‘’C’EST NOTRE GRÈVE DE LA FAIM QUI NOUS A FAIT SORTIR DE PRISON’’
PAPE OUMAR ABDOUL KANE, COMPAGNON DE PRISON DE WADE EN 1994

Cet imam de la mosquée des Hlm Grand Yoff était député libéral en 1994 mais aussi Secrétaire national chargé de l’organisation du Pds et, par conséquent, du meeting qui avait abouti à la mort des six policiers. Pape Oumar Abdoul Kane revient ici sur les péripéties de la manifestation et son séjour en prison en compagnie de Me Abdoulaye Wade, Landing Savané, Pape Malick Sy, Habib Sy et Cheikh Tidiane Sy. Il avoue que n’eut été la grève de la faim qu’ils avaient entamée, ils allaient croupir en prison pendant longtemps.
Pouvez-vous revenir sur les péripéties de cet évènement du 16 février 1994 marqué par la mort de six policiers ?
D’abord, il faut revisiter le contexte. A l’époque, le Parti démocratique sénégalais était dans l’opposition avec le mouvement Moustarchidine. Le 16 février, le Pds avait organisé un grand meeting au Boulevard du général de Gaulle avec ses alliés. Je veux dire avec les Landing Savané, feu Bakhao Sall, Dialo Diop du Rnd, etc. En ma qualité de Secrétaire chargé de l’organisation du Pds, j’étais l’organisateur de ce rassemblement.
A la fin du meeting, les militants avaient voulu manifester dans la rue. On me l’avait raconté après parce que j’étais déjà rentré. Mon domicile familial se trouvait non loin du lieu du meeting. Il y avait eu un accrochage à la rue 11, près de l’Agence de la Bceao, entre les militants et les policiers.
Six policiers ont été tués et certains responsables du Pds avaient été interpellés. Il y avait Me Abdoulaye Wade, Landing Savané, Cheikh Tidiane Sy, Habib Sy, Pape Malick Sy (jeune frère de l’actuel khalife général des tidianes) et moi-même.
On avait été inculpés pour atteinte à la sureté de l’Etat entre autres griefs et emprisonnés.
N’est-ce pas c’est Abdoulaye Wade qui avait invité les militants à marcher à travers les rues de Dakar à la fin du meeting ?
C’est vrai. Au cours du meeting, il y avait un jeune qui avait pris le micro et avait invité ses camarades à manifester dans les rues. A la fin du meeting, Abdoulaye Wade lança cette phrase : «Si vous voulez manifester, alors manifestez !» (Il se répète)
Avant le rassemblement, il y avait des échauffourées dans la banlieue. Pourquoi vous n’aviez pas très tôt calmé les militants ?
J’avais appris qu’il y avait des échauffourées un peu partout. Beaucoup de militants venaient de la banlieue. J’aurais appris quelques accrochages entre des militants qui venaient de Guédiawaye, de Thiaroye et les policiers.
On dit qu’il y avait déjà mort d’homme sur la route de Thiaroye ?
Non, il n’y avait aucun mort d’homme.
Le Pds et ses alliés avaient ils armé ces jeunes pour affronter les policiers ?
Non ! (Il insiste). Le Pds a toujours manifesté. A chaque fois que nos libertés étaient bafouées, on manifestait. Le Pds était une machine. Il n’y a jamais eu au Pds une manifestation violente. On n’était jamais armé. Toutefois, il y a tout dans une foule. Il y a des éléments incontrôlés. J’étais chargé de l’organisation matérielle. Au cours de nos réunions, on n’avait jamais parlé d’armes ou de manifestation violente.
Comment avez-vous passé votre séjour en prison à la suite des interpellations de responsables de l’opposition ?
On n’avait pas de problème en prison. Sinon, au début, il y avait beaucoup de pressions. L’Administration pénitentiaire était très surveillée. Le ministère de l’Intérieur veillait de près sur ce qu’on faisait à l’intérieur de la prison. On n’était pas dans une même cellule mais dans un même carré.
A l’époque, il y avait une partie appelée le «carré des femmes». On les a déménagées au Camp pénal. On occupait là-bas quatre cellules. Me Wade était seul dans sa cellule. J’étais avec Landing Savané ; Habib Sy avec Serigne Pape Malick Sy.
Cheikh Tidiane Sy était derrière, près de Samuel Sarr qu’on avait trouvé là-bas. Il était accusé d’être impliqué dans l’assassinat de Me Sèye. On se retrouvait tous les jours après la prière de 17h et on discutait.
Avez-vous gardé des anecdotes de Me Wade et des autres ?
Il y a beaucoup d’anecdotes. Par exemple, je suis très lié à Landing Savané. On était ensemble dans la cellule pendant quatre mois et demi. Serigne Pape Malick Sy avait demandé à nos familles de ne plus amener de repas. Ceux-ci venaient de chez lui. On avait été arrêtés pendant le mois de Ramadan.
On avait passé là-bas la Korité, la Tabaski et la Tamkharite. On lisait beaucoup. On pratiquait notre religion.
