QUAND LES JEUNES SE DÉTOURNENT DE LA LECTURE
PROGRAMMES SCOLAIRES DEPASSES, FAIBLE NIVEAU, INTERNET, TELEVISIONS…
La lecture, cet excellent moyen d’acquisition de savoir, de connaissance, a perdu son rôle d’accès à la culture et à la citoyenneté. Aujourd’hui, les jeunes apprenants préfèrent de loin l’image au livre. Tout au plus, ils préfèrent la lecture numérique qu’ils trouvent plus facile. En tout cas, le constat est général : les élèves ne lisent plus, ce qui impacte leur niveau de langue, avec un français malmené. Moralité, les jeunes ne maîtrisent plus la conjugaison et les règles grammaticales. Les raisons profondes de cette « crise de la lecture» sont à chercher dans les environnements scolaire et même universitaire, le faible niveau des élèves, les programmes dépassés et inadaptés… Parents, élèves, enseignants, tous coupables ? Sud a voulu savoir pourquoi ce «désamour » entre les jeunes et la lecture.
Pourquoi, les jeunes d’aujourd’hui ne lisent plus? Des jeunes élèves des lycées et collèges de Dakar rencontrés ne savent pas quoi répondre par rapport à cette question qui leur est posée. Ils se braquent… Ce n’est qu’après quelques moments d’hésitations, que certains tenteront, tant bien que mal, de passer aux aveux par des bouts de phrases.
«Je n’aime pas lire», lance une élève en classe de 1ère secondaire rencontrée en face du Lycée sergent Malamine Camara (Lsmc), à hauteur de la grande porte du stade Léopold Sédar Senghor. «Je n’ai pas envie de lire. Je préfère jouer au foot ou aller sur Facebook», renchérit un élève en classe de Terminale, Série S1. «Je n’aime pas lire et je ne sais même pas pourquoi», explique une écolière en classe de 3ème au Lsmc. «J’ai beaucoup d’exercices, je n’ai pas de temps pour lire», souligne un autre lycéen inscrit en classe de Terminale S1 (série scientifique) dans le même établissement cité ci-haut. Ces témoignages, loin d’expliquer «la crise de la lecture», montrent une conjonction de facteurs et de prétextes que ces apprenants mettent en avant pour «justifier» leur «désamour» pour la lecture. Mais une seule chose est sûre : nous sommes loin de cette période où l’envie de lire était impactait la réussite scolaire. C’est une lapalissade de dire que le plaisir de lire baisse chez les jeunes écoliers.
LES RAISONS DU DÉSAMOUR
Pour Amadou, élève en classe de terminal au Lsmc, la question «Pourquoi les jeunes d’aujourd’hui ne lisent plus ?» trouve sa réponse dans le fait qu’il ne se retrouve pas dans les livres. Il estime que les ouvrages proposés racontent l’histoire d’une société bien précise, une culture qui leur sont étrangères. «En général, les livres qu’on nous propose à l’école, ne traduisent pas ma réalité. C’est trop occidental, je ne me reconnais pas dans les histoires qu’ils racontent», dit-il.
Plus loin, une écolière rencontrée dans la rue, évoque une autre contrainte. Binta qui fait la quatrième au collège Sokhna Astou Kane des Parcelles Assainies, souligne qu’elle est très débordée par les tâches ménagères qui lui prennent son temps de lecture. «J’aimerais avoir la possibilité de beaucoup lire, mais les travaux domestiques me prennent une grande partie de mon temps», lance-t-elle.
Abdou, élève au Lsmc rejette pour sa part la faute sur les médias et les films qui, selon lui, sont à l’origine de cette situation. «Tout ce qu’on doit lire, on le voit à la télé, sauf que le petit écran ne nous propose pas beaucoup d’émissions relatives à la littérature. Les chaînes de télé sénégalaises marchent selon le système L.M.D (lutte, musique, dance-ndlr)», précise-t-il.
Lui emboitant le pas, son camarade Modou estime que la littérature a perdu ses lettres de noblesse dans la mesure où, indique-t-il, « les écrivains ne sont plus aussi bons qu’avant. Il n’y a plus de quoi s’émerveiller ».
PLACE A LA LECTURE NUMÉRIQUE
Et comme si cela ne suffit pas, avec le développement des Technologies de l’information et de la communication (Tic), la «lecture classique» comprise comme étant le fait de lire un texte imprimé n’est plus à la mode chez les jeunes. Ces derniers pratiquent, de plus en plus, ce qu’on appelle la «lecture numérique» c’est-a-dire lire directement sur l’écran d’ordinateur, de Smartphones, sur des tablettes…
«Je n’ai pas besoin de lire les œuvres au programme. Il me suffit juste d’aller sur Internet pour avoir tout ce dont j’ai besoin avec le résumé», nous apprend Fatou Kiné, élève en classe de 3ème. Elle révèle que le fait de lire l’œuvre intégrale est une véritable perte de temps. «Je télécharge toutes les parties du livre qui m’intéressent sur mon téléphone et je gagne du temps», confit-t-elle.
Néanmoins, ces élèves interrogés admettent tous que la lecture numérique n’apporte pas autant de connaissances que la lecture classique. Mais elle est plus facile. «C’est vrai que la lecture sur le net n’est pas comparable à celle d’une œuvre avec des textes imprimés. Il faut admettre que nous ratons toujours quelque chose avec les raccourcis que le net nous propose», reconnait Penda.
DES ENSEIGNANTS EXPLIQUENT LES RAISONS DE LA «CRISE DE LA LECTURE»
La baisse du niveau des élèves d’aujourd’hui trouve son explication dans plusieurs choses dont le manque de lecture. Selon des enseignants rencontrés, le désamour des élèves pour les livres est lié au décalage entre le programme qu’on leur propose et leur temps, leur culture. C’est du moins l’avis de Thérèse Diédhiou, professeur de français au Lycée Sergent Malamine Camara (ex Lycée moderne de Dakar).
Trouvée dans la «salle de profs» de l’établissement, le Professeur indexe les programmes scolaires qui, depuis longtemps, n’ont pas été révisés. «Les jeunes ne lisent plus parce que tout simplement, les livres qu’on leur propose ne sont adaptés ni à notre culture, ni à notre temps. Prenez une œuvre comme «Le Cid» de Pierre Corneille (Français) qui, en plus d’être vieux, est trop classique. Ce livre ne nous raconte pas notre histoire», a-t-elle souligné.
A en croire l’enseignante, la littérature africaine qui est enseignée dans nos écoles souffre, elle aussi, des mêmes contrariétés. Des livres trop éloignés de notre temps chargent le programme tout au long du premier et du second cycle. «Regardez « Une si longue lettre» de Mariama Ba, c’est un livre qui n’est même pas de la génération de nos mamans. Et, pourtant, on le propose toujours à nos élèves. De même que «Sous l’orage» de Seydou Badian (Kouyaté du Mali) qui évoque un conflit de génération qui n’est plus d’actualité», a-t-elle fait remarquer.
«Tout est question de culture, par exemple, «L’Etranger» d’Albert Camus (Algérien), c’est un livre africain mais, les élèves ne le comprennent pas tout simplement parce qu’ils n’arrivent même pas à situer le contexte», dit-elle.
Par ailleurs, M. Diallo, professeur d’histoire-géographie situe le problème dans un autre registre. A son avis, les élèves développent une certaine peur d’être désapprouvés, pour ce qui est de la lecture en classe. «Beaucoup d’élèves évitent de lire devant leurs camarades. Car, il suffit de faire une faute pour qu’on s’empresse de vous corriger, ou de rire de vous, comme si ce n’était pas normal», explique ainsi le professeur.
A en croire toujours M. Diallo qui va plus loin en déclarant que « les gens vivent ce genre de situation quand ils essayent de s’exprimer en français en public ou devant un auditoire ». «C’est notre état d’esprit, on en fait une occasion pour rabaisser les gens ou les traiter de… cancres», déplore-t-il. Or, le français est une langue vivante, en plus de la lire, il faut également la parler pour se perfectionner. «Si aujourd’hui les élèves et les étudiants parlent un français lacunaire, c’est notre faute à nous tous», renchérit-il
Richard Camara, un autre professeur au Lycée sergent Malamine Camara de Dakar, analyse la situation par rapport à son expérience. Selon lui, il se pose un problème de niveau tout simplement: «un élève qui ne sait ni déchiffrer ni décoder un texte ne peut pas lire et n’aura pas envie de lire», déclare-t-il.
INCITER LES JEUNES A LA LECTURE
La lecture illustrée est un bon moyen pour éveiller chez les enfants le goût de la lecture. Le pédagogue Richard Camara en est convaincu. Pour lui, «il faut habituer à l’enfant l’objet livre. Dés la maternelle, donnez-lui des livres de bandes dessinés qu’il aura envie de feuilleter, ensuite de lire petit à petit», a-t-il suggéré.
Mieux, la lecture doit être un sujet de conversation à la maison. D’après M. Camara, le fait que les parents discutent avec les enfants des œuvres au programme, peut beaucoup les encourager à aimer et à vouloir les découvrir. «Mais, si maman ou papa n’a jamais lu «Madame Bovary» ou «Le monde s’effondre», on ne discutera que de combats de lutte à la maison», a-t-il fait savoir.
Il recommande ainsi aux parents, de glisser dans les chambres des enfants des livres de leur niveau. «Que l’enfant soit entouré de livres et qu’il puisse lire dès que le besoin se fait sentir. Les connaissances, c’est d’abord les livres. Nous, à notre époque, on nous a habitué à la bibliothèque: rose, orange, verte. Au fur et à mesure que tu grandis, tu lis des livres de ton niveau et petit à petit l’appétit vient», a-t-il précisé.
Dans le même sillage, sa collègue Thérèse Diédhiou reconnaît que susciter ce désir chez les jeunes, n’est pas chose aisée. L’implication des parents contribuerait fondamentalement à stimuler cette envie de lecture chez les jeunes. «Par exemple, lisez à l’enfant des histoires en y mettant votre grain de sel. Mais, prenez le soin de ne pas la lire intégralement. Le lendemain, vous verrez qu’il la lira de son propre chef sans vous attendre», a expliqué Mme Thérèse Diédhiou.
LA RESPONSABILITE DES PARENTS
Les parents sont les premiers responsables qui doivent amener les enfants à lire. Certains élèves, nous révéleront que jamais leurs parents ne leur ont demandé de lire. Ce qui les intéressent c’est le passage en classe supérieure, peu importe la manière. «J’ai un papa enseignant, mais jamais il ne m’a demandé de faire, ne serais-ce qu’un peu de lecture», a dit Saliou.
Un argument réfuté par M. Camara qui déplore le fait que les parents dépensent des fortunes pour faire plaisir aux enfants, mais ne provoquent guère une quelconque envie de lecture chez-eux. «Les parents sont les premiers responsables de l’envie de lecture chez les enfants. On ne peut pas être l’enfant d’un enseignant ou d’un fonctionnaire, sans jamais avoir, toute sa vie, un livre comme cadeau. Dans les chambres des enfants, on trouve tout sauf des livres. Pourtant, les parents offrent aux enfants des cadeaux beaucoup plus chers qu’un livre, à savoir des tablettes, des ordinateurs, des portables», a-t-il souligné.
Mme Thérèse Diedhiou estime que « chacun doit jouer sa partition. Cela dit, il ne faut pas tout miser sur l’enseignant comme le font certains parents. Les parents pensent que c’est à l’enseignant de tout faire alors qu’eux aussi doivent y participer ».
L’INSTRUCTION: L’ETAPE CRUCIALE
L’apprentissage de la lecture se fait, en tout début de l’instruction. L’élève doit être suivi sérieusement dans les classes primaires afin de faciliter l’initiation. Cette lourde tâche incombe à l’instituteur. Il lui appartient d’enseigner à l’élève comment déchiffrer et comment décoder un texte. Selon Richard Camara, «ces deux étapes là, le plus souvent, l’éducateur les rate. Il y a même des études qui montrent que la plupart des élèves ne sait pas lire. Les formateurs ont le plus souvent un souci d’avancement par rapport à leur travail».
Cette attitude est favorisée par le fait qu’on leur demande habituellement des résultats et non des compétences. «L’enseignant à qui on demande cinquante points, s’arrange pour les avoir. Il ne se soucie guère si les élèves savent lire ou pas. Il peut donner quatre opérations en sachant que tous ses élèves vont trouver et reléguer au diable les textes suivis de questions», a-t-il révélé.
M. Camara de renseigner: «la lecture individuelle est un bon moyen d’apprentissage, mais certains collègues ne la font pas en classe. C’est un ou deux élèves parfois qui lisent avant que l’enseignant fasse des explications de textes. L’élève n’a pas le temps d’apprécier le texte même si le professeur aime bien l’histoire», a-t-il relaté.
LA FAUTE A L’ETAT
En dehors des parents et enseignants, les autorités ont aussi leur part de responsabilité dans cette «crise de la lecture» chez les jeunes élèves. Cette responsabilité de l’Etat peut se situer au niveau de l’élaboration des programmes scolaires où la lecture n’occupe pas la place qui lui revient. C’est l’avis de Mme Diedhiou qui s’étonne, en soulignant : «je ne sais pas avec qui ils discutent des programmes scolaires. Aujourd’hui, beaucoup de choses sont dépassées. Un besoin de révision s’impose». Richard Camara embouche la même trompette en pointant du doigt l’Etat. «Le diplôme reste un moyen de sanction du niveau de l’élève. Tout élève qui n’a pas de certificat passe maintenant en sixième... On peut aller jusqu’a la licence sans avoir aucun diplôme», regrette M. Camara.
M. Diallo lui met en avant l’absence de cadre approprié pour inciter les potaches à la lecture, notamment celle d’une bibliothèque nationale. «L’implantation d’une bibliothèque nationale est de la responsabilité de l’Etat et elle tarde à venir», a dit M. Diallo
INTERNET ET LES MEDIAS
L’autre fait est que les élèves n’aiment plus lire parce qu’ils sont sensibles aux représentations, aux symboles et à l’image. Ils préfèrent aller sur Internet que de faire de la lecture un loisir. «Les jeunes passent une grande partie de leur temps sur le net. Ils y regardent des images, téléchargent des sons et s’adonnent à des jeux de société», nous dit M. Camara. Aussi, ils ont la possibilité de faire des rencontres sur le net sans aucune surveillance. «L’une des raisons qui font qu’ils ne trouvent plus les livres intéressants, c’est les rencontres qu’ils y font à l’insu des parents», a soutenu M. Diallo.
Les médias sénégalais ont également leur part de responsabilité dans cette situation. La télé a une fonction d’éducation. Ce qui n’est pas le cas de nos jours, d’après le professeur Richard Camara. «Je n’ai jamais vu la télé nous présenter des livres pour enfant. Dans les émissions réservées à ces derniers, on tient compte plus de la toilette des enfants que de leur instruction», a-t-il regretté.
Dans le même ordre d’idées, il souligne que ceux qui animent les émissions pour enfants ne donnent guère l’air de personnes qui connaissent les livres pour enfants. «Est-ce que l’animateur connait les livres pour enfants, je n’en suis pas sûr», a-t-il lâché.