternité de ce faubourg ni aux Catholiques ni aux Musulmans. Moins encore d’ailleurs pour ces derniers. « Tous les Peulhs musulmans qu’on voit ici dans le Fouladou sont des étrangers. Ils viennent de la Guinée Bissau ou de la Guinée Conakry. Mais les Peulhs originaires de ce Fouladou ont tous des parents animistes. Ce sont ces Peulhs qui sont les vrais Peulhs du Fouladou, car ils ont leurs ancêtres originaires de la zone même ».
C’est ce qui explique peut-être que notre interlocuteur, bien qu’étant un Musulman ayant vécu une expérience chrétienne, ne fait presque pas de distinction entre les deux religions révélées « J’ai été baptisé à Vélingara et j’ai porté le nom de Georges. J’ai pratiqué le christianisme pendant des années. Mais à un moment donné, je ne sentais plus cette religion et je me suis reconverti à l’islam. Mais en vérité, je l’ai fait aussi juste parce que mes parents sont musulmans. Sinon, je ne vois pas une grande différence entre le christianisme que je connais le mieux et l’Islam», confie-t-il, non sans souligner que ses grands-parents étaient des animistes.
Poursuivant ses explications sur l’histoire du village et de ses habitants, Maodo Baldé ajoute : « Quand on prend Pakour Balana, il y a des Peulhs du Fouladou, des Mandingues, des Konianké, des Peulhs Fouta. Pour le Pakour Bouré, en revanche, il n’y a que des Peulhs du Fouladou dont la plupart sont d’origine bissau-guinéenne. De même que Pakour Lalang. Pour le cas de Pakour Maodé, c’est-à -dire le grand Pakour, il n’y a que des Peulhs originaires du Fouladou». Ce Pakour Maodé précède les autres Pakour. C’est quelques années après sa fondation qu’il y a eu d’autres Peulhs étrangers qui se sont installés aux abords de Pakour Maodé. Ils sont des musulmans et ont donné naissance à Pakour Balana, Pakour Bouré et Pakour Lalang. « Nous sommes les premiers à habiter dans cette zone. C’est après que les autres sont venus nous trouver et ont créé les autres Pakour d’à côté », nous informe François Boiro, président de la communauté rurale de Pakour et premier chrétien dans le village. Un dimanche. Après la prière dominicale, les fidèles chrétiens retrouvent leurs frères musulmans dans la grande cour de la chapelle. Ce lieu est en quelque sorte l’agora du village. A leurs heures perdues, c’est dans cette cour que beaucoup de gens, surtout les jeunes, viennent se reposer et discuter. Mais ce dimanche-là, c’était le jour de la distribution des semences. Il s’agissait d’un don de Caritas, une confédération internationale d’organisations catholiques à but caritatif présente dans plusieurs pays. Ce don en question est destiné à aider les familles démunies pour les cultures.
La distribution des semences se faisant souvent dans cette grande cour de l’église, ce lieu de rencontre et de réception semble être un espace idéal de propagande en faveur du christianisme. « Quand on distribue les semences, on le fait sans rien attendre en retour. Ici, la question de la foi est réglée depuis longtemps », veut faire croire le curé. François Boiro est du même avis que lui. « Essayer de convaincre ces musulmans pour qu’il s’apostasient est inutile, car cela ne pourra pas aboutir. Ces gens sont ancrés dans leur religion comme nous, chrétiens, le sommes dans la nôtre. Nous vivons en parfaite harmonie. Ces idées de prosélytisme ne nous traversent même pas l’esprit », se défend-t-il. S’il est vrai que l’invite à la reconversion ne se fait pas de manière explicite, il est évident que le choix de la cour de l’église pour distribuer des semences fait de ce lieu de culte un endroit attractif pour une population pauvre. En plus, des chants et danses religieux sont très souvent organisés dans cette cour. Ce qui fait qu’une ambiance festive y règne fréquemment. Une ambiance qui, on le sait, est efficace pour attirer les jeunes et les femmes.
L’affabilité payante de père Denoile
En guise d’exemple, François Boiro raconte une anecdote dont il a été témoin et qu’il considère comme un des nombreux gestes décisifs ayant séduit plus d’un et poussé beaucoup à rallier le camp du prêtre. « Un jour, une dame devait accoucher dans l’urgence. Il faisait nuit et la pluie tombait. Nous étions tous là, incapables de trouver une solution devant cette dame qui se tordait de douleur. Père Denoile est arrivé avec son véhicule en sauveur pour amener cette dame à Vélingara au plus vite. A l’époque, dans toute cette zone, il n’y avait que lui qui avait une voiture. Il nous a ramené la dame et son bébé sains et saufs, en plus d’avoir payé tous les frais d’accouchement ainsi que les médicaments. Pour autant, il ne nous a jamais demandé de nous convertir », témoigne notre interlocuteur tout en vantant la générosité de ce curé. Ce père Denoile fut le premier curé de la chapelle de Pakour.
En son temps, avec la pauvreté qui sévissait dans cette zone, il aidait la population de Pakour dans son ensemble sans faire la distinction entre Chrétiens et Musulmans. Au moment de sa venue à Pakour, il n’y avait qu’une vingtaine de Peulhs chrétiens. C’est durant sa présence que beaucoup de femmes se sont apostasiées, car elles venaient tout le temps dans la grande cour de la chapelle où le père Denoile leur offrait des vivres. « La cour de l’église était toujours bondée de monde. Surtout de femmes et des plus jeunes. Ils partaient se reposer sous l’ombre des grands arbres de la chapelle. Le père Denoile satisfaisait tout le temps les besoins de tous les gens qui en formulaient la demande. Il ne se fâchait jamais. Cela avait même poussé plusieurs femmes de Pakour Bouré à s’apostasier. Leurs maris ne disaient rien, car ils voyaient tout le bien que faisait ce gentil homme ».
A en croire François Boiro, ce curé n’a jamais obligé personne à s’apostasier. Les musulmans changeaient de religion de leur propre gré. « Il ne parlait même pas de cela à ces gens. Ce sont eux qui ont été séduits par je ne sais quoi pour se convertir au christianisme. Et les dons qu’il faisait n’étaient pas un appât pour apostasier qui que ce soit. Il aidait juste les gens pour qu’ils puissent subvenir à leurs besoins. Car la pauvreté sévissait dans cette zone, malgré l’important cheptel dont disposaient les habitants. Et il faut savoir que c’étaient les musulmans qui venaient demander de l’aide », poursuit encore François Boiro.
Néanmoins, un bref retour sur l’histoire de l’église locale confirme les soupçons de recrutement de nouveaux adeptes. En effet, après de nombreuses années passées à Pakour, père Denoile est rentré en France. Et la communauté peulh chrétienne resta sept longues années sans curé. Durant cette période difficile, elle perdit quelques fidèles. Malgré tout, la majorité a su se maintenir sa foi catholique grâce à François Boiro qui assurait les prières avant que père Denoile ne soit remplacé par un autre curé français du nom de Olympio, un père différent de son prédécesseur.
Père Olympio faisait peur aux enfants et n’avait pas de bons rapports avec les adultes. « Il n’était pas généreux avec nous et même envers les femmes. Il n’hésitait pas à sortir son fusil quand les enfants jouaient dans la cour de l’église, histoire de l’embêter. Il n’aimait pas être dérangé. Il a chassé presque tous les villageois qui venaient se reposer dans la cour. Avec lui, il n’y avait pas de dons de vivres etc. Il était fermé et belliqueux. Durant la période passée par le père Olympio dans l’église de Pakour, beaucoup de gens sont revenus dans leur religion d’origine dans notre secteur », se rappelle le chef de village de Pakour Bouré.
Après des années, père Olympio est rentré à son tour en France et a été remplacé par le premier curé noir de la zone qu’on appelait Abbé Diassy. Il était aussi gentil et généreux que père Denoile. Et, selon le vieil Amadou, beaucoup de gens se sont apostasiés à nouveau. Durant la période où il officia dans la chapelle de Pakour Bouré, il y eut un foisonnement de Peulhs chrétiens. Une thèse qui n’est pas partagée par Kizito Boiro, le neveu de François. Il porte une chemise à l’effigie de la sainte Marie. Chétif, avec une voix un peu aigue, il déclare que la reconversion n’a aucun lien avec la gentillesse des curés. « C’est juste que ces Peulhs musulmans qui s’apostasient pensent avoir trouvé à travers le christianisme le meilleur chemin qui mène vers Dieu ». A Pakour, tous les habitants mettent en avant la vie en communauté par-dessus tout. Musulmans et chrétiens se fréquentent et s’entraident dans tout ce qu’ils font. Il n’y a jamais eu de tensions entre eux pour des questions de religions. Un exemple de cohabitation harmonieuse rare qui mérite d’être cité en exemple…