On suivait les informations et on discutait. On avait mené une grève de la faim pendant cinq jours. D’ailleurs, c’est cette grève qui nous a fait sortir de prison. L’hivernage approchait et on voulait être entendus. On n’a jamais été devant un juge.
Finalement, c’est le Président Abdou Diouf qui avait ordonné notre libération. D’ailleurs, Landing et moi étions évacués à l’hôpital parce qu’on faiblissait.
Qu’est-ce que l’Etat avait fait de vos immunités parlementaires ?
Landing, Me Wade et moi-même étions des députés. D’ailleurs, l’Union interparlementaire s’était réunie sur la question. On n’avait pas levé nos immunités parlementaires sous prétexte que c’était un flagrant délit. C’est pour vous dire que la loi a été toujours violée dans ce pays.
Après votre sortie de prison, qu’est-ce qui a changé dans vos convictions et vos stratégies politiques ?
On n’avait rien remis en cause. On luttait pour une cause juste. Me Wade était contre la violence. Il disait qu’il ne voulait pas marcher sur des cadavres pour accéder au pouvoir. Même en 1974, il disait qu’il voulait créer un parti de contribution.
En prison, on revendiquait certaines choses mais lui jamais. Au départ, on voulait nous donner des tranches d’horaires pour faire de la promenade. Nous avions dit niet. Il ne s’était jamais mêlé de ça.
Vos relations n’ont-elles pas évolué négativement quand vous êtes arrivés au pouvoir ?
Au contraire, elles se sont renforcées. Quand on est en contact pendant plus de quatre mois dans une prison, il n’y a presque plus de secret. Par exemple, c’est là où j’ai découvert que Me Wade mange très peu d’huile. Il ne boit pas de l’eau fraîche, ni du thé. C’est quelqu’un pour qui la sieste est sacrée.
Tous les matins, il faisait des exercices physiques. Je veux dire des abdominaux, des flexions etc. Il a une hygiène de vie hors norme. Une fois au pouvoir, les militants de la 25ème heure sont venus mais il est resté très fidèle à ses anciens amis. Il lui arrivait de m’appeler pour me consulter sur certaines choses.
Pourquoi n’avez-vous pas occupé de poste quand on sait que le Président nommait beaucoup de ses anciens compagnons ?
J’ai occupé un poste mais tardivement quand même. En 2006 j’avais été nommé président du Conseil de surveillance du Pcrpe (Projet de construction et de réhabilitation du patrimoine bâti de l’Etat). J’ai occupé ce poste jusqu’à la dissolution de la structure en 2009. C’est Macky Sall, en tant que Premier ministre, qui m’avait proposé à ce poste. Avant, j’avais fait une seule législature (1993-1998).
A la fin de mon mandat, j’étais allé le voir pour lui dire que je ne voulais plus être député parce que je ne suis pas un politicien professionnel. Depuis lors, j’ai observé un retrait. En 1993, si je voulais être maire de Dakar, je l’aurais été. J’étais à la tête de la liste du Pds cette année devant Pape Diop. J’étais élu député à partir de la liste départementale et non de la liste nationale.
Quand Me Wade a été élu président de la République, il m’a appelé pour me demander ce que je veux. Je lui avais demandé de m’amener à la Sones comme président du Conseil d’administration. C’est Lamine Diack qui était là-bas et j’y avais fait 20 ans de carrière.
Malheureusement, ça n’avait pas abouti. En 1974, j’ai acheté librement ma carte du Pds. J’ai milité jeune et pour une cause. Pour rien au monde, je ne vais quitter le Pds.
Durant le régime socialiste, paraît-il que vous étiez persécuté à la Sones ?
J’étais très persécuté là-bas. Pour avancer sur le plan professionnel, j’avais beaucoup de problèmes. Je ne connaissais pas la peur. S’il y a aujourd’hui plusieurs syndicats à la Sones, c’est grâce à moi et à certains amis. En 1973, il n’y avait que la Cnts affiliée au Parti socialiste. Je me suis battu pour implanter un syndicat d’opposition. Où que je suis, je défends mes idées.
Actuellement, je suis imam de mosquée. Allez-y demander ! Je militais à la Médina. Je n’ai pas demandé à être imam. Quand j’ai déménagé aux Hlm Grand Yoff en 1997, j’ai trouvé des fidèles bien organisés. On débutait la construction de la mosquée. Je m’y étais impliqué corps et âme. Dieu sait qu’il y avait d’autres imams mais ils m’ont proposé de l’être avec insistance.
Comment voyez-vous le Pds après le départ de Wade de la tête du pays ?
Me Wade a créé beaucoup de leaders. Il n’est pas là. Il a confié le parti à Oumar Sarr mais il y a quand même beaucoup de leaders. C’est ça le problème du Pds aujourd’hui. Chaque leader veut mener ses propres activités et cela fait désordre.
Je leur conseille de s’organiser et d’attendre le congrès durant lequel les militants vont choisir leur leader. Ça tarde parce qu’il y a l’histoire de la traque des biens mal acquis. Le Pds est au front